Faut-​il obéir aux ordres stupides ?

LAB de l’école Saint-​Bernard de Courbevoie

L’obéissance est une ver­tu morale sur­na­tu­relle qui nous incline à sou­mettre notre volon­té à celle des supé­rieurs légi­times en tant qu’ils sont les repré­sen­tants de Dieu.

Dans l’ordre natu­rel, les supé­rieurs légi­times sont les parents, les pro­fes­seurs, les patrons et ceux qui gou­vernent la socié­té civile. Dans l’ordre sur­na­tu­rel, les supé­rieurs légi­times sont le pape sur toute l’Eglise, les évêques sur leur dio­cèse et les prêtres sur le trou­peau qui leur est confié. L’exercice de l’au­to­ri­té a donc des limites. Si le supé­rieur n’a­git pas en tant que repré­sen­tant de Dieu, son ordre n’o­blige pas. Deux cas sont pos­sibles. Le pre­mier, si le supé­rieur com­mande quelque chose de mani­fes­te­ment contraire aux lois de Dieu ou de l’Eglise, si par exemple le chef d’é­tat ordonne d’of­frir de l’en­cens à une fausse divi­ni­té ; le second, si le supé­rieur com­mande en dehors de ses attri­bu­tions, si par exemple un père s’op­pose à la voca­tion mûre­ment étu­diée de son enfant. Comme l’ex­plique saint François de Sales, « Plusieurs se sont gran­de­ment trom­pés, en croyant que l’o­béis­sance consis­tait à faire à tort et à tra­vers tout ce qui pour- rait nous être com­man­dé, fût-​ce même contre les com­man­de­ments de Dieu et de la sainte Eglise ; en quoi ils ont gran­de­ment erré, car en tout ce qui est des com­man­de­ments de Dieu, comme les supé­rieurs n’ont pas le pou­voir de com­man­der le contraire, les infé­rieurs n’ont de même jamais au- cune obli­ga­tion d’o­béir en de tel cas. S’ils y obéis­saient, ils pèche­raient »[1].

Cet ensei­gne­ment n’est que l’é­cho de la réponse de saint Pierre aux pha­ri­siens : « Mieux vaut obéir à Dieu qu’aux hommes »[2], parole libé­ra­trice qui assure la liber­té chré­tienne contre toute tyran­nie. Si le supé­rieur donne un ordre contraire à la foi ou à la morale, l’in­fé­rieur a donc non seule­ment le droit, mais même le devoir, de déso­béir. C’est ce qui explique pour­quoi Mgr Lefebvre, le cœur bri­sé, a dû déso­béir au pape. C’est ce qui explique pour­quoi, aujourd’­hui encore, nous ne pou­vons pas hélas obéir à tous les ordres du pape François. C’est aus­si ce qui explique pour­quoi nous résis­tons de toutes nos forces à François Hollande et à ses ministres lors­qu’ils veulent faire pas­ser dans notre pays des lois perverses.

Remarquons cepen­dant que nous sommes sujets à nous faire illu­sion. En cas de doute, il faut pré­su­mer que le supé­rieur a raison.

Appliquons ces prin­cipes à un supé­rieur légi­time qui don­ne­rait à son subor­don­né un ordre stu­pide mais qui ne s’op­po­se­rait ni à la foi, ni à la morale, et qui ne com­man­de­rait pas en dehors de ses attri­bu­tions. La réponse est claire : il faut obéir, sous peine de péché.

Imaginons par exemple un sur­veillant d’in­ter­nat don­nant une puni­tion à un col­lé­gien inno­cent. Le sur­veillant, de bonne foi, a cru l’é­lève cou- pable et l’a puni à tort. Le col­lé­gien est-​il tenu, mal­gré l’in­jus­tice mani­feste, d’ac­com­plir sa puni­tion et de la rendre en temps et en heure à son supé­rieur ? Notons d’a­bord que l’é­lève a le droit de cla­mer res­pec­tueu­se­ment son inno­cence et de ten­ter de mon­trer au sur­veillant sa méprise. Mais si celui-​ci main­tient sa puni­tion, alors l’a­do­les­cent doit obéir. Il réa­li­se­ra ain­si un bel acte de ver­tu, sui­vant l’exemple du divin Maître qui a été cru­ci­fié injus­te­ment et a obéi jus­qu’à la mort. S’il refuse, alors il com­met un péché de désobéissance.

Nous sommes tous conta­mi­nés par un esprit révo­lu­tion­naire. Depuis 1789, nous oublions que les supé­rieurs, même s’ils sont incom­pé­tents ou anti­chré­tiens, repré­sentent Dieu sur la terre. Saint Paul vivait à une époque où les auto­ri­tés civiles n’é­taient pas favo­rables au chris­tia­nisme. Pour- tant, il écri­vait aux chré­tiens de Rome : « Que toute âme soit sou­mise aux auto­ri­tés supé­rieures ; car il n’y a point d’au­to­ri­té qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été ins­ti­tuées par lui. C’est pour­quoi celui qui résiste à l’au­to­ri­té, résiste à l’ordre que Dieu a éta­bli et ceux qui résistent, atti­re­ront sur eux-​mêmes une condam­na­tion »[3].

Quelques exemples tirés de la vie des saints nous mon­tre­ront com­bien Dieu aime l’o­béis­sance, sur­tout lorsque l’ordre ne semble pas très raisonnable.

On raconte dans la vie de sainte Rita que, tan­dis qu’elle était novice, la mère abbesse, pour l’é­prou­ver, lui ordon­na d’ar­ro­ser matin et soir un arbre mort situé à l’en­trée du couvent. Voyant dans cet ordre l’ex­pres­sion de la volon­té de Dieu, Rita accom­plis­sait avec soin ce tra­vail inutile et ridi­cule en appa­rence, même les jours de pluie.

Dieu allait mon­trer d’une manière écla­tante com­bien cet acte d’o­béis­sance lui était agréable. Un beau matin les soeurs ouvrirent des yeux éton­nés : la vie était reve­nue dans ce bois aride. Des feuilles nais­santes appa­rurent et une belle vigne se déve­lop­pa, don­nant en temps vou­lu des rai­sins plus beaux et plus savou­reux que par­tout ailleurs.

Saint Colomban insis­tait beau­coup auprès de ses reli­gieux sur l’o­béis­sance, et le ciel n’hé­si­ta pas à confir­mer ses conseils par des miracles. Un jour, on vint lui annon­cer dans sa grotte, que les Frères de Luxeuil étaient presque tous malades de la fièvre, car la culture n’a­vait pas encore eu le temps d’as­sai­nir cet endroit maré­ca­geux. Colomban leur envoie l’ordre de se lever et d’al­ler battre le blé dans l’aire. Chez un grand nombre, l’es­prit d’o­béis­sance fut plus fort que la mala­die, et ils s’empressèrent d’o­béir du mieux qu’ils purent. Or, en ache­vant le tra­vail, ils sen- tirent avec joie qu’ils étaient tous gué­ris. Ceux, au contraire, qui n’a­vaient pas eu le cou­rage d’o­béir res­tèrent malades toute l’an­née, et c’est à grand-​peine qu’ils échap­pèrent à la mort.

Une autre fois, il fait appe­ler le cel­lé­rier pen­dant qu’il tirait de la bière. Celui-​ci obéit si promp­te­ment qu’il oublie de fer­mer le robi­net ; la bière conti­nue à cou­ler, mais au lieu de se répandre, elle s’é­lève en colonne au-​dessus du vase rem­pli comme si une paroi invi­sible l’eût rete­nue. Le moine Gall avait reçu de son supé­rieur l’ordre de pêcher à la rivière de Brusch ; or cette rivière n’a­vait que très peu de pois­sons tan­dis qu’ils étaient fort nom­breux dans celle de Loignon. Gall crut donc bien faire d’al­ler pêcher dans cette der­nière. Il tra­vailla tout le jour et ne put rien prendre. Colomban l’ayant vu reve­nir le soir les mains vides, lui repro­cha sa déso­béis­sance et le ren­voya immé­dia­te­ment à la rivière de Brusch. Au pre­mier coup de filet, les pois­sons s’y pré­ci­pi­tèrent si nom­breux qu’il eut grande peine à les tirer.

En 1910, le pape saint Pie X prit la plume pour réfu­ter les erreurs de Marc Sangnier, fon­da­teur du Sillon. Celui-​ci ensei­gnait que l’o­béis­sance était contraire à la digni­té de l’homme et que l’au­to­ri­té devait être consen­tie par les subor­don­nés. En guise de réponse, le saint pape se conten­ta d’in­ter­ro­ger : « Est-​ce que l’o­béis­sance aux hommes en tant que repré­sen­tants légi­times de Dieu, c’est-​à-​dire en fin de compte l’o­béis­sance à Dieu, abaisse l’homme et le ravale au-​dessous de lui-​même ? Est-​ce que les saints, qui ont été les plus obéis­sants des hommes, étaient des esclaves et des dégé­né­rés ? Est-​ce qu’en­fin on peut ima­gi­ner un état social où Jésus-​Christ reve­nu sur terre ne don­ne­rait plus l’exemple de l’o­béis­sance et ne dirait plus : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ? ».

Nous voyons mieux ain­si l’ex­cel­lence de l’o­béis­sance, si contraire au souffle révo­lu­tion­naire. Saint Thomas n’hé­site pas à dire qu’a­près la ver­tu de reli­gion, elle est la plus par­faite de toutes les ver­tus morales, parce que plus que les autres elle nous unit à Dieu, en ce sens qu’elle nous détache de notre volon­té propre qui est le plus grand obs­tacle à l’u­nion divine.

Que l’Enfant-​Jésus, si obéis­sant envers saint Joseph et la sainte Vierge, aug­mente en nos âmes cette belle vertu !

Abbé Bernard de Lacoste-​Lareymondie, Directeur

Notes de bas de page
  1. . Entretiens spi­ri­tuels, ch. XI[]
  2. . Act, V, 29[]
  3. . Rom. XIII, 1 et 2[]

FSSPX

M. l’ab­bé Bernard de Lacoste est direc­teur du Séminaire International Saint Pie X d’Écône (Suisse). Il est éga­le­ment le direc­teur du Courrier de Rome.