le 29 ou 30 octobre 1292

Bienheureuse Bienvenue

Née en 1254,
et morte en 1292.

Le 4 mai 1254, naît la sep­tième fille de Corrado Bojani, notable de Cividale [1], dans le Frioul, qui sou­pi­rait après un fils. Le silence de la sage-​femme signa­lant au père une nou­velle décon­ve­nue, il s’é­cria : « Elle aus­si sera la bien­ve­nue ! » Ainsi les parents lui choi­sirent le nom de Benvenuta (« Bienvenue ») au bap­tême, quoique ce nom figu­rât par­mi les ancêtres Bojani. Plus tard, des fils conso­le­ront Corrado, per­pé­tuant le nom.

Très tôt, Bienvenue vaquait aux tâches domes­tiques, fuyant les jeux d’en­fants qui sentent la mon­da­ni­té ou la vani­té. Une sœur aînée vani­teuse ten­ta en vain de lui apprendre à s’habiller avec de somp­tueux vête­ments, et, les vani­tés mon­daines. Pour fuir ces ten­ta­tions, Bienvenue éta­blit au fond du jar­din pater­nel un petit ermi­tage duquel, cachée par la végé­ta­tion, elle regar­dait avec amour la Vierge véné­rée au sanc­tuaire voi­sin de la Madonna del Monte ; ou encore, elle se cachait dans l’é­glise ; ain­si elle conçut une tendre dévo­tion à la Vierge. Dès avant l’âge de sept ans, elle répé­tait la Salutation Angélique mille fois le jour, l’agrémentant de génu­flexions et d’inclinations pro­fondes. Elle inten­si­fiait cette prière sur­tout quand elle deman­dait une grâce. Elle se consa­cra à la Très Sainte Vierge Marie.
Sa sœur Marguerite détes­tait le fro­mage, Bienvenue en prit un bout, fit un signe de croix des­sus et le ten­dit à sa sœur qui, depuis, en man­gea volontiers.

À douze ans, Bienvenue pro­nonce le vœu de chas­te­té, se consacre à Dieu, et, vou­lant imi­ter les souf­frances du Christ, s’essaye au jeûne, à l’abs­ti­nence, à la fla­gel­la­tion noc­turne, sans trop atti­rer l’at­ten­tion de sa famille, ni avi­ser son confes­seur… Un cilice ne lui suf­fi­sant pas, elle porte une che­mise de che­veux et une cein­ture de corde. Bienvenue gran­dis­sant, la corde péné­tra ses hanches. Quand Bienvenue se trou­va cou­verte d’ul­cères, elle ne put enle­ver la corde. Ne vou­lant pas recou­rir aux moyens humains et révé­ler sa péni­tence, elle sup­plia Dieu de la libé­rer et vit sou­dain la corde intacte, au sol, à ses pieds (pour cette rai­son, on la repré­sente dans l’art tenant une corde à la main). Après cet épi­sode, saint Dominique lui appa­rut, la som­mant de révé­ler toute sa vie à son confes­seur. Obéir lui coû­ta…, et le confes­seur lui inter­dit les rudes péni­tences (comme de se fla­gel­ler trois fois par nuit avec des chaînes de fer).
L’autorité reli­gieuse l’obligea à deve­nir membre du Tiers-​Ordre domi­ni­cain (aucun écrit ne révèle la date de son entrée : le nécro­loge du couvent domi­ni­cain de Cividale ne retient de Benvenuta que cet éloge : « Elle vécut dévo­te­ment selon l’es­prit »). Elle visi­tait le monas­tère de Cella [2], du second Ordre ; sans s’incorporer à ces domi­ni­caines, elle ajou­ta les péni­tences pra­ti­quées par les Sœurs à celles qui lui étaient permises.

Les veilles de fête, elle se met­tait un peu de vinaigre dans le coin de l’œil pour ne pas dor­mir. Un jour, le démon se glis­sa contre elle de tout son long sous la forme d’un ser­pent, elle n’hé­si­ta pas à le prendre à pleine main et à le pro­je­ter contre le mur. Elle fai­sait abs­ti­nence de viande et de vin, avait une pierre pour oreiller.

Sa san­té pâtit de son ascèse. Cinq ans elle res­ta assise, affli­gée par l’asthme et un trem­ble­ment puis­sant, ulcé­rée et impo­tente. L’Ange Gabriel lui por­tait des nour­ri­tures mys­té­rieuses. En revanche, des démons essayaient de la pous­ser au déses­poir, aga­çaient sa prière par des blas­phèmes et des chants obs­cènes, et frap­paient la vierge qui les vain­quait en invo­quant la Vierge Marie avec confiance.

Il lui pei­nait de ne pou­voir assis­ter à la messe et au Salve Regina des Complies dans l’é­glise San-​Domenico. Pour la conso­ler, sa sœur Maria, aidée de voi­sins géné­reux, la por­tait sur les épaules jus­qu’à l’é­glise, au moins tous les dimanches, et un frère l’a­me­nait à l’é­glise un soir par semaine à Complies à l’é­glise domi­ni­caine. A la longue, Bienvenue se jugea égoïste d’être à charge et pria Notre-​Dame de la gué­rir, pro­met­tant un pèle­ri­nage à la tombe de saint Dominique à Bologne. Elle fut gué­rie dans l’é­glise même, en pré­sence de nom­breux témoins, le jour de l’Annonciation, sa fête pré­fé­rée. Aussitôt, elle se ren­dit à Bologne, accom­pa­gnée de sa sœur Maria.

De retour à Cividale, l’habitude de contem­pla­tion et de péni­tence reprend.

Quelqu’un pro­tes­ta contre la mort d’un jeune enfant pro­met­teur, Bienvenue rétor­qua : « Il est bien mieux d’être jeune au para­dis que d’être vieux en enfer ». Ses extases avaient sou­vent un carac­tère de joie : Bienvenue s’épanouissait dans les mys­tères joyeux. Ses intimes l’ap­pe­laient « la plus douce et la plus spi­ri­tuelle des contem­pla­tives, si ado­rable dans sa sain­te­té que son tou­cher et sa pré­sence ins­pi­raient la joie et chas­saient les ten­ta­tions ». Autre signe de sym­pa­thie : elle ne mesu­rait pas les autres à son aune.

Bienvenue a tou­jours eu le consen­te­ment et l’aide de ses parents pour mener cette vie, ten­dre­ment aimée et pro­té­gée pen­dant 38 ans par ses proches qui se voyaient heu­reux de l’exonérer des charges quotidiennes.

Son pre­mier bio­graphe rap­porte que lors d’une Semaine sainte, Bienvenue vit les dou­leurs et l’an­goisse du Sauveur, et lorsque Pâques arri­va, elle reçut une effu­sion mul­ti­pliée de bon­heur céleste. Un Noël, elle obtint de la Sainte Vierge de tenir l’Enfant Jésus dans ses bras un long moment, et, une autre fois, dans l’é­glise près de chez elle, elle ren­con­tra un enfant qui se révé­la être le petit Jésus. Aux com­plies d’un trois août, elle vit saint Dominique à la place du prieur domi­ni­cain qui était absent, pas­sant de frère en frère, don­nant le bai­ser de paix, puis se diri­geant vers son autel et dis­pa­rais­sant ; au cor­tège du Salve, la Sainte Vierge, tenant l’Enfant Jésus dans ses bras, des­cen­dit l’al­lée, bénis­sant les Pères.

La Vierge Marie lui pro­mit la vic­toire sur les démons à l’approche de la mort. L’ennemi lui insi­nua que ses péni­tences et ses prières étaient ins­pi­rées par une fier­té intime et qu’ain­si Dieu l’abandonnait et la condam­nait à l’en­fer. Les per­sonnes pré­sentes com­prirent à son visage que son âme était déchi­rée : un cri jaillis­sait sans cesse de ses lèvres : « Maria, Maria ! ». Ce nom mit l’en­ne­mi en fuite, et elle décé­da dans une paix céleste le 29 ou 30 octobre 1292.

Son corps, por­té à l’é­glise San-​Domenico, fut l’occasion de nom­breuses gué­ri­sons. Au début, une mys­té­rieuse lumière signa­lait par­fois l’emplacement de sa tombe dans la nuit, ou rayon­nait sur l’é­glise entière.
En 1447, les Dominicains obtinrent d’ou­vrir sa tombe, mais le corps était introu­vable, mal­gré des recherches répé­tées. Néanmoins son culte se per­pé­tua. Le pape Clément XIII, rati­fiant le culte popu­laire, la décla­ra Bienheureuse le 6 février 1765.

Abbé Laurent Serres-Ponthieu

Notes de bas de page
  1. Entre Udine et la Slovénie.[]
  2. Dans le Frioul, à une cen­taine de km au nord-​ouest de Cividale.[]