Réponse et précisions de Mgr Lefebvre au cardinal Seper du 13 avril 1978

Eminence Révérendissime,

Je ne puis croire que vous ne com­pre­niez pas les motifs exacts de mon atti­tude qui est celle de mil­liers de catho­liques et de nom­breux prêtres par­mi les plus fidèles à l’Eglise catho­lique et à la Papauté.

Le pro­blème de fond de notre per­sé­vé­rance dans la Tradition, mal­gré les ordres don­nés par Rome pour l’a­ban­don­ner, c’est un pro­blème de grave et pro­fond chan­ge­ment dans le rap­port de l’Eglise avec le monde.

Notre Seigneur et l’Eglise à sa suite se sont situés par rap­port au monde d’une manière très pré­cise. Il faut conver­tir et bap­ti­ser le monde pour le sou­mettre au doux Règne de Notre Seigneur Jésus-​Christ. C’est la seule et unique voie de salut. « Allez, ensei­gnez toutes les nations…» C’est clair. Il faut envoyer des apôtres à toutes les nations afin qu’elles deviennent catho­liques et acceptent le Règne de Notre Seigneur.

Mais il y a dans ce monde des forces enne­mies de Notre Seigneur, de Son Règne. Satan et tous les auxi­liaires de Satan, conscients ou incons­cients, refusent ce Règne, cette voie de salut et militent pour la des­truc­tion de l’Eglise.

Ainsi l’Eglise est enga­gée avec son Divin Fondateur dans un gigan­tesque com­bat. Tous les moyens ont été et sont employés par Satan pour triompher.

L’un des der­niers stra­ta­gèmes extrê­me­ment effi­cace est de rui­ner l’es­prit com­ba­tif de l’Eglise en la per­sua­dant qu’il n’y a plus d’en­ne­mis, qu’il faut donc dépo­ser les armes et entrer dans un dia­logue de paix et d’entente.

Cette trêve fal­la­cieuse per­met­tra à l’en­ne­mi de péné­trer aisé­ment par­tout et de cor­rompre les forces adverses.

Cette trêve c’est l’oe­cu­mé­nisme libé­ral, ins­tru­ment dia­bo­lique de l’auto-​destruction de l’Eglise.

Cet oecu­mé­nisme libé­ral exi­ge­ra la neu­tra­li­sa­tion des armes, qui sont la Liturgie avec le Sacrifice de la Messe, les Sacrements, le Bréviaire, les Fêtes litur­giques, la neu­tra­li­sa­tion et l’ar­rêt des Séminaires : plus besoin de com­bat­tants puis­qu’il n’y a plus de com­bat. L’oecuménisme dans l’en­sei­gne­ment, c’est la recherche théo­lo­gique, les dogmes mis en doute.

C’est aus­si le plu­ra­lisme appli­qué aux Etats catho­liques et donc leur sup­pres­sion pour deve­nir Etats oecuméniques.

C’est aus­si l’ar­rêt du com­bat dans les monas­tères, les socié­tés reli­gieuses, qui étaient les avant-​gardes. C’est par le fait même leur arrêt de mort.

A cette entre­prise dia­bo­lique inau­gu­rée au Concile spé­cia­le­ment par les Documents sur « les reli­gions non chré­tiennes », « l’Eglise dans le monde », « la Liberté Religieuse », et conti­nuée sans cesse depuis le Concile, nous oppo­sons un refus for­mel. Nous ne vou­lons pas deve­nir oecu­mé­nistes libé­raux, et ain­si tra­hir la cause du Règne de Notre Seigneur et la cause de l’Eglise, nous vou­lons demeu­rer catholiques.

Qui est l’ins­ti­ga­teur de ce faux oecu­mé­nisme dans l’Eglise, le res­pon­sable, ou quels sont les res­pon­sables ? Nous pré­fé­rons ne pas le savoir. Dieu le sait.

Mais on peut nous frap­per de tous les inter­dits et de toutes les cen­sures que l’on vou­dra, nous enten­dons, avec la grâce de Dieu et l’as­sis­tance de la Vierge Marie, demeu­rer dans la foi catho­lique et nous refu­sons de col­la­bo­rer à la des­truc­tion de l’Eglise.

Nous deman­dons une chose très simple et très légi­time : que l’on recon­naisse à ce qui a été l’Eglise de tou­jours et celle de notre enfance le droit de conti­nuer. C’est un droit fon­dé sur l’Ecriture, la Tradition, le Magistère de l’Eglise et toute l’his­toire de l’Eglise.

Je pense avoir été assez clair.

Je vous prie, Eminence, d’a­gréer mes sen­ti­ments très res­pec­tueux et fra­ter­nel­le­ment dévoués in Xto et Maria.

† Marcel Lefebvre.

P.S. Ci-​joint, la réponse à notre demande de pré­ci­sion avec quelques documents.

REPONSE A L’ANNEXE A LA LETTRE DU 16 MARS 1978

Considérations géné­rales sur la situa­tion de l’Eglise depuis le Concile Vatican II qui, seules, per­mettent une réponse adé­quate aux ques­tions posées au sujet de l’Ordo Missæ, au sujet de notre per­sé­vé­rance dans l’ac­ti­vi­té de la Fraternité Sacerdotale St Pie X mal­gré les inter­dic­tions reçues des Evêques et de Rome.

1 – Nous ne nions rien des prin­cipes théo­lo­giques et cano­niques concer­nant l’Eglise, le Pape, les Evêques. Bien plus c’est parce que nous y croyons de toute notre âme que nous ne pou­vons admettre une uti­li­sa­tion de l’au­to­ri­té contraire à la fin pour laquelle l’au­to­ri­té a été reçue. Cette fin est expli­ci­te­ment affir­mée dans les Professions de Foi, dans les ser­ments pro­non­cés maintes fois par le Pape et les Evêques. Elle consiste par­ti­cu­liè­re­ment dans la trans­mis­sion fidèle et exacte du dépôt de la foi.

2 – Or nous sommes obli­gés de consta­ter avec dou­leur que cette trans­mis­sion n’est plus fidèle.
L’erreur fon­da­men­tale qui mine le Concile Vatican II et les Réformes post-​conciliaires, ain­si que la plu­part des écrits ou actes épis­co­paux est un oecu­mé­nisme libé­ral qui cor­rompt la Mission fon­da­men­tale de l’Eglise.
L’Eglise catho­lique est mis­sion­naire selon la Mission don­née par Notre Seigneur Jésus-​Christ : « Allez, ensei­gnez toutes les nations, baptisez-​les…» Elle seule pos­sède la Vérité. Elle seule est la vraie reli­gion parce qu’elle seule a été fon­dée par Notre Seigneur Jésus-Christ.
Elle va à tra­vers les nations pour conver­tir les âmes à Jésus-​Christ. C’est le vrai dia­logue éma­nant de la vraie charité.
L’oecuménisme libé­ral sup­pose que les autres reli­gions, les autres idéo­lo­gies ont aus­si la véri­té, que l’Eglise a à apprendre quelque chose d’elles, ce qui est un manque de foi en Notre Seigneur Jésus-​Christ. Cet oecu­mé­nisme dia­logue avec l’er­reur sur un pied d’é­ga­li­té et traite donc l’er­reur avec les mêmes égards que la Vérité.

C’est l’er­reur libé­rale, tant de fois condam­née par les Papes précédents.

3 – De cette erreur libé­rale sortent toutes les ini­tia­tives nou­velles, toutes les Réformes post-​conciliaires ; toutes les atti­tudes des hommes d’Eglise acquis à cette erreur s’en res­sentent, tous les écrits de même.
C’est un empoi­son­ne­ment général.
Les Réformes litur­giques sont réa­li­sées dans cet esprit oecu­mé­nique de l’a­veu même des Réformateurs. La caté­chèse, les Séminaires, les Universités catho­liques dif­fusent cet esprit oecu­mé­nique, en recher­chant la Vérité de l’er­reur. Ainsi l’er­reur et le vice pénètrent par­tout sous le cou­vert d’é­van­gé­lisme, de res­pon­sa­bi­li­té humaine, de digni­té humaine, de droit de l’homme, de théo­lo­gie de la libé­ra­tion. Les âmes et les cœurs de la jeu­nesse sont ain­si cor­rom­pus par des maîtres catho­liques, qui d’ailleurs appellent à leur secours des rab­bins, des pas­teurs, etc…

Cet esprit de com­pro­mis­sion s’é­tend néces­sai­re­ment aux idées poli­tiques, sociales, éco­no­miques et rejoint les prin­cipes de la franc-​maçonnerie et les prin­cipes mar­xistes. Le plu­ra­lisme est alors appli­qué à tous les Etats catho­liques sous le cou­vert de « Liberté reli­gieuse ».

4 – C’est l’a­ban­don de l’es­prit catho­lique de Mission et de conver­sion à Notre Seigneur Jésus-​Christ et donc de la vraie cha­ri­té envers Dieu et envers le pro­chain basée sur l’hu­mi­li­té, l’es­prit de pau­vre­té et la mor­ti­fi­ca­tion. Ce n’est plus Notre Seigneur et Notre Seigneur cru­ci­fié qui est prê­ché mais un faux évan­gile de la licence, sous pré­texte de Liberté.
C’est donc notre foi catho­lique qui est déna­tu­rée et com­pro­mise par les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques elles-mêmes.

5 – CONCLUSION : Nous avons fait ser­ment maintes fois de gar­der intacte notre foi catho­lique, quoi qu’il arrive. Nous ne vou­lons pas être par­jures. Les catho­liques fidèles sont désem­pa­rés, leurs âmes, celles de leurs enfants sur­tout sont en dan­ger, notre devoir est de venir à leur secours en les met­tant en garde contre le poi­son de l’oe­cu­mé­nisme libé­ral, et en leur appor­tant tous les secours de l’Eglise catholique.

Dussions-​nous être frap­pés, mori­gé­nés, per­sé­cu­tés par nos frères à cause de notre foi catho­lique, nous ne sommes pas les pre­miers à souf­frir ce genre de persécution.

Nous avons réso­lu qu’a­vec la grâce de Dieu nous conti­nue­rons à for­mer des prêtres catho­liques, des reli­gieux et reli­gieuses catho­liques, espoir de l’Eglise de demain. Ainsi conti­nue la vraie Mission de l’Eglise catho­lique de tou­jours, celle d’a­me­ner les âmes à Jésus-​Christ et d’é­tendre son Règne par­tout afin que « Sa Volonté soit faite sur la terre comme au ciel ».

6 – Nous sou­hai­tons de tout cœur nous retrou­ver en pleine com­mu­nion avec les auto­ri­tés dans l’Eglise, mais ne pou­vons le réa­li­ser que dans l’u­ni­té de la foi catho­lique et non dans l’oe­cu­mé­nisme libéral.

Considérations plus particulières

- Ce chan­ge­ment de concep­tion de la Mission de l’Eglise a eu comme consé­quence de cor­rompre le Droit Canon et le Droit public de l’Eglise et d’en éner­ver les prin­cipes fondamentaux.

- L’autorité ecclé­sias­tique per­dant de vue sa véri­table fin, prend néces­sai­re­ment la voie des abus de pou­voir et de l’arbitraire.

- Les pro­mul­ga­tions des lois sont dou­teuses, fal­si­fiées. Les droits de la défense ne sont plus res­pec­tés. Les pro­cé­dures ne sont plus conformes au droit. C’est l’in­jus­tice qui prend la place de la justice.

- C’est le cas de la pro­mul­ga­tion des décrets liturgiques.

- C’est le cas de notre condam­na­tion où tout a été arbi­traire et contraire au droit.

- Les prin­cipes élé­men­taires de morale et de droit rap­pe­lés si clai­re­ment par le Pape Léon XIII dans son Encyclique Libertas praes­tan­tis­si­mum nous apprennent que dans ces cas l’au­to­ri­té perd son droit à l’obéissance.
Dans ce cas ce n’est pas mépri­ser l’au­to­ri­té que de ne pas lui obéir, c’est au contraire lui rap­pe­ler le res­pect qu’elle doit avoir de l’au­to­ri­té qu’elle a reçue de Dieu et qui l’o­blige à agir selon le droit éta­bli par Dieu.

- En ce qui concerne la juri­dic­tion, nous fai­sons appel aux cir­cons­tances extra­or­di­naires pré­vues par le Droit et à l’ex­trême néces­si­té dans laquelle se trouvent les âmes des fidèles.

- Ci-​joint, quelques docu­ments récents qui confir­me­ront ce que nous avons expo­sé ci-dessus :
un article de Rivarol ;
un extrait de la Documentation Catholique ;
un opus­cule Pro Missa Traditionali de Don Pace de Turin ;
une copie de la lettre du Cardinal Seper concer­nant les docu­ments de la caté­chèse du C.N.P.L. de Paris.