Le message du pape en faveur des migrants

Cet article paru il y a un an dans les Nouvelles de Chrétienté n° 169 n’a rien per­du de son actua­li­té. Il décrit l’attitude du pape François sur la ques­tion des migrants. Lors de son dis­cours à Rabat le 30 mars 2019, le pape a repris et déve­lop­pé le titre de son mes­sage pour la Journée mon­diale du migrant et du réfu­gié du 14 jan­vier 2018, inti­tu­lé « Accueillir, pro­té­ger, pro­mou­voir et inté­grer les migrants et les réfugiés ».

Le pon­ti­fi­cat du pape François est mar­qué par la ques­tion migra­toire non seule­ment dans les divers mes­sages qu’il lui consacre fré­quem­ment, mais aus­si par la créa­tion d’un nou­veau dicas­tère où il s’est per­son­nel­le­ment réser­vé la direc­tion de la sec­tion consa­crée aux migrants. 

Le 1er jan­vier 2017 un dicas­tère « pour le ser­vice du déve­lop­pe­ment humain inté­gral » a été ins­ti­tué sous la pré­si­dence du car­di­nal Peter Turkson. Il regroupe les com­pé­tences de quatre conseils pon­ti­fi­caux : Justice et Paix, Cor Unum, Santé et Migrants. Par une mesure inédite, le pape a sous­trait la ques­tion des migrants au pré­fet, pour se l’attribuer direc­te­ment, mon­trant ain­si l’importance qu’il lui accorde. 

Comme le notait Cyril Brun sur le site InfoCatho, le 16 décembre 2016, cette déci­sion mani­feste que les migrants sont, aux yeux de François, une prio­ri­té, mais « elle peut éga­le­ment, à l’inverse, mar­gi­na­li­ser les non migrants, c’est-à-dire les autres pau­vre­tés à sou­te­nir, les autres détresses, et aus­si don­ner l’impression de sec­to­ri­ser et appau­vrir l’universalité de la fonc­tion pon­ti­fi­cale. Quelle que soit notre opi­nion sur cette mesure inédite, elle a un sens et elle aura assu­ré­ment des consé­quences, sur les migrants, c’est un fait, mais sur, pro­ba­ble­ment, des pans entiers de l’Eglise, voire même de l’ecclésiologie ».

Ce que dit le pape

Parmi les nom­breux mes­sages adres­sés par le pape en faveur des migrants on peut rete­nir celui qui fut pro­non­cé pour la 100e Journée mon­diale des migrants et des réfu­giés, le 19 jan­vier 2014, sur le thème : « Migrants et réfu­giés : vers un monde meilleur ». On peut y lire que la « culture de la ren­contre » (oppo­sée par lui à la « culture du rejet ») est « seule capable de construire un monde plus juste et fra­ter­nel, un monde meilleur ». 

Pour cela, François invite au « dépas­se­ment des pré­ju­gés et des incom­pré­hen­sions dans la manière dont on consi­dère les migra­tions. Souvent, en effet, l’arrivée de migrants, de per­sonnes dépla­cées, de deman­deurs d’asile et de réfu­giés sus­cite chez les popu­la­tions locales sus­pi­cion et hos­ti­li­té. La peur naît qu’il se pro­duise des bou­le­ver­se­ments dans la sécu­ri­té de la socié­té, que soit cou­ru le risque de perdre l’identité et la culture, que s’alimente la concur­rence sur le mar­ché du tra­vail, ou même, que soient intro­duits de nou­veaux fac­teurs de criminalité ».

Car, selon lui, l’immigration – dont il ne pré­cise pas qu’elle est majo­ri­tai­re­ment le fait de musul­mans qui ne sont pas enclins à s’intégrer et encore moins à se conver­tir –, cette immi­gra­tion est « une occa­sion que la Providence nous offre pour contri­buer à la construc­tion d’une socié­té plus juste, une démo­cra­tie plus accom­plie, un pays plus soli­daire, un monde plus fra­ter­nel et une com­mu­nau­té chré­tienne plus ouverte, selon l’Evangile. Les migra­tions peuvent faire naître la pos­si­bi­li­té d’une nou­velle évan­gé­li­sa­tion, ouvrir des espaces à la crois­sance d’une nou­velle huma­ni­té, annon­cée par avance dans le mys­tère pas­cal : une huma­ni­té pour laquelle toute terre étran­gère est une patrie et toute patrie est une terre étrangère ».

Pour par­ve­nir à cet iré­nisme œcu­mé­nique, le pape demande un « chan­ge­ment d’attitude », en par­ti­cu­lier dans son dis­cours au Forum inter­na­tio­nal « Migrations et paix » du 21 février 2017 : « Devant ce carac­tère de refus, enra­ci­né, en der­nière ana­lyse, dans l’égoïsme et ampli­fié par des déma­go­gies popu­listes, un chan­ge­ment d’attitude est urgent, pour dépas­ser l’indifférence et pré­fé­rer aux craintes une atti­tude géné­reuse d’accueil envers ceux qui frappent à nos portes. (…)

« Pour la com­mu­nau­té chré­tienne, l’intégration paci­fique de per­sonnes de cultures dif­fé­rentes est, en quelque sorte, aus­si un reflet de sa catho­li­ci­té, étant don­né que l’unité, qui n’annule pas les dif­fé­rences eth­niques et cultu­relles, consti­tue une dimen­sion de la vie de l’Eglise qui, dans l’Esprit de la Pentecôte, est ouverte à tous et désire embras­ser chacun ».

Selon François, cet accueil de l’étranger – quelle que soit sa reli­gion – est jus­ti­fiée par le prin­cipe de la « cen­tra­li­té de la per­sonne humaine » où l’on trouve sous-​jacentes les nou­veau­tés pro­mues par Vatican II : digni­té de la per­sonne humaine, liber­té reli­gieuse, œcu­mé­nisme et dia­logue inter­re­li­gieux. Lisons : « Aujourd’hui plus que jamais, il est néces­saire de réaf­fir­mer la cen­tra­li­té de la per­sonne humaine, sans per­mettre que des condi­tions contin­gentes et acces­soires, comme la réa­li­sa­tion néces­saire de condi­tions bureau­cra­tiques ou admi­nis­tra­tives, n’en obs­cur­cissent la digni­té essen­tielle. Comme l’a décla­ré Jean-​Paul II, “la situa­tion d’irrégularité juri­dique n’autorise pas à négli­ger la digni­té du migrant, qui pos­sède des droits inalié­nables, qui ne peuvent être ni vio­lés ni igno­rés” (Cf. Message pour la Journée mon­diale des migra­tions, 25 juillet 1995, 2) ».

L’immigration, « enrichissement interculturel » pour un « monde meilleur »

Dans son der­nier mes­sage pour la Journée mon­diale du migrant et du réfu­gié du 14 jan­vier 2018, inti­tu­lé « Accueillir, pro­té­ger, pro­mou­voir et inté­grer les migrants et les réfu­giés », le pape François insiste et donne les consé­quences pra­tiques de cette notion de « cen­tra­li­té de la per­sonne humaine », en s’appuyant sur les décla­ra­tions de ses pré­dé­ces­seurs : « Le prin­cipe de la cen­tra­li­té de la per­sonne humaine, fer­me­ment affir­mé par mon bien-​aimé pré­dé­ces­seur Benoît XVI (Cf. Lettre ency­clique Caritas in veri­tate, 47), nous oblige à tou­jours faire pas­ser la sécu­ri­té per­son­nelle avant la sécu­ri­té nationale ».

Ce qui, d’après lui, signi­fie concrè­te­ment : « œuvrer afin que tous les migrants et les réfu­giés ain­si que les com­mu­nau­tés qui les accueillent soient mis en condi­tion de se réa­li­ser en tant que per­sonnes dans toutes les dimen­sions qui com­posent l’humanité vou­lue par le Créateur (Cf. Paul VI, Lettre ency­clique Populorum pro­gres­sio, n. 14). Parmi ces dimen­sions, il faut recon­naître à la dimen­sion reli­gieuse sa juste valeur, en garan­tis­sant à tous les étran­gers pré­sents sur le ter­ri­toire la liber­té de pro­fes­sion et de pra­tique religieuse.

« Son inté­gri­té doit être tou­jours pro­mue, en favo­ri­sant le regrou­pe­ment fami­lial – y com­pris des grands-​parents, des frères et sœurs et des petits-​enfants – sans jamais le sou­mettre à des capa­ci­tés économiques.

« Le der­nier verbe (dans le titre du mes­sage), INTEGRER, se place sur le plan des oppor­tu­ni­tés d’enrichissement inter­cul­tu­rel géné­ral du fait de la pré­sence de migrants et de réfu­giés. « L’intégration n’est pas “une assi­mi­la­tion, qui conduit à sup­pri­mer ou à oublier sa propre iden­ti­té cultu­relle. Le contact avec l’autre amène plu­tôt à en décou­vrir le ‘secret’, à s’ouvrir à lui pour en accueillir les aspects valables et contri­buer ain­si à une plus grande connais­sance de cha­cun. Il s’agit d’un pro­ces­sus de longue haleine qui vise à for­mer des socié­tés et des cultures, en les ren­dant tou­jours davan­tage un reflet des dons mul­ti­formes de Dieu aux hommes” (Jean-​Paul II, Message pour la Journée mon­diale du migrant et du réfu­gié (2005), 24 novembre 2004) ».

(Source : NDC n°169 – FSSPX.Actualités – 02/​04/​2019)