Assise 2016 : le pape François dans les pas de Jean-​Paul II – 30 septembre 2016

Le pape Jean-​Paul II à Assise, le 27 octobre 1986

Trente ans après la pre­mière réunion inter­re­li­gieuse du 27 octobre 1986, le pape François s’ins­crit dans la conti­nui­té de ses deux pré­dé­ces­seurs, les papes Jean-​Paul II et Benoît XVI.

En 1986, le pape Jean-​Paul II convo­quait la pre­mière ren­contre inter­re­li­gieuse à l’occasion de l’année inter­na­tio­nale de la paix pro­cla­mée par l’Organisation des Nations Unies (O.N.U.). Les trente années écou­lées, émaillées de conflits inces­sants sur tous les conti­nents, où les décombres de la guerre civile, les vic­times du ter­ro­risme et le nombre des chré­tiens per­sé­cu­tés n’ont ces­sé de croître, témoignent de l’échec de ces mani­fes­ta­tions et de telles prières.

L’allocution du pape François pour la paix est révé­la­trice de l’esprit iré­nique qui ins­pire désor­mais les auto­ri­tés de l’Eglise. Il est vrai que les hommes aspirent à la paix plu­tôt qu’à la guerre, et il est très vrai que la paix est un don de Dieu. Mais il est vrai aus­si que par­fois la guerre est ren­due néces­saire, ne serait-​ce que pour assu­rer la paix, ou par légi­time défense. Ainsi en alla-​t-​il de la pre­mière croi­sade, convo­quée par le pape Urbain II pour pro­té­ger les Lieux saints et défendre les chré­tiens mal­trai­tés, tués, spo­liés ou asser­vis par les Turcs. Mille ans plus tard, la situa­tion des chré­tiens au Proche et au Moyen-​Orient, au Nigéria ou au Soudan, en Orissa ou au Pakistan, n’est fon­da­men­ta­le­ment pas si dif­fé­rente… Le slo­gan paci­fiste « non à la guerre ! » ne sau­rait igno­rer qu’il existe des guerres justes.

Mais si la paix est un don de Dieu, si le Christ a en effet édic­té la béa­ti­tude des arti­sans de paix comme l’un des plus beaux fruits du don de Sagesse, Il a pris soin de pré­ci­ser qu’Il était Lui-​même la véri­table paix : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; je ne la donne pas comme le monde la donne… » (Jn 14, 27).

Le louable des­sein de pro­cla­mer « le lien indis­so­luble entre le grand bien de la paix et un authen­tique enga­ge­ment reli­gieux » est voué à l’échec car il fait l’économie de la foi. Que peut signi­fier « un authen­tique enga­ge­ment reli­gieux » sans Jésus-​Christ ? « Le salut n’est en aucun autre, car il n’y a pas sous le ciel un autre nom qui ait été don­né aux hommes » enseigne saint Pierre (Ac 4, 12). « Sans la foi, nul ne peut plus plaire à Dieu » ren­ché­rit saint Paul (He 11, 6). Comment Dieu dis­pen­sa­teur de tout bien exaucerait-​il une assem­blée où son Fils, l’unique Seigneur qui est « voie, véri­té et vie » (cf. Jn 14, 6), n’est plus qu’une option par­mi d’autres che­mins ? La reli­gion du Christ voi­sine avec les idoles et les fausses reli­gions, la véri­té qui sauve et pro­cure la vie éter­nelle côtoie les erreurs qui perdent les âmes.

C’est par Jésus-​Christ, Fils unique du Père, engen­dré de toute éter­ni­té et fait chair dans le sein de la Vierge Marie, que le don de la paix nous est offert – Gloria in excel­sis Deo, et in ter­ra pax homi­ni­bus bonæ volun­ta­tis chantent les anges dans la nuit de Noël (Lc 2, 14). Il est illu­soire de pen­ser obte­nir de Dieu le don de la paix sans pas­ser par son Fils unique, plein de grâce et de véri­té (Jn 1, 14), unique média­teur don­né par Dieu aux hommes (1 Tm. 2, 5 ; He 9, 15 et 12, 24).

On objec­te­ra sans doute que la situa­tion du monde four­nit une rai­son valable pour exhor­ter les fidèles de chaque reli­gion à ne pas recou­rir au ter­ro­risme, à la haine et à la vio­lence aveugle. Cela concerne en par­ti­cu­lier les sec­ta­teurs de Mahomet ou les extré­mistes hin­dous. Par ailleurs une cer­taine concorde humaine est néces­saire pour favo­ri­ser la conver­sion et faci­li­ter le tra­vail des mis­sion­naires. Pour autant on ne sau­rait attri­buer « de l’autorité à une reli­gion fausse, entiè­re­ment étran­gère à la seule Eglise du Christ » (Pie XI), ni trans­for­mer la ville de saint François en une sorte de Panthéon des reli­gions. C’est ici que réside le scan­dale, contre lequel les papes avant Vatican II avaient mis en garde.

A l’origine de l’esprit d’Assise

Un pre­mier Parlement des reli­gions se tint en 1893 à Chicago, aux Etats-​Unis. Les catho­liques libé­raux enten­daient déjà com­battre la vio­lence et bâtir un monde de paix. Mgr Redwood, arche­vêque de Nouvelle Zélande, affir­ma : « pour détruire les bar­rières de haine qui existent dans le monde, nous devons res­pec­ter les élé­ments de véri­té et de mora­li­té conte­nus dans toutes les reli­gions ». Le rec­teur de l’Université catho­lique de Washington, Mgr Keane, expli­qua que, à défaut de s’entendre sur les croyances, il fal­lait « s’entendre sur la cha­ri­té » et recon­naître « le vrai dans toutes les reli­gions ». Pensait-​il que cela suf­fi­sait à les rendre vraies, agréables à Dieu et aptes à pro­cu­rer le salut ? Le pape Léon XIII condam­na cette réunion de toutes les reli­gions au motif que la cha­ri­té ne sau­rait être favo­ri­sée au détri­ment de la foi et de son inté­gri­té (cf. Lettre au car­di­nal Satolli, 15 sep­tembre 1895 puis Lettre Testem bene­vo­len­tiæ au car­di­nal Gibbons, 22 jan­vier 1899).

Après la grande guerre, le pape Pie XI mit en garde le monde catho­lique contre cer­taines ini­tia­tives prises sous appa­rence de bien. En effet, le désir de paix et de fra­ter­ni­té entre les nations, pour légi­time qu’il soit, ne sau­rait se réa­li­ser au détri­ment de l’ordre éta­bli par Dieu. La paix n’est-elle pas, selon la défi­ni­tion de saint Augustin, « la tran­quilli­té de l’ordre » ?

Dans sa Lettre ency­clique Mortalium ani­mos (6 jan­vier 1928), Pie XI dénonce les efforts entre­pris par cer­tains pour ame­ner les peuples, en dépit de leurs dis­sen­sions reli­gieuses, à s’unir dans « la pro­fes­sion de cer­taines doc­trines admises comme un fon­de­ment com­mun de vie spi­ri­tuelle ». Le pape juge que ces congrès, réunions, confé­rences, où sont invi­tés « tous les hommes indis­tinc­te­ment, les infi­dèles de toute caté­go­rie, les fidèles, et jusqu’à ceux qui ont le mal­heur de s’être sépa­rés du Christ ou qui nient âpre­ment et obs­ti­né­ment la divi­ni­té de sa nature et de sa mis­sion », ne sau­raient être approu­vés par les catho­liques car ils « s’appuient sur la théo­rie erro­née que toutes les reli­gions sont plus ou moins bonnes et louables, en ce sens qu’elles révèlent et tra­duisent toutes éga­le­ment – quoique de manières dif­fé­rentes – le sen­ti­ment natu­rel et inné qui nous porte vers Dieu et nous incline avec res­pect devant sa puis­sance. Outre qu’ils s’égarent en pleine erreur, les tenants de cette opi­nion repoussent du même coup la reli­gion vraie ; ils en faussent la notion et versent peu à peu dans le natu­ra­lisme et l’athéisme. Il est donc par­fai­te­ment évident que c’est aban­don­ner entiè­re­ment la reli­gion divi­ne­ment révé­lée que de se joindre aux par­ti­sans et aux pro­pa­ga­teurs de pareilles doctrines ».

Parmi ces doc­trines figure l’erreur des « pan­chré­tiens » pour qui la prière du Christ « Qu’ils soient un » (Jn 17, 21) serait demeu­rée lettre morte. Le pape Pie XI réta­blit la véri­té d’une Eglise une de par sa nature et son fon­de­ment, bâtie sur Pierre, et unique dépo­si­taire de la Révélation. Malheureusement le pape François semble consi­dé­rer, à la fin de sa médi­ta­tion au cours de la prière œcu­mé­nique, que cette uni­té est encore en chemin.

Finalement, les réunions inter­re­li­gieuses reposent sur l’équivoque et abou­tissent à l’impiété, quelles que soient leurs bonnes inten­tions. On ne sau­rait prier Dieu pour en obte­nir le don de la paix – ou de l’unité – tout en favo­ri­sant ou accueillant toutes les reli­gions et les sectes indis­tinc­te­ment, alors qu’elles détournent les âmes de la reli­gion authen­tique et du seul vrai Dieu, qu’au demeu­rant elles offensent. L’enseignement des papes est constant. Pie XI le résume ain­si : « il n’est pas de vraie reli­gion en dehors de celle qui repose sur la Révélation divine : cette révé­la­tion, com­men­cée à l’origine du monde, pour­sui­vie sous la Loi ancienne, le Christ Lui-​même l’a par­ache­vée dans la Loi nou­velle ». Et Il a ins­ti­tué son Eglise comme une socié­té par­faite, « ayant pour but de pro­cu­rer dans l’avenir le salut du genre humain ». Tel est le but et la mis­sion de l’Eglise, auquel est liée la charge apos­to­lique de paître le trou­peau du Christ.

Où conduit la Rencontre d’Assise ?

Le pape François a beau condam­ner à rai­son, et avec le sens de la for­mule, « le paga­nisme de l’indifférence », et se défendre de tout syn­cré­tisme ou rela­ti­visme, de fait la véri­table paix, celle que le Christ est venu appor­ter au monde, se trouve ran­gée par­mi les bien­faits que toutes les reli­gions du monde pour­raient éga­le­ment obte­nir. N’est-ce pas un outrage autant qu’un blas­phème pour le Fils de Dieu d’être ain­si mêlé aux idoles qui ont pour père Satan, le prince du men­songe (cf. Ps 95, 5) ? A quoi abou­tit le spec­tacle de ces repré­sen­tant de toutes les reli­gions, même païennes, sinon à la réunion des contraires et à la déso­rien­ta­tion des esprits ? Tant de cre­dos ras­sem­blés ne peuvent que conduire au scep­ti­cisme ou au relativisme.

Saint Pie X, le der­nier pape cano­ni­sé par l’Eglise avant Vatican II, dénon­çait ce mor­tel res­pect des erreurs les plus hété­ro­doxes, duquel ne peut résul­ter qu’un « géné­reux idéa­lisme », « une construc­tion pure­ment ver­bale et chi­mé­rique », « une agi­ta­tion tumul­tueuse et sté­rile ». « Le résul­tat de cette pro­mis­cui­té en tra­vail, continuait-​il, le béné­fi­ciaire de cette action sociale cos­mo­po­lite ne peut être qu’une démo­cra­tie qui ne sera ni catho­lique, ni pro­tes­tante, ni juive ; une reli­gion (…) plus uni­ver­selle que l’Eglise catho­lique, réunis­sant tous les hommes deve­nus enfin frères et cama­rades dans « le règne de Dieu » » (Lettre Notre Charge apos­to­lique, 25 août 1910). Un pré­ten­du règne de Dieu qui, en réa­li­té, débouche sur ce « grand mou­ve­ment d’apostasie orga­ni­sée, dans tous les pays, pour l’établissement d’une Eglise uni­ver­selle qui n’aura ni dogmes, ni hié­rar­chie, ni règle pour l’esprit, ni frein pour les pas­sions… ». – Une Eglise diluée dans un monde globalisé.

Sources : Vatican/​radiovatican/​zenit/​courrierderome – n°341 du 30/​09/​16/​La Porte Latine du 30 sep­tembre 2016