Lettre de Mgr Lefebvre à Jean-​Paul II du 5 avril 1983

Très Saint-​Père,

Son Éminence le car­di­nal Ratzinger m’écrit, en date du 29 mars, au sujet de sa lettre pré­cé­dente du 23 décembre 1982 :

« Permettez-​moi de vous rap­pe­ler que cette der­nière n’exprimait pas ma pen­sée per­son­nelle, mais celle même du Saint-​Père, qui avait aupa­ra­vant consul­té plu­sieurs Éminentissimes Cardinaux. Comme je vous le pré­ci­sais, les pro­po­si­tions qui s’y trou­vaient vous étaient com­mu­ni­quées avec son appro­ba­tion et sur son ordre. Dans la situa­tion pré­sente, le Souverain Pontife conti­nue donc d’attendre que vous répon­diez d’une manière claire à ces pro­po­si­tions et, pour ma part, je ne puis rien ajou­ter de plus. »

Très Saint-​Père, aujourd’hui même le jour­nal pari­sien Le Figaro titre en pre­mière page et en gros carac­tères : « Le Pape dénonce l’oppression des consciences » dans son mes­sage Urbi et Orbi (4 avril 1983).

Sans doute c’est en rai­son de cette oppres­sion des consciences exer­cée d’une manière incon­ce­vable à l’intérieur de l’Église que vous pré­voyez de publier un décret concer­nant l’usage de l’ancien rite romain de la Messe. N’est-ce pas, en effet, une oppres­sion inique d’enlever aux prêtres le rite de leur Messe d’ordination et de les contraindre sous peine de sus­pens d’adopter un nou­veau rite à l’institution duquel ont par­ti­ci­pé six pas­teurs protestants !

C’est au pied du cru­ci­fix que je vous réponds, Très Saint-​Père, uni à tous les évêques, prêtres, reli­gieux, reli­gieuses, fidèles qui ont subi un véri­table mar­tyre moral par l’imposition for­cée de cette Réforme litur­gique. Que de larmes, que de dou­leurs, que de morts pré­ma­tu­rées dont demeurent res­pon­sables ceux qui ont indû­ment impo­sé ces chan­ge­ments opé­rés au seul titre d’un œcu­mé­nisme aberrant.

C’est vous dire que ma réponse au para­graphe concer­nant le N.O.M. est néga­tive. Les auteurs eux-​mêmes de la Réforme ont affir­mé que son but était œcu­mé­nique, c’est-à-dire, des­ti­né à sup­pri­mer, sans tou­cher à la doc­trine, ce qui déplaît à nos « frères sépa­rés ». Or, il est bien évident que ce qui déplaît à nos « frères sépa­rés » c’est la doc­trine de la Messe catholique.

Pour les satis­faire on a ins­ti­tué une Messe équi­voque, ambi­guë, dont la doc­trine catho­lique a été estom­pée. Comment alors pen­ser que cette dimi­nu­tion de l’expression de la foi a été ins­pi­rée par l’Esprit Saint ?

La défi­ni­tion de la Messe, même cor­ri­gée, de l’art. VII de l’institution, montre avec évi­dence cette dimi­nu­tion et même fal­si­fi­ca­tion de la doctrine.

L’usage de cette messe œcu­mé­nique fait acqué­rir une men­ta­li­té pro­tes­tante, indif­fé­ren­tiste, met­tant toutes les reli­gions sur un pied d’égalité à la manière de la Déclaration sur la Liberté Religieuse, avec pour base doc­tri­nale les Droits de l’homme, la digni­té humaine mal com­prise, condam­née par saint Pie X dans sa Lettre sur le Sillon.

Les consé­quences de cet esprit répan­du à l’intérieur de l’Église sont déplo­rables et ruinent la vita­li­té spi­ri­tuelle de l’Église.

En conscience, nous ne pou­vons que détour­ner les prêtres et les fidèles de l’usage de ce N.O.M. si nous sou­hai­tons que la foi catho­lique inté­grale demeure encore vivante.

Quant au pre­mier para­graphe concer­nant le Concile, j’accepte volon­tiers de le signer dans le sens que la Tradition est le cri­tère de l’interprétation des docu­ments, ce qui est d’ailleurs le sens de la note du Concile au sujet de l’interprétation des textes. Car il est évident que la Tradition n’est pas com­pa­tible avec la Déclaration sur la Liberté Religieuse, selon les experts eux-​mêmes comme les R. Pères Congar et Murray.

Ainsi nous ne voyons d’autre solu­tion à ce pro­blème que :

1 – La liber­té de célé­brer selon l’ancien Rite confor­mé­ment à l’édition des Livres Liturgiques par le Pape Jean XXIII.

2 – La réforme du N.O.M. pour lui rendre une expres­sion mani­feste des dogmes catho­liques, de la réa­li­té de l’acte sacri­fi­ciel, de la Présence réelle par une ado­ra­tion plus signi­fiée, de la dis­tinc­tion claire du sacer­doce du prêtre de celui des fidèles, et de la réa­li­té pro­pi­tia­toire du sacrifice.

3 – Une réforme des affir­ma­tions ou expres­sions du Concile qui sont contraires au Magistère offi­ciel de l’Église, spé­cia­le­ment dans la Déclaration sur la Liberté Religieuse, dans la Déclaration sur l’Église et le Monde, dans le décret sur les Religions non chré­tiennes, etc.

4 – Il est vital pour l’Église d’affirmer par le Sacrifice de la Messe qu’il n’y a de salut que par le sacri­fice de Notre Seigneur, seul Sauveur, seul Prêtre et seul Roi. La reli­gion catho­lique est la seule véri­table, les autres reli­gions sont fausses et entraînent les âmes dans l’erreur et le péché. Seule la reli­gion catho­lique a été fon­dée par Notre Seigneur Jésus-​Christ, on ne peut donc se sau­ver que par Elle, d’où la néces­si­té pour toutes les âmes d’un bap­tême valide et fruc­tueux qui les fait membres du corps mys­tique de Notre Seigneur.

De là découle l’urgence de la Royauté sociale de Notre Seigneur ins­crite dans les Constitutions pour pro­té­ger les âmes catho­liques contre les dan­gers de l’erreur et du vice, cl favo­ri­ser les conver­sions pour le salut des âmes.

Or ces véri­tés sont désor­mais impli­ci­te­ment niées ou contre­dites depuis le concile Vatican II, à la grande satis­fac­tion des enne­mis de l’Église.

Il est urgent, Très Saint-​Père, de remettre ces véri­tés en hon­neur. Elles sont la sub­stance même et la rai­son d’être de l’Église, la rai­son d’être du Sacerdoce, de l’Épiscopat et du suc­ces­seur de Pierre.

Très Saint-​Père, je n’ai qu’un désir, qui a ani­mé toute ma vie, de tra­vailler au salut des âmes dans la plus par­faite sou­mis­sion au suc­ces­seur de Pierre, selon la foi catho­lique qui m’a été ensei­gnée dans mon enfance, et à Rome dans la Ville éter­nelle. Il m’est donc impos­sible de signer quoi que ce soit qui porte atteinte à cette foi, comme c’est le cas du faux œcu­mé­nisme et de la fausse liber­té reli­gieuse. Je veux vivre et mou­rir dans la foi catho­lique, gage de la vie bien­heu­reuse et éternelle.

Que votre Sainteté daigne croire à mes sen­ti­ments res­pec­tueux et filiaux en Jésus et Marie.

† Marcel LEFEBVRE, ancien archevêque-​évêque de Tulle.