La vrai raison des « effets » et des « excès du Concile » c’est la rupture conciliaire

Un texte de François Lemoine

Les tentatives de « minimisation » : signe avant-​coureur de la « réforme de la réforme » ?

I. Depuis le début de l’an­née 2000 – 2001, et, plus encore, depuis le début de la deuxième moi­tié de la pré­sente décen­nie, conco­mi­tam­ment au com­men­ce­ment du pon­ti­fi­cat de Benoît XVI, une nou­velle vision des choses, que l’on qua­li­fie­ra ici de mini­mi­sa­trice de la nature et de la gra­vi­té de la rup­ture conci­liaire, a com­men­cé à s’ex­pri­mer, au sein du catho­li­cisme, à tra­vers un cer­tain nombre de décla­ra­tions épis­co­pales et de publi­ca­tions périodiques.

1. En sub­stance, cette vision des choses, qu’il serait exces­sif et injuste de qua­li­fier de néga­tion­niste, mais qu’il n’est pas cari­ca­tu­ral ni dis­pro­por­tion­né de qua­li­fier de rela­ti­viste et de révi­sion­niste, tra­duit à peu près le cou­rant de pen­sée, l’é­tat d’es­prit suivant :

Le Concile, le Concile Vatican II, le deuxième Concile du Vatican, n’au­rait été, ne serait qu’un élé­ment, dans l’his­toire de l’Eglise, qu’une étape, dans la Tradition de l’Eglise, en quelque sorte, un point de suture, non un lieu de rup­ture, un point de pas­sage de l’a­vant vers l’a­près, non un lieu de bar­rage de l’a­vant par l’après.

2. Cette vision des choses se veut récon­ci­lia­trice, en puis­sance, voire en acte, des deux prin­ci­pales ten­dances carac­té­ris­tiques du catho­li­cisme français :

- la ten­dance catho­lique conci­liaire (1) moder­ni­sa­trice pre­nant appui, pour sa part, sur le Renouveau catho­lique conci­liaire inau­gu­ré par le Concile Vatican II, en matière doc­tri­nale, en matière litur­gique, en matière pastorale,

- la ten­dance catho­lique non conci­liaire (2) tra­di­tio­na­liste pre­nant appui, quant à elle, sur la Tradition catho­lique non conci­liaire (au sens de : anté­rieure à et dif­fé­rente du Concile Vatican II) réaf­fer­mie, réaf­fir­mée par le Concile de Trente, et par l’en­semble des sou­ve­rains pon­tifes qui se sont suc­cé­dés, jus­qu’à Pie XII inclus, mais aus­si, uni­que­ment par inter­mit­tences, par Paul VI et par Jean Paul II, dans quelques textes majeurs que ne prisent guère les catho­liques conciliaires.

3. Imaginons un seul ins­tant qu’une pos­si­bi­li­té de récon­ci­lia­tion com­mence à s’a­mor­cer, en se fon­dant sur une telle vision des choses, prô­nant « une réforme de la réforme », « une syn­thèse entre les tendances ».

Une tentative de « maquillage » des échecs les plus patents de vatican II

I I. Je crains fort que si cette pers­pec­tive prend corps, elle ne le fasse au prix d’un contour­ne­ment, d’un évi­te­ment, d’une véri­table amné­sie col­lec­tive, à pro­pos des ori­gines et des consé­quences du Concile…

1. Relisons les dis­cours de Jean XXIII, à com­men­cer par celui du 11 octobre 1962, ceux de Paul VI, à com­men­cer par celui du 7 décembre 1965 (3) : ils consti­tuent une pre­mière réponse à tous ceux qui nous disent, ou bien que le Concile n’a pas été une rup­ture, ou bien qu’il n’a été une rup­ture que sur l’ac­ces­soire, la forme, et non sur l’es­sen­tiel, le fond, ou bien encore qu’il n’a pas été une rup­ture vou­lue, inten­tion­nelle, for­ma­li­sée, en tant que telle par les pon­tifes du Concile, mais une rup­ture subie, acci­den­telle, réa­li­sée, impro­pre­ment, par les effets, les excès des années 1960 et 1970…

2. Relisons les consti­tu­tions et décla­ra­tions conci­liaires, à com­men­cer par Gaudium et Spes, Unitatis Redintegratio, Nostra aetate, Dignitatis Humanae Personae : ils consti­tuent une deuxième réponse à à tous ceux qui nous disent qu’il est inexact et infon­dé de dire qu’au Concile l’Eglise a pro­cla­mé toute sa confiance et son estime

- en l’homme et dans le monde modernes,

- dans les confes­sions chré­tiennes non catholiques,

- dans les reli­gions non chrétiennes,

- dans l’ap­ti­tude et l’as­pi­ra­tion de l’in­di­vi­du à cher­cher, puis à trou­ver, la véri­té, si pos­sible, dans le Christ, si néces­saire, sans le Christ, sans renon­cer à la moindre par­celle de sa digni­té, de sa liber­té, de sa sen­si­bi­li­té, de sa sub­jec­ti­vi­té, consi­dé­rées comme légi­times a prio­ri, et ce quelle que soit l’o­rien­ta­tion et la signi­fi­ca­tion de l’op­tion qu’exercent sa conscience et sa per­sonne, en matière de religion.

3. Relisons la pre­mière lettre ency­clique de Paul VI, véri­table dis­cours – pro­gramme, Ecclesiam Suam, celle dans laquelle il affirme, au détour d’une phrase, que désor­mais, il n’y a plus d’hé­ré­sies, ses audiences pon­ti­fi­cales, ses dis­cours heb­do­ma­daires, reli­sons tous ces textes, qui montrent la très grande cohé­rence doc­tri­nale, mais aus­si la très grande incon­sé­quence pas­to­rale, de celui qui a été, bien plus que Jean XXII, à la fois le pape du Concile et le pre­mier pape de l’après-Concile.

4. Au contact de ses mes­sages, à tra­vers ses paroles, qui ne voit que « l’in­tui­tion pro­phé­tique » s’est trans­for­mée en casse – tête chi­nois, puis en che­min de Croix, pour quel­qu’un qui a fait montre d’un aveu­gle­ment et d’un entê­te­ment gravissimes ?

5. Les théo­lo­giens, les ecclé­sias­tiques qui, (pour quelques uns, dès le début des années 1930, pour la plu­part, après 1945, et plus encore après 1950), ont vou­lu le Concile, ont eu l’am­bi­tion de gar­der le bébé en chan­geant l’eau du bain ; qui ne voit aujourd’­hui qu’ils ont jeté le bébé avec l’eau du bain ?

6.1. Qu’ont-​ils impo­sé aux ministres et aux fidèles, à par­tir de la mise en forme puis en œuvre du Concile ? Une vision de la mis­sion de l’Eglise à front ren­ver­sé : désor­mais,
- ce ne serait plus à l’Eglise d’ex­hor­ter les pécheurs à se conver­tir,
- ce serait à l’Eglise d’ex­hor­ter les catho­liques à conver­ger vers les pécheurs, à recon­naître les richesses pré­sentes en eux, à les consi­dé­rer comme ils sont et à leur dire com­bien ils ont rai­son de l’être, à appro­fon­dir, à renou­ve­ler leur foi, en dia­lo­guant autre­ment avec eux, non plus dans et par la prière chré­tienne, dans et par la vie chré­tienne, mais en conver­geant, pour tou­jours plus d’u­ni­té dans la cha­ri­té, au spi­ri­tuel, pour tou­jours plus de jus­tice et de pro­grès, au tem­po­rel, si pos­sible, dans le Christ, si néces­saire, sans le Christ, en bon accord et en direc­tion des hommes et des femmes de ce temps, et de leurs aspi­ra­tions imma­nentes les plus légi­times, à com­men­cer par l’as­pi­ra­tion uni­ver­selle au bien être ter­restre (4).

6.2. Des catho­liques attar­dés, com­plexés, inhi­bés, par leur appar­te­nance à une Eglise catho­lique empous­sié­rée, ayant pris un train de retard, sur le plan intel­lec­tuel comme sur le plan exis­ten­tiel, dans l’ordre de la Foi comme dans celui des moeurs, par rap­port à un envi­ron­ne­ment civi­li­sa­tion­nel, jugé non plus hos­tile au chris­tia­nisme, mais impli­ci­te­ment, indi­rec­te­ment, ano­ny­me­ment ani­mé et ins­pi­ré par un ensemble de valeurs, certes pure­ment humaines, mais qua­si­ment chré­tiennes : voi­là com­ment bien des experts, bien des pères du Concile ont jugé la mai­son de Dieu et le peuple de Dieu, un peu en amont, un peu plus au moment, et beau­coup plus en aval du Concile.

Le Concile a bien été une rupture

I I I. Au demeu­rant, c’est bien parce que le Concile a été une rup­ture, que tous les rap­pels à l’ordre doc­tri­naux effec­tués, recon­nais­sons le, par le Pape Paul VI, entre 1965 et 1968, ont été per­çus à l’é­poque, par la majo­ri­té des catho­liques conci­liaires, comme par­fai­te­ment « contra­cy­cliques », comme tout à fait contra­dic­toires avec le dis­po­si­tif conci­liaire, avec la plate-​forme conciliaire.

1. On cite­ra ici Mysterium Fidei, Sacerdotalis Coelibatus, la Profession de Foi de Pierre, Humanae Vitae, textes dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont étran­gers, exté­rieurs, à la tour­nure men­tale adog­ma­tique – oecu­mé­nique qui est celle des qautre textes du Concile les plus repré­sen­ta­tifs et signi­fi­ca­tifs de l’esprit du Concile.

2. Par ailleurs, si le Concile n’a pas été une rup­ture, il fau­dra que l’on m’ex­plique pour­quoi Jean-​Paul II, dans la qua­si tota­li­té de ses textes, se réfère autant au Magistère de Jean XXIII et de Paul VI, aux consti­tu­tions et décla­ra­tions conci­liaires, et si peu aux ency­cliques anté­rieures à 1959.

La rup­ture n’en serait pas une, mais tout indique que, dans l’es­prit de Jean – Paul II, le Magistère anté­rieur au Concile est deve­nu qua­si­ment sans valeur, le renou­veau conci­liaire étant à la fois plei­ne­ment refon­da­teur sur le plan doc­tri­nal et plei­ne­ment réfor­ma­teur sur le plan pas­to­ral, incar­na­tion et ins­tau­ra­tion d’une nou­velle Pentecôte.

3. Certes, la preuve incon­tes­table de la nature et de la gra­vi­té de la rup­ture conci­liaire réside dans l’im­po­si­tion au cler­gé et aux laics de la nou­velle messe, dont on ne dira jamais assez qu’elle témoigne d’une double uto­pie, en rup­ture com­plète avec la Tradition, dans ce domaine si essentiel :

a. rup­ture dans les moda­li­tés du rite, qu’il s’a­gissent des moda­li­tés ges­tuelles et ver­bales, ou des moda­li­tés lin­guis­tiques et symboliques ;

b. rup­ture dans la fina­li­té du rite, puis­qu’il ne s’a­git plus, avant tout, de renou­ve­ler, d’une manière non san­glante, le sacri­fice de Notre Seigneur Jésus Christ, mais, avant tout, de com­mu­nier ensemble autour, d’une litur­gie de la parole et d’une litur­gie du pain et du vin, aux­quelles les célé­brants donnent le plus sou­vent une orien­ta­tion et une signi­fi­ca­tion pure­ment immanentes.

4. Mais le plus grave n’est pas là, le plus grave réside dans le chan­ge­ment de por­tance concep­tuelle et doc­tri­nale qui a pré­si­dé à l’en­semble de la rup­ture conci­liaire : en sub­stance, l’on est alors pas­sé :
- d’un catho­li­cisme n’hé­si­tant pas, et insis­tant même, « pour dire son fait » au monde moderne, à exhor­ter les pécheurs à se conver­tir à Jésus – Christ,
- à un catho­li­cisme conscien­cieu­se­ment et scru­pu­leu­se­ment recon­nais­sant face à la créa­ti­vi­té, la géné­ro­si­té, la spon­ta­néi­té de l’homme moderne, en ce qui concerne son apti­tude et son aspi­ra­tion à créer des valeurs d’ins­pi­ra­tion huma­niste dans le monde moderne, à tra­vers les Droits de l’Homme.

5. Que n’a t on dit sur les Droits de l’Homme ! Il ne s’a­git pas ici d’en contes­ter le bien – fon­dé théo­rique (5), il suf­fit de pré­ci­ser ou de rap­pe­ler que les Droits de l’Homme, dans leur concep­tion moderne, se sont construits, d’a­bord contre, ensuite sans la pré­sence et l’ac­tion de Dieu dans la cité, dans la sphère publique des sociétés.

6. Au demeu­rant, après vou­lu incor­po­rer, aux Droits de l’Homme sans le Christ, une clause de réorien­ta­tion, en direc­tion de l’a­gir et de l’être de l’homme dans le Christ, Jean- Paul II, à par­tir du début de la deuxième par­tie de son pon­ti­fi­cat, a enfin mon­tré qu’il avait com­pris que les Droits de l’Homme, au grand déses­poir, impuis­sant, silen­cieux, de quelques libé­raux clas­siques, sont enga­gés le long d’une pente qui est celle de la juri­di­ci­sa­tion de l’as­sou­vis­se­ment des dési­rs les plus égoistes, et non de l’ac­com­plis­se­ment des devoirs les plus élé­va­teurs de la conscience et de la per­sonne humaines.

7. Or, pour s’être faite pro­mo­trice et pro­tec­trice des Droits de l’Homme, l’Eglise catho­lique, depuis la rup­ture conci­liaire, s’est expo­sée au risque de n’être pas com­prise, ni approu­vée, voire d’être prise en fla­grant délit de contra­dic­tion ou d’é­qui­voque, à chaque fois qu’elle hausse le ton, loca­le­ment, ponc­tuel­le­ment, sur telle ou telle ques­tion, englo­bante ou sec­to­rielle, ques­tion qu’il est aujourd’­hui conve­nu d’ap­pe­ler « de société ».

8. a . Là est le plus grave, depuis la rup­ture conci­liaire : l’Eglise catho­lique est aujourd’­hui pié­gée, parce que le vac­cin qu’elle a vou­lu s’in­jec­ter s’est trans­for­mé en venin : avec quel effet, avec quel impact concret, un sou­ve­rain pon­tife condam­ne­rait – il, aujourd’­hui, ex cathe­dra, telle ou telle mani­fes­ta­tion d’a­nar­chie, d’a­no­mie, de liber­ta­risme, dans quelque domaine que ce soit, à par­tir du moment où les indi­vi­dus qui s’y livrent ont par­fai­te­ment conscience du fait qu’à leurs yeux, qu’aux yeux de leurs com­plices, de leurs vic­times, et de l’Etat, il en ont le droit, ils y ont le droit ?

8. b. Qui ne voit qu’à par­tir du moment où l’Eglise s’est ral­liée à la concep­tion moderne des Droits de l’Homme, elle s’est aus­si ral­liée à un ordre juri­dique qui s’est bâti contre, puis sans, la moindre exi­gence de loi natu­relle, contre, puis sans, la moindre réfé­rence à la loi natu­relle ? Et qui ne voit que c’est jus­te­ment ce qu’ont vou­lu les experts et les pères du Concile (cf Gaudium et Spes), sans en mesu­rer toutes les conséquences ?

Il y a bien eu « interruption » et non « continuation » !

I V. Le plus extra­or­di­naire, dans cette affaire, tient en ceci : quand un évêque déclare aujourd’­hui en public qu’il n’y pas eu une inter­rup­tion, mais une conti­nua­tion, dans la litur­gie, le magis­tère, la pas­to­rale de l’Eglise catho­lique, au moment du Concile, il n’est même pas conscient du fait que cela le fait entrer en contra­dic­tion fon­da­men­tale :
- avec les pro­pos, sur cette ques­tion, de ses pré­dé­ces­seurs, au moins de ceux des années 1960 et 1970 (A),
- avec les pro­pos qu’il lui arrive de tenir lui-​même, mais en pri­vé (B)..
- avec les pro­pos de Benoît XVI, qui recon­naît, lui, à tout le moins, une réforme.

A. L’herméneutique de la conti­nui­té, des évêques d’aujourd’hui (6), est en contra­dic­tion avec les pro­pos, sur cette ques­tion, de leurs pré­dé­ces­seurs (7), au moins de ceux des années 1960 et 1970.

En effet, on a ten­dance à l’ou­blier, mais, dans un pre­mier temps, les évêques ont cla­mé leur fier­té et leur joie d’être les arti­sans et les par­ti­sans de la rup­ture conci­liaire ; il ne leur serait pas venu à l’es­prit de contes­ter la réa­li­té de l’am­pleur et de la por­tée de la rup­ture, à laquelle ils adhé­raient de tout leur cœur, non d’un cœur res­té lucide sur les hommes et sur le monde, mais d’un cœur deve­nu aveugle, face au péché des hommes et du monde.

1. Au demeu­rant, cet aveu­gle­ment, cou­pable en lui-​même, quand on a charge d’âmes, aurait très bien pu s’es­tom­per, au contact de la crise de la trans­mis­sion qui s’est mani­fes­tée dans toute sa splen­deur, à par­tir de 1968, et dont on ne dira jamais assez qu’elle concerne l’Ecole et l’Eglise.

2. Mais l’a­veu­gle­ment, l” »errare huma­num est, » des années 1960, s’est conver­ti en entê­te­ment, en « per­se­ve­rare dia­bo­li­cum » des années 1970, quand il s’est agi d’ap­pli­quer, c’est-​à-​dire d’im­po­ser, la « réforme » de la litur­gie, de mettre en place les ses­sions de recy­clage intel­lec­tuel des prêtres, aux cou­leurs du freudo-​marxisme, et d’in­ci­ter vive­ment les fidèles à mili­ter en poli­tique, pour bâtir un monde de bon­heur, de jus­tice et de progrès.

3. Il y a toute une his­toire inté­rieure du catho­li­cisme contem­po­rain, et en par­ti­cu­lier, du catho­li­cisme fran­çais, à rap­pe­ler ici : en par­ti­cu­lier, à qui fera-​t-​on croire que des évêques qui, quelques années plus tôt, disaient encore leur messe en latin, et qui quelques années plus tard, lais­saient les mili­tants enton­ner l’Internationale, aux réunions de la JOC, n’ont pas été les vic­times, mais consen­tantes, en l’oc­cur­rence, d’une rup­ture sans pré­cé­dent, d’une rup­ture dont on cherche en vain le moindre com­pa­rable, le moindre équi­valent, dans l’his­toire de l’Eglise ?

4. Ces évêques, pour la plu­part, ne connais­saient pas grand-​chose, sur la réa­li­té du com­mu­nisme, telle qu’elle s’im­po­sait alors, d’une manière cri­mi­nelle et dra­ma­tique, à des cen­taines de mil­lions d’êtres humains, mais per­sonne ne les empê­chait de bien s’informer. Auraient ils contes­té l’as­ser­tion, si on leur avait dit alors qu’ils avaient bien rai­son de confondre ain­si pas­to­rale tour­née vers le peuple et pas­to­rale tour­née vers la gauche, à la suite de leurs pré­dé­ces­seurs d’a­vant le Concile ?

5. Bien sûr que oui ! Ils auraient répon­du qu’ils avaient bien rai­son de le faire, mais qu’ils avaient d’au­tant plus rai­son de le faire, qu’ils le fai­saient, non à la suite de leurs pré­dé­ces­seurs d’a­vant le Concile, mais à la suite du Concile lui même, qui leur avait enfin ouvert les yeux sur le sens de leur mis­sion de pro­mo­tion, non de la cause de Dieu en l’Homme, mais de la cause de l’Homme dans le monde !

6. Or, quelle a été la por­tance concep­tuelle et doc­tri­nale qui a consti­tué pour eux une inépui­sable ins­tance de légi­ti­ma­tion de leur conver­sion à un esprit qu’ils croyaient être l’es­prit du monde, et à un esprit du monde qu’ils croyaient être ins­pi­ré par Dieu, puisque l’homme et le monde moderne, appa­rem­ment, s’en ins­pi­raient, sinon la consti­tu­tion pas­to­rale Gaudium et Spes, consti­tu­tion rela­tive à l’homme et au monde moderne ?

B. L’herméneutique de la conti­nui­té, des évêques d’aujourd’hui, est en contra­dic­tion avec les constats, les pro­pos, qu’ils expriment et for­mulent, eux-​mêmes, mais en pri­vé. En effet, on a éga­le­ment ten­dance à l’ou­blier, mais les évêques, mêmes for­més et contraints, par une cer­taine langue de buis typi­que­ment conci­liaire, qui fait pen­ser irré­sis­ti­ble­ment à un eth­no­cen­trisme micro­cos­mique, com­plè­te­ment décon­nec­té de la mol­lesse des hommes et de la dure­té du monde de ce temps, sont aus­si des êtres humains, qui ont des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, une conscience pour réflé­chir. Ils n’ont que trop conscience, espérons-​le pour eux, de ceci :

1. Décidément, qua­rante ans après la clô­ture du Concile, « cela ne marche tou­jours pas », dans une situa­tion intra – ecclé­siale de dimi­nu­tion du nombre des prêtres et d’ac­cé­lé­ra­tion du vieillis­se­ment du cler­gé, notam­ment diocésain.

2. Les com­mu­nau­tés fami­liales et parois­siales ne sont plus capables, ni sur­tout dési­reuses ou sou­cieuses, de sus­ci­ter en leur sein des voca­tions reli­gieuses, des voca­tions au sacer­doce, les bons prêtres, les saints prêtres dont nous avons besoin.

3. Après avoir eux mêmes mar­gi­na­li­sé, ridi­cu­li­sé, rin­gar­di­sé, stig­ma­ti­sé, au sein même de l’Eglise catho­lique, les catho­liques tra­di­tio­na­listes, eux mêmes, qui ont la charge des catho­liques moder­ni­sa­teurs, sont à leur tour mar­gi­na­li­sés, ridi­cu­li­sés, rin­gar­di­sés, stig­ma­ti­sés, par « l’Eglise catho­dique », par les médias audio – visuels. C’est sur­tout le cas quand ils prennent, presque contraints et for­cés, presque mal­gré eux, des posi­tions publiques qui vont à l’encontre de la pente actuelle, pla­cée sous le signe de la per­mis­si­vi­té généralisée.

4. Ils sont désor­mais deve­nus les ges­tion­naires du déclin, du fait qu’ils sont les inter­prètes d’une par­ti­tion qui est pour eux contre nature, puis­qu’elle consiste à leur faire dire à tout non catho­lique » comme vous avez rai­son, puisque le Christ est pré­sent en vous, quoi que vous pen­siez, disiez ou fas­siez, et que vous êtes d’ores et déjà par­don­né et rache­té. » A ce jeu là, ils jouent un rôle, il faut bien le dire, extra­or­di­nai­re­ment démo­bi­li­sa­teur, pour les évêques, mais aus­si pour les parents, et sur­tout pour les prêtres qui leur sont confiés.

5. Ils sont désor­mais confron­tés à un envi­ron­ne­ment confes­sion­nel concur­ren­tiel, les cha­ris­ma­tiques, les évan­gé­liques, les musul­mans, les boud­dhistes leur pre­nant, lit­té­ra­le­ment, des parts de mar­ché, parts de mar­ché qu’ils sont bien obli­gés de leur lais­ser, en bons ser­vi­teurs et pri­son­niers d’une vision selon laquelle les élé­ments de véri­té sont pré­sents dans toutes les reli­gions, les élé­ments de légi­ti­mi­té sont pré­sents dans toutes les formes de sen­si­bi­li­té, de sub­jec­ti­vi­té, de sapien­tia­li­té, de spiritualité.

6. Or, quelle a été la por­tance concep­tuelle et doc­tri­nale qui a consti­tué pour eux une inépui­sable ins­tance de légi­ti­ma­tion de leur conver­sion à un ecclé­sio­lo­gie consen­sua­liste, qu’ils ont consi­dé­rée comme enfin cha­ri­table et fra­ter­nelle, comme enfin altruiste et géné­reuse, comme enfin bien­veillante et bien­fai­sante, et qui s’est avé­rée ani­mée par l’an­gé­lisme, ins­pi­rée par l’i­ré­nisme, sinon le trip­tyque Unitatis Redintegratio, Nostra Aetate, Dignitatis Humane Personae, véri­table magna car­ta d’une ins­ti­tu­tion qui s’é­coute et se regarde en train de renon­cer à sa spé­ci­fi­ci­té, à sa supériorité ?

Quelques questions aux « minimisateurs » de la rupture conciliaire

V. Au terme de cette lettre ouverte, je ne puis m’empêcher de poser, aux mini­mi­sa­teurs de l’ampleur et de la por­tée de la rup­ture conci­liaire, les ques­tions suivantes.

1. Quelle connais­sance, his­to­rique et théo­rique, exacte et intime, ont-​ils vrai­ment de la super­che­rie, du tour de passe-​passe, qui a consis­té à faire pas­ser le Concile pour un res­sour­ce­ment ecclé­sial, désor­mais « com­mu­nau­taire », « évan­gé­lique », et non plus « auto­ri­taire et dis­ci­pli­naire », pour une « authen­tique res­tau­ra­tion » de la « véri­table Tradition », au contact « du chris­tia­nisme des ori­gines » qui a été exhu­mé par les experts du Concile ?

2. Quelle connais­sance ont-​ils du fait que, dans les affaires humaines, seules les rup­tures clai­re­ment assu­mables peuvent être clai­re­ment assu­mées, et que la rup­ture conci­liaire est en passe de deve­nir une rup­ture sui­ci­daire, pour une grande par­tie de l’Eglise, une source tarie à laquelle on se croit obli­gé de conti­nuer à puiser ?

3. Qui ne voit que les arti­sans, les par­ti­sans de la rup­ture conci­liaire, qui, dans un pre­mier temps, étaient ravis, voire sur­pris, d’avoir enfin trou­vé le logi­ciel idéal, l’ont implan­té à un ordi­na­teur dont ils ont vidé le disque dur, et dont l’écran risque de conti­nuer à s’éteindre len­te­ment, s’il n’est pas remé­dié rapi­de­ment à une évo­lu­tion de la situa­tion sus­cep­tible de se révé­ler fatale, mor­telle, pour l’institution ecclésiale ?

En l’espèce comme en d’autres, le diag­nos­tic, aus­si dou­lou­reux soit-​il, sera tou­jours moins dou­lou­reux que le trai­te­ment, qui n’aura rien d’homéopathique, si l’on veut vrai­ment se don­ner la peine de prendre l’antidote au venin évo­qué ci-​dessus :
- la fran­chise,
- le dévoue­ment,
- la pure­té, dans la Foi comme dans les mœurs, dans le rap­port à Dieu, à l’Eglise, au monde, à soi – même et aux autres…

Ni manichéisme, ni angélisme…

VI. Il ne s’agit pas de dire que tout était par­fait avant, ni que tout est mau­vais depuis : 

1. En amont de la convo­ca­tion puis de l’ouverture du Concile, cela fai­sait déjà quelques décen­nies qu’il y avait un éloi­gne­ment de plus en plus grand entre le magis­tère pon­ti­fi­cal et la pas­to­rale épis­co­pale ; quels évêques fai­saient lire, dans les paroisses, les ency­cliques de Pie XI, les ency­cliques et les radio-​messages de Pie XII ?

A . La qua­li­té de récep­tion, sur le ter­rain, de quelques ency­cliques de Pie XI, ne doit pas faire illu­sion, car c’est, au plus tard, au début ou au milieu de son pon­ti­fi­cat, qu’a com­men­cé à se pro­duire un décro­chage intel­lec­tuel entre le som­met et la « base de la hié­rar­chie de l’Eglise. Par exemple, Divini Redemptoris a long­temps et sou­vent été consi­dé­rée comme l’encyclique qui avait condam­né le com­mu­nisme, alors que Pie XI l’avait déjà fait dans plu­sieurs docu­ments de même nature, avant l’année 1937.

B . De même, la der­nière par­tie du pon­ti­fi­cat de Pie XII (1955 – 1958) a été syno­nyme d’une fin de règne dif­fi­cile, les mérites et le pres­tige du sou­ve­rain pon­tife n’étaient nul­le­ment en cause, d’autant plus qu’il a conti­nué à prendre des ini­tia­tives doc­tri­nales ou pas­to­rales jusqu’à la fin de sa vie, mais le moins que l’on puisse dire est que « son corps de bataille » adhé­rait de moins en moins à « son corps de doc­trine ». Pour autant, les fon­da­men­taux étaient main­te­nus, dans toute leur rigueur et dans toute leur vigueur, et ils étaient bien plus équi­li­brés qu’on ne l’a dit par la suite. On cite­ra ain­si l’équilibre exis­tant entre Divino Afflante Spiritu et Humani Generis, équi­libre dont auraient bien fait de s’inspirer davan­tage les rédac­teurs de Dei Verbum…

2. Quant à l’après Concile, il ne peut ni ne doit être consi­dé­ré comme inté­gra­le­ment pré­ju­di­ciable au catho­li­cisme contem­po­rain, il est même mira­cu­leux que les murs tiennent encore debout, compte tenu de l’ébranlement subi par les fondations.

A . Sous l’angle de la réaf­fir­ma­tion du dépôt de la foi catho­lique, on cite­ra ici la Profession de foi de Pierre, sous Paul VI, le Catéchisme de l’Eglise catho­lique (8), sous Jean Paul II, le Compendium du Catéchisme, sous Benoît XVI.

B . Sous l’angle de la réaf­fir­ma­tion de la morale chré­tienne, on cite­ra ici la lettre ency­clique Humanae Vitae, sous Paul VI, et la lettre ency­clique Evangelium Vitae, sous Jean-​Paul II.

Mais voi­là :
- d’une part, ces incur­sions du Renouveau conci­liaire au cœur de la Tradition catho­lique sont ponc­tuelles,
- d’autre part, elles coha­bitent, à l’intérieur du magis­tère romain, avec des cen­taines de pages, consa­crées aux valeurs et aux ver­tus du dia­logue inter-​religieux, fac­teur de paix entre tous les croyants et tous les humains, notam­ment sous la plume de Jean – Paul II,
- enfin, elles sont conscien­cieu­se­ment et scru­pu­leu­se­ment pas­sées sous silence par les évêques, dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne sont pas pré­ci­sé­ment des adeptes, des apôtres du déploie­ment de l’étendard, en matière de foi et de mœurs.

« L’union para­doxale des contraires », « l’intuition pro­phé­tique », qua­rante ans après, se mani­festent pour ce qu’elles sont, une contra­dic­tion fon­da­men­tale, une intui­tion uto­pique, et il est assez révé­la­teur du reli­gieu­se­ment cor­rect que des catho­liques moder­ni­sa­teurs se per­mettent de le dire en pri­vé, mais ne sup­portent pas que des catho­liques tra­di­tio­na­listes le disent en public.

En réa­li­té, il suf­fi­rait que quelques évêques cou­ra­geux prennent à témoins leurs fidèles, et leurs disent : excu­sez – nous, par­don­nez – nous, car nous avons été trom­pés, par nos pré­dé­ces­seurs, par leurs /​nos théo­lo­giens, nous nous sommes trom­pés, en adhé­rant à leurs chi­mères, et nous vous avons trom­pés, par l’intermédiaire des prêtres que Dieu et l’Eglise nous ont confiés, mais nous sommes, à pré­sent, déter­mi­nés à y remé­dier de toutes nos forces, avec la Grâce de Dieu, contre le péché du monde et pour le salut des hommes…

François Lemoine, ce 11 avril 2007

POST SCRIPTUM 1 : PRECISIONS RENVOYANT AUX NUMEROS FIGURANT DANS LE TEXTE

(1) et (2) : la ten­dance catho­lique conci­liaire (1) moder­ni­sa­trice et la ten­dance catho­lique non conci­liaire (2) tra­di­tio­na­liste. Les catho­liques conci­liaires moder­ni­sa­teurs sont des adeptes, sans en avoir tou­jours conscience, de l’évolutionnisme intel­lec­tuel, mis en avant par cer­tains auteurs et pen­seurs libé­raux (Friedrich Hayek). Ils ne connaissent pas tou­jours le mot, mais pra­tiquent sou­vent la chose, ce qui explique, en par­ti­cu­lier, le carac­tère indé­li­mi­té, indé­ter­mi­né, d’une cer­taine forme d’historicisme et d’oecuménisme qu’ils appliquent à toutes les reli­gions, sans dis­tin­guer entre reli­gion révé­lée et reli­gions erro­nées. Les catho­liques tra­di­tio­na­listes, à mon sens, sont non conci­liaires, et non anti-​conciliaires : ain­si, les catho­liques tra­di­tio­na­listes n’ont jamais été oppo­sés, par prin­cipe, à la réunion du deuxième Concile du Vatican, ni même, à ma connais­sance, à la tota­li­té des para­graphes consti­tu­tifs de l’édifice conci­liaire. Ce qui pose pro­blème, entre autres choses, c’est le refus des catho­liques conci­liaires moder­ni­sa­teurs de recon­naître :
- le déca­lage entre les objec­tifs offi­ciels et les objec­tifs offi­cieux du Concile,
- le déca­lage entre les résul­tats offi­ciels et les résul­tats effec­tifs de la mise en œuvre du Concile
- la néces­si­té de faire remon­ter l’analyse de l’évolution et de la réa­li­té de la situa­tion, des effets aux causes, des consé­quences aux ori­gines, des pra­tiques à leurs principes.

(3) : Lire sur ce point : Concile œcu­mé­nique Vatican II, Discours et Messages de Jean XXIII et de Paul VI, col­lec­tion Documents conci­liaires n ° 6, aux Editions du Centurion.
On y trou­ve­ra « le péché conjonc­tu­rel » du deuxième Concile du Vatican : l’optimisme.

(4) : C’est une chose de dire qu’un musul­man peut être sau­vé, par des moyens que Dieu seul connaît, bien qu’il soit musul­man, c’en est une toute autre de dire qu’il peut être sau­vé, par des moyens que les hommes connaissent : sa par­ti­ci­pa­tion à l’édification de la paix dans le monde, parce qu’il est musul­man ; en sub­stance, le Concile marque le pas­sage de l’une à l’autre, dans Nostra Aetate et dans Dignitatis Humanae Personae.

(5) : Il ne s’agit pas ici de faire le pro­cès des Droits de l’Homme : il s’agit de consta­ter que la dyna­mique qui leur est propre n’est pas une dyna­mique d’ordonnancement, par la loi natu­relle, mais d’affranchissement, vis-​à-​vis de celle-​ci .
Toute ten­ta­tive de « chris­tia­ni­sa­tion » des Droits de l’Homme repose plus ou moins sur l’idée selon laquelle ceux-​ci ont appor­té au monde moderne un sens de la digni­té et de la liber­té de la per­sonne « qui ne peut pas ne pas être », impli­ci­te­ment, indi­rec­te­ment, d’inspiration chré­tienne. Cela revient à réduire le chris­tia­nisme à un per­son­na­lisme : or, le chris­tia­nisme est situé au car­re­four, au croi­se­ment, du sens de la loi et du sens de la per­sonne. Sacrifier l’une de ses deux dimen­sions sur l’autel de l’autre revient à som­brer, ou bien dans l’intégrisme fon­da­men­ta­liste, ou bien dans le pro­gres­sisme universaliste.

(6) : Il ne s’agit pas ici de tirer à vue sur des indi­vi­dus, ni sur l’institution qu’ils repré­sentent ou dont ils sont res­pon­sables, mais sur des com­por­te­ments qua­li­fiables d’errements et de man­que­ments, appro­fon­dis et renou­ve­lés, qui ont fini par « faire sys­tème ». Les per­sonnes elles mêmes, aus­si cou­pables soient elles, sont les pre­mières vic­times, mais des vic­times consen­tantes, d’un enfer­me­ment dans l’équivoque, qui amène à les blâ­mer mais aus­si à les plaindre, car il n’est jamais confor­table d’être assis entre deux chaises…

(7) : Que l’on ne se méprenne pas sur le sens du pro­pos : il ne s’agit pas ici de réduire le catho­li­cisme à l’anti-communisme, il s’agit ici de pré­ci­ser, de rap­pe­ler qu’il y a eu un com­bat, par­mi d’autres, mais plus que d’autres, à mener, pen­dant un siècle, par les hommes d’Eglise, compte tenu de l’ampleur du dan­ger, de la por­tée du péril, et que ce com­bat n’a pas été mené, bien au contraire, par ces mêmes hommes, entre 1960 et 1990 ; aujourd’hui, l’ennemi prin­ci­pal est deve­nu l’hédonisme. Le com­battent – ils ? Le com­battent ils avec la der­nière éner­gie, avec la plus grande fer­me­té ; il est per­mis d’en dou­ter, mais il n’est pas per­mis, en revanche, de dou­ter de la néces­si­té de com­battre cet enne­mi : le ser­vice de l’homme passe par sa véri­table libé­ra­tion ani­mée, ins­pi­rée par Dieu, et non par sa fal­la­cieuse libé­ra­tion, orien­tée par l’esprit du monde, maté­ria­liste. Or, l’impression de dou­ter de cette néces­si­té est pré­ci­sé­ment l’impression que donnent sou­vent les hommes d’Eglise ; voi­là ce qui arrive, quand on juge les hommes et le monde, la vie des hommes et l’esprit du monde, meilleurs qu’ils ne le sont…

(8) : Le Catéchisme de l’Eglise catho­lique est, certes, une ten­ta­tive de conci­lia­tion, entre une forme clas­sique et un fond moderne, ados­sée au cor­pus conci­liaire. Mais il est aus­si une expli­ci­ta­tion de la spé­ci­fi­ci­té de la foi catho­lique et des mœurs chré­tiennes :
- type d’entreprise qu’ont bien vou­lu les com­mis­sions qui ont pré­pa­ré, rédi­gé, les sché­mas doc­tri­naux pré-​conciliaires, ceux qui ont connu et subi le triste sort que l’on connaît,
- type d’exercice dont n’ont vou­lu, en leur temps, ni les experts ni les pères du Concile. Au sur­plus, sans ce Catéchisme, qui est mieux et plus qu’un simple « Catéchisme du Concile du Vatican », il n’y aurait eu pas la lettre ency­clique Veritatis Splendor de Jean Paul II, dont la connais­sance et la com­pré­hen­sion sont indis­pen­sables à celles de la morale chré­tienne, et il n’y aurait pas eu non plus le Compendium du Catéchisme de Benoît XVI. Quel gâchis, mais non quel hasard, que les évêques, dans leur ensemble, en parlent si peu ; il est vrai que ces textes ne sont guère conformes avec « l’élan », « le souffle » du Concile, tel que l’entendent, pré­ci­sé­ment, les évêques, en France, dans leur majorité.

POST SCRIPTUM 2 quelques propos, sur d’autres catholiques, non conciliaires, sur d’autres conciliaires, non catholiques…

Les catho­liques tra­di­tio­na­listes ne sont pas les seuls à pou­voir être qua­li­fiés de catho­liques non conci­liaires, pour les rai­sons évo­quées au début de ce texte.

Les catho­liques cha­ris­ma­tiques peuvent eux aus­si être qua­li­fiés de catho­liques non conci­liaires, dans la mesure où leurs repré­sen­tants, leurs res­pon­sables, se gardent bien, le plus sou­vent, de se posi­tion­ner, publi­que­ment, par rap­port à tel ou tel élé­ment du Concile.

Il existe par ailleurs un cou­rant de pen­sée, régu­liè­re­ment média­ti­sé, qui peut à bon droit être qua­li­fié de conci­liaire non catho­lique : ce cou­rant de pen­sée prend appui sur une extrê­mi­sa­tion, affi­chée et assu­mée, de l’esprit et de la lettre des décla­ra­tions conci­liaires, et reven­dique bel et bien le Concile, en tant que rup­ture radi­cale, post catho­lique néo chré­tienne ; ce cou­rant de pen­sée est incar­né, entre autres, par Hans KUNG.

Qu’est ce que cela montre ? Qu’est ce que cela prouve ? Tout d’abord, que le Concile a fonc­tion­né comme une gre­nade à frag­men­ta­tion, qui aurait été lan­cée puis aurait explo­sée, au sein même du corps mys­tique du Christ ; c’est quand même embar­ras­sant, pré­oc­cu­pant, un Concile dont la mise en forme et la mise en œuvre n’aboutissent pas à une fédé­ra­tion des éner­gies, mais, au contraire, à leur écla­te­ment Ensuite, que la notion de sen­si­bi­li­té sub­jec­tive s’est sub­sti­tuée à la notion d’intelligence objec­tive de la Foi, en tant que cri­te­rium de celle-ci.

Or, qui ne voit que ce sont les décla­ra­tions conci­liaires les plus emblé­ma­tiques et symp­tô­ma­tiques de l’esprit du Concile qui ont ouvert la voie à cette sub­sti­tu­tion ? Enfin, que le pas­sage de quelques auteurs à colo­ra­tion conci­liaire, de quelques pen­seurs à tona­li­té conci­liaire, au-​delà des limites de la com­mu­nion avec l’Eglise catho­lique, avec le Siège apos­to­lique, pose bien le pro­blème de la vali­di­té de telle ou telle vision du Concile.

Si l’interprétation moder­ni­sa­trice de la rup­ture conci­liaire est erro­née, pour­quoi a‑t-​elle pignon sur rue, à la tête de la plu­part des dio­cèses, et, si elle est bien fon­dée, pour­quoi applique t on le « jusqu’ici, mas pas plus loin », avec ceux qui se contentent d’aller jusqu’au bout de la logique huma­ni­ta­riste – uni­ver­sa­liste qui sous tend cette rup­ture et cette vision ?

Si l’interprétation tra­di­tio­na­liste de la rup­ture conci­liaire est erro­née, pour­quoi Mgr Ratzinguer a‑t-​il écrit ce qu’il a écrit dans Entretiens sur la Foi, en 1985, dans Dominus Iesus, en 2000, et, si elle est bien fon­dée, pour­quoi s’interdit t on de dénon­cer les ori­gines conci­liaires de ce que l’on déplore, dans le cadre des consé­quences post-conciliaires ?

Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : l’herméneutique de la mini­mi­sa­tion, la vision cen­triste des choses, celle selon laquelle il n’y aurait pas inter­rup­tion, mais conti­nua­tion, à tra­vers le Concile, ne repose sur aucune visée théo­rique, et ne débouche sur aucune por­tée pra­tique. Dans le meilleur des cas, on récon­ci­lie­ra les catho­liques Français sur un diag­nos­tic par­ta­gé, sur un constat por­tant sur la rup­ture conci­liaire, (en tant que fait his­to­rique, vou­lu, puis subi, par les acteurs), sinon sur des conclu­sions par­ta­gées, quant aux remèdes à la situa­tion, non sur un contour­ne­ment, un évi­te­ment de la ques­tion, au moyen d’une her­mé­neu­tique de la conti­nua­tion, abso­lu­ment sans fon­de­ment, vision léni­fiante à laquelle même Benoît XVI se garde bien de sous­crire, puisqu’il parle, lui, de réforme, ulté­rieure, mais, selon lui, non attri­buable, au Concile.