Interpréter la Tradition à la lumière du concile Vatican II ?

Dans un entre­tien récent accor­dé à une radio alle­mande, abor­dant la ques­tions des rela­tions avec la Fraternité Saint – Pie X, Mgr Müller, pré­fet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a rap­pe­lé l’im­por­tance à ses yeux du concile Vatican II : « Il n’y a pas de com­pro­mis pos­sible sur le plan de la foi catho­lique, en par­ti­cu­lier comme elle a été for­mu­lée régu­liè­re­ment par le concile Vatican II » ; « Vatican II n’est pas en contra­dic­tion avec l’en­semble de la Tradition de l’Eglise » ; « nous ne pou­vons pas négo­cier la foi catho­lique, il n’y a pas de com­pro­mis pos­sible ».

L’herméneutique de la conti­nui­té chère au pape Benoît XVI impose de voir le concile Vatican II en har­mo­nie ou conti­nui­té avec la Tradition et les ensei­gne­ments pon­ti­fi­caux anté­rieurs au concile. Dans son dis­cours de 2005, le pape décla­rait en effet que les ensei­gne­ments de Vatican II étaient ceux d’un véri­table magis­tère, et que si des effets mau­vais ont été obser­vés après le concile, ils ne sont pas impu­tables au concile mais sont acci­den­tels et pro­viennent d’une « her­mé­neu­tique de rup­ture ». Le 29 juin 2007, la congré­ga­tion pour la doc­trine de la Foi décla­rait elle aus­si que la consti­tu­tion Lumen Gentium sur l’Eglise, comme tout le reste des ensei­gne­ments du concile Vatican II, « ne chan­geait en rien la doc­trine tra­di­tion­nelle ». Il fal­lait donc lire et inter­pré­ter les textes du concile qui pou­vaient être mal com­pris (et qui, soit dit en pas­sant, néces­sitent d’être inter­pré­tés tel­le­ment ils manquent de clar­té !) à la lumière de la Tradition. C’est ce qu’on avait deman­dé à Mgr Lefebvre déjà en 1988.

Dans les dis­cus­sions théo­lo­giques entre les experts man­da­tés par la Fraternité Saint – Pie X et ceux des milieux romains, les experts de la Fraternité ont réité­ré les doutes légi­times por­tés à l’en­contre de cer­tains ensei­gne­ments du concile Vatican II.

Ces dis­cus­sions ont per­mis à la Fraternité de mon­trer avec encore plus d’a­cui­té et de précision :

1 – à la fois que ce que l’on observe dans l’Eglise, à savoir une pro­tes­tan­ti­sa­tion qua­si géné­ra­li­sée, une « apos­ta­sie silen­cieuse » d’une majo­ri­té de fidèles catho­liques, n’est pas le fruit du hasard, ni un fruit acci­den­tel du concile issu d’une mau­vaise inter­pré­ta­tion des textes ;

2 – et que l’o­ri­gine de ces faits vient bien de textes du concile, « textes ambi­gus et équi­voques et même fran­che­ment erro­nés, ins­pi­rés par l’es­prit du monde moderne, esprit libé­ral, teil­har­dien, moder­niste, oppo­sé au règne de Notre Seigneur Jésus – Christ (Mgr Lefebvre, confé­rences des 18 et 27 août 1976).

Comme par le pas­sé, les auto­ri­tés romaines ont refu­sé de recon­naître la légi­ti­mi­té de ces doutes, fai­sant por­ter les faits incri­mi­nés (pro­tes­tan­ti­sa­tion, etc.) sur une mau­vaise inter­pré­ta­tion du concile, cette pré­ten­due « her­mé­neu­tique de la rup­ture ». Les abus per­çus ça et là ne sont pas niés par les tenants de cette théo­rie – ils sont trop visibles et scan­da­leux – mais, pour eux, ils découlent d’une mau­vaise inter­pré­ta­tion du concile et non du concile lui – même : ce sont des acci­dents certes fort regret­tables mais de simples accidents.

Notons tout de suite que ce qui est acci­den­tel doit res­ter excep­tion­nel. Si les « acci­dents » sont trop fré­quents, ce n’est plus acci­den­tel mais cela découle du défaut de la chose elle – même. Or les consé­quences du concile Vatican II n’ont ces­sé de se faire sen­tir à grande échelle, depuis main­te­nant cin­quante ans. Si le concile engendre par­tout et tou­jours des abus, ce ne sont plus des abus mais des effets néces­saires du concile, décou­lant du concile lui – même.

Comme le note M. l’ab­bé Gleize, l’un des experts de la Fraternité ayant par­ti­ci­pé à ces dis­cus­sions, « la solu­tion qu’on nous indique, pour mettre un terme à nos doutes, serait d’en­vi­sa­ger ces faits (perte de la Foi chez beau­coup, etc.) sous un regard nou­veau, autre­ment dit d’en nier la vraie signi­fi­ca­tion, et de chaus­ser pour cela les lunettes volon­ta­ristes de l’her­mé­neu­tique de la réforme dans la conti­nui­té ».

On pour­rait même dire que pour le pré­fet de la congré­ga­tion pour la doc­trine de la Foi, il ne suf­fit plus « d’in­ter­pré­ter le concile Vatican II à la lumière de la Tradition », de faire une gym­nas­tique de l’es­prit des plus périlleuses pour sou­te­nir que le concile Vatican II est en conti­nui­té avec l’en­sei­gne­ment anté­rieur du Magistère de l’Eglise. Il s’a­gi­rait bien plu­tôt main­te­nant d’exi­ger d’in­ter­pré­ter la Tradition et les textes du magis­tère anté­rieur au concile, à la lumière du concile Vatican II. Et d’ailleurs pour­quoi s’ar­rê­ter à la norme inter­pré­ta­tive du concile Vatican II ? Il s’a­git fina­le­ment d’in­ter­pré­ter tout ce que les papes et conciles ont pu dire par le pas­sé, à la lumière du magis­tère suprême pré­sent, actuel c’est – à – dire du pape actuel Benoît XVI.

Pour les experts romains, pour Mgr Müller et pour Benoît XVI aus­si semble – t – il, il n’existe qu’un magis­tère, le magis­tère d’au­jourd’­hui, auquel il revient d’in­ter­pré­ter, de cla­ri­fier non seule­ment le sens de la Sainte Ecriture, des Pères de l’Eglise, de la litur­gie, mais aus­si le magis­tère pas­sé, qui, comme on l’a dit, semble devoir être, selon eux, inter­pré­té à la lumière du magis­tère actuel. Mais cette vision vient d’une grave confu­sion sur le mot « magis­tère », en par­ti­cu­lier sur la notion de magis­tère vivant (voir l’en­ca­dré ci-​dessous). Sans vou­loir entrer dans les détails (on peut d’ailleurs se repor­ter pour cela à l’ex­cellent livre de M. l’Abbé Gleize, Vatican II en débat ), voi­la ce que Mgr Lefebvre notait déjà en 1981 dans une confé­rence : « Ils disent [les ecclé­sias­tiques romains que Mgr Lefebvre allait voir] : « Mais il n’y a pas deux magis­tères, il n’y a qu’un magis­tère, c’est celui d’au­jourd’­hui. Il ne faut pas vous réfé­rer au pas­sé. » C’est abso­lu­ment contraire à la défi­ni­tion même du magis­tère de l’Eglise. Le magis­tère de l’Eglise est essen­tiel­le­ment un magis­tère tra­di­tion­nel, qui porte une tra­di­tion, qui trans­met une Tradition. C’est le rôle propre de l’Eglise de trans­mettre le dépôt de la Foi. […] Nous sommes fidèles à ce magis­tère et si un magis­tère nou­veau vient dire quelque chose qui est contraire à ce qui a été ensei­gné pri­mi­ti­ve­ment, il est ana­thème. C’est saint Paul qui le dit, il ne faut pas l’ac­cep­ter. »

Il ne devrait pas y avoir d’op­po­si­tion entre le magis­tère pas­sé et le magis­tère pré­sent. Nous rejoi­gnons les experts de Rome sur ce point. Eux résolvent le dilemme en disant qu’il n’y a pas oppo­si­tion et que le magis­tère pas­sé doit être relu avec un code de lec­ture don­né par le magis­tère pré­sent. Nous, nous disons à la suite de Mgr Lefebvre qu’il n’y a pas à pro­pre­ment par­ler de magis­tère pré­sent ou de magis­tère pas­sé mais il y a « un magis­tère de tou­jours », expres­sion qu’u­ti­li­sait Mgr Lefebvre, qui n’a jamais par­lé de « magis­tère pas­sé ». Nous ne sommes pas des nos­tal­giques du pas­sé à tout prix, mais nous sommes atta­chés au magis­tère de tou­jours. Et force est de consta­ter que sur plu­sieurs points le magis­tère actuel contre­dit ce que les papes pré­cé­dents ont tou­jours ensei­gné. Notre cri­tère de juge­ment ne réside pas dans un rai­son­ne­ment per­son­nel, nous ne sommes pas des pro­tes­tants. Notre cri­tère de juge­ment, c’est la Tradition de l’Eglise, c’est l’en­sei­gne­ment inchan­gé des papes pen­dant vingt siècles.

A la lumière de ce cri­tère, plu­sieurs textes du concile Vatican II sont incom­pa­tibles avec le magis­tère de tou­jours, ne peuvent abso­lu­ment pas être inter­pré­tés à la lumière de la Tradition, et encore moins être la clé d’in­ter­pré­ta­tion des textes anté­rieurs. Le concile Vatican II n’est pas une bous­sole fiable pour nous conduire à Notre – Seigneur, à son règne sur nos âmes et les socié­tés : « Nous sommes fon­dés à affir­mer, par des argu­ments tant de cri­tique interne que de cri­tique externe, que l’es­prit qui a domi­né au concile et en a ins­pi­ré tant de textes ambi­gus et équi­voques et même fran­che­ment erro­nés, n’est pas l’Esprit – Saint, mais l’es­prit du monde moderne, esprit libé­ral, teil­har­dien, moder­niste, oppo­sé au règne de Notre Seigneur Jésus – Christ. » (Mgr Lefebvre, confé­rences des 18 et 27 août 1976).

Abbé Thierry Legrand

Extrait du Saint-​Vincent n°1 de novembre 2012

Sens qu’on a tou­jours don­né aux mots de « magis­tère » dans l’Eglise :

Magistère : c’est l’ins­ti­tu­tion des­ti­née à ensei­gner les véri­tés de Foi, ayant reçu cette charge et le pou­voir cor­res­pon­dant de Dieu. Il est infaillible quand il enseigne ces véri­tés de Foi. Le sujet de ce magis­tère, c’est l’Eglise ensei­gnante (pape et évêques). L’objet, ce sont les véri­tés révé­lées par Dieu et les véri­tés néces­sai­re­ment connexes à ces véri­tés révé­lées (exemple : le mot trans­sub­stan­tia­tion et son explication).

Le magis­tère vivant dans le sens tra­di­tion­nel est celui qui est exer­cé par des actes (paroles et écrits). Il est dit vivant parce que le sujet de ce magis­tère est vivant actuel­le­ment. Mais il doit trans­mettre et expli­ci­ter le dépôt des véri­tés révé­lées sans y ajou­ter de nou­veau­tés (cf. Gal. 1, 8 : « Mais si quel­qu’un, fût – ce nous – même ou un Ange du Ciel, vous annon­çait un autre évan­gile que celui que nous vous avons annon­cé, qu’il soit anathème ! »).

Pour les nova­teurs et moder­nistes, si le magis­tère est vivant, c’est parce que son objet vit lui aus­si, c’est – à – dire qu’il évo­lue. Un des prin­cipes phi­lo­so­phiques du moder­nisme, c’est que tout, même la véri­té, est en mou­ve­ment, et donc sujet à se modi­fier sans cesse.