Paul VI

262e pape ; de 1963 à 1978

26 mars 1967

Lettre encyclique Populorum Progressio

Sur le développement des peuples

Table des matières

Du Vatican, en la fête de Pâques 26 mars 1967.

INTRODUCTION
LA QUESTION SOCIALE EST AUJOURD’HUI MONDIALE

Développement des peuples

1. Le déve­lop­pe­ment des peuples, tout par­ti­cu­liè­re­ment de ceux qui s’ef­forcent d’é­chap­per à la faim, a la misère, aux mala­die endé­miques, à l’i­gno­rance ; qui cherchent une par­ti­ci­pa­tion plus large aux fruits de la civi­li­sa­tion, une mise en valeur plus active de leurs qua­li­tés humaines ; qui s’o­rientent avec déci­sion vers leur plein épa­nouis­se­ment, est consi­dé­ré avec atten­tion par l’Eglise. Au len­de­main du deuxième Concile œcu­mé­nique du Vatican, une prise de conscience renou­ve­lée des exi­gences du mes­sage évan­gé­lique lui fait un devoir de se mettre au ser­vice des hommes pour les aider à sai­sir toutes les dimen­sions de ce grave pro­blème et pour les convaincre de l’ur­gence d’une action soli­daire en ce tour­nant déci­sif de l’his­toire de l’humanité.

Enseignement social des Papes

2. Dans leurs grandes ency­cliques, Rerum Novarum1, de Léon XIII, Quadragesimo Anno ((Cf. A. A. S., 23 (1931), p. 177–228.)), de Pie XI, Mater et Magistra2, et Pacem in ter­ris ((Cf. A. A. S., 55 (1963), p. 257–304.)), de Jean XXIII – sans par­ler des mes­sages au monde de Pie XII3 – nos pré­dé­ces­seurs ne man­quèrent pas au devoir de leur charge de pro­je­ter sur les ques­tions sociales de leur temps la lumière de l’Evangile.

Fait majeur

3. Aujourd’hui, le fait majeur dont cha­cun doit prendre conscience est que la ques­tion sociale est deve­nue mon­diale. Jean XXIII l’a affir­mé sans ambages4, et le Concile lui a fait écho par sa Constitution pas­to­rale sur l’Eglise dans le monde de ce temps5. Cet ensei­gne­ment est grave et son appli­ca­tion urgente. Les peuples de la faim inter­pellent aujourd’­hui de façon dra­ma­tique les peuples de l’o­pu­lence. L’Eglise tres­saille devant ce cri d’an­goisse et appelle cha­cun à répondre avec amour à l’ap­pel de son frère.

Nos voyages

4. Avant Notre élé­va­tion au sou­ve­rain pon­ti­fi­cat, deux voyages en Amérique latine (1960) et en Afrique (1962) Nous avaient mis au contact immé­diat des lan­ci­nants pro­blèmes qui étreignent des conti­nents pleins de vie et d’es­poir. Revêtu de la pater­ni­té uni­ver­selle, Nous avons pu, lors de nou­veaux voyages en Terre Sainte et aux Indes, voir de Nos yeux et comme tou­cher de Nos mains les très graves dif­fi­cul­tés qui assaillent des peuples d’an­tique civi­li­sa­tion aux prises avec le pro­blème du déve­lop­pe­ment. Tandis que se tenait à Rome le second Concile œcu­mé­nique du Vatican, des cir­cons­tances pro­vi­den­tielles Nous ame­nèrent à Nous adres­ser direc­te­ment à l’Assemblée géné­rale des Nations Unies : Nous nous fîmes devant ce vaste aréo­page l’a­vo­cat des peuples pauvres.

Justice et paix

5. Enfin, tout der­niè­re­ment, dans le désir de répondre au vœu du Concile et de concré­ti­ser l’ap­port du Saint-​Siège à cette grande cause des peuples en voie de déve­lop­pe­ment, Nous avons esti­mé qu’il était de Notre devoir de créer par­mi les orga­nismes cen­traux de l’Eglise une Commission pon­ti­fi­cale char­gée de « sus­ci­ter dans tout le peuple de Dieu la pleine connais­sance du rôle que les temps actuels réclament de lui de façon à pro­mou­voir le pro­grès des peuples plus pauvres, à favo­ri­ser la jus­tice sociale entre les nations, à offrir à celles qui sont moins déve­lop­pées une aide telle qu’elles puissent pour­voir elles-​mêmes et pour elles-​mêmes à leur pro­grès« 6 : Justice et paix est son nom et son pro­gramme. Nous pen­sons que celui-​ci peut et doit ral­lier, avec nos fils catho­liques et frères chré­tiens, les hommes de bonne volon­té. Aussi est-​ce à tous que Nous adres­sons aujourd’­hui cet appel solen­nel à une action concer­tée pour le déve­lop­pe­ment inté­gral de l’homme et le déve­lop­pe­ment soli­daire de l’humanité.

PREMIÈRE PARTIE
POUR UN DÉVELOPPEMENT INTÉGRAL DE L’HOMME

1. LES DONNÉES DU PROBLÈME

Aspirations des hommes

6. Etre affran­chis de la misère, trou­ver plus sûre­ment leur sub­sis­tance, la san­té, un emploi stable ; par­ti­ci­per davan­tage aux res­pon­sa­bi­li­tés, hors de toute oppres­sion, à l’a­bri de situa­tions qui offensent leur digni­té d’hommes ; être plus ins­truits ; en un mot, faire, connaître, et avoir plus, pour être plus : telle est l’as­pi­ra­tion des hommes d’au­jourd’­hui, alors qu’un grand nombre d’entre eux sont condam­nés à vivre dans des condi­tions qui rendent illu­soire ce désir légi­time. Par ailleurs, les peuples par­ve­nus depuis peu à l’in­dé­pen­dance natio­nale éprouvent la néces­si­té d’a­jou­ter à cette liber­té poli­tique une crois­sance auto­nome et digne, sociale non moins qu’é­co­no­mique, afin d’as­su­rer à leurs citoyens leur plein épa­nouis­se­ment humain et de prendre la place qui leur revient dans le concert des nations.

Colonisation et colonialisme

7. Devant l’am­pleur et l’ur­gence de l’œuvre à accom­plir, les moyens héri­tés du pas­sé, pour être insuf­fi­sants, ne font cepen­dant pas défaut. Il faut certes recon­naître que les puis­sances colo­ni­sa­trices ont sou­vent pour­sui­vi leur inté­rêt, leur puis­sance ou leur gloire, et que leur départ a par­fois lais­sé une situa­tion éco­no­mique vul­né­rable, liée par exemple au ren­de­ment d’une seule culture dont les cours sont sou­mis à de brusques et amples varia­tions. Mais, tout en recon­nais­sant les méfaits d’un cer­tain colo­nia­lisme et de ses séquelles, il faut en même temps rendre hom­mage aux qua­li­tés et aux réa­li­sa­tions des colo­ni­sa­teurs qui, en tant de régions déshé­ri­tées, ont appor­té leur science et leur tech­nique et lais­sé des fruits heu­reux de leur pré­sence. Si incom­plètes qu’elles soient, les struc­tures éta­blies demeurent, qui ont fait recu­ler l’i­gno­rance et la mala­die, éta­bli des com­mu­ni­ca­tions béné­fiques et amé­lio­ré les condi­tions d’existence.

Déséquilibre crois­sant

8. Cela dit et recon­nu, il n’est que trop vrai que cet équi­pe­ment est notoi­re­ment insuf­fi­sant pour affron­ter la dure réa­li­té de l’é­co­no­mie moderne. Laissé à son seul jeu, son méca­nisme entraîne le monde vers l’ag­gra­va­tion, et non l’at­té­nua­tion, de la dis­pa­ri­té des niveaux de vie : les peuples riches jouissent d’une crois­sance rapide, tan­dis que les pauvres se déve­loppent len­te­ment. Le dés­équi­libre s’ac­croît : cer­tains pro­duisent en excé­dent des den­rées ali­men­taires qui manquent cruel­le­ment à d’autres, et ces der­niers voient leurs expor­ta­tions ren­dues incertaines.

Prise de conscience accrue

9. En même temps, les conflits sociaux se sont élar­gis aux dimen­sions du monde. La vive inquié­tude qui s’est empa­rée des classes pauvres dans les pays en voie d’in­dus­tria­li­sa­tion gagne main­te­nant ceux dont l’é­co­no­mie est presque exclu­si­ve­ment agraire : les pay­sans prennent conscience, eux aus­si, de leur misère immé­ri­tée7. S’ajoute à cela le scan­dale de dis­pa­ri­tés criantes, non seule­ment dans la jouis­sance des biens, mais plus encore dans l’exer­cice du pou­voir. Cependant qu’une oli­gar­chie jouit en cer­taines régions d’une civi­li­sa­tion raf­fi­née, le reste de la popu­la­tion » pauvre et dis­per­sée, est « pri­vée de presque toute pos­si­bi­li­té d’i­ni­tia­tive per­son­nelle et de res­pon­sa­bi­li­té, et sou­vent même pla­cée dans des condi­tions de vie et de tra­vail indignes de la per­sonne humaine« 8.

Heurt des civilisations

10. En outre, le heurt entre les civi­li­sa­tions tra­di­tion­nelles et les nou­veau­tés de la civi­li­sa­tion indus­trielle brise les struc­tures qui ne s’a­daptent pas aux condi­tions nou­velles. Leur cadre, par­fois rigide, était l’in­dis­pen­sable appui de la vie per­son­nelle et fami­liale, et les anciens y res­tent atta­chés, cepen­dant que les jeunes s’en évadent, comme d’un obs­tacle inutile, pour se tour­ner avi­de­ment vers de nou­velles formes de vie sociale. Le conflit des géné­ra­tions s’ag­grave ain­si d’un tra­gique dilemme : ou gar­der ins­ti­tu­tions et croyances ances­trales, mais renon­cer au pro­grès ; ou s’ou­vrir aux tech­niques et civi­li­sa­tions venues du dehors, mais reje­ter avec les tra­di­tions du pas­sé toute leur richesse humaine. En fait, les sou­tiens moraux, spi­ri­tuels et reli­gieux du pas­sé flé­chissent trop sou­vent, sans que l’in­ser­tion dans le monde nou­veau soit pour autant assurée.

Conclusion

11. Dans ce désar­roi, la ten­ta­tion se fait plus vio­lente qui risque d’en­traî­ner vers les mes­sia­nismes pro­met­teurs, mais bâtis­seurs d’illu­sions. Qui ne voit les dan­gers qui en résultent, de réac­tions popu­laires vio­lentes, de troubles insur­rec­tion­nels et de glis­se­ment vers les idéo­lo­gies tota­li­taires ? Telles sont les don­nées du pro­blème, dont la gra­vi­té n’é­chappe à personne.

2. L’ÉGLISE ET LE DÉVELOPPEMENT

Œuvre des missionnaires

12. Fidèle à l’en­sei­gne­ment et à l’exemple de son divin fon­da­teur qui don­nait l’an­nonce de la Bonne Nouvelle aux pauvres comme signe de sa mis­sion9, l’Eglise n’a jamais négli­gé de pro­mou­voir l’é­lé­va­tion humaine des peuples aux­quels elle appor­tait la foi au Christ. Ses mis­sion­naires ont construit, avec des églises, des hos­pices et des hôpi­taux, des écoles et des uni­ver­si­tés. Enseignant aux indi­gènes le moyen de tirer meilleur par­ti de leurs res­sources natu­relles, ils les ont sou­vent pro­té­gés de la cupi­di­té des étran­gers. Sans doute leur œuvre, pour ce qu’elle avait d’hu­main, ne fut pas par­faite, et cer­tains purent mêler par­fois bien des fanons de pen­ser et de vivre de leur pays d’o­ri­gine à l’an­nonce de l’au­then­tique mes­sage évan­gé­lique. Mais ils sur­ent aus­si culti­ver les ins­ti­tu­tions locales et les pro­mou­voir. En maintes régions, ils se sont trou­vés par­mi les pion­niers du pro­grès maté­riel comme de l’es­sor cultu­rel. Qu’il suf­fise de rap­pe­ler l’exemple du P. Charles de Foucauld, qui fut jugé digne d’être appe­lé pour sa cha­ri­té, le « Frère uni­ver­sel » et qui rédi­gea un pré­cieux dic­tion­naire de la langue toua­reg. Nous Nous devons de rendre hom­mage à ces pré­cur­seurs trop sou­vent igno­rés que pres­sait la cha­ri­té du Christ, comme à leurs émules et suc­ces­seurs qui conti­nuent d’être, aujourd’­hui encore, au ser­vice géné­reux et dés­in­té­res­sé de ceux qu’ils évangélisent.

Eglise et monde

13. Mais désor­mais, les ini­tia­tives locales et indi­vi­duelles ne suf­fisent plus. La situa­tion pré­sente du monde exige une action d’en­semble à par­tir d’une claire vision de tous les aspects éco­no­miques, sociaux, cultu­rels et spi­ri­tuels. Experte en huma­ni­té, l’Eglise, sans pré­tendre aucu­ne­ment s’im­mis­cer dans la poli­tique des Etats, « ne vise qu’un seul but : conti­nuer, sons l’im­pul­sion de l’Esprit conso­la­teur l’œuvre même du Christ venu dans le monde pour rendre témoi­gnage à la véri­té, pour sau­ver, non pour condam­ner, pour ser­vir, non pour être ser­vi« 10. Fondée pour ins­tau­rer dès ici-​bas le royaume des cieux et non pour conqué­rir un pou­voir ter­restre, elle affirme clai­re­ment que les deux domaines sont dis­tincts, comme sont sou­ve­rains les deux pou­voirs ecclé­sias­tique et civil, cha­cun dans son ordre11. Mais, vivant dans l’his­toire, elle doit « scru­ter les signes des temps et les inter­pré­ter à la lumière de l’é­van­gile« 12. Communiant aux meilleures aspi­ra­tions des hommes et souf­frant de les voir insa­tis­faites, elle désire les aider à atteindre leur plein épa­nouis­se­ment, et c’est pour­quoi elle leur pro­pose ce qu’elle pos­sède en propre : une vision glo­bale de l’homme et de l’humanité.

Vision chré­tienne du développement

14. Le déve­lop­pe­ment ne se réduit pas à la simple crois­sance éco­no­mique. Pour être authen­tique, il doit être inté­gral, c’est-​à-​dire pro­mou­voir tout homme et tout l’homme. Comme l’a fort jus­te­ment sou­li­gné un émi­nent expert : « Nous n’ac­cep­tons pas de sépa­rer l’é­co­no­mique de l’hu­main, le déve­lop­pe­ment des civi­li­sa­tions où il s’ins­crit. Ce qui compte pour nous, c’est l’homme, chaque homme, chaque grou­pe­ment d’hommes, jus­qu’à l’hu­ma­ni­té tout entière« 13.

Vocation à la croissance

15. Dans le des­sein de Dieu, chaque homme est appe­lé à se déve­lop­per car toute vie est voca­tion. Dès la nais­sance, est don­né à tous en germe un ensemble d’ap­ti­tudes et de qua­li­tés à faire fruc­ti­fier : leur épa­nouis­se­ment, fruit de l’é­du­ca­tion reçue du milieu et de l’ef­fort per­son­nel per­met­tra à cha­cun de s’o­rien­ter vers la des­ti­née que lui pro­pose son Créateur. Doué d’in­tel­li­gence et de liber­té, il est res­pon­sable de sa crois­sance, comme de son salut. Aidé, par­fois gêné par ceux qui l’é­duquent et l’en­tourent, cha­cun demeure, quelles que soient les influences qui s’exercent sur lui, l’ar­ti­san prin­ci­pal de sa réus­site ou de son échec : par le seul effort de son intel­li­gence et de sa volon­té, chaque homme peut gran­dir en huma­ni­té, valoir plus, être plus.

Devoir per­son­nel…

16. Cette crois­sance n’est d’ailleurs pas facul­ta­tive. Comme la créa­tion tout entière est ordon­née à son Créateur, la créa­ture spi­ri­tuelle est tenue d’o­rien­ter spon­ta­né­ment sa vie vers Dieu, véri­té pre­mière et sou­ve­rain bien. Aussi la crois­sance humaine constitue-​t-​elle comme un résu­mé de nos devoirs. Bien plus, cette har­mo­nie de nature enri­chie par l’ef­fort per­son­nel et res­pon­sable est appe­lée à un dépas­se­ment. Par son inser­tion dans le Christ vivi­fiant, l’homme accède à un épa­nouis­se­ment nou­veau, à un huma­nisme trans­cen­dant, qui lui donne sa plus grande plé­ni­tude : telle est la fina­li­té suprême du déve­lop­pe­ment personnel.

Et com­mu­nau­taire

17. Mais chaque homme est membre de la socié­té : il appar­tient à l’hu­ma­ni­té tout entière. Ce n’est pas seule­ment tel ou tel homme, mais tous les hommes qui sont appe­lés à ce déve­lop­pe­ment plé­nier. Les civi­li­sa­tions naissent, croissent et meurent. Mais, comme les vagues à marée mon­tante pénètrent un peu plus avant sur la grève, ain­si l’hu­ma­ni­té avance sur le che­min de l’his­toire. Héritiers des géné­ra­tions pas­sées et béné­fi­ciaires du tra­vail de nos contem­po­rains, nous avons des obli­ga­tions envers tous et nous ne pou­vons nous dés­in­té­res­ser de ceux qui vien­dront agran­dir après nous le cercle de la famille humaine. La soli­da­ri­té uni­ver­selle qui est un fait, et un béné­fice pour nous, est aus­si un devoir.

Echelle des valeurs

18. Cette crois­sance per­son­nelle et com­mu­nau­taire serait com­pro­mise si se dété­rio­rait la véri­table échelle des valeurs. Légitime est le désir du néces­saire, et le tra­vail pour y par­ve­nir est un devoir : « si quel­qu’un ne veut pas tra­vailler, qu’il ne mange pas non plus14″. Mais l’ac­qui­si­tion des biens tem­po­rels peut conduire à la cupi­di­té, au désir d’a­voir tou­jours plus et à la ten­ta­tion d’ac­croître sa puis­sance. L’avarice des per­sonnes, des familles et des nations peut gagner les moins pour­vus comme les plus riches et sus­ci­ter chez les uns et les autres un maté­ria­lisme étouffant.

Croissance ambi­va­lente

19. Avoir plus, pour les peuples comme pour les per­sonnes, n’est donc pas le but der­nier. Toute crois­sance est ambi­va­lente. Nécessaire pour per­mettre à l’homme d’être plus homme, elle l’en­ferme comme dans une pri­son dès lors qu’elle devient le bien suprême qui empêche de regar­der au ciel. Alors les cœurs s’en­dur­cissent et les esprits se ferment, les hommes ne se réunissent plus par ami­tié, mais par l’in­fé­rer, qui a tôt fait de les oppo­ser et de les dés­unir. La recherche exclu­sive de l’a­voir fait dès lors l’obs­tacle à la crois­sance de l’être et s’op­pose à sa véri­table gran­deur : pour ]es nations comme pour les per­sonnes, l’a­va­rice est la forme la plus évi­dente du sous-​développement moral.

20. Vers une condi­tion plus humaine

Si la pour­suite du déve­lop­pe­ment demande des tech­ni­ciens de plus en plus nom­breux, elle exige encore plus des sages de réflexion pro­fonde, à la recherche d’un huma­nisme nou­veau, qui per­mette à l’homme moderne de se retrou­ver lui-​même, en assu­mant les valeurs supé­rieures d’a­mour, d’a­mi­tié, de prière et de contem­pla­tion15. Ainsi pour­ra s’ac­com­plir en plé­ni­tude le vrai déve­lop­pe­ment, qui est le pas­sage, pour cha­cun et pour tous, de condi­tions moins humaines à des condi­tions plus humaines.

L’idéal à poursuivre

21. Moins humaines : les carences maté­rielles de ceux qui sont pri­vés du mini­mum vital, et les carences morales de ceux qui sont muti­lés par l’é­goïsme. Moins humaines : les struc­tures oppres­sives, qu’elles pro­viennent des abus de la pos­ses­sion ou des abus du pou­voir, de l’ex­ploi­ta­tion des tra­vailleurs ou de l’in­jus­tice des tran­sac­tions. Plus humaines : la mon­tée de la misère vers la pos­ses­sion du néces­saire, 1a vic­toire sur les fléaux sociaux, l’am­pli­fi­ca­tion des connais­sances, l’ac­qui­si­tion de la culture. Plus humaines aus­si : la consi­dé­ra­tion accrue de la digni­té d’au­trui, l’o­rien­ta­tion vers l’es­prit de pau­vre­té16, la coopé­ra­tion au bien com­mun, la volon­té de paix. Plus humaine encore la recon­nais­sance par l’homme des valeurs suprêmes, et de Dieu qui en est la source et le terme. Plus humaines enfin et sur­tout la foi, don de Dieu accueilli par la bonne volon­té de l’homme, et l’u­ni­té dans la cha­ri­té du Christ qui nous appelle tous à par­ti­ci­per en fils à la vie du Dieu vivant, Père de tous les hommes.

3. L’ACTION A ENTREPRENDRE

La des­ti­na­tion uni­ver­selle des biens

22. « Emplissez la terre et soumettez-​la17″: la Bible, dès sa pre­mière page, nous enseigne que la créa­tion entière est pour l’homme, à charge pour lui d’ap­pli­quer son effort intel­li­gent à la mettre en valeur, et, par son tra­vail, la par­ache­ver pour ain­si dire à son ser­vice. Si la terre est faite pour four­nir à cha­cun les moyens de sa sub­sis­tance et les ins­tru­ments de son pro­grès, tout homme a donc le droit d’y trou­ver ce qui lui est néces­saire. Le récent Concile l’a rap­pe­lé : « Dieu a des­ti­né la terre et tout ce qu’elle contient à l’u­sage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la créa­tion doivent équi­ta­ble­ment affluer entre les mains de tous, selon la règle de la jus­tice, insé­pa­rable de la cha­ri­té18. » Tous les autres droits, quels qu’ils soient, y com­pris ceux de pro­prié­té et de libre com­merce, y sont subor­don­nés : ils n’en doivent donc pas entra­ver, mais bien au contraire faci­li­ter la réa­li­sa­tion, et c’est un devoir social grave et urgent de les rame­ner à leur fina­li­té première.

La pro­prié­té

23. « Si quel­qu’un, jouis­sant des richesses du monde, voit son frère dans la néces­site et lui ferme ses entrailles, com­ment l’a­mour de Dieu demeurerait-​il en lui19 ? » On sait avec quelle fer­me­té les Pères de l’Église ont pré­ci­sé quelle doit être l’at­ti­tude de ceux qui pos­sèdent, en face de ceux qui sont dans le besoin : « Ce n’est pas de ton bien, affirme ain­si saint Ambroise, que tu fais lar­gesse au pauvre, tu lui rends ce qui lui appar­tient. Car ce qui est don­né en com­mun pour l’u­sage de tous, voi­là ce que tu t’ar­roges. La terre est don­née à tout le monde, et pas seule­ment aux riches20. » C’est dire que la pro­prié­té pri­vée ne consti­tue pour per­sonne un droit incon­di­tion­nel et abso­lu. Nul n’est fon­dé à réser­ver à son usage exclu­sif ce qui passe son besoin, quand les autres manquent du néces­saire. En un mot, « le droit de pro­prié­té ne doit jamais s’exer­cer au détri­ment de l’u­ti­li­té com­mune, selon la doc­trine tra­di­tion­nelle chez les Pères de l’Église et les grands théo­lo­giens ». S’il arrive qu’un confit sur­gisse « entre droits pri­vés acquis et exi­gences com­mu­nau­taires pri­mor­diales », il appar­tient aux pou­voirs publics « de s’at­ta­cher à le résoudre, avec l’ac­tive par­ti­ci­pa­tion des per­sonnes et des groupes sociaux21. »

L’usage des revenus

24. Le bien com­mun exige donc par­fois l’ex­pro­pria­tion si, du fait de leur éten­due, de leur exploi­ta­tion faible ou nulle, de la misère qui en résulte pour les popu­la­tions, du dom­mage consi­dé­rable por­té aux inté­rêts du pays, cer­tains domaines font obs­tacle à la pros­pé­ri­té col­lec­tive. En l’af­fir­mant avec net­te­té22, le Concile a rap­pe­lé aus­si non moins clai­re­ment que le reve­nu dis­po­nible n’est pas aban­don­né au libre caprice des hommes et que les spé­cu­la­tions égoïstes doivent être ban­nies. On ne sau­rait dès lors admettre que des citoyens pour­vus de reve­nus abon­dants, pro­ve­nant des res­sources et de l’ac­ti­vi­té natio­nales, en trans­fèrent une part consi­dé­rable à l’é­tran­ger pour leur seul avan­tage per­son­nel, sans sou­ci du tort évident qu’ils font par là subir à leur patrie23.

L’industrialisation

25. Nécessaire à l’ac­crois­se­ment éco­no­mique et au pro­grès humain, l’in­tro­duc­tion de l’in­dus­trie est à la fois signe et fac­teur de déve­lop­pe­ment. Par l’ap­pli­ca­tion tenace de son intel­li­gence et de son tra­vail, l’homme arrache peu à peu ses secrets à la nature, tire de ses richesses un meilleur usage. En même temps qu’il dis­ci­pline ses habi­tudes, il déve­loppe chez lui le goût de la recherche et de l’in­ven­tion, l’ac­cep­ta­tion du risque cal­cu­lé, l’au­dace dans l’en­tre­prise, l’i­ni­tia­tive géné­reuse, le sens des responsabilités.

Capitalisme libé­ral

26. Mais un sys­tème s’est mal­heu­reu­se­ment édi­fié sur ces condi­tions nou­velles de la socié­té, qui consi­dé­rait le pro­fit comme motif essen­tiel du pro­grès éco­no­mique, la concur­rence comme loi suprême de l’é­co­no­mie, la pro­prié­té pri­vée des biens de pro­duc­tion comme un droit abso­lu, sans limites ni obli­ga­tions sociales cor­res­pon­dantes. Ce libé­ra­lisme sans frein condui­sait à la dic­ta­ture à bon droit dénon­cée par Pie XI comme géné­ra­trice de « l’im­pé­ria­lisme inter­na­tio­nal de l’argent24″. On ne sau­rait trop réprou­ver de tels abus, en rap­pe­lant encore une fois solen­nel­le­ment que l’é­co­no­mie est au ser­vice de !“homme25. Mais s’il est vrai qu’un cer­tain capi­ta­lisme a été la source de trop de souf­frances, d’in­jus­tices et de luttes fra­tri­cides aux effets encore durables, c’est à tort qu’on attri­bue­rait à l’in­dus­tria­li­sa­tion elle-​même des maux qui sont dus au néfaste sys­tème qui l’ac­com­pa­gnait. Il faut au contraire en toute jus­tice recon­naître l’ap­port irrem­pla­çable de l’or­ga­ni­sa­tion du tra­vail et du pro­grès indus­triel à l’œuvre du développement.

Le tra­vail

27. De même, si par­fois peut régner une mys­tique exa­gé­rée du tra­vail, il n’en reste pas moins que celui-​ci est vou­lu et béni de Dieu. Créé à son image, « l’homme doit coopé­rer avec le Créateur à l’a­chè­ve­ment de la créa­tion, et mar­quer à son tour la terre de l’empreinte spi­ri­tuelle qu’il a lui-​même reçue« 26. Dieu qui a doté l’homme d’in­tel­li­gence, d’i­ma­gi­na­tion et de sen­si­bi­li­té, lui a don­né ain­si le moyen de par­ache­ver en quelque sorte son œuvre : qu’il soit artiste ou arti­san, entre­pre­neur, ouvrier ou pay­san, tout tra­vailleur est un créa­teur. Penché sur une matière qui lui résiste, le tra­vailleur lui imprime sa marque, cepen­dant qu’il acquiert téna­ci­té, ingé­nio­si­té et esprit d’in­ven­tion. Bien plus, vécu en com­mun, dans l’es­poir, la souf­france, l’am­bi­tion et la joie par­ta­gés, le tra­vail unit les volon­tés, rap­proche les esprits, et soude les cœurs : en l’ac­com­plis­sant, les hommes se découvrent frères27.

Son ambi­va­lence

28. Sans doute ambi­va­lent, car il pro­met l’argent, la jouis­sance et la puis­sance, invite les uns à l’é­goïsme et les autres à la révolte, le tra­vail déve­loppe aus­si la conscience pro­fes­sion­nelle, le sens du devoir et la cha­ri­té envers le pro­chain. Plus scien­ti­fique et mieux orga­ni­sé, il risque de déshu­ma­ni­ser son exé­cu­tant, deve­nu son ser­vant, car le tra­vail n’est humain que s’il demeure intel­li­gent et libre. Jean XXIII a rap­pe­lé l’ur­gence de rendre au tra­vailleur sa digni­té, en le fai­sant réel­le­ment par­ti­ci­per à l’œuvre com­mune : « on doit tendre à ce que devienne une com­mu­nau­té de per­sonnes, dans les rela­tions, les fonc­tions et les situa­tions de tout son per­son­nel« 28. Le labeur des hommes, bien plus, pour le chré­tien, a encore mis­sion de col­la­bo­rer à la créa­tion du monde sur­na­tu­rel29, inache­vé jus­qu’à ce que nous par­ve­nions tous ensemble à consti­tuer cet Homme par­fait dont parle saint Paul, « qui réa­lise la plé­ni­tude du Christ« 30.

L’urgence de l’œuvre à accomplir

29. Il faut se hâter : trop d’hommes souffrent, et la dis­tance s’ac­croît qui sépare le pro­grès des uns, et la stag­na­tion, voire la régres­sion des autres. Encore faut-​il que l’œuvre à accom­plir pro­gresse har­mo­nieu­se­ment, sous peine de rompre d’in­dis­pen­sables équi­libres. Une réforme agraire impro­vi­sée peut man­quer son but. Une indus­tria­li­sa­tion brus­quée peut dis­lo­quer des struc­tures encore néces­saires, et engen­drer des misères sociales qui seraient un recul en humanité.

Tentation de la violence

30. Il est certes des situa­tions dont l’in­jus­tice crie vers le ciel. Quand les popu­la­tions entières, dépour­vues du néces­saire, vivent dans une dépen­dance telle qu’elle leur inter­dit toute ini­tia­tive et res­pon­sa­bi­li­té, toute pos­si­bi­li­té aus­si de pro­mo­tion cultu­relle et de par­ti­ci­pa­tion à la vie sociale et poli­tique, grande est la ten­ta­tion de repous­ser par la vio­lence de telles injures à la digni­té humaine.

Révolution

31. On le sait pour­tant : l’in­sur­rec­tion révo­lu­tion­naire – sauf le cas de tyran­nie évi­dente et pro­lon­gée qui por­te­rait gra­ve­ment atteinte aux droits fon­da­men­taux de la per­sonne et nui­rait dan­ge­reu­se­ment au bien com­mun du pays – engendre de nou­velles injus­tices, intro­duit de nou­veaux dés­équi­libres et pro­voque de nou­velles ruines. On ne sau­rait com­battre un mal réel au prix d’un plus grand malheur.

Réforme

32. Qu’on nous entende bien : la situa­tion pré­sente doit être affron­tée cou­ra­geu­se­ment et les injus­tices qu’elle com­porte com­bat­tues et vain­cues. Le déve­lop­pe­ment exige des trans­for­ma­tions auda­cieuses, pro­fon­dé­ment nova­trices. Des réformes urgentes doivent être entre­prises sans retard. A cha­cun d’y prendre géné­reu­se­ment sa part, sur­tout à ceux qui par leur édu­ca­tion, leur situa­tion, leur pou­voir, ont de grandes pos­si­bi­li­tés d’ac­tion. Que, payant d’exemple, ils prennent sur leur avoir, comme l’ont fait plu­sieurs de nos frères dans l’é­pis­co­pat31. Ils répon­dront ain­si à l’at­tente des hommes et seront fidèles à l’Esprit de Dieu, car c’est « le ferment évan­gé­lique qui a sus­ci­té et sus­cite dans le cœur humain une exi­gence incoer­cible de digni­té« 32.

Programmes et planification

33. La seule ini­tia­tive indi­vi­duelle et le simple jeu de la concur­rence ne sau­raient assu­rer le suc­cès du déve­lop­pe­ment. Il ne faut pas ris­quer d’ac­croître encore la richesse des riches et la puis­sance des forts, en confir­mant la misère des pauvres et en ajou­tant à la ser­vi­tude des oppri­més. Des pro­grammes sont donc néces­saires pour « encou­ra­ger, sti­mu­ler, coor­don­ner, sup­pléer et inté­grer« 33, l’ac­tion des indi­vi­dus et des corps inter­mé­diaires. Il appar­tient aux pou­voirs publics de choi­sir, voire d’im­po­ser les objec­tifs à pour­suivre les buts à atteindre, les moyens d’y par­ve­nir, et c’est à eux de sti­mu­ler toutes les forces regrou­pées dans cette action com­mune. Mais qu’ils aient soin d’as­so­cier à cette œuvre les ini­tia­tives pri­vées et les corps inter­mé­diaires. Ils évi­te­ront ain­si le péril d’une col­lec­ti­vi­sa­tion inté­grale ou d’une pla­ni­fi­ca­tion arbi­traire qui, néga­trices de liber­té, exclu­raient l’exer­cice des droits fon­da­men­taux de la per­sonne humaine.

Au ser­vice de l’homme

34. Car tout pro­gramme, fait pour aug­men­ter la pro­duc­tion, n’a en défi­ni­tive de rai­son d’être qu’au ser­vice de la per­sonne. Il est là pour réduire les inéga­li­tés, com­battre les dis­cri­mi­na­tions, libé­rer l’homme de ses ser­vi­tudes, le rendre capable d’être lui-​même l’agent res­pon­sable de son mieux-​être maté­riel, de son pro­grès moral et de son épa­nouis­se­ment spi­ri­tuel. Dire : déve­lop­pe­ment, c’est en effet se sou­cier autant de pro­grès social que de crois­sance éco­no­mique. Il ne suf­fit pas d’ac­croître la richesse com­mune pour qu’elle se répar­tisse équi­ta­ble­ment. Il ne suf­fit pas de pro­mou­voir la tech­nique pour que la terre soit plus humaine à habi­ter. Les erreurs de ceux qui les ont devan­cés doivent aver­tir ceux qui sont sur la voie du déve­lop­pe­ment des périls à évi­ter en ce domaine. La tech­no­cra­tie de demain peut engen­drer des maux non moins redou­tables que le libé­ra­lisme d’hier. Économie et tech­nique n’ont de sens que par l’homme qu’elles doivent ser­vir. Et l’homme n’est vrai­ment homme que dans la mesure où, maître de ses actions et juge de leur valeur, il est lui-​même auteur de son pro­grès, en confor­mi­té avec la nature que lui a don­née son Créateur et dont il assume libre­ment les pos­si­bi­li­tés et les exigences.

Alphabétisation

35. On peut même affir­mer que la crois­sance éco­no­mique dépend au pre­mier chef du pro­grès social : aus­si l’é­du­ca­tion de base est-​elle le pre­mier objec­tif d’un plan de déve­lop­pe­ment. La faim d’ins­truc­tion n’est en effet pas moins dépri­mante que la faim d’a­li­ments : un anal­pha­bète est un esprit sous-​alimenté. Savoir lire et écrire, acqué­rir une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, c’est reprendre confiance en soi et décou­vrir que l’on peut pro­gres­ser avec les autres. Comme Nous le disions dans Notre mes­sage au Congrès de I’U. N. E. S. C. O., en 1965, à Téhéran, l’al­pha­bé­ti­sa­tion est pour l’homme « un fac­teur pri­mor­dial d’in­té­gra­tion sociale aus­si bien que d’en­ri­chis­se­ment per­son­nel, pour la socié­té un ins­tru­ment pri­vi­lé­gié de pro­grès éco­no­mique et de déve­lop­pe­ment« 34. Aussi Nous réjouissons-​Nous du bon tra­vail accom­pli en ce domaine par les ini­tia­tives pri­vées, les pou­voirs publics et les orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales : ce sont les pre­miers ouvriers du déve­lop­pe­ment, car ils rendent l’homme apte à l’as­su­mer lui-même.

Famille

36. Mais l’homme n’est lui-​même que dans son milieu social, où la famille joue un rôle pri­mor­dial. Celui-​ci a pu être exces­sif, selon les temps et les lieux, lors­qu’il s’est exer­cé au détri­ment de liber­tés fon­da­men­tales de la per­sonne. Souvent trop rigides et mal orga­ni­sés, les anciens cadres sociaux des pays en voie de déve­lop­pe­ment sont pour­tant néces­saires encore un temps, tout en des­ser­rant pro­gres­si­ve­ment leur emprise exa­gé­rée. Mais la famille natu­relle, mono­ga­mique et stable, telle que le des­sein divin l’a conçue35 et que le chris­tia­nisme l’a sanc­ti­fiée, doit demeu­rer ce « lieu de ren­contres de plu­sieurs géné­ra­tions qui s’aident mutuel­le­ment à acqué­rir une sagesse plus éten­due et à har­mo­ni­ser les droits de la per­sonne avec les autres exi­gences de la vie sociale« 36.

Démographie

37. Il est vrai que trop fré­quem­ment une crois­sance démo­gra­phique accé­lé­rée ajoute ses dif­fi­cul­tés aux pro­blèmes du déve­lop­pe­ment : le volume de la popu­la­tion s’ac­croît plus rapi­de­ment que les res­sources dis­po­nibles et l’on se trouve appa­rem­ment enfer­mé dans une impasse. La ten­ta­tion, dès lors, est grande de frei­ner l’ac­crois­se­ment démo­gra­phique par des mesures radi­cales. Il est cer­tain que les pou­voirs publics, dans les limites de leur com­pé­tence, peuvent inter­ve­nir, en déve­lop­pant une infor­ma­tion appro­priée et en pre­nant les mesures adap­tées, pour­vu qu’elles soient conformes aux exi­gences de la loi morale et res­pec­tueuses de la juste liber­té du couple. Sans droit inalié­nable au mariage et à la pro­créa­tion, il n’est plus de digni­té humaine. C’est fina­le­ment aux parents de déci­der, en pleine connais­sance de cause, du nombre de leurs enfants, en pre­nant leurs res­pon­sa­bi­li­tés devant Dieu, devant eux-​mêmes, devant les enfants qu’ils ont déjà mis au monde, et devant la com­mu­nau­té à laquelle ils appar­tiennent, sui­vant les exi­gences de leur conscience ins­truite par la loi de Dieu, authen­ti­que­ment inter­pré­tée et sou­te­nue par la confiance en Lui37.

Organisations pro­fes­sion­nelles

38. Dans l’œuvre du déve­lop­pe­ment, l’homme, qui trouve dans la famille son milieu de vie pri­mor­dial, est sou­vent aidé par des orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles. Si leur rai­son d’être est de pro­mou­voir les inté­rêts de leurs membres, leur res­pon­sa­bi­li­té est grande devant la tâche édu­ca­tive qu’elles peuvent et doivent en même temps accom­plir. A tra­vers l’in­for­ma­tion qu’elles donnent, la for­ma­tion qu’elles pro­posent, elles peuvent beau­coup pour don­ner à tous le sens du bien com­mun et des obli­ga­tions qu’il entraîne pour chacun.

Pluralisme légi­time

39. Toute action sociale engage une doc­trine. Le chré­tien ne sau­rait admettre celle qui sup­pose une phi­lo­so­phie maté­ria­liste et athée, qui ne res­pecte ni l’o­rien­ta­tion reli­gieuse de la vie à sa fin der­nière, ni la liber­té ni la digni­té humaines. Mais, pour­vu que ces valeurs soient sauves, un plu­ra­lisme des orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles et syn­di­cales est admis­sible, et à cer­tains points de vue utile, s’il pro­tège la liber­té et pro­voque l’é­mu­la­tion. Et de grand cœur Nous ren­dons hom­mage à tous ceux qui y tra­vaillent au ser­vice dés­in­té­res­sé de leurs frères.

Promotion cultu­relle

40. Par-​delà les orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles ; sont aus­si à l’œuvre les ins­ti­tu­tions cultu­relles. Leur rôle n’est pas moindre pour la réus­site du déve­lop­pe­ment. « L’avenir du monde serait en péril, affirme gra­ve­ment le Concile, si notre époque ne savait pas se don­ner des sages. » Et il ajoute : « de nom­breux pays pauvres en biens maté­riels, mais riches en sagesse, pour­ront puis­sam­ment aider les autres sur ce point38″. Riche ou pauvre, chaque pays pos­sède une civi­li­sa­tion reçue des ancêtres : ins­ti­tu­tions exi­gées pour la vie ter­restre et mani­fes­ta­tions supé­rieures – artis­tiques, intel­lec­tuelles et reli­gieuses – de la vie de l’es­prit. Lorsque celles-​ci pos­sèdent de vraies valeurs humaines, il y aurait grave erreur à les sacri­fier à celles-​là. Un peuple qui y consen­ti­rait per­drait par là le meilleur de lui-​même. Il sacri­fie­rait, pour vivre, ses rai­sons de vivre. L’enseignement du Christ vaut aus­si pour les peuples : « que ser­vi­rait à l’homme de gagner l’u­ni­vers, s’il vient à perdre son âme?« 39

Tentation maté­ria­liste

41. Les peuples pauvres ne seront jamais trop en garde contre cette ten­ta­tion qui leur vient des peuples riches. Ceux-​ci apportent trop sou­vent, avec l’exemple de leur suc­cès dans une civi­li­sa­tion tech­ni­cienne et cultu­relle, le modèle d’une acti­vi­té prin­ci­pa­le­ment appli­quée à la conquête de la pros­pé­ri­té maté­rielle. Non que cette der­nière inter­dise par elle-​même l’ac­ti­vi­té de l’es­prit. Au contraire, celui-​ci, « moins esclave des choses, peut faci­le­ment s’é­le­ver à l’a­do­ra­tion et à la contem­pla­tion du Créateur« 40. Mais pour­tant, « la civi­li­sa­tion moderne, non certes par son essence même, mais parce qu’elle se trouve trop enga­gée dans les réa­li­tés ter­restres, peut rendre sou­vent plus dif­fi­cile l’ap­proche de Dieu« 41. Dans ce qui leur est pro­po­sé, les peuples en voie de déve­lop­pe­ment doivent donc savoir choi­sir : cri­ti­quer et éli­mi­ner les faux biens qui entraî­ne­raient un abais­se­ment de l’i­déal humain, accep­ter les valeurs saines et béné­fiques pour les déve­lop­per, avec les leurs, selon leur génie propre.

Vers un huma­nisme plénier

42. C’est un huma­nisme plé­nier qu’il faut pro­mou­voir42. Qu’est-​ce à dire, sinon le déve­lop­pe­ment inté­gral de tout l’homme et de tous les hommes ? Un huma­nisme clos, fer­mé aux valeurs de l’es­prit et à Dieu qui en est la source, pour­rait appa­rem­ment triom­pher. Certes l’homme peut orga­ni­ser la terre sans Dieu, mais « sans Dieu il ne peut en fin de compte que l’or­ga­ni­ser contre l’homme. L’humanisme exclu­sif est un huma­nisme inhu­main« 43. Il n’est donc d’hu­ma­nisme vrai qu’ou­vert à l’Absolu, dans la recon­nais­sance d’une voca­tion, qui donne l’i­dée vraie de la vie humaine. Loin d’être la norme der­nière des valeurs, l’homme ne se réa­lise lui-​même qu’en se dépas­sant. Selon le mot si juste de Pascal : l’homme passe infi­ni­ment l’homme44.

DEUXIEME PARTIE
VERS LE DÉVELOPPEMENT SOLIDAIRE DE L’HUMANITÉ

Introduction

43. Le déve­lop­pe­ment inté­gral de l’homme ne peut aller sans le déve­lop­pe­ment soli­daire de l’hu­ma­ni­té. Nous le disions à Bombay : « l’homme doit ren­con­trer l’homme, les nations doivent se ren­con­trer comme des frères et sœurs, comme les enfants de Dieu. Dans cette com­pré­hen­sion et cette ami­tié mutuelles, dans cette com­mu­nion sacrée, Nous devons éga­le­ment com­men­cer à œuvrer ensemble pour édi­fier l’a­ve­nir com­mun de l’hu­ma­ni­té45. Aussi suggérions-​Nous la recherche de moyens concrets et pra­tiques d’or­ga­ni­sa­tion et de coopé­ra­tion, pour mettre en com­mun les res­sources dis­po­nibles et réa­li­ser ain­si une véri­table com­mu­nion entre toutes les nations.

Fraternité des peuples

44. Ce devoir concerne en pre­mier lieu les plus favo­ri­sés. Leurs obli­ga­tions s’en­ra­cinent dans la fra­ter­ni­té humaine et sur­na­tu­relle et se pré­sentent sous un triple aspect : devoir de soli­da­ri­té, l’aide que les nations riches doivent appor­ter aux pays en voie de déve­lop­pe­ment ; devoir de jus­tice sociale, le redres­se­ment des rela­tions com­mer­ciales défec­tueuses entre peuples forts et peuples faibles ; devoir de cha­ri­té uni­ver­selle, la pro­mo­tion d’un monde plus humain. pour tous, où tous auront à don­ner et à rece­voir, sans que le pro­grès des uns soit un obs­tacle au déve­lop­pe­ment des autres. La ques­tion est grave, car l’a­ve­nir de la civi­li­sa­tion mon­diale en dépend.

1. L’ASSISTANCE AUX FAIBLES

Lutte contre la faim…

45. « Si un frère ou une sœur sont nus, dit saint Jacques, s’ils manquent de leur nour­ri­ture quo­ti­dienne, et que l’un d’entre vous leur dise : « Allez en paix, chauffez-​vous, rassasiez-​vous » sans leur don­ner ce qui est néces­saire à leur corps, à quoi cela sert-​il ?« 46. Aujourd’hui, per­sonne ne peut plus l’i­gno­rer, sur des conti­nents entiers, innom­brables sont les hommes et les femmes tor­tu­rés par la faim, innom­brables les enfants sous-​alimentés, au point que bon nombre d’entre eux meurent en bas âge, que la crois­sance phy­sique et le déve­lop­pe­ment men­tal de beau­coup d’autres en sont com­pro­mis, que des régions entières sont de ce fait condam­nées au plus morne découragement.

Aujourd’hui

46. Des appels angois­sés ont déjà reten­ti. Celui de Jean XXIII a été cha­leu­reu­se­ment accueilli47. Nous l’a­vons Nous-​même réité­ré en Notre mes­sage de Noël 196348, et de nou­veau en faveur de l’Inde en 196649. La cam­pagne contre la faim enga­gée par l’Organisation inter­na­tio­nale pour l’a­li­men­ta­tion et l’a­gri­cul­ture (F. A. O.) et encou­ra­gée par le Saint-​Siège a été géné­reu­se­ment sui­vie, Notre Caritas inter­na­tio­na­lis est par­tout à l’œuvre et de nom­breux catho­liques, sous l’im­pul­sion de nos frères dans l’é­pis­co­pat, donnent et se dépensent eux-​mêmes sans comp­ter pour aider ceux qui sont dans le besoin, élar­gis­sant pro­gres­si­ve­ment le cercle de leur prochain.

Demain

47. Mais cela, pas plus que les inves­tis­se­ments pri­vés et publics réa­li­sés, les dons et les prêts consen­tis, ne sau­rait suf­fire. Il ne s’a­git pas seule­ment de vaincre la faim ni même de faire recu­ler la pau­vre­té. Le com­bat contre la misère, urgent et néces­saire, est insuf­fi­sant. Il s’a­git de construire un monde où tout homme, sans excep­tion de race, de reli­gion, de natio­na­li­té, puisse vivre une vie plei­ne­ment humaine, affran­chie des ser­vi­tudes qui lui viennent des hommes et d’une nature insuf­fi­sam­ment maî­tri­sée ; un monde où la liber­té ne soit pas un vain mot et où le pauvre Lazare puisse s’as­seoir à la même table que le riche50. Cela demande à ce der­nier beau­coup de géné­ro­si­té, de nom­breux sacri­fices, et un effort sans relâche. A cha­cun d’exa­mi­ner sa conscience qui a une voix nou­velle pour notre époque. Est-​il prêt à sou­te­nir de ses deniers les œuvres et les mis­sions orga­ni­sées en faveur des plus pauvres ? A payer davan­tage d’im­pôts pour que les pou­voirs publics inten­si­fient leur effort pour le déve­lop­pe­ment ? A ache­ter plus cher les pro­duits impor­tés pour rému­né­rer plus jus­te­ment le pro­duc­teur ? A s’ex­pa­trier lui-​même au besoin, s’il est jeune, pour aider cette crois­sance des jeunes nations ?

Devoir de solidarité

48. Le devoir de soli­da­ri­té des per­sonnes est aus­si celui des peuples : « les nations déve­lop­pées ont le très pres­sant devoir d’ai­der les nations en voie de déve­lop­pe­ment« 51. Il faut mettre en œuvre cet ensei­gne­ment conci­liaire. S’il est nor­mal qu’une popu­la­tion soit la pre­mière béné­fi­ciaire des dons que lui a faits la Providence comme des fruits de son tra­vail, aucun peuple ne peut, pour autant, pré­tendre réser­ver ses richesses à son seul usage. Chaque peuple doit pro­duire plus et mieux, à la fois pour don­ner à tous ses res­sor­tis­sants un niveau de vie vrai­ment humain et aus­si pour contri­buer au déve­lop­pe­ment soli­daire de l’hu­ma­ni­té. Devant l’in­di­gence crois­sante des pays sous-​développés, on doit consi­dé­rer comme nor­mal qu’un pays évo­lué consacre une par­tie de sa pro­duc­tion à satis­faire leurs besoins ; nor­mal aus­si qu’il forme des édu­ca­teurs, des ingé­nieurs, des tech­ni­ciens, des savants qui met­tront science et com­pé­tence à leur service.

Superflu

49. Il faut aus­si le redire : le super­flu des pays fiches doit ser­vir aux pays pauvres. La règle qui valait autre­fois en faveur des plus proches doit s’ap­pli­quer aujourd’­hui à la tota­li­té des néces­si­teux du monde. Les riches en seront d’ailleurs les pre­miers béné­fi­ciaires. Sinon, leur ava­rice pro­lon­gée ne pour­rait que sus­ci­ter le juge­ment de Dieu et la colère des pauvres, aux impré­vi­sibles consé­quences. Repliées dans leur égoïsme, les civi­li­sa­tions actuel­le­ment flo­ris­santes por­te­raient atteinte à leurs valeurs les plus hautes, en sacri­fiant la volon­té d’être plus au désir d’a­voir davan­tage. Et la para­bole s’ap­pli­que­rait à elles de l’homme riche dont les terres avaient beau­coup rap­por­té, et qui ne savait où entre­po­ser sa récolte : « Dieu lui dit : Insensé, cette nuit même on va te rede­man­der ton âme« 52.

Programmes

50. Ces efforts, pour atteindre leur pleine effi­ca­ci­té, ne sau­raient demeu­rer dis­per­sés et iso­lés, moins encore oppo­sés pour des rai­sons de pres­tige ou de puis­sance : la situa­tion exige des pro­grammes concer­tés. Un pro­gramme est en effet plus et mieux qu’une aide occa­sion­nelle lais­sée à la bonne volon­té d’un cha­cun. Il sup­pose, Nous l’a­vons dit plus haut, études appro­fon­dies, fixa­tion des buts, déter­mi­na­tion des moyens, regrou­pe­ment des efforts, pour répondre aux besoins pré­sents et aux exi­gences pré­vi­sibles. Bien plus, il dépasse les pers­pec­tives de la crois­sance éco­no­mique et du pro­grès social : il donne sens et valeur à l’œuvre à réa­li­ser. En amé­na­geant le monde, il valo­rise l’homme.

Fonds mon­dial

51. Il fau­drait encore aller plus loin. Nous deman­dions à Bombay la consti­tu­tion d’un grand Fonds mon­dial ali­men­té par une par­tie des dépenses mili­taires, pour venir en aide aux plus déshé­ri­tés53. Ce qui vaut pour la lutte immé­diate contre la misère vaut aus­si à l’é­chelle du déve­lop­pe­ment. Seule une col­la­bo­ra­tion mon­diale, dont un fonds com­mun serait à la fois le sym­bole et l’ins­tru­ment, per­met­trait de sur­mon­ter les riva­li­tés sté­riles et de sus­ci­ter un dia­logue fécond et paci­fique entre tous les peuples.

Ses avan­tages

52. Sans doute des accords bila­té­raux ou mul­ti­la­té­raux peuvent être main­te­nus : ils per­mettent de sub­sti­tuer aux rap­ports de dépen­dance et aux amer­tumes issues de l’ère colo­niale d’heu­reuses rela­tions d’a­mi­tié, déve­lop­pées sur un pied d’é­ga­li­té juri­dique et poli­tique. Mais incor­po­rés dans un pro­gramme de col­la­bo­ra­tion mon­diale, ils seraient exempts de tout soup­çon. Les méfiances des béné­fi­ciaires en seraient atté­nuées. Ils auraient moins à redou­ter dis­si­mu­lées sous l’aide finan­cière ou l’as­sis­tance tech­nique, cer­taines mani­fes­ta­tions de ce qu’on a appe­lé le néo­co­lo­nia­lisme, sous forme de pres­sions poli­tiques et de domi­na­tions éco­no­miques visant à défendre ou à conqué­rir une hégé­mo­nie dominatrice.

Son urgence

53. Qui ne voit par ailleurs qu’un tel fonds faci­li­te­rait les pré­lè­ve­ments sur cer­tains gas­pillages, fruits de la peur ou de l’or­gueil ? Quand tant de peuples ont faim, quand tant de foyers souffrent de la misère, quand tant d’hommes demeurent plon­gés dans l’i­gno­rance, quand tant d’é­coles, d’hô­pi­taux, d’ha­bi­ta­tions dignes de ce nom demeurent à construire, tout gas­pillage public ou pri­vé, toute dépense d’os­ten­ta­tion natio­nale ou per­son­nelle, toute course épui­sante aux arme­ments devient un scan­dale into­lé­rable. Nous Nous devons de le dénon­cer. Veuillent les res­pon­sables Nous entendre avant qu’il ne soit trop tard.

Dialogue à instaurer

54. C’est dire qu’il est indis­pen­sable que s’é­ta­blisse entre tous ce dia­logue que Nous appe­lions de Nos vœux dans Notre pre­mière ency­clique, Ecclesiam Suam ((Cf. A. A. S., 56 (1964), p. 639 s.)). Ce dia­logue entre ceux qui apportent les moyens et ceux qui en béné­fi­cient per­met­tra de mesu­rer les apports, non seule­ment selon la géné­ro­si­té et les dis­po­ni­bi­li­tés des uns, mais aus­si en fonc­tion des besoins réels et des pos­si­bi­li­tés d’emploi des autres. Les pays en voie de déve­lop­pe­ment ne ris­que­ront plus dès lors d’être acca­blés de dettes dont le ser­vice absorbe le plus clair de leurs gains. Taux d’in­té­rêt et durée des prêts pour­ront être amé­na­gés de manière sup­por­table pour les uns et pour les autres, équi­li­brant les dons gra­tuits, les prêts sans inté­rêts ou à inté­rêt minime, et la durée des amor­tis­se­ments. Des garan­ties pour­ront être don­nées à ceux qui four­nissent les moyens finan­ciers, sur l’emploi qui en sera fait selon le plan conve­nu et avec une effi­ca­ci­té rai­son­nable, car il ne s’a­git pas de favo­ri­ser pares­seux et para­sites. Et les béné­fi­ciaires pour­ront exi­ger qu’on ne s’in­gère pas dans leur poli­tique, qu’on ne per­turbe pas leur struc­ture sociale. États sou­ve­rains, Il leur appar­tient de conduire eux-​mêmes leurs affaires, de déter­mi­ner leur poli­tique, et de s’o­rien­ter libre­ment vers la socié­té de leur choix. C’est donc une col­la­bo­ra­tion volon­taire qu’il faut ins­tau­rer, une par­ti­ci­pa­tion effi­cace des uns avec les autres, dans une égale digni­té, pour la construc­tion d’un monde plus humain.

Sa néces­si­té

55. La tâche pour­rait sem­bler impos­sible dans des régions où le sou­ci de la sub­sis­tance quo­ti­dienne acca­pare toute l’exis­tence de familles inca­pables de conce­voir un tra­vail sus­cep­tible de pré­pa­rer un ave­nir moins misé­rable. Ce sont pour­tant ces hommes et ces femmes qu’il tant aider, qu’il faut convaincre d’o­pé­rer eux-​mêmes leur propre déve­lop­pe­ment et d’en acqué­rir pro­gres­si­ve­ment les moyens. Cette œuvre com­mune n’i­ra certes pas sans effort concer­té, constant, et cou­ra­geux. Mais que cha­cun en soit bien per­sua­dé : Il y va de la vie des peuples pauvres, de la paix civile dans les pays en voie de déve­lop­pe­ment, et de la paix du monde.

2. L’ÉQUITÉ DANS LES RELATIONS COMMERCIALES

56. Les efforts, même consi­dé­rables, qui sont faits pour aider au plan finan­cier et tech­nique les pays en voie de déve­lop­pe­ment seraient illu­soires, si leurs résul­tats étaient par­tiel­le­ment annu­lés par le jeu des rela­tions com­mer­ciales entre pays riches et pays pauvres. La confiance de ces der­niers serait ébran­lée s’ils avaient l’im­pres­sion qu’une main leur enlève ce que l’autre leur apporte.

Distorsion crois­sante

57. Les nations hau­te­ment indus­tria­li­sées exportent en effet sur­tout des pro­duits fabri­qués, tan­dis que les éco­no­mies peu déve­lop­pées n’ont à vendre que des pro­duits agri­coles et des matières pre­mières. Grâce au pro­grès tech­nique, les pre­miers aug­mentent rapi­de­ment de valeur et trouvent un mar­ché suf­fi­sant. au contraire, les pro­duits pri­maires en pro­ve­nance des pays sous-​développés subissent d’amples et brusques varia­tions de prix, bien loin de cette plus-​value pro­gres­sive. Il en résulte pour les nations peu indus­tria­li­sées de grandes dif­fi­cul­tés, quand elles doivent comp­ter sur leurs expor­ta­tions pour équi­li­brer leur éco­no­mie et réa­li­ser leur plan de déve­lop­pe­ment. Les peuples pauvres res­tent tou­jours pauvres, et les riches deviennent tou­jours plus riches.

Au-​delà du libéralisme

58. C’est dire que la règle de libre échange ne peut plus – à elle seule – régir les rela­tions inter­na­tio­nales. Ses avan­tages sont certes évi­dents quand les par­te­naires ne se trouvent pas en condi­tions trop inégales de puis­sance éco­no­mique : elle est un sti­mu­lant au pro­grès et récom­pense l’ef­fort. C’est pour­quoi les pays indus­triel­le­ment déve­lop­pés y voient une loi de jus­tice. Il n’en est plus de même quand les condi­tions deviennent trop inégales de pays à pays : les prix qui se forment « libre­ment » sur le mar­ché peuvent entraî­ner des résul­tats iniques. Il faut le recon­naître : c’est le prin­cipe fon­da­men­tal du libé­ra­lisme comme règle des échanges com­mer­ciaux qui est ici mis en question.

Justice des contrats à l’é­chelle des peuples

59. L’enseignement de Léon XIII dans Rerum Novarum est tou­jours valable : le consen­te­ment des par­ties, si elles sont en situa­tion trop inégale, ne suf­fit pas à garan­tir la jus­tice du contrat, et la règle du libre consen­te­ment demeure subor­don­née aux exi­gences du droit natu­rel54. Ce qui était vrai du juste salaire indi­vi­duel l’est aus­si des contrats inter­na­tio­naux : une éco­no­mie d’é­change ne peut plus repo­ser sur la seule loi de libre concur­rence, qui engendre trop sou­vent elle aus­si une dic­ta­ture éco­no­mique. La liber­té des échanges n’est équi­table que sou­mise aux exi­gences de la jus­tice sociale.

Mesures à prendre

60. Au reste, les pays déve­lop­pés l’ont eux-​mêmes com­pris, qui s’ef­forcent de réta­blir par des mesures appro­priées, à l’in­té­rieur de leur propre éco­no­mie, un équi­libre que la concur­rence lais­sée à elle-​même tend à com­pro­mettre. C’est ain­si qu’ils sou­tiennent sou­vent leur agri­cul­ture au prix de sacri­fices impo­sés aux sec­teurs éco­no­miques plus favo­ri­sés. C’est ain­si encore que, pour sou­te­nir les rela­tions com­mer­ciales qui se déve­loppent entre eux, par­ti­cu­liè­re­ment à l’in­té­rieur d’un mar­ché com­mun, leur poli­tique finan­cière, fis­cale et sociale s’ef­force de redon­ner à des indus­tries concur­rentes inéga­le­ment pros­pères des chances comparables.

Conventions inter­na­tio­nales

61. On ne sau­rait user ici de deux poids et deux mesures. Ce qui vaut en éco­no­mie natio­nale, ce qu’on admet entre pays déve­lop­pés, vaut aus­si dans les rela­tions com­mer­ciales entre pays riches et pays pauvres. Sans abo­lir le mar­ché de concur­rence, il faut le main­te­nir dans des limites qui le rendent juste et moral, et donc humain. Dans le com­merce entre éco­no­mies déve­lop­pées et sous-​développées, les situa­tions sont trop dis­pa­rates et les liber­tés réelles trop inégales. La jus­tice sociale exige que le com­merce inter­na­tio­nal, pour être humain et moral, réta­blisse entre par­te­naires au moins une cer­taine éga­li­té de chances. Cette der­nière est un but à long terme. Mais pour y par­ve­nir il faut dès main­te­nant créer une réelle éga­li­té dans les dis­cus­sions et négo­cia­tions. Ici encore des conven­tions inter­na­tio­nales à rayon suf­fi­sam­ment vaste seraient utiles : elles pose­raient des normes géné­rales en vue de régu­la­ri­ser cer­tains prix, de garan­tir cer­taines pro­duc­tions, de sou­te­nir cer­taines indus­tries nais­santes. Qui ne voit qu’un tel effort com­mun vers plus de jus­tice dans les rela­tions com­mer­ciales entre les peuples appor­te­rait aux pays en voie de déve­lop­pe­ment une aide posi­tive, dont les effets ne seraient pas seule­ment immé­diats, mais durables ?

Obstacles à sur­mon­ter : nationalisme

62. D’autres obs­tacles encore s’op­posent à la for­ma­tion d’un monde plus juste et plus struc­tu­ré dans une soli­da­ri­té uni­ver­selle : Nous vou­lons par­ler du natio­na­lisme et du racisme. Il est natu­rel que des com­mu­nau­tés récem­ment par­ve­nues à leur indé­pen­dance poli­tique soient jalouses d’une uni­té natio­nale encore fra­gile et s’ef­forcent de la pro­té­ger. Il est nor­mal aus­si que des nations de vieille culture soient fières du patri­moine que leur a livré leur his­toire. Mais ces sen­ti­ments légi­times doivent être subli­més par la cha­ri­té uni­ver­selle qui englobe tous les membres de la famille humaine. Le natio­na­lisme isole les peuples contre leur bien véri­table. Il serait par­ti­cu­liè­re­ment nui­sible là où la fai­blesse des éco­no­mies natio­nales exige au contraire la mise en com­mun des efforts, des connais­sances et des moyens finan­ciers, pour réa­li­ser les pro­grammes de déve­lop­pe­ment et accroître les échanges com­mer­ciaux et culturels.

Racisme

63. Le racisme n’est pas l’a­pa­nage exclu­sif des jeunes nations, où il se dis­si­mule par­fois sous les riva­li­tés de clans et de par­tis poli­tiques, au grand pré­ju­dice de la jus­tice et au péril de la paix civile. Durant l’ère colo­niale il a sévi sou­vent entre colores et indi­gènes, met­tant obs­tacle à une féconde intel­li­gence mutuelle et pro­vo­quant beau­coup de ran­cœurs à la suite de réelles injus­tices. Il est encore un obs­tacle à la col­la­bo­ra­tion entre nations défa­vo­ri­sées et un ferment de divi­sion et de haine au sein même des États quand, au mépris des droits impres­crip­tibles de la per­sonne humaine, indi­vi­dus et familles se voient injus­te­ment sou­mis à un régime d’ex­cep­tion, en rai­son de leur race ou de leur couleur.

Vers un monde solidaire

64. Une telle situa­tion, si lourde de menaces pour l’a­ve­nir, Nous afflige pro­fon­dé­ment. Nous gar­dons cepen­dant espoir : un besoin plus sen­ti de col­la­bo­ra­tion, un sens plus aigu de la soli­da­ri­té fini­ront par l’emporter sur les incom­pré­hen­sions et les égoïsmes. Nous espé­rons que les pays dont le déve­lop­pe­ment est moins avan­cé sau­ront pro­fi­ter de leur voi­si­nage pour orga­ni­ser entre eux, sur des aires ter­ri­to­riales élar­gies, des zones de déve­lop­pe­ment concer­té : éta­blir des pro­grammes com­muns, coor­don­ner les inves­tis­se­ments, répar­tir les pos­si­bi­li­tés de pro­duc­tion, orga­ni­ser les échanges. Nous espé­rons aus­si que les orga­ni­sa­tions mul­ti­la­té­rales et inter­na­tio­nales trou­ve­ront, par une réor­ga­ni­sa­tion néces­saire, les voies qui per­met­tront aux peuples encore sous-​développés de sor­tir des impasses où ils semblent enfer­més et de décou­vrir en eux-​mêmes, dans la fidé­li­té à leur génie propre, les moyens de leur pro­grès social et humain.

Peuples arti­sans de leur destin

65. Car c’est là qu’il faut en venir. La soli­da­ri­té mon­diale, tou­jours plus effi­ciente, doit per­mettre à tous les peuples de deve­nir eux-​mêmes les arti­sans de leur des­tin. Le pas­sé a été trop sou­vent mar­qué par des rap­ports de force entre nations : vienne le jour où les rela­tions inter­na­tio­nales seront mar­quées au coin du res­pect mutuel et de l’a­mi­tié, de l’in­ter­dé­pen­dance dans la col­la­bo­ra­tion, et de la pro­mo­tion com­mune sous la res­pon­sa­bi­li­té de cha­cun. Les peuples plus jeunes ou plus faibles demandent leur part active dans la construc­tion d’un monde meilleur, plus res­pec­tueux des droits et de la voca­tion de cha­cun. Cet appel est légi­time : à cha­cun de l’en­tendre et d’y répondre.

3. LA CHARITÉ UNIVERSELLE

66. Le monde est malade. Son mal réside moins dans la sté­ri­li­sa­tion des res­sources ou leur acca­pa­re­ment par quelques-​uns, que dans le manque de fra­ter­ni­té entre les hommes et entre les peuples.

Devoir d’ac­cueil

67. Nous ne sau­rions trop insis­ter sur le devoir d’ac­cueil – devoir de soli­da­ri­té humaine et de cha­ri­té chré­tienne – qui incombe soit aux familles, soit aux orga­ni­sa­tions cultu­relles des pays hos­pi­ta­liers. Il faut, sur­tout pour les jeunes, mul­ti­plier les foyers et les mai­sons d’ac­cueil. Cela d’a­bord en vue de les pro­té­ger contre la soli­tude, le sen­ti­ment d’a­ban­don, la détresse, qui brisent tout res­sort moral. Aussi, pour les défendre contre la situa­tion mal­saine où ils se trouvent, for­cés de com­pa­rer l’ex­trême pau­vre­té de leur patrie avec le luxe et le gas­pillage qui sou­vent les entourent. Encore, pour les mettre à l’a­bri des doc­trines sub­ver­sives et des ten­ta­tions agres­sives qui les assaillent, au sou­ve­nir de tant de « misère immé­ri­tée« 55. Enfin sur­tout en vue de leur appor­ter, avec la cha­leur d’un accueil fra­ter­nel, l’exemple d’une vie saine, l’es­time de la cha­ri­té chré­tienne authen­tique et effi­cace, l’es­time des valeurs spirituelles.

Drames de jeunes étudiants

68. Il est dou­lou­reux de le pen­ser : de nom­breux jeunes, venus dans des pays plus avan­cés pour rece­voir la science, la com­pé­tence et la culture qui les ren­dront plus aptes à ser­vir leur patrie, y acquièrent certes une for­ma­tion de haute qua­li­té, mais y perdent trop sou­vent l’es­time des valeurs spi­ri­tuelles qui se ren­con­traient sou­vent, comme un pré­cieux patri­moine, dans les civi­li­sa­tions qui les avaient vu grandir.

Travailleurs émi­grés

69. Le même accueil est dû aux tra­vailleurs émi­grés qui vivent dans des condi­tions sou­vent inhu­maines, en épar­gnant sur leur salaire pour sou­la­ger un peu leur famille demeu­rée dans la misère sur le sol natal.

Sens social

70. Notre seconde recom­man­da­tion est pour ceux que leurs affaires appellent en pays récem­ment ouverts à l’in­dus­tria­li­sa­tion : indus­triels, com­mer­çants, chefs ou repré­sen­tants de plus grandes entre­prises. Il arrive qu’ils ne soient pas dépour­vus de sens social dans leur propre pays : pour­quoi reviendraient-​ils aux prin­cipes inhu­mains de l’in­di­vi­dua­lisme quand ils opèrent en pays moins déve­lop­pés ? Leur situa­tion supé­rieure doit au contraire les inci­ter à se faire les ini­tia­teurs du pro­grès social et de la pro­mo­tion humaine, là où leurs affaires les appellent. Leur sens même de l’or­ga­ni­sa­tion devrait leur sug­gé­rer les moyens de valo­ri­ser le tra­vail indi­gène, de for­mer des ouvriers qua­li­fiés, de pré­pa­rer des ingé­nieurs et des cadres de lais­ser place à leur ini­tia­tive, de les intro­duire pro­gres­si­ve­ment dans les postes plus éle­vés, les pré­pa­rant ain­si à par­ta­ger avec eux dans un ave­nir rap­pro­ché, les res­pon­sa­bi­li­tés de la direc­tion. Que, du moins, la jus­tice règle tou­jours les rela­tions entre chefs et subor­don­nés. Que des contrats régu­liers aux obli­ga­tions réci­proques les régissent. Que nul enfin, quelle que soit sa situa­tion, ne demeure injus­te­ment sou­mis à l’arbitraire.

Missions de développement

71. De plus en plus nom­breux, Nous Nous en réjouis­sons, sont les experts envoyés en mis­sion de déve­lop­pe­ment par des ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales ou bila­té­rales ou des orga­nismes pri­vés : « ils ne doivent pas se conduire en maîtres, mais en assis­tants et col­la­bo­ra­teurs« 56. Une popu­la­tion per­çoit vite si ceux qui viennent à son aide le font avec ou sans affec­tion, pour appli­quer des tech­niques ou pour don­ner à l’homme toute sa valeur. Leur mes­sage est expo­sé ä n’être point accueilli, s’il n’est comme enve­lop­pé d’a­mour fraternel.

Qualités des experts

72. A la com­pé­tence tech­nique néces­saire, il faut donc joindre les marques authen­tiques d’un amour dés­in­té­res­sé. Affranchis de toute superbe natio­na­liste comme de toute appa­rence de racisme, les experts doivent apprendre à tra­vailler en étroite col­la­bo­ra­tion avec tous. Ils savent que leur com­pé­tence ne leur confère pas une supé­rio­ri­té dans tous les domaines. La civi­li­sa­tion qui les a for­més contient certes des élé­ments d’hu­ma­nisme uni­ver­sel, mais elle n’est ni unique ni exclu­sive, et ne peut être impor­tée sans adap­ta­tion. Les agents de ces mis­sions auront à cœur de décou­vrir, avec son his­toire, les com­po­santes et les richesses cultu­relles du pays qui les accueille. Un rap­pro­che­ment s’é­ta­bli­ra qui fécon­de­ra l’une et l’autre civilisation.

Dialogue des civilisations

73. Entre les civi­li­sa­tions comme entre les per­sonnes, un dia­logue sin­cère est, en effet, créa­teur de fra­ter­ni­té. L’entreprise du déve­lop­pe­ment rap­pro­che­ra les peuples dans les réa­li­sa­tions pour­sui­vies d’un com­mun effort si tous, depuis les gou­ver­ne­ments et leurs repré­sen­tants jus­qu’au plus humble expert, sont ani­més d’un amour fra­ter­nel et mus par le désir sin­cère de construire une civi­li­sa­tion de soli­da­ri­té mon­diale. Un dia­logue cen­tré sur !“homme, et non sur les den­rées ou les tech­niques, s’ou­vri­ra alors. Il sera fécond s’il apporte aux peuples qui en béné­fi­cient les moyens de s’é­le­ver et de se spi­ri­tua­li­ser ; si les tech­ni­ciens se font édu­ca­teurs et si l’en­sei­gne­ment don­né est mar­qué par une qua­li­té spi­ri­tuelle et morale si éle­vée qu’il garan­tisse un déve­lop­pe­ment non seule­ment éco­no­mique, mais humain. Passée l’as­sis­tance, les rela­tions ain­si éta­blies dure­ront. Qui ne voit de quel poids elles seront pour la paix du monde ?

Appel aux jeunes

74. Beaucoup de jeunes ont déjà répon­du avec ardeur et empres­se­ment à l’ap­pel de Pie XII pour un laï­cat mis­sion­naire57. Nombreux sont aus­si ceux qui se sont spon­ta­né­ment mis à la dis­po­si­tion d’or­ga­nismes, offi­ciels ou pri­vés, de col­la­bo­ra­tion avec les peuples en voie de déve­lop­pe­ment. Nous Nous réjouis­sons d’ap­prendre que, dans cer­taines nations, le « ser­vice mili­taire » peut deve­nir en par­tie un « ser­vice social », un « ser­vice tout court ». Nous bénis­sons ces ini­tia­tives et les bonnes volon­tés qui y répondent. Puissent tous ceux qui se réclament du Christ entendre son appel : « J’ai eu faim et vous m’a­vez don­né à man­ger, j’ai eu soif et vous m’a­vez don­né à boire, j’é­tais un étran­ger et vous m’a­vez accueilli, nu et vous m’a­vez vêtu, malade et vous m’a­vez visi­té, pri­son­nier et vous êtes venus me voir« 58. Personne ne peut demeu­rer indif­fé­rent au sort de ses frères encore plon­gés dans la misère, en proie à l’i­gno­rance, vic­times de l’in­sé­cu­ri­té. Comme le cœur du Christ, le cœur du chré­tien doit com­pa­tir à cette misère : « J’ai pitié de cette foule« 59.

Prière et action

75. La prière de tous doit mon­ter avec fer­veur vers le Tout-​Puissant, pour que l’hu­ma­ni­té, ayant pris conscience de si grands maux, s’ap­plique avec intel­li­gence et fer­me­té à les abo­lir. A cette prière doit cor­res­pondre l’en­ga­ge­ment réso­lu de cha­cun, à la mesure de ses forces et de ses pos­si­bi­li­tés, dans la lutte contre le sous-​développement. Puissent les per­sonnes, les groupes sociaux et les nations se don­ner la main fra­ter­nel­le­ment, le fort aidant le faible à gran­dir, y met­tant toute sa com­pé­tence, son enthou­siasme et son amour dés­in­té­res­sé. Plus que qui­conque, celui qui est ani­mé d’une vraie cha­ri­té est ingé­nieux à décou­vrir les causes de la misère, à trou­ver les moyens de la com­battre, à la vaincre réso­lu­ment. Faiseur de paix, « il pour­sui­vra son che­min, allu­mant la joie et ver­sant la lumière et la grâce au cœur des hommes sur toute la sur­face de la terre, en fai­sant décou­vrir, par-​delà toutes les fron­tières, des visages de frères, des visages d’a­mis« 60.

LE DÉVELOPPEMENT EST LE NOUVEAU NOM DE LA PAIX

76. Les dis­pa­ri­tés éco­no­miques, sociales et cultu­relles trop grandes entre peuples pro­voquent ten­sions et dis­cordes, et mettent la paix en péril. Comme Nous le disions aux Pères conci­liaires au retour de notre voyage de paix à l’O. N. U.: « La condi­tion des popu­la­tions en voie de déve­lop­pe­ment doit être l’ob­jet de notre consi­dé­ra­tion, disons mieux, notre cha­ri­té pour les pauvres qui sont dans le monde – et ils sont légions infi­nies – doit deve­nir plus atten­tive, plus active, plus géné­reuse« 61. Combattre la misère et lut­ter contre l’in­jus­tice, c’est pro­mou­voir, avec le mieux-​être, le pro­grès humain et spi­ri­tuel de tous, et donc le bien com­mun de l’hu­ma­ni­té. La paix ne se réduit pas à une absence de guerre, fruit de l’é­qui­libre tou­jours pré­caire des forces. Elle se construit jour après jour, dans la pour­suite d’un ordre vou­lu de Dieu, qui com­porte une jus­tice plus par­faite entre les hommes62.

Sortir de l’isolement

77. Ouvriers de leur propre déve­lop­pe­ment, les peuples en sont les pre­miers, res­pon­sables. Mais ils ne le réa­li­se­ront pas dans l’i­so­le­ment. Des accords régio­naux entre peuples faibles pour se sou­te­nir mutuel­le­ment, des ententes plus amples pour leur venir en aide, des conven­tions plus ambi­tieuses entre les uns et les autres pour éta­blir des pro­grammes concer­tés sont les jalons de ce che­min du déve­lop­pe­ment qui conduit à paix.

Vers une auto­ri­té mon­diale efficace

78. Cette col­la­bo­ra­tion inter­na­tio­nale à voca­tion mon­diale requiert des ins­ti­tu­tions qui la pré­parent, la coor­donnent et la régissent, jus­qu’à consti­tuer un ordre uni­ver­sel­le­ment recon­nu. De tout cœur, Nous encou­ra­geons les orga­ni­sa­tions qui ont pris en main cette col­la­bo­ra­tion au déve­lop­pe­ment, et sou­hai­tons que leur auto­ri­té s’ac­croisse. « Votre voca­tion, disions-​Nous aux repré­sen­tants des Nations unies à New York, est de faire fra­ter­ni­ser, non pas quelques-​uns des peuples, mais tous les peuples […]. Qui ne voit la néces­si­té d’ar­ri­ver ain­si pro­gres­si­ve­ment à ins­tau­rer une auto­ri­té mon­diale en mesure d’a­gir effi­ca­ce­ment sur le plan juri­dique et poli­tique ?« 63.

Espoir fon­dé en un monde meilleur

79. Certains esti­me­ront uto­piques de telles espé­rances. Il se pour­rait que leur réa­lisme fût en défaut et qu’ils n’aient pas per­çu le dyna­misme d’un monde qui veut vivre plus fra­ter­nel­le­ment, et qui, mal­gré ses igno­rances, ses erreurs, ses péchés même, ses rechutes en bar­ba­rie et ses longues diva­ga­tions hors de la voie du salut, se rap­proche len­te­ment, même sans s’en rendre compte, de son Créateur. Cette voie vers plus d’hu­ma­ni­té demande effort et sacri­fice, mais la souf­france même, accep­tée par amour pour nos frères, est por­teuse de pro­grès pour toute la famille humaine. Les chré­tiens savent que l’u­nion au sacri­fice du Sauveur contri­bue à l’é­di­fi­ca­tion du Corps du Christ dans sa plé­ni­tude : le peuple de Dieu ras­sem­blé64.

Tous soli­daires

80. Dans ce che­mi­ne­ment, Nous sommes tous soli­daires. A tous, Nous avons vou­lu rap­pe­ler l’am­pleur du drame et l’ur­gence de l’œuvre à accom­plir. L’heure de l’ac­tion a main­te­nant son­né : la sur­vie de tant d’en­fants inno­cents, l’ac­cès à une condi­tion humaine de tant de familles mal­heu­reuses, la paix du monde, l’a­ve­nir de la civi­li­sa­tion sont en jeu. A tous les hommes et à tous les peuples de prendre leurs responsabilités.

APPEL FINAL

Catholiques

81. Nous adju­rons d’a­bord tous nos fils. Dans les pays en voie de déve­lop­pe­ment non moins qu’ailleurs, les laïcs doivent assu­mer comme leur tâche propre le renou­vel­le­ment de l’ordre tem­po­rel. Si le rô1e de la hié­rar­chie est d’en­sei­gner et d’in­ter­pré­ter authen­ti­que­ment les prin­cipes moraux à suivre en ce domaine, il leur appar­tient, par leurs libres ini­tia­tives et sans attendre pas­si­ve­ment consignes et direc­tives, de péné­trer d’es­prit chré­tien la men­ta­li­té et les mœurs, les lois et les struc­tures de leur com­mu­nau­té de vie65. Des chan­ge­ments sont néces­saires, des réformes pro­fondes, indis­pen­sables : ils doivent s’employer réso­lu­ment à leur insuf­fler l’es­prit évan­gé­lique. A nos fils catho­liques appar­te­nant aux pays plus favo­ri­sés, Nous deman­dons d’ap­por­ter leur com­pé­tence et leur active par­ti­ci­pa­tion aux orga­ni­sa­tions offi­cielles ou pri­vées, civiles ou reli­gieuses, appli­quées à vaincre les dif­fi­cul­tés des nations en voie de déve­lop­pe­ment. Ils auront, bien sûr à cœur d’être au pre­mier rang de ceux qui tra­vaillent à éta­blir dans les faits une morale inter­na­tio­nale de jus­tice et d’équité.

Chrétiens et croyants

82. Tous les chré­tiens, nos frères, Nous en sommes sûr, vou­dront ampli­fier leur effort com­mun et concer­té en vue d’ai­der le monde à triom­pher de l’é­goïsme, de l’or­gueil et des riva­li­tés, à sur­mon­ter les ambi­tions et les injus­tices, à ouvrir à tous les voies d’une vie plus humaine où cha­cun soit aimé et aidé comme son pro­chain, son frère. Et, encore ému de notre inou­bliable ren­contre de Bombay avec nos frères non chré­tiens, de nou­veau Nous les convions à œuvrer avec tout leur cœur et leur intel­li­gence, pour que tous les enfants des hommes puissent mener une vie digne des enfants de Dieu.

Hommes de bonne volonté

83. Enfin, Nous Nous tour­nons vers tons les hommes de bonne volon­té conscients que le che­min de la paix passe par le déve­lop­pe­ment. Délégués aux ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales, hommes d’Etat, publi­cistes, édu­ca­teurs, tous, cha­cun à votre place, vous êtes les construc­teurs d’un monde nou­veau. Nous sup­plions le Dieu Tout-​Puissant d’é­clai­rer votre intel­li­gence et de for­ti­fier votre cou­rage peur aler­ter l’o­pi­nion publique et entraî­ner les peuples. edu­ca­teurs, il vous appar­tient d’é­veiller dès l’en­fance l’a­mour pour les peuples en détresse. Publicistes, il vous revient de mettre sous nos yeux les efforts accom­plis pour pro­mou­voir l’en­traide des peuples tout comme le spec­tacle des misères que les hommes ont ten­dance à oublier pour tran­quilli­ser leur conscience : que tes riches du moins sachent que les pauvres sont à leur porte et guettent les reliefs de leurs festins.

Hommes d’Etat

84. Hommes d’Etat, il vous incombe de mobi­li­ser vos com­mu­nau­tés pour une soli­da­ri­té mon­diale plus effi­cace, et d’a­bord de leur faire accep­ter les néces­saires pré­lè­ve­ments sur leur luxe et leurs gas­pillages, peur pro­mou­voir le déve­lop­pe­ment et sau­ver la paix. Délégués aux orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales, il dépend de vous que les dan­ge­reux et sté­riles affron­te­ments de forces fassent place à la col­la­bo­ra­tion ami­cale, paci­fique et dés­in­té­res­sée peur un déve­lop­pe­ment soli­daire de l’hu­ma­ni­té dans laquelle tous les hommes puissent s’épanouir.

Sages

85. Et s’il est vrai que le monde soit en malaise faute de pen­sée, Nous convo­quons les hommes de réflexion et les sages, catho­liques, chré­tiens, hono­rant Dieu, assoif­fés d’ab­so­lu, de jus­tice et de véri­té : tous les hommes de bonne volon­té. A la suite du Christ, Nous osons vous prier avec ins­tance : « Cherchez et vous trou­ve­rez« 66, ouvrez les voies qui conduisent par l’en­traide, l’ap­pro­fon­dis­se­ment du savoir, l’é­lar­gis­se­ment du cœur, à une vie plus fra­ter­nelle dans une com­mu­nau­té humaine vrai­ment universelle.

Tous à l’œuvre

86. Vous tous qui avez enten­du l’ap­pel des peuples souf­frants, vous tous qui tra­vaillez à y répondre, vous êtes les apôtres du bon et vrai déve­lop­pe­ment qui n’est pas la richesse égoïste et aimée pour elle-​même, mais l’é­co­no­mie au ser­vice de l’homme, le pain quo­ti­dien dis­tri­bué à tous, comme source de fra­ter­ni­té et signe de la Providence.

Bénédiction

87. De grand cœur Nous vous bénis­sons, et Nous appe­lons tous les hommes de bonne volon­té
à vous rejoindre fra­ter­nel­le­ment. Car si le déve­lop­pe­ment est le nou­veau nom de la paix, qui ne vou­drait y œuvrer de toutes ses forces ? Oui, tous, Nous vous convions à répondre
à notre cri d’an­goisse, du nom du Seigneur.

Du Vatican, en la fête de Pâques 26 mars 1967.

  1. Cf. Acta Leonis XIII, t. XI (1892), p. 97–148. []
  2. Cf. A. A. S., 53 (1961), p. 401–464. []
  3. Cf., en par­ti­cu­lier, radio­mes­sage du 1er juin 1941 pour le 50e anni­ver­saire de Rerum Novarum. dans A. A. S., 33 {1941), p. 195–205 ; radio­mes­sage de Noël 1942, dans A. A. S. 35 (1943), p. 9–24 ; allo­cu­tion à un groupe de tra­vailleurs pour l’an­ni­ver­saire de Rerum Novarum, le 14 mai 1953, dans A. A. S., 45 (1953), p. 402408. []
  4. Cf. ency­clique Mater et Magistra, 15 mai 1961, A. A. S., 53 (1961), p. 440. []
  5. Gaudium et spes, n. 63–72, A. A. S., 58 (1966), p. 1084–1094. []
  6. Motu pro­prio « Catholicam Christi Ecclesiam », 6 Janvier 1967, A. A, S., 59 (1967), p. 27, []
  7. Encyclique Rerum Novarum, 15 mai 1891, Acta Leonis XIII, t. XI » (1892), p. 98. []
  8. Gaudium et Spes, n 63, § 3. []
  9. Cf. Luc, 7, 22. []
  10. Gaudium et Spes, n. 3, § 2. []
  11. Cf. ency­clique Imrnortale Dei, ler novembre 1885 » Acta Leonis XIII, t. V (1885), p. 117. []
  12. Gaudium et Spes, n. 4. § 1 []
  13. L.-J. Lebret, O. P., Dynamique concrète du déve­lop­pe­ment, Paris, Économie et Humanisme, les Editions Ouvrières, 1961, p. 28 []
  14. 2 Thess., 3, 10. []
  15. Cf., par exemple, J. Maritain, « Les condi­tions spi­ri­tuelles du pro­grès et de la paix », dans Rencontre des cultures. d I’U. N. E. S. C. O. sous le signe du Concile œcu­mé­nique Vatican II. Paris, Mame, 1966, p. 66. []
  16. Cf. Matth., 5, 3. []
  17. Gen., 1, 28. []
  18. Gaudium et Spes, n. 69, § 1. []
  19. I Jean, 3, 17. []
  20. De Nabuthe, c. 12, n. 53, P. L., 14, 747. Cf. J.-R. Palanque, Saint Ambroise et l’Empire romain, Paris, de Boccard, 1933, p. 336 sq. []
  21. Lettre à la Semaine sociale de Brest, dans l’Homme et la révo­lu­tion urbaine, Lyon, Chronique sociale, 1965, p. 8 et 9. []
  22. Gaudium et Spes, n. 71, § 6. []
  23. Cf. ibid., n. 65, § 3. []
  24. Encyclique Quadragesimo anno, 15 mai 1931. A. A.S., 23 (1931), p. 212. []
  25. Cf., par exemple, Colin Clark, « The condi­tions of eco­no­mic pro­gress », 3e éd., London, Macmillan & Co., New York, St-​Martin’s Press, 1960, p. 3–6. []
  26. Lettre à la Semaine sociale de Lyon, dans le Travail et les tra­vailleurs dans la socié­té contem­po­raine, Lyon, Chronique sociale, 1965, p. 6. []
  27. Cf., par exemple, M.-D. Chenu, O. P., Pour une théo­lo­gie du tra­vail, Paris, Éditions du Seuil,. 1955. []
  28. Mater et Magistra, , A. A. S., 53 (1961), p. 423. []
  29. Cf., par exemple, O. von Nell-​Breuning, S. J., Wirtschaft und Gesellschaft, t. I : Grundfragen, Freiburg, Herder, 1956, p. 183–184. []
  30. Ephés., 4, 13. []
  31. Cf., par exemple, Mgr M. Larrain Errazuriz, évêque de Talca (Chili), pré­sident du C. E. L. A. M., Lettre pas­to­rale sur le déve­lop­pe­ment et la paix, Paris, Pax Christi, 1965. []
  32. Gaudium et Spes, n. 26, § 4. []
  33. Mater et Magistra, A. A. S., 53 (1961), p. 414. []
  34. L’Osservatore Romano, 11 sep­tembre 1965 ; Documentation catho­lique, t. 62, Paris, 1965, col. 1674–1675. []
  35. Cf. Matth., 19, 6. []
  36. Gaudium et Spes, n. 52, § 2. []
  37. Cf. ibid., n. 50–51 (et note 14), et n. 87, § 2 et 3. []
  38. Ibid., n. 15, § 3. []
  39. Matth., 16, 26. []
  40. Gaudium et Spes, n. 57, § 4. []
  41. Ibid., n. 19, § 2. []
  42. Cf., par exemple. J. Maritain, l’Humanisme inté­gral, Paris, Aubier, 1936. []
  43. H. de Lubac, S. J., le Drame de l’hu­ma­nisme athée, 3, ed„ Paris, Spes, 1945, p 10 []
  44. Pensées, éd. Brunschvicg, n. 434. Cf. M. Zundel, l’Homme passe l’homme, Le Caire, Editions du Lien, 1944. []
  45. Allocution aux repré­sen­tants des reli­gions non chré­tiennes, le 3 décembre 1964, A. A. S., 57 (1965), p. 132. []
  46. Jacques, 2, 16–16. []
  47. Cf. Mater et Magistra. A. A. S., 53 (1961), p. 440 s. []
  48. Cf. A. A. S., 56 (1964), p. 57–58. []
  49. Cf. Encicliche e Discorsi di Paolo VI, vol. IX, Roma, ed. Paoline, 1966 » p. 132–136 ; Documentation Catholique, t. 43, Paris, 1966, col. 403–406. []
  50. Cf. Luc, 16, 19–31. []
  51. Gaudium et Spes. n. 86, § 3. []
  52. Luc, 12, 20. []
  53. Message au monde remis aux Journalistes le 4 décembre 1964. Cf. A. A. S., 57 (1965), p. 135. []
  54. Cf. Acta Leonis XIII, t. XI (1892), p. 131. []
  55. Cf. ibid., p. 98. []
  56. Gaudium et Spes, n. 85, § 2. []
  57. Cf. ency­clique Fidei Donum, 21 avril 1957, A. A. S., 49 (1957), p. 246. []
  58. Matth., 25, 35–36. []
  59. Marc, 8, 2. []
  60. Allocution de Jean XXIII lors de la remise du prix Balzan, le 10 mai 1963, A. A. S., 55 (1963), p. 455. []
  61. A. A. S., 57 (1965), p. 896. []
  62. Cf. ency­clique Pacem in ter­ris, 11 avril 1963, A. A. S., 55 (1963), p. 301. []
  63. A. A. S., 57 (1965), p. 880. []
  64. Cf. Ephés., 4, 12 ; Lumen gen­tium, n. 13. []
  65. Cf. Apostolicam Actuositatem, n. 7, 13 e ! 24. []
  66. Luc, 11, 9. []