Sermon de Mgr Bernard Fellay lors des ordinations du 17 juin 2011, à Winona (Etats-​Unis)

Après avoir rap­pe­lé, dans une pre­mière par­tie, la spi­ri­tua­li­té sacer­do­tale dont se nour­ri­ront les jeunes prêtres ordon­nés au cours de cette céré­mo­nie, Mgr Bernard Fellay a expo­sé l’état de la situa­tion au Vatican et des rap­ports de la Fraternité Saint-​Pie X avec les auto­ri­tés romaines.

[…]

Vous vou­lez cer­tai­ne­ment, mes bien chers Frères, avoir aus­si quelques com­men­taires sur la situa­tion actuelle de la Fraternité. Où en sommes-​nous ? Que se passe-​t-​il ? J’aimerais pou­voir vous dire que tout est lumi­neux ou com­plè­te­ment obs­cur, mais c’est plu­tôt, comme le temps aujourd’hui, nua­geux et enso­leillé à la fois ! Jusqu’à un cer­tain point, depuis au moins deux ans, nous nous trou­vons constam­ment en face de contra­dic­tions. Il y a main­te­nant deux ans, en 2009, j’ai deman­dé une audience au Secrétaire d’Etat, le car­di­nal Bertone, à cause de ce pro­blème : nous nous trou­vons devant des contra­dic­tions. Je n’exagère pas le mot : contra­dic­tion. Qu’est-ce que cela signi­fie ? Cela veut dire que nous rece­vons de la part de Rome des mes­sages contra­dic­toires ; l’un dit ceci, l’autre dit cela ; et il n’y a pas seule­ment des diver­gences, mais bien des contradictions.

En y réflé­chis­sant, nous nous inter­ro­geons : pour­quoi est-​ce ain­si, d’où cela vient-​il ? Selon nous, à Rome comme dans toute l’Eglise, il y a divers cou­rants, appelons-​les pour faire simple le cou­rant pro­gres­siste et le cou­rant conser­va­teur. Certains ecclé­sias­tiques sont proches de nous, et ils aime­raient nous voir mis en avant, d’autres nous haïssent, c’est le seul mot juste pour qua­li­fier leur conduite envers nous. Ils nous haïssent, et ils sont à Rome. Quelquefois les mes­sages viennent d’eux, quel­que­fois ils pro­viennent des autres.

Je vou­drais vous don­ner un exemple. L’année der­nière, en sep­tembre, un prêtre venait tout juste de nous rejoindre. Appartenant à un ordre reli­gieux, il reçut une lettre de son Supérieur Provincial lui disant qu’il n’était plus membre de son ordre et qu’il était excom­mu­nié. A cette lettre était jointe un cour­rier de confir­ma­tion, éma­nant de la Congrégation pour les reli­gieux à Rome. Cette lettre de la Congrégation pour les reli­gieux conte­nait la phrase sui­vante : « Le Père X, n’est plus membre de votre ordre, il est excom­mu­nié pour avoir aban­don­né la foi en s’unissant for­mel­le­ment au schisme de Mgr Lefebvre ». Elle était datée de sep­tembre der­nier. Je suis donc allé à Rome et j’ai deman­dé au Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei ce qu’il en était. Il ne m’a même pas lais­sé finir la lec­ture de cette lettre : « Je sais, m’a‑t-il répon­du, et nous – la Congrégation pour la Foi – avons dit à la Congrégation pour les reli­gieux qu’ils n’avaient pas le droit d’affirmer cela. Ils ne sont pas com­pé­tents et doivent révi­ser leur juge­ment ». Puis il conti­nua : « Voici ce que vous devez faire avec cette lettre » [geste de jeter], tel est le geste qu’il a fait. En d’autres termes, pre­nez la lettre et jetez-​la à la cor­beille à papier ! Donc une auto­ri­té à Rome me demande de jeter une déci­sion d’une autre auto­ri­té romaine. N’est-ce pas une contra­dic­tion ? Et le Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei de pour­suivre : « Vous devez dire à vos prêtres et à vos fidèles que tout ce qui vient de Rome ne vient pas du pape ! » Je lui ai répon­du : « C’est impos­sible, com­ment voulez-​vous que les fidèles, les prêtres puissent por­ter ce juge­ment ? Ce qui vient de Rome, vient du pape ! Ou alors on dira aisé­ment : ce qui me plaît vient du pape et ce qui me déplaît ne vient pas du pape ! »

Avec cela, mes bien chers Frères, vous devez com­prendre qu’il y a un grave pro­blème à Rome. Si une auto­ri­té nous dit : « Attention ! Tout ce qui vient de Rome ne vient pas du pape », d’où cela provient-​il donc ? Et com­ment est-​ce pos­sible ? Rome, les ser­vices du Vatican doivent nor­ma­le­ment être comme la main du pape. Cela signi­fie que le pape n’en a plus le contrôle. Voilà le sens de cette phrase.

Quand je parle de contra­dic­tions, cela veut dire que cer­tains à Rome sont prêts à nous consi­dé­rer comme hors de l’Eglise, excom­mu­niés, ayant per­du la foi, héré­tiques… Et vous en avez d’autres qui nous recon­naissent vrai­ment comme catho­liques. Mgr de Galarreta et nos prêtres, quand ils vont à Rome pour les entre­tiens doc­tri­naux, disent leur messe à Saint-​Pierre ! Comment peut-​on tenir ces deux posi­tions en même temps ? Vous voyez com­bien la contra­dic­tion est pro­fonde. C’est pour­quoi vous pou­vez com­prendre com­bien nous res­tons sur nos gardes. Nous n’allons pas nous jeter dans cette tour­mente, tout en sachant mal­gré tout saluer le soleil lorsqu’il se pré­sente et nous pro­té­ger des nuages lorsqu’ils menacent.

Qui va gagner au Saint-​Siège ? Il y a tel­le­ment d’exemples qui illus­trent le fait que lorsque le pape veut faire du bien, il est frei­né, para­ly­sé. Un exemple de pre­mière main par­mi tant d’autres. Un Père Abbé, supé­rieur de la seule abbaye trap­piste en Allemagne, a deman­dé l’autorisation au pape non seule­ment de reve­nir à la messe tri­den­tine, mais de pou­voir reprendre la Règle et les Constitutions anté­rieures à Vatican II. Le pape lui en a don­né l’autorisation et il a exemp­té cette abbaye de la juri­dic­tion de la Congrégation des Bénédictins qui suit les règles modernes, afin de lui per­mettre de suivre l’usage antique, avant Vatican II. Le pape a donc pla­cé cette abbaye direc­te­ment sous son auto­ri­té. Six mois plus tard, l’Abbé appelle un de ses amis à Rome pour lui deman­der : « Que se passe-​t-​il ? Je n’ai pas de nou­velles ! » Et son ami de lui répondre : « Ecrivez de nou­veau au pape, mais envoyez-​moi la lettre que je la remette per­son­nel­le­ment au pape. » Ce qu’il fit, il por­ta la lettre au pape et lui deman­da ce qu’il en était pour cette abbaye. Très sur­pris, le Saint-​Père répon­dit : « Mais j’ai accor­dé cette per­mis­sion, il y a six mois ! » Une enquête fut faite et on trou­va que quelqu’un – nous savons très exac­te­ment qui – avait ran­gé la lettre du sou­ve­rain pon­tife dans un tiroir de la Secrétairerie d’Etat. Cette fois-​ci, l’ami de l’Abbé – qui m’a rap­por­té direc­te­ment cette affaire, il ne s’agit donc pas de « on-​dit » – a deman­dé au Saint-​Père : « Ecrivez ‘conces­so’ (accor­dé) sur la lettre et je m’en char­ge­rai, j’apporterai per­son­nel­le­ment la nou­velle à l’abbaye. » Ils ont donc court-​circuité la Secrétairerie d’Etat pour pou­voir por­ter la nou­velle de cette déci­sion du pape. Ce n’est qu’un exemple.

Pour vous mon­trer jusqu’où le sou­ve­rain pon­tife lui-​même est limi­té dans son action, regar­dez le der­nier docu­ment à pro­pos de la messe tri­den­tine. Là encore, nous avons un bel exemple des forces contra­dic­toires qui s’exercent à Rome. D’une part, il est très évident qu’il y a dans ce texte une volon­té d’étendre par­tout la messe tra­di­tion­nelle, de rendre pos­sible pour toutes les âmes l’accès non seule­ment à l’ancienne messe, mais à la manière dont les sacre­ments étaient don­nés aupa­ra­vant : tous les livres litur­giques sont mis à la dis­po­si­tion de tous. Mais il y a, d’autre part et en même temps, de sur­pre­nantes res­tric­tions. La pre­mière, très éton­nante, est que les sémi­na­ristes dio­cé­sains ne peuvent pro­fi­ter de l’ancien rite, seuls ceux qui dépendent de la Commission Ecclesia Dei peuvent être ordon­nés selon l’ancien rite. Pourquoi alors est-​il dit que le Pontifical qui contient le rite ancien des ordi­na­tions est mis à libre disposition ?

Il y a encore pire. D’une part, on constate cette volon­té de mettre à la dis­po­si­tion de toutes les âmes, dans le monde entier, l’ancienne messe ; puis on découvre l’article 19 qui déclare que ceux qui veulent en béné­fi­cier ne doivent pas appar­te­nir ni même seule­ment aider les groupes qui sont oppo­sés à la nou­velle messe. Mais 95% de ceux qui veulent l’ancienne messe sont oppo­sés à la nou­velle ! Pourquoi voulons-​nous l’ancienne messe ? Si nous étions satis­faits de la nou­velle, nous ne pen­se­rions même pas à l’ancienne ! Ceux-​là même sont pri­vés de l’ancienne messe qui sont contre la vali­di­té ou la légi­ti­mi­té de la nou­velle messe : pour eux, rien, rien ! Mais cela n’est plus un acte de récon­ci­lia­tion, c’est un acte de guerre !

Je pense que ce sont pré­ci­sé­ment ces contra­dic­tions à l’intérieur même du Vatican qui expliquent que de telles diver­gences puissent se trou­ver dans un même texte : chaque par­tie essaie d’obtenir quelque chose. Et nous sommes ain­si au milieu de ce désordre.

Alors on entend toutes sortes de rumeurs, abso­lu­ment tout ce qu’il est pos­sible et même impos­sible d’entendre ! Je vous en prie, mes bien chers Frères, ne cou­rez pas der­rière ces rumeurs. Quand nous sau­rons quelque chose, nous vous le dirons. Nous n’avons jamais rien caché et nous n’avons aucune rai­son de cacher ce qui se passe. Si donc nous ne vous disons rien, c’est parce que rien de nou­veau ne se passe. Certains disent que quelque chose est sur le point d’arriver. Non, ce n’est pas vrai ! La véri­té est que j’ai été invi­té à me rendre à Rome auprès du car­di­nal Levada, et que ce sera pour la mi-​septembre. C’est tout ce que je sais. Cela concerne les entre­tiens que nous avons eus avec Rome après les­quels, comme cela a été dit, « les docu­ments de syn­thèse seront remis aux plus hautes auto­ri­tés ». Ce sont les mots exacts, et c’est la seule chose que je connaisse du futur, tout le reste ne serait qu’invention. Alors, je vous en prie, ne cou­rez pas après ces rumeurs.

Tout cela montre que le com­bat conti­nue. Or il y a deux dan­gers aujourd’hui. L’un consiste à dire que tout est en ordre, tout est fini, le com­bat est ter­mi­né : c’est une immense illu­sion. Je peux vous garan­tir, mes bien chers Frères, que si un jour Rome régu­la­rise fina­le­ment notre situa­tion cano­nique, le com­bat com­men­ce­ra, ce ne sera pas la fin ! Mais nous n’y sommes pas encore ! Combien de temps aurons-​nous à attendre ? Je ne le sais pas, je n’en ai aucune idée ! Aussi nous conti­nuons de dire qu’il y a une crise dans l’Eglise. Quelquefois c’est bien ennuyeux, parce qu’à Rome ils donnent l’impression que tout va bien, mais le jour sui­vant nous par­lons avec eux… Et tenez voi­ci les paroles que nous enten­dons de la bouche du Secrétaire de la Congrégation pour la Foi : « Vous savez, ce sont les prêtres, les évêques, les Universités catho­liques qui sont emplis d’hérésies ! » Voilà ce que nous a dit, en juin 2009, le Secrétaire de la Congrégation pour la Foi ! Ils savent donc que la situa­tion de l’Eglise est dra­ma­tique. S’ils sont capables de dire qu’il y a plein d’hérésies par­tout, cela signi­fie bien quelque chose ! Mais en même temps, ils agissent comme si tout était en ordre. C’est déce­vant, c’est trou­blant, je le recon­nais, mais telle est la situation.

Ne vous lais­sez donc pas prendre par toutes ces illu­sions, mais aus­si ne lais­sez pas le décou­ra­ge­ment vous atteindre. Ce com­bat est long, c’est vrai mais nous ne pou­vons pas le chan­ger. Le diable reste le diable et nous n’allons pas faire la paix avec le diable. Cela dure­ra aus­si long­temps que Dieu le per­met, mais nous avons tout ce qui nous est néces­saire pour ce com­bat, nous avons la grâce, le sou­tien de Dieu. Nous devons seule­ment conti­nuer ce com­bat, sans décou­ra­ge­ment, avec séré­ni­té. Il est vrai­ment évident que nous sommes bénis de Dieu. Héritiers de l’esprit chré­tien, la messe tra­di­tion­nelle que nous célé­brons nour­rit en nous cet esprit, l’esprit du Christ, celui des dis­ciples du Christ qui nous enseigne que nous devons res­ter éloi­gnés du monde, uti­li­ser modé­ré­ment les biens ter­restres qui ne sont pas ce qu’il y a de plus impor­tant. Le plus impor­tant, c’est Dieu, le Ciel ; c’est notre des­ti­née éternelle.

Mes bien chers Frères, si je vous ai appe­lés à cette Croisade du Rosaire, c’est pré­ci­sé­ment pour vous aider à res­ter en dehors de ces pièges, de ces illu­sions et de tout décou­ra­ge­ment. Dans cette prière, avec cette chaîne de roses qui nous unit à la Très Sainte Vierge Marie, nous sommes cer­tains d’être sous sa pro­tec­tion et de com­battre le bon com­bat ici-​bas. Elle nous gui­de­ra, soyez sans crainte. La Bonne Mère ne va pas aban­don­ner ses enfants, mais soyez géné­reux, très géné­reux dans ces prières. Nous n’attendons pas de bons fruits pour l’Eglise obte­nus par de simples arran­ge­ments humains, nous espé­rons les obte­nir par des moyens sur­na­tu­rels, et pré­ci­sé­ment la prière est le plus puis­sant moyen que nous possédions.

Je vous invite donc à réci­ter le Rosaire, à bien le prier, la quan­ti­té n’importe pas tant que la qua­li­té : la façon de prier. Pourquoi la Très Sainte Vierge Marie a‑t-​elle appor­té le Rosaire à saint Dominique ? Quel était son but ? C’était d’unir les fidèles à Dieu dans la contem­pla­tion, par la médi­ta­tion des dif­fé­rents évé­ne­ments de la vie de Notre Seigneur et de la Très Sainte Vierge Marie. Tel est le but du Rosaire. Il ne s’agit pas seule­ment de réci­ter quinze dizaines ou plu­sieurs cha­pe­lets, cela n’est que la mélo­die, la musique de fond qui nous aide dans la médi­ta­tion des mys­tères qui nous unissent à Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, à la Très Sainte Vierge Marie. Prions donc bien ! Le Rosaire bien médi­té – nous pou­vons en être cer­tains – est un moyen très puis­sant. Sœur Lucie de Fatima a osé dire que la Très Sainte Vierge Marie a don­né une effi­ca­ci­té spé­ciale à cette prière de telle sorte que le Rosaire devien­drait la solu­tion à tous les pro­blèmes, à chaque difficulté.

En pour­sui­vant cette céré­mo­nie, mes bien chers Frères, remettons-​nous bien sous la pro­tec­tion de la Très Sainte Vierge Marie, sous la pro­tec­tion du Saint-​Esprit lui deman­dant d’enflammer ce monde, de dépo­ser le feu de sa cha­ri­té de plus en plus dans le cœur de ces nou­veaux prêtres et diacres. Qu’ils com­mu­niquent à leur tour ce feu au monde, le feu invin­cible de la cha­ri­té, l’amour de Dieu et du pro­chain pour l’amour de Dieu.

Ainsi soit-​il.

Source : FSSPX-​Winona – Traduit de l’anglais – n° 237 du 25/​06/​11

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.