Après le Motu Proprio – Entretien de l’abbé Bouchacourt à Iesus Christus – 1er août 2007

Revue « Iesus Christus » : Le 7 juillet der­nier est enfin paru le Motu Proprio, tant annon­cé don­nant aux prêtres la liber­té de célé­brer la Messe tra­di­tion­nelle. Quel est votre sen­ti­ment en face à la paru­tion de ce document ?

M. l’abbé Bouchacourt : On ne peut que se réjouir de voir qu’enfin la Messe Tridentine retrouve ses droits dans l’Eglise d’aujourd’hui. Cependant, en soi, ce docu­ment n’était pas néces­saire. Comme le dit le Motu Proprio avec clar­té « cette litur­gie n’a jamais été abro­gée » (article 1). Ainsi la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X a‑elle eu rai­son de conti­nuer contre vents et marées à célé­brer ce rite en employant le mis­sel de 1962. Mais comme de fait, depuis 1969 jusqu’à aujourd’hui, les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques ont agi comme si ce rite de la messe tra­di­tion­nelle avait été abro­gé en sanc­tion­nant très sou­vent les prêtres qui vou­laient le célé­brer, il est très heu­reux que cette liber­té soit recon­nue de façon officielle.

Je vou­drais sou­li­gner que cette avan­cée, consti­tue une vic­toire post­hume de Mgr Lefebvre et de Mgr de Castro Mayer qui furent mis au ban de l’Eglise en rai­son de leur fidé­li­té à ce rite mul­ti­sé­cu­laire. Sans ces deux évêques, la Messe de Saint Pie V aurait dis­pa­ru de la face de la terre. 

On doit cepen­dant regret­ter la res­tric­tion de n’autoriser la célé­bra­tion que d’une seule Messe Tridentine les dimanches et jours de fêtes dans chaque paroisse. (Art 5, §2)

Revue « Iesus Christus » : N’y a‑t-​il pas une autre res­tric­tion impo­sée pour la célé­bra­tion de la messe pen­dant les 3 jours saints dans l’article 2 ? 

M. l’abbé Bouchacourt : Non, dans le rite tra­di­tion­nel, les Jeudi Vendredi et Samedi Saints, aucun prêtre ne peut célé­brer la messe en pri­vé. Les prêtres qui assistent aux offices chan­tés com­mu­nient des mains du célé­brant. Dans ce sens, le Motu Proprio s’inscrit dans la Tradition litur­gique. Ce docu­ment n’interdit pas d’user le mis­sel de 62 pour les offices publics de ces trois jours saints.

Revue « Iesus Christus » : Des prêtres dans votre dis­trict se sont-​ils appro­chés de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X pour apprendre à dire cette messe ces der­niers mois ?

M. l’abbé Bouchacourt : Oui, un peu par­tout en Amérique du Sud, des prêtres nous demandent de les aider à apprendre à dire la messe tra­di­tion­nelle. Il faut noter que tous ces prêtres font cette démarche en cachette par crainte de leur évêque. J’espère que grâce à ce Motu Proprio ils pour­ront célé­brer sans crainte et en toute liber­té comme le docu­ment le demande. Ce sera alors une grande grâce pour eux et pour l’Eglise.

Revue « Iesus Christus » : Ces prêtres seront-​ils obli­gés de venir dans vos prieu­rés pour apprendre à célé­brer cette Messe de Saint Pie V ou avez-​vous d’autres aides à leur proposer ?

M. l’abbé Bouchacourt : Il est évident que le contact direct avec ces prêtres serait le plus facile pour les aider à apprendre à célé­brer la messe de Saint Pie V. Mais il est tout aus­si évident que cela est impos­sible pour un grand nombre du fait des dis­tances et des impé­ra­tifs de l’apostolat. C’est pour­quoi, le District de France de la Fraternité Saint-​Pie X a eu l’excellente idée de réa­li­ser un DVD pour aider ces prêtres. Il a été édi­té en plu­sieurs langues dont l’Espagnol et le Portugais. Nous le pro­po­sons aux prêtres et aux sémi­na­ristes d’Amérique du Sud pour un prix très modé­ré. Nous y avons joint un second CD de pho­tos fixes avec un com­men­taire sur cha­cun des gestes que le prêtre doit accom­plir pour bien célé­brer. Je pense que ce sera un outil très utile pour tous nos confrères qui sont inté­res­sés par la messe traditionnelle.

Revue « Iesus Christus » : Dans sa lettre aux prêtres et aux fidèles, Mgr Fellay a mani­fes­té la satis­fac­tion de la Fraternité Saint-​Pie X de voir le droit de la Messe de Saint Pie V recon­nue. Peut-​on dire pour autant que la crise qui secoue l’Eglise depuis des décen­nies est en passe d’être résolue ? 

M. l’abbé Bouchacourt : Je vous le disais, cette déci­sion est un pas très posi­tif. Il faut sou­li­gner avec bon­heur que c’est non seule­ment l’usage du mis­sel tra­di­tion­nel qui est auto­ri­sé mais aus­si celui du bré­viaire et du Rituel des sacre­ments de 1962 , ce qui pro­dui­ra un bien immense aux âmes. Cependant le che­min reste encore long pour que se ter­mine cette crise qui a cau­sé tant de dégâts dans l’Eglise depuis 50 ans. En effet, comme le sou­ligne le Pape dans sa lettre aux évêques, notre com­bat à des racines plus pro­fondes que le seul réta­blis­se­ment de la Messe de Saint Pie V. Il a aus­si des racines doc­tri­nales. Si la messe a retrou­vé un droit de cité dans l’Eglise il fau­dra que la Tradition inté­grale retrouve elle aus­si ce même droit de cité. La doc­trine ali­mente et sou­tient la prière et la litur­gie. En 1969, c’est parce que la Messe Tridentine était consi­dé­rée comme incom­pa­tible avec la nou­velle théo­lo­gie conci­liaire qu’elle a été chan­gée. Cet écart qui s’est creu­sé avec les années demeure après son réta­blis­se­ment. Il fau­dra main­te­nant qu’avec la réha­bi­li­ta­tion du rite Tridentin on revienne à la doc­trine conforme à ce rite. Lex oran­di, lex cre­den­di.

Revue « Iesus Christus » : Pouvez-​vous pré­ci­ser votre pensée ? 

M. l’abbé Bouchacourt : Oui, il faut avoir pré­sent à l’esprit que lors du Concile Vatican II (1962–1965), tous les évêques de rite latin pré­sents célé­braient encore la Messe dite de Saint Pie V. La réforme que nous connais­sons est arri­vée en novembre 1969. Et pour­tant, ce sont ces mêmes évêques qui dans leur immense majo­ri­té ont voté les textes qui empoi­sonnent l’Eglise de l’intérieur comme ceux sur la liber­té reli­gieuse, la col­lé­gia­li­té et l’œcuménisme. Il fau­dra bien que dans un futur proche, ces textes soient étu­diés à la lumière de l’enseignement mul­ti­sé­cu­laire de l’Eglise. Il faut recon­naître en effet que ces textes et les réformes qui les ont accom­pa­gnés ont consti­tués une véri­table rup­ture avec ce que l’Eglise ensei­gnait depuis près de 2000 ans.

Revue « Iesus Christus » : On lit sou­vent dans les média que la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X veut le réta­blis­se­ment de la Messe en latin. Avec ce motu pro­prio, la voi­là donc comblée !

M. l’abbé Bouchacourt : Le Cardinal Castrillon Hoyos, en mai der­nier lors de la réunion du C.E.L.A.M. devant tous les évêques d’Amérique latine ras­sem­blés disait que l’utilisation du mis­sel de 1962 était « une richesse qui s’ajoute à celle non moins pré­cieuse de la litur­gie actuelle ». Il vou­drait que ce Motu Proprio soit l’occasion récon­ci­lier l’Eglise conci­liaire avec la Tradition. Pour lui, Les temps que nous sommes en train de vivre ne seraient qu’une conti­nui­té de la Tradition vivante. C’est une erreur ! Depuis 50 ans l’Eglise a vou­lu se récon­ci­lier avec l’esprit du monde. C’est « une liai­son adul­tère » qui a don­né des fruits bâtards. Mgr Lefebvre a dénon­cée cela en son temps. L’Eglise n’est pas du monde. Le Christ l’a dit à ses apôtres juste avant son ago­nie au jar­din des oli­viers. Le monde n’a ces­sé de com­battre le Christ et son Eglise durant toute l’histoire. Vouloir les récon­ci­lier est non seule­ment un leurre mais une faute. Le monde doit se conver­tir au Christ et non l’Eglise se conver­tir au monde. Avec la nou­velle messe, les nou­veaux sacre­ments, le nou­veau caté­chisme, le nou­veau code de Droit cano­nique on a vu les églises et les sémi­naires se vider, les sectes pro­li­fé­rer. Chaque jour en Amérique latine 6 à 8000 catho­liques quittent l’Eglise. C’est un drame. Ce sont les fruits amers que le concile avec ses prin­cipes faux, sa doc­trine révo­lu­tion­naire et ses réformes a fait ger­mer. Le véri­table renou­veau de l’Eglise passe non seule­ment par une res­tau­ra­tion litur­gique mais aus­si par une réha­bi­li­ta­tion de la doc­trine tra­di­tion­nelle dans l’Eglise. La Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, à sa place, est prête à appor­ter son concours pour aider à une telle res­tau­ra­tion. Notre atta­che­ment à la Messe tra­di­tion­nelle n’est pas sen­ti­men­tal, il est doc­tri­nal. C’est-​à-​dire fon­dé sur l’enseignement des Pères et des doc­teurs de l’Eglise. Sur celui des Papes et des saints. L’Eglise n’a pas com­men­cé il y a presque 50 ans avec le Concile Vatican II. Elle a 2000 ans de Tradition. Ses racines sont pro­fondes et on ne peut pas les occulter. 

Revue « Iesus Christus » : Vouloir tout cela, n’est-ce pas un peu utopique ? 

M. l’abbé Bouchacourt : Le monde est tou­jours pres­sé et veut des résul­tats immé­diats. Dieu a l’éternité devant Lui. Il a pré­pa­ré pen­dant des mil­liers d’années le peuple élu pour qu’il accueille le Verbe Incarné. De même, après sa sor­tie d’Egypte, le peuple juif a erré pen­dant qua­rante ans, en fai­sant des ronds dans le désert avant d’atteindre la Terre Promise. Seuls les fils de ceux qui avaient fui pha­raon y sont entrés. Tous les autres sont morts avant y com­pris Moïse ! Dieu a peut-​être le même plan pour mettre un terme à cette crise qui semble s’éterniser. Peut-​être veut-​il que tous ceux qui ont été les acteurs du der­nier concile et de ses réformes aient quit­té ce monde. Les pas­sions alors vont pou­voir s’estomper et la réflexion néces­saire avoir lieu. Il faut prier pour hâter ces jours de renou­veau et faire pénitence.

Revue « Iesus Christus » : Donc il fau­dra être patient ! Espérez-​vous enfin ces jours pro­chains, la levée de l’excommunication qui frappe les quatre évêques que Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer ont consacré ?

M. l’abbé Bouchacourt : Nous n’avons jamais recon­nu la vali­di­té de ces « excom­mu­ni­ca­tions ». En sacrant des évêques en 1988, Mgr Lefebvre n’a pas vou­lu consti­tuer une église paral­lèle comme le firent les évêques de l’Eglise patrio­tique de Chine en 1949 par exemple. Notre fon­da­teur a atten­du jusqu’à l’âge de 83 ans pour poser cet acte car il n’a trou­vé aucun évêque pour ordon­ner ses sémi­na­ristes, don­ner les sacre­ments et ensei­gner la doc­trine pérenne de l’Eglise. Comme il l’a dit lui-​même c’était un « acte de sur­vie de la Tradition ». La suite lui a don­né rai­son. Aussi, deman­der la levée du décret d’excommunication est une ques­tion d’honneur filial. Nous vou­lons que notre fon­da­teur et les quatre évêques qu’il a consa­crés pour sau­ver le sacer­doce catho­lique la Messe et la Tradition soient lavés de cette condam­na­tion infâ­mante qui, bien que nulle, est bran­die par beau­coup d’évêques pour dis­sua­der les fidèles de fré­quen­ter nos cha­pelle et prieu­rés. Sans une telle mesure, il nous sera dif­fi­cile d’avoir confiance dans les bonnes inten­tions de Rome à notre égard. Espérons donc que cette mesure va suivre le pré­sent Motu Proprio. Alors, comme le dit notre Supérieur Général, des « dis­cus­sions théo­lo­giques » pour­raient s’amorcer.

Revue « Iesus Christus » : Vous avez donc l’espoir qu’un jour la situa­tion se nor­ma­li­se­ra entre la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X et Rome ? 

M. l’abbé Bouchacourt : L’espérance catho­lique qui se fonde sur Dieu et sur son aide, est ce qui demeure dans l’âme du bap­ti­sé quand l’espoir humain n’a plus sa place. Nous devons être ani­més par une très grande espé­rance car l’Eglise Catholique est divine par son ori­gine et par l’assistance que le Christ son fon­da­teur lui a pro­mise jusqu’à la fin des temps. Cette nor­ma­li­sa­tion comme vous l’appelez, deman­de­ra du temps. Peut-​être beau­coup. Qu’importe, la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X ne tra­vaille pas pour elle mais pour l’Eglise catho­lique. Le jour où la Tradition retrou­ve­ra tous ses droits, le pro­blème de la Fraternité n’existera plus. Ce temps arri­ve­ra c’est cer­tain. Dieu seul sait quand. 

Revue « Iesus Christus » : Et pour conclure ? 

M. l’abbé Bouchacourt : J’invite tous ceux qui liront ces lignes à pro­fi­ter de cette lueur d’espérance que nous donne ce Motu Proprio, pour lire les ency­cliques des Papes qui ont pré­cé­dé le Concile Vatican II comme l’encyclique Pascendi Domini Gregis écrite par le Pape saint Pie X il y a exac­te­ment 100 ans. Dans ce docu­ment comme dans les autres vous trou­ve­rez des réponses aux erreurs qui four­millent dans l’Eglise et les motifs pour un retour à la Tradition que demande la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X depuis plus de 35 ans. 

Que Notre Dame de Fatima, dont nous célé­brons le 90e anni­ver­saire des appa­ri­tions, sou­tienne les efforts du Pape et qu’elle l’aide à prendre les déci­sions qui s’imposent pour hâter le triomphe de son Cœur Immaculé. Comme le dit Monseigneur Fellay dans sa lettre aux fidèles et aux prêtres, la Croisade du Rosaire lan­cée par la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X après son Chapitre Général pour la libé­ra­li­sa­tion de la messe tra­di­tion­nelle a mani­fes­te­ment tou­ché le Cœur de la Vierge Marie en nous accor­dant ce Motu Proprio.

Que notre ardeur à réci­ter notre cha­pe­let quo­ti­dien en soit revi­go­rée pour obte­nir main­te­nant la com­plète res­tau­ra­tion de la Tradition dans l’Eglise. Il me revient à l’esprit cette demande de la Vierge Marie lors de son appa­ri­tion à Pontmain en 1870 en France : « Mais priez mes enfants, en peu de temps mon Fils se laisse toucher ».

Abbé Christian Bouchacourt, Supérieur du District d’Amérique du Sud

Source : Revue Iesus Christus n° 1123 de Juillet-​août 2007

FSSPX Second assistant général

Né en 1959 à Strasbourg, M. l’ab­bé Bouchacourt a exer­cé son minis­tère comme curé de Saint Nicolas du Chardonnet puis supé­rieur du District d’Amérique du Sud (où il a connu le car­di­nal Bergoglio, futur pape François) et supé­rieur du District de France. Il a enfin été nom­mé Second Assistant Général lors du cha­pitre élec­tif de 2018.