L’abbé Edouard Poppe (1890 – 1924)

Ce saint prêtre est mort le 10 juin 1924, alors qu’il allait célé­brer la messe. Retour sur sa phy­sio­no­mie spirituelle.

Edouard Poppe naquit à Tamise (Belgique), le 18 décembre 1890. Il était l’aîné de onze enfants. Son père, chré­tien exem­plaire, était bou­lan­ger de métier. Edouard le per­dit en 1907, alors qu’il avait à peine seize ans. Après avoir fait ses études pri­maires à l’é­cole des Frères, dans sa ville natale, Edouard entra au Petit Séminaire de St-​Nicolas et, une fois ache­vé son ser­vice mili­taire, il entra, à Louvain, au sémi­naire phi­lo­so­phique Léon XIII, où il acquit, en 1913, le doc­to­rat en phi­lo­so­phie tho­miste. De là il pas­sa au Grand Séminaire de Gand, où il fut ordon­né prêtre le 1er mai 1916. Le len­de­main de son ordi­na­tion, il fut nom­mé vicaire, dans la ville épis­co­pale, de la paroisse ouvrière de Sainte-​Colette. Après y avoir fon­dé l’Œuvre des Catéchistes Eucharistiques, il devînt gra­ve­ment malade et son évêque le nom­ma, en octobre 1918, rec­teur d’une com­mu­nau­té de Religieuses à Moerzeke. Il y res­ta pen­dant quatre ans, presque conti­nuel­le­ment infirme et ali­té. En 1922, à la demande de Son Eminence le car­di­nal Mercier, arche­vêque de Malines, il par­tit pour Bourg- Léopold, où il fut char­gé de la direc­tion spi­ri­tuelle des Cibistes (c’est-​à-​dire de la Compagnie des Infirmiers Brancardiers, Séminaristes et Religieux de l’ar­mée belge). Fin décembre 1923, l’ab­bé Poppe quit­ta Bourg-​Léopold pour aller pas­ser les vacances de Noël chez sa mère, à Moerzeke. Son état de san­té y devint alar­mant et il ne put plus quit­ter le lit. Après plu­sieurs alter­na­tives de crises et de courtes amé­lio­ra­tions, il mou­rut d’une mort sainte, mais qua­si inopi­née, le matin du 10 juin, alors qu’il se pré­pa­rait à célé­brer la Messe. Le 16 juin, il fut enter­ré au cime­tière parois­sial de Moerzeke. Son enter­re­ment fut un vrai triomphe. C’est là qu’il repo­sa en paix, 38 années durant, dans son humble tom­beau, deve­nu un lieu de pèle­ri­nages inin­ter­rom­pus. Le 3 sep­tembre 1962, par ordre de l’Autorité dio­cé­saine, ses restes mor­tels furent exhu­més, en vue de l’exa­men cano­nique, et furent trans­fé­rés, le dimanche 8 sep­tembre, en la fête de la Nativité de la Très Sainte Vierge, avec grande solen­ni­té, dans une magni­fique cha­pelle funé­raire, en pré­sence de 14 évêques, par­mi les­quels Son Exc. le Nonce Apostolique en Belgique et l’é­vêque dio­cé­sain, de 4 abbés mitrés, d’une foule de prêtres et reli­gieux, et de plu­sieurs mil­liers de fidèles. A titre d’in­for­ma­tion nous rap­pe­lons ici, que l’ou­ver­ture du pro­cès infor­ma­tif dio­cé­sain pour la Cause de béa­ti­fi­ca­tion de l’ab­bé Poppe fut décré­tée à Gand, le 12 décembre 1945. Cent et trois per­sonnes furent appe­lées à venir por­ter témoi­gnage : 1 évêque, 48 prêtres dio­cé­sains, 28 reli­gieux, 10 reli­gieuses et 16 laïcs. Le volu­mi­neux dos­sier du pro­cès fut remis à la Congrégation des Rites en 1952. Et les nom­breux écrits du Serviteur de Dieu, pré­sen­tés à Rome, en vue de la béa­ti­fi­ca­tion, furent approu­vés par la Sacrée Congrégation, en jan­vier 1959. Un nombre vrai­ment extra­or­di­naire de « Litterae Postulatoriae » pour l’in­tro­duc­tion de la cause à Rome fut envoyé au Saint-​Père le Pape, par­mi les­quelles figurent celles de 17 car­di­naux, 3 patriarches, 112 arche­vêques, 283 évêques, 12 pré­fets apos­to­liques, un grand nombre de supé­rieurs géné­raux d’ordres et congré­ga­tions reli­gieuses, d’as­so­cia­tions reli­gieuses et d Action Catholique, et de plu­sieurs repré­sen­tants émi­nents du laï­cat, par­mi les­quels leurs Majestés le Roi Baudouin de Belgique et la Reine-​Mère Elisabeth. Tout laisse donc pré­voir que cette intro­duc­tion ne tar­de­ra plus long­temps. (NDLR : il sera béa­ti­fié le 3 octobre 1999)

Ma première rencontre avec l’abbé Poppe

L’auteur de cet article compte par­mi les grandes grâces de sa vie d’a­voir ren­con­tré sur son che­min le saint prêtre et de l’a­voir eu comme col­la­bo­ra­teur (depuis 1920 jus­qu’à sa mort, en 1924), pour l’Œuvre de la Croisade Eucharistique Pie X, dont l’ab­bé Poppe a été en Belgique l’a­pôtre zélé et le saint ani­ma­teur. Ce fut au mois de mars 1920, qu’a­vec l’ap­pro­ba­tion de l’é­pis­co­pat belge, un mou­ve­ment eucha­ris­tique pour les enfants et la jeu­nesse fut lan­cé à l’ab­baye d’Averbode, de l’Ordre de Prémontré, en Belgique. A peine le mou­ve­ment lan­cé, la Divine Providence vou­lut se ser­vir d’un sémi­na­riste du dio­cèse de Gand, pour nous mettre en contact avec l’ab­bé Poppe, qui, en ce temps, était rec­teur au couvent des reli­gieuses de St-​Vincent à Moerzeke.

Voici le texte de la lettre dans laquelle il nous signale le saint prêtre : « Mon père, si vous vou­lez être abso­lu­ment cer­tain que le mou­ve­ment eucha­ris­tique, que vous .vou­lez inau­gu­rer, pro­duise des fruits abon­dants, il faut vous assu­rer, coûte que coûte, le secours de M. l’ab­bé Poppe, rec­teur au couvent de Moerzeke. C’est un saint prêtre comme il y en a pro­ba­ble­ment peu. Il serait l’homme par excel­lence pour vous aider. Je vous demande avec insis­tance de vou­loir prier et faire prier, pour que Notre-​Seigneur vous accorde cette grâce. Il me semble qu’a­lors un magni­fique plan d’a­pos­to­lat eucha­ris­tique se réa­li­se­ra sous peu ». Les évé­ne­ments – ont prou­vé que le zélé sémi­na­riste, sans s’en rendre compte, avait joué un rôle de pro­phète. Suivre ce bon conseil n’é­tait pas dif­fi­cile. Tout en confiant le suc­cès de l’en­tre­prise au bon Dieu et à la Sainte Vierge, une lettre par­tit pour Moerzeke, deman­dant à l’ab­bé Poppe de vou­loir col­la­bo­rer au mou­ve­ment eucha­ris­tique pro­je­té. Sa réponse ne tar­da pas. Elle était datée du 15 mars 1920. En voi­ci le conte­nu : « Mon Père, j’ai bien reçu votre aimable invi­ta­tion. La « Croisade Eucharistique » ne me laisse nul­le­ment indif­fé­rent, bien au contraire. Ecrivez-​moi donc ce que vous dési­rez de moi : je ferai ce que je peux. Mais. Je suis tou­jours malade et ne tra­vaille que par inter­valles, de mon lit. Comptez donc sur ma coopé­ra­tion, mais d’une façon libre et irré­gu­lière. Pour ce qui regarde l’ac­tion eucha­ris­tique, ce que fai sur­tout au cœur, c’est défaire en sorte que la Sainte Communion soit pour les enjânts une source defor­ma­tion chré­tienne intense, et que le nombre des com­mu­nions soit com­plé­té par leur qua­li­té, et par la fer­veur des com­mu­niants. lime semble que jus­qu’à pré­sent, on n’a pas tou­jours fait assez atten­tion à cela. Non seule­ment vou­loir que nos enfan­ta com­mu­nient fré­quem­ment, mais aus­si leur apprendre à mieux pro­fi­ter de leurs com­mu­nions. Et puis, veiller aus­si à ce que la vie de nos enfants devienne mariale, pré­ci­sé­ment parce que la dévo­tion à Jésus est mar iale. Voila, une pré­oc­cu­pa­tion étroi­te­ment liée à mes dési­rs d’a­pos­to­lat eucha­ris­tique. J’espère qu’a­vec cela vous en savez assez. Je prie pour votre entre­prise et Je vous pro­mets ma- meilleure aide ».

Quelques semaines plus tard, je me ren­dis à Moerzeke, pour faire connais­sance avec celui qui allait deve­nir l’âme de l’œuvre com­men­cée. Je le vois encore devant moi, à cette pre­mière entre­vue, assis dans son lit, me sou­hai­tant la bien­ve­nue et me deman­dant bien sim­ple­ment ma bénédiction- II por­tait un cha­pe­let au cou et devant lui, sur le lit, se trou­vait un cru­ci­fix, qu’il fixait de temps à autre du regard pen­dant la conver­sa­tion. Sur un pié­des­tal, pas loin de l’ex­tré­mi­té du lit, se trou­vait une sta­tue de la Vierge de Lourdes, sous les yeux de laquelle il priait et tra­vaillait. Ainsi je le trou­vai la pre­mière ibis, ain­si je le trou­vai à toutes mes visites ulté­rieures, ayant sur le visage un sou­rire, avec un je-​ne-​sais-​quoi de céleste, comme d’une âme toute per­due en Dieu. Après un fervent « Ave Maria », ce que l’ab­bé Poppe ne négli­geait jamais, nous nous mîmes au tra­vail. Tout le mou­ve­ment de la « Croisade Eucharistique », tel qu’il exis­tait déjà, fut pas­sé en revue avec soin, et les grandes lignes, d’a­près les­quelles l’œuvre devait évo­luer à l’a­ve­nir, furent tra­cées. La sainte Croisade devait deve­nir une œuvre de for­ma­tion eucha­ris­tique intense, dans le plein sens du mot… Les adhé­rents devaient apprendre à pro­fi­ter plei­ne­ment des grâces eucha­ris­tiques, afin de deve­nir de plus en plus conformes au Christ, dans toutes les mani­fes­ta­tions de la vie, La Sainte Vierge Marie devait y jouer son rôle de Médiatrice. Avant tout, il était néces­saire de prier et de faire prier à cette inten­tion. Ce ne serait qu’à ce prix que l’œuvre condui­rait un grand nombre d’âmes à Jésus et à Marie. Avec quelle insis­tance le saint prêtre reve­nait sur cet « unum neces­sa­rium », dans chaque entre­tien ou dans chaque lettre : « Mon Père, est-​ce qu’on prie pour la Croisade ?… C’est bien là un point essen­tiel !… Travaillons avec cou­rage et n’at­ten­dons les fruits de notre tra­vail qu’a­près des mois, même après des années. Oh que Notre-​Seigneur est .content quand il voit qu’on est sûr de Lui et qu’on se confie entiè­re­ment à Lui. Soyons nous-​mêmes des exemples et atten­dons tout du sacri­fice de nous-​mêmes ! Sans ce sacri­fice per­son­nel, nous n’ar­ri­ve­rons jamais à faire cou­ler sur les âmes les grâces du Sacrifice de Jésus. Notre vie est bien courte et nous devons être tel­le­ment péné­trés de l’Esprit de notre Sacerdoce, que notre vie ne soit rien de moins qu’une vie de vic­time, toute consu­mée pour les âmes. Le sacri­fice doit nous ins­pi­rer quand nous écri­vons, il doit don­ner de la cou­leur à nos paroles et de la force à nos phrases. Le sacri­fice doit être comme la vie de notre âme, en tout ce que nous fai­sons et disons… Cela peut coû­ter ce que cela veut, « Paratum cor meum » ; mon cœur est prêt… « Adveniat Regnum tuum ! » Que votre Règne arrive!… Mais, n’ou­blions pas non plus que le « Regnum » a com­men­cé à se réa­li­ser par l”« Ave Maria ». Faites que dans la Croisade il y ait beau­coup de place pour Marie, alors il y aura aus­si beau­coup de place pour Jésus… Croyons à l’ef­fi­ca­ci­té de la « vraie dévo­tion » à la Sainte Vierge ! » Et, quand je fus sur le point de le quit­ter : « Mon cher frère, dit-​il, priez bien pour moi et deman­dez à Marie, qu’Elle tire de mon être misé­rable toute la gloire que Jésus en peut tirer ».

Physionomie spirituelle

La bio­gra­phie de l’ab­bé Poppe, écrite par un de ses amis intimes, l’ab­bé Jacobs, nous fait connaître admi­ra­ble­ment la vie inté­rieure intense et l’âme apos­to­lique du saint prêtre. Qu’il me soit per­mis de com­mu­ni­quer ici mes impres­sions per­son­nelles, dont je conserve bien vif le sou­ve­nir. L’abbé Poppe avait l’ex­té­rieur simple et modeste, le visage sou­riant et sym­pa­thique, plein d’in­tel­li­gence et de bon­té. Sa parole était cor­diale et gaie, spi­ri­tuelle et pleine d’i­mages. Il avait un goût pro­non­cé pour la sainte pau­vre­té, et ne crai­gnait pas d’en faire exté­rieu­re­ment pro­fes­sion, quant à son habille­ment, le mobi­lier de sa chambre, les objets à son usage ou dont il se pri­vait volon­tiers tota­le­ment, par amour pour la pau­vre­té. C’était la seule chose, me semble-​t-​il, en quoi il ne sui­vait pas le tram géné­ral et les usages de ses confrères. Il ne fai­sait pas de longues prières vocales, mais celles qu’il fai­sait, il les accom­plis­sait avec une dévo­tion impres­sion­nante. Un simple signe de croix valait toute une pré­di­ca­tion. Il jugeait aus­si tou­jours tout du point de vue sur­na­tu­rel et en esprit de foi, II recou­rait en toutes cir­cons­tances avec grande fidé­li­té à la prière, avant de déci­der quoi que ce soit, de don­ner un conseil, d’é­crire une lettre, etc., étant plei­ne­ment convain­cu de la néces­si­té abso­lue de la grâce en tout. Il se recueillait fré­quem­ment, a la mai­son ou en voyage, ain­si que pen­dant ses entre­tiens et confé­rences. On pou­vait alors consta­ter par tout son main­tien, qu’il s’ef­for­çait visi­ble­ment de res­ter autant que pos­sible sous l’in­fluence actuelle de la grâce. C’est sur­tout en ces occa­sions qu’il recou­rait fidè­le­ment à sa chère Médiatrice, comme il aimait a, appe­ler la Sainte Vierge, et qu’il atten­dait tout de son inter­ven­tion. Je n’ai jamais ren­con­tré quel­qu’un qui aimât autant la Sainte Vierge que l’ab­bé Poppe et qui ait pra­ti­qué avec autant de fidé­li­té et de pro­fit spi­ri­tuel la « vraie dévo­tion » à la Très Sainte Vierge de Saint Louis-​Marie Grignion de Montfort. Lui-​même a avoué que, s’il y avait quelque chose de bon en sa vie, il le devait à cette mer­veilleuse dévo­tion, dont il se fai­sait en toutes cir­cons­tances l’a­pôtre zélé et convaincu.

Quant au reste, tout le train de sa vie quo­ti­dienne était simple et qua­si ordi­naire. C’est bien à cause de cela qu’il est si encou­ra­geant à imi­ter. Il res­semble en cela à Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, envers laquelle il avait une tendre dévo­tion, pré­ci­sé­ment à cause de sa « petite voie », pleine de sim­pli­ci­té évan­gé­lique. La voie que l’ab­bé Poppe a sui­vie dans sa vie spi­ri­tuelle est, exté­rieu­re­ment, non moins ordi­naire que celle de la sainte de Lisieux. Mais le bon Dieu, qui avait des vues toutes spé­ciales sur lui et avait dis­po­sé que sa vie serait courte, l’a­vait gra­ti­fié d’une espèce de cha­risme, si je peux m’ex­pri­mer ain­si. Nonobstant son exté­rieur tout modeste, une influence sur­na­tu­relle mys­té­rieuse sem­blait éma­ner de lui et s’emparer irré­sis­ti­ble­ment des âmes qui entraient en contact avec lui. On sen­tait l’Esprit de Dieu, par­lant et agis­sant en lui. Un entre­tien avec l’ab­bé Poppe était ime véri­table grâce, et on sor­tait de chez lui éclai­ré, récon­for­té et sti­mu­lé au bien. Tandis que lui-​même res­tait dans l’a­ri­di­té et l’obs­cu­ri­té, comme nous le savons par ses lettres à son direc­teur spi­ri­tuel, tous ceux qui avaient le bon­heur de l’ap­pro­cher s’en allaient conso­lés et en paix.

Le Cardinal Mercier, de sainte mémoire, avoua que seule­ment deux per­son­nages, durant sa longue vie, lui avaient fait cette pro­fonde impres­sion de sain­te­té : le Saint Pape Pie X et l’ab­bé Poppe. Rien d’é­ton­nant dès lors, que, pen­dant les der­nières années de sa vie, celui-​ci ait été choi­si comme conseiller et direc­teur spi­ri­tuel par un grand nombre d’âmes, sur­tout sacer­do­tales, et que par là, il soit deve­nu comme le centre ani­ma­teur de ce qui s’o­pé­rait de bien, à cette époque, en Belgique. Il ne suf­fi­sait plus à la tâche. C’est pour­quoi, il avait sup­plié le Seigneur, vu son inca­pa­ci­té, de vou­loir accep­ter le sacri­fice de sa vie, pour que, en mou­rant, il obtînt en retour, de se voir mul­ti­plié dans une mul­ti­tude de saints et zélés confrères. Le bon Dieu exau­ça cette prière et conti­nue par son exemple et ses nom­breux écrits à sus­ci­ter par­tout des âmes, sur­tout sacer­do­tales, dési­reuses de mar­cher sur ses traces et de conti­nuer son apostolat. 

Théories ascétiques

Quelles sont les théo­ries du pieux abbé sur la vie ascé­tique et apos­to­lique sacer­do­tale ? A cette ques­tion je réponds que l’ab­bé Poppe était dans le plein sens du mot l’homme de la pri­mau­té de la grâce, vivant lui-​même inté­gra­le­ment et logi­que­ment de cette doc­trine, sans tou­te­fois mécon­naître ou négli­ger les moyens natu­rels. Comme il le dit lui-​même : « Pour sau­ver la socié­té chré­tienne, aucune ins­ti­tu­tion ou force natu­relle ne doivent être exclues ; mais, ajoute-​t- il immé­dia­te­ment, aucune d’elles n’est suf­fi­sante. Dans tous les domaines leur inca­pa­ci­té a four­ni ses preuves. La socié­té a besoin d’un secours supé­rieur et d’une impul­sion sur­na­tu­relle. Tout doit être res­tau­ré dans le Christ et par le Christ. Or le Christ, c’est avant tout l’Hostie ». Voici, par exemple, quelques textes de l’Ecriture sainte qu’il aimait à citer et à com­men­ter, dont il vivait lui-​même et qu’il incul­quait conti­nuel­le­ment aux autres : « Sine Me nihil potes­tis facere » – « Omne quod natum est ex Deo vin­cit mun­dum » – « Haec est Victoria quae vin­cit mun­dum, fides ves­tra » – « Amen, amen dico vobis, qui cré­dit in Me, opé­ra quae ego­fa­cio et ipse­fa­ciet, et majo­ra horum faciet »… Mr Poppe était vrai­ment l’homme de la foi vive, et de la vie plei­ne­ment et inté­gra­le­ment consé­quente à cette foi.

Voici en quelques sen­tences sa concep­tion sur la vie sacer­do­tale et apos­to­lique, for­mu­lée, comme il le fait dans ses écrits :

  • Jésus m’a revê­tu de son Sacerdoce pour conti­nuer son Œuvre Rédemptrice. Ce Sacerdoce est pour moi un titre à des grâces spé­ciales de sanc­ti­fi­ca­tion. Je ferai le bien dans la mesure de cette sanc­ti­fi­ca­tion. C’est ce qui compte avant tout le reste : « Pro eis sanc­ti­fi­co meip­sum ». Je suis obli­gé de me sanc­ti­fier, en tant que prêtre et apôtre.
  • Pour me sanc­ti­fier, je ne dois pas néces­sai­re­ment quit­ter le monde ou délais­ser le minis­tère sacer­do­tal, mais je dois trou­ver, de par la Volonté de Dieu, dans ce minis­tère même, un moyen de sanc­ti­fi­ca­tion effi­cace. Dans l’ordre éta­bli par Dieu, qui veut les deux : ma sanc­ti­fi­ca­tion et mon apos­to­lat, cela doit être pos­sible, à condi­tion d’or­ga­ni­ser ma vie d’a­près les direc­tives de l’Evangile… Donc : « Cibando cibor ». A cette fin, dans toute la pra­tique de ma vie per­son­nelle et de mon apos­to­lat sacer­do­tal, je don­ne­rai tou­jours la pré­fé­rence aux moyens sur­na­tu­rels, comme nous l’en­seigne l’Evangile et l’exemple des saints… J’observerai la vraie hié­rar­chie des valeurs : « Travailler est bien, prier est mieux, souf­frir est le meilleur ».
  • La Sainte Eucharistie est, dans le plan divin, le moyen de sanc­ti­fi­ca­tion par excel­lence pour moi prêtre, et pour les âmes qui me sont confiées. Je pui­se­rai moi-​même abon­dam­ment et de la façon la plus fruc­tueuse, à cette source de grâces, et j’y condui­rai les autres, spé­cia­le­ment les enfants et les jeunes.
  • Dans la Rédemption du genre humain, Marie est consti­tuée par Dieu-​même Corédemptrice et Médiatrice de toutes les grâces. Si nous vou­lons nous confor­mer plei­ne­ment au plan divin, nous ne sépa­re­rons Jamais Jésus de Marie, comme nous l’en­seigne si bien Saint Louis-​Marie Grignion de Montfort, dans la « Vraie Dévotion ».
  • Le Christ a confié sa mis­sion à son Eglise. La Hiérarchie Ecclésiastique est le canal exté­rieur visible de la grâce. Nous devons nous sau­ver et nous sanc­ti­fier dans le sein spi­ri­tuel de notre Mère la Sainte Eglise. Donc : tou­jours et en toutes choses : « sen­tire cum Ecclesia », dans un esprit d’humble sou­mis­sion et de filiale dépen­dance envers la Hiérarchie, parce que Nôtre-​Seigneur a dit : « Qui vos audit. Me audit ». üe là le triple carac­tère de la spi­ri­tua­li­té de l’Abbé Poppe : elle est eucha­ris­tique, marial et hié­rar­chique. Cela appa­raît net­te­ment dans tous ses écrits ascé­tiques et pédagogiques.

L’apôtre des prêtres

L’abbé Poppe était dévo­ré de zèle pour l’a­vè­ne­ment du Règne de Dieu. Or il com­pre­nait plei­ne­ment que ce Règne est confié en grande par­tie aux prêtres, et que l’ef­fi­ca­ci­té de l’a­pos­to­lat sacer­do­tal dépend sou­ve­rai­ne­ment de leur sanc­ti­fi­ca­tion per­son­nelle, De là sa soif ardente de leur per­fec­tion­ne­ment spi­ri­tuel. 11 disait un jour : « On se plaint qu’il y ait trop peu de prêtres. Ce n’est pas tout à fait exact. La véri­té est, qu’il y a trop peu de saints prêtres. Si par nos sacri­fices et prières nous obte­nions, ne fût-​ce qu’un seul saint prêtre chaque année, en peu de temps le monde serait sanc­ti­fié… Je brûle du désir de l’a­vè­ne­ment du Règne de Dieu dans les âmes sacer­do­tales. Mais, Je suis si pauvre, que je serai consu­mé avant la venue de ce Règne tant dési­ré ». Il aurait fal­lu entendre l’ac­cent de sa voix quand il par­lait aux prêtres de la grande œuvre de leur sanc­ti­fi­ca­tion. « Oui, chers confrères, écrit-​il à un groupe de prêtres en retraite, vous devez être des saints, vous ne pou­vez pas être des prêtres vul­gaires. Sinon, votre zèle et vos peines abou­ti­ront à fort peu de chose et vos bre­bis vous échap­pe­ront et se per­dront en grand nombre. Un saint fait plus avec un seul mot qu’un tra­vailleur ordi­naire avec toute une série de ser­mons. Les paroles d’un saint prêtre frappent, touchent et remuent, elles trans­forment les âmes et les renou­vellent d’une façon éton­nante ; elles sont nées de la grâce, de la prière et de la péni­tence ; elles sont pleines de la force de Dieu-​même. Mes chers confrères, ayez de la science et du talent ; mais soyez avant tout des hommes de prière et adon­nés à la péni­tence : soyez des saints ! »

L’abbé Poppe connais­sait par expé­rience les dan­gers qui menacent les prêtres dio­cé­sains, vivant seuls au milieu du monde, dans le sou­ci et le tra­cas du minis­tère des âmes. Il savait com­bien, au milieu des cir­cons­tances, par­fois bien défa­vo­rables, de l’a­pos­to­lat absor­bant de nos temps modernes, il est dif­fi­cile de per­sé­vé­rer dans toute la fer­veur des années de sémi­naire, et qu’il faut pour cela par­fois de l’hé­roïsme. Comme il com­pre­nait que très sou­vent le minis­tère des âmes devient une pierre d’a­chop­pe­ment pour le prêtre, il fait entre­voir à ses confrères com­ment ils doivent se com­por­ter et s’y prendre, dans les menus détails de la vie quo­ti­dienne » pour faire concou­rir le tout à la grande œuvre de leur sanc­ti­fi­ca­tion. C’est cette méthode simple et directe qui fai­sait le grand charme de ses entre­tiens et confé­rences, et qui fait encore celui de ses écrits. Afin de mieux réus­sir et de triom­pher de tous les obs­tacles, il conseille à ses confrères d’al­ler tou­jours à Marie : « C’est bien Elle, dit-​il, qui vous appren­dra cet art par­fois bien dif­fi­cile. Allez : donc avec pleine confiance à Marie… C’est Elle qui accom­pli­ra en vous ce que tant d’autres prêtres ont essayé en vain ».

Pour encou­ra­ger les prêtres de bonne volon­té et les munir contre le péril de l’i­so­le­ment, il fon­da, pour ceux qui s’é­taient mis à sa suite, la ligue des « filio­li » ou « petits frères », s’en­cou­ra­geant mutuel­le­ment à la fer­veur et à la fidélité.

« N’attendons pas, disait-​il, pour com­men­cer pour de bon ce tra­vail si urgent, que l’un ou l’autre de nos confrères prenne les devants et nous entraîne à sa suite ; non, soyons nous- même cet entraî­neur et présentons-​nous avec cou­rage au Seigneur, pour qu’il com­mence avec nous. » L’abbé Poppe m’a un jour confié, qu’é­tant devant le Tabernacle, lui-​même s’é­tait offert pour ses confrères à Notre-​Seigneur. Sa prière a été exau­cée. Il est deve­nu comme une lumière sur le can­dé­labre, pour éclai­rer les âmes sacer­do­tales entrant en contact avec lui.

L’éducateur des enfants

Il y a une autre caté­go­rie d’âmes, qui était, non moins que les prêtres, l’ob­jet de pré­di­lec­tion de l’ab­bé Poppe : les enfants. Il com­pre­nait plei­ne­ment la valeur pré­pon­dé­rante et l’im­por­tance capi­tale de leur for­ma­tion reli­gieuse pour l’a­ve­nir de l’Eglise, et il les vou­lait gagner tous à Nôtre-​Seigneur, sur­tout en les fai­sant vivre d’une vie eucha­ris­tique intense. Le nom du saint prêtre et son apos­to­lat auprès des enfants sera lié pour tou­jours, en Belgique, au mou­ve­ment de la « Croisade Eucharistique », Déjà du temps qu’il était vicaire à Gand, il avait fon­dé une espèce de ligue de com­mu­nions pour les enfants, et l’Œuvre des Catéchistes Eucharistiques. D’après son propre témoi­gnage, il consi­dé­rait la « Croisade Eucharistique » comme la plus belle œuvre de sa vie. Il y a consa­cré les der­nières années de son exis­tence. C’était le temps de sa vie de prière intense et, à cause de sa mala­die, de son iso­le­ment, C’est de cette époque féconde que datent la plu­part de ses écrits ascé­tiques et péda­go­giques. Il les com­po­sa le plus sou­vent, éten­du sur son lit de malade ou sur sa chaise- longue, dans le jar­din du couvent. L’apostolat eucha­ris­tique de l’ab­bé Poppe visait un triple but : il vou­lait ame­ner les enfants à la pra­tique de la messe et de la com­mu­nion fré­quentes, fer­ventes et mises en pra­tique. Il appuyait beau­coup sur ce der­nier point. A cette fin, il vou­lait qu’on apprenne soi­gneu­se­ment aux enfants la pra­tique ascé­tique du « point par­ti­cu­lier » constam­ment rat­ta­ché à leur vie eucha­ris­tique. La Sainte Eucharistie devait deve­nir de cette façon le centre et l’âme de leur vie, les aidant à se confor­mer en toutes leurs actions au Christ, moyen­nant les grâces abon­dantes d’une vie eucha­ris­tique intense. Cette « Méthode édu­ca­tive eucha­ris­tique » fut, appli­quée avec grand soin dans les grou­pe­ments d’é­lite de la « Croisade Eucharistique », d’a­bord pour les enfants et puis pour la jeu­nesse et les adultes, et conti­nue de l’être de nos jours, for­mant ain­si, en Belgique, les ani­ma­teurs des grou­pe­ments de l’Action Catholique.

Ce n’est pas tout. Eclairé par le Saint-​Esprit et encou­ra­gé par les résul­tats conso­lants de la « Croisade Eucharistique », l’ab­bé Poppe, vers la fin de sa vie, entre­voyait de plus en plus clai­re­ment l’im­por­tance de la for­ma­tion reli­gieuse des enfants dans nos écoles et le rôle pré­pon­dé­rant à jouer, dans cette édu­ca­tion, par l’en­sei­gne­ment du caté­chisme et des autres branches reli­gieuses. Le tout mis en rap­port avec une vie fon­ciè­re­ment chré­tienne, donc ; eucha­ris­tique et mariale. C’est alors qu’il com­po­sa son admi­rable petit livre : « La Méthode eucha­ris­tique dans l’é­du­ca­tion », et qu’il pré­pa­ra les maté­riaux pour un livre de plus grande enver­gure sur le pro­blème si impor­tant et tou­jours si actuel des rap­ports de la caté­chèse avec l’é­du­ca­tion chré­tienne. La mort l’empêcha de finir ce tra­vail. Mais les dif­fé­rents articles et notes de l’ab­bé Poppe sur ce sujet ont été publiés par son bio­graphe, l’ab­bé Jacobs, dans un livre inti­tu­lé : « Catéchèse et Education ». Après la mort de l’ab­bé Poppe, les édu­ca­teurs chré­tiens en Belgique se sont mis à l’œuvre pour appli­quer ses direc­tives au caté­chisme et à l’é­du­ca­tion reli­gieuse des enfants, Grâce sur­tout à la Congrégation, des Sœurs des Ecoles Chrétiennes de Vorselaar (Belgique), tout un sys­tème d’é­du­ca­tion caté­ché­tique a été éla­bo­ré, d’a­près les prin­cipes de péda­go­gie chré­tienne de l’ab­bé Poppe, fai­sant l’ad­mi­ra­tion du monde des édu­ca­teurs chré­tiens. Ce sys­tème, fruit de l’ex­pé­rience de beau­coup d’an­nées, a reçu l’ap­pro­ba­tion offi­cielle de Son Eminence le Cardinal Van Roey, arche­vêque de Malines, qui a vou­lu qu’un pro­gramme pour les cours de reli­gion fût conçu et rédi­gé d’a­près les mêmes direc­tives. A l’oc­ca­sion dîme visite au saint abbé, alors qu’il allait fort mal et qu’on pou­vait s’at­tendre tous les jours à sa mort, à ma demande :” si vrai­ment il allait nous quit­ter et nous lais­ser seuls dans le mou­ve­ment de la Croisade Eucharistique, alors encore à ses débuts : « Oh ! dit-​il, laissez-​moi m’en aller… L’œuvre ne peut qu’y gagner. Une fois là-​haut, dans la mai­son pater­nelle, que j’y serai impor­tun!… J’y ferai tant de « tapage » en faveur de la Croisade, que tout le ciel sera obli­gé de m’é­cou­ter… Veillez seule­ment à ne pas me faire res­ter trop long­temps au pur­ga­toire!…» Nisi gra­num­fru­men­ti, cadens in ter­ram mor­tuum fue­rit, ipsum solum manet. C’est pour­quoi, je n’en doute pas, l’ab­bé Poppe a offert sa vie et pour les prêtres et les édu­ca­teurs, et pour les enfants. Sa chère Médiatrice, la Bienheureuse Vierge Marie, à laquelle il aban­don­nait avec ime confiance illi­mi­tée tous ses inté­rêts, qui n’é­taient autres que ceux du « Regnum », a obte­nu sans aucun doute de son divin Fils, que cette offrande devienne une source féconde de grâces sanc­ti­fi­ca­trices pour ses confrères dans le sacer­doce et pour la jeu­nesse du monde entier.

« Les saints seuls laissent des traces »

« Les saints seuls laissent des traces »… Cette phrase, tom­bée un jour des lèvres de l’ab­bé Poppe, a reçu sa pleine réa­li­sa­tion en sa propre per­sonne, après sa sainte mort. N’est-​elle pas comme l’é­cho de la parole de l’a­pôtre saint Jean : « Mundus tran­sit et concu­pis­cen­tia ejus » ? (Jo. H, 17). A peine la nou­velle de son départ pour la Maison du Père s’était-​elle répan­due, que des mil­liers d’a­mis et d’ad­mi­ra­teurs accou­raient à l’humble vil­lage de Moerzeke, pour saluer une der­nière fois la dépouille mor­telle de celui, qui, déjà pen­dant sa vie, était consi­dé­ré comme un saint. Sa chambre mor­tuaire res­sem­blait plu­tôt à un sanc­tuaire, où, pen­dant six jours, une foule inin­ter­rom­pue de dévots confrères et de simples fidèles venait prier et se recom­man­der à ses prières, fai­sant tou­cher, à son corps, des objets clé pié­té, pour les conser­ver comme des reliques. Le Cardinal Mercier, appre­nant la mort de son saint ami, n’hé­si­ta pas à décla­rer ouver­te­ment : « qu’il l’in­vo­quait déjà comme un saint, ayant le ferme espoir qu’un jour l’Eglise l’au­rait glo­ri­fié ». Cette « fama sanc­ti­ta­tis » n’a fait que s’ac­croître durant les 39 ans qui sui­virent sa mort. Ce qui est encore bien 

plus impor­tant : son exemple a sus­ci­té dans tous les pays, qui ont appris à le connaître, sur­tout par­mi le cler­gé, une foule d’ad­mi­ra­teurs et d’i­mi­ta­teurs, encou­ra­gés par sa sainte vie à suivre avec une nou­velle fer­veur le che­min de la perfection.

Bien plus, l’in­fluence salu­taire incal­cu­lable des nom­breux écrits ascé­tiques et péda­go­giques du saint prêtre conti­nue, dans le monde entier, à être un ins­tru­ment pro­vi­den­tiel pour l’a­vè­ne­ment du « Regnum dans d’in­nom­brables âmes, et une source de vie chré­tienne intense et apos­to­lique pour toutes les classes de la socié­té. Ainsi, le cercle plu­tôt res­treint de son apos­to­lat ter­restre s’est élar­gi après sa mort jus­qu’à deve­nir un apos­to­lat vrai­ment uni­ver­sel et mon­dial. « Defunctus adhuc loqui­tur » : Cest bien le cas d’ap­pli­quer cet adage au saint abbé, don­nant sa vie pour les prêtres et les enfants. Veuillent sur­tout tous les prêtres, qui liront ces lignes, se sou­ve­nir de cette inten­tion au saint sacri­fice de la messe et pen­dant la réci­ta­tion du cha­pe­let, afin d’ob­te­nir du Souverain Prêtre Jésus, par l’in­ter­ces­sion de sa sainte Mère, cette nou­velle grâce de sanc­ti­fi­ca­tion pour la Sainte Eglise et ses ministres !

E. VANMAEI, O. Praem., Abbaye d’Averbode (Belgique).

Source : Pour qu’il règne n°140, revue du District de Belgique de la Fraternité Saint-​Pie X.