Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

21 avril 1878

Lettre encyclique Inscrutabili Dei Consilio

Sur les maux de la société moderne, leurs causes et leurs remèdes

A tous nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques et Évêques du monde catho­lique, en grâce et com­mu­nion avec le Siège apos­to­lique.
Léon XIII, Pape.

Vénérables Frères, Salut et Bénédiction apostolique,

A peine éle­vé, par un impé­né­trable des­sein de Dieu et sans le méri­ter, au faîte de la Dignité apos­to­lique, Nous Nous sommes sen­ti pous­sé par un vif désir et par une sorte de néces­si­té à Nous adres­ser à Vous par lettre, non seule­ment pour Vous mani­fes­ter les sen­ti­ments de Notre pro­fonde affec­tion, mais encore pour rem­plir auprès de Vous, qui avez été appe­lés à par­ta­ger Notre sol­li­ci­tude, les devoirs de la charge que Dieu Nous a confiée, en Vous encou­ra­geant à sou­te­nir avec Nous les com­bats des temps actuels pour l’Eglise de Dieu et le salut des âmes.

En effet, dès les pre­miers ins­tants de Notre Pontificat, ce qui s’offre à Nos regards, c’est le triste spec­tacle des maux qui accablent de toutes parts le genre humain : et cette sub­ver­sion si géné­rale des véri­tés suprêmes qui sont comme les fon­de­ments sur les­quels s’ap­puie l’é­tat de la socié­té humaine ; et cette audace des esprits qui ne peuvent sup­por­ter aucune auto­ri­té légi­time ; et cette cause per­pé­tuelle de dis­sen­sions d’où naissent les que­relles intes­tines et les guerres cruelles et san­glantes ; le mépris des lois qui” .règlent les mœurs et pro­tègent la jus­tice ; l’in­sa­tiable cupi­di­té des choses qui passent et l’ou­bli des choses éter­nelles, pous­sés l’un et l’autre jus­qu’à cette fureur insen­sée qui amène par­tout tant de mal­heu­reux à por­ter, sans trem­bler, sur eux-​mêmes, des mains vio­lentes ; l’ad­mi­nis­tra­tion incon­si­dé­rée de la for­tune publique, la pro­fu­sion, la mal­ver­sa­tion, comme aus­si l’im­pu­dence de ceux qui, com­met­tant les plus grandes four­be­ries, s’ef­forcent de se don­ner l’ap­pa­rence de défen­seurs de la patrie, de la liber­té et de tous les droits ; enfin, cette sorte de peste mor­telle qui, s’in­si­nuant dans les membres de la socié­té humaine, ne lui laisse point de repos et lui pré­pare de nou­velles révo­lu­tions et de funestes catastrophes.

Or, Nous Nous sommes convain­cu que ces maux ont leur prin­ci­pale cause dans le mépris et le rejet de cette sainte et très auguste Autorité de l’Eglise qui gou­verne le genre humain au nom de Dieu, et qui est la sau­ve­garde et l’ap­pui de toute auto­ri­té légi­time. Les enne­mis de l’ordre public, qui l’ont par­fai­te­ment com­pris, ont pen­sé que rien n’é­tait plus propre à ren­ver­ser les fon­de­ments de la socié­té que d’at­ta­quer sans relâche l’Eglise de Dieu, de la rendre odieuse et haïs­sable par de hon­teuses calom­nies, en la repré­sen­tant comme l’en­ne­mie de la vraie civi­li­sa­tion, d’af­fai­blir son auto­ri­té et sa force par des bles­sures sans cesse renou­ve­lées, et de ren­ver­ser le pou­voir suprême du Pontife romain, qui est ici-​bas le gar­dien et le défen­seur des règles éter­nelles et immuables du bien et du juste. De là donc sont sor­ties ces lois sub­ver­sives de la divine consti­tu­tion de l’Eglise catho­lique et dont Nous avons à déplo­rer la pro­mul­ga­tion dans la plu­part des pays ; de là, ont décou­lé et le mépris du pou­voir épis­co­pal, et les entraves mises à l’exer­cice du minis­tère ecclé­sias­tique et la dis­per­sion des corps reli­gieux, et la confis­ca­tion des biens qui ser­vaient à nour­rir les ministres de l’Eglise et les pauvres ; de là encore ce résul­tat que les ins­ti­tu­tions publiques consa­crées à la cha­ri­té et à la bien­fai­sance ont été sous^ traites à la salu­taire direc­tion de l’Eglise ; de là cette liber­té effré­née d’en­sei­gner et de publier tout ce qui est mal, pen­dant qu’au con^ traire, on viole et on opprime de toute manière le droit de l’Eglise à l’ins­truc­tion et à l’é­du­ca­tion de la jeu­nesse. Et ce n’est pas un autre but qu’on s’est pro­po­sé en s’emparant du Principat tem­po­rel que la divine Providence avait accor­dé depuis de longs siècles au Pontife romain pour qu’il pût user libre­ment et sans entraves, pour le salut éter­nel des peuples, du pou­voir que Jésus-​Christ lui a conféré.

Si Nous avons rap­pe­lé ces funestes et innom­brables maux, Vénérables Frères, ce n’est pas pour aug­men­ter la tris­tesse qu’un si déplo­rable état de choses fait naître en Vous par lui-​même ; mais c’est parce que Nous com­pre­nons qu’à cette vue Vous recon­naî­trez quelle est la gra­vi­té de la situa­tion qui réclame Notre minis­tère et Notre zèle, et avec quelle sol­li­ci­tude Nous devons tra­vailler, en ces temps mal­heu­reux, à défendre et à garan­tir de toutes Nos forces l’Eglise du Christ et la digni­té de ce Siège Apostolique atta­quée par tant de calomnies.

Il est bien clair et évident, Vénérables Frères, que la cause de la civi­li­sa­tion manque de fon­de­ments solides si elle ne s’ap­puie pas sur les prin­cipes éter­nels de la véri­té et sur les lois immuables du droit et de la jus­tice, si un amour sin­cère n’u­nit entre elles1 les volon­tés des hommes et ne règle heu­reu­se­ment la dis­tinc­tion et les motifs de leurs devoirs mutuels. Or, qui ose­rait le nier ? N’est-​ce pas l’Eglise qui, en prê­chant l’Evangile par­mi les nations, a fait briller la lumière de la véri­té au milieu des peuples sau­vages et imbus de super­sti­tions hon­teuses et qui les a rame­nés à la connais­sance du divin Auteur de toutes choses et au res­pect d’eux-​mêmes ? N’est-​ce pas l’Eglise qui, fai­sant dis­pa­raître la cala­mi­té de l’es­cla­vage, a rap­pe­lé les hommes à la digni­té de leur très noble nature ? N’est-​ce pas elle qui, en déployant sur toutes les plages de la terre l’é­ten­dard de la Rédemption, en atti­rant à elle les sciences et les arts ou en les cou­vrant de sa pro­tec­tion, qui, par ses excel­lentes ins­ti­tu­tions de cha­ri­té, où toutes les misères trouvent leur sou­la­ge­ment, par ses fon­da­tions et par les dépôts dont elle a accep­té la garde, a par­tout civi­li­sé dans ses mœurs pri­vées et publiques le genre humain, l’a rele­vé de sa misère et l’a for­mé, avec toute sorte de soins, à un genre de vie conforme à la digni­té et à l’es­pé­rance humaines ? Et main­te­nant, si un homme d’un esprit sain com­pare l’é­poque où nous vivons, si hos­tile à la Religion et à l’Eglise de Jésus-​Christ, avec ces temps si heu­reux où l’Eglise était hono­rée par les peuples comme une Mère, il se convain­cra entiè­re­ment que notre époque pleine de troubles et de des­truc­tions se pré­ci­pite tout droit et rapi­de­ment à sa perte, et que ces temps-​là ont été d’au­tant plus flo­ris­sants en excel­lentes ins­ti­tu­tions, en tran­quilli­té de la vie, en richesse et en pros­pé­ri­té, que les peuples se sont mon­trés plus sou­mis au gou­ver­ne­ment de l’é­glise et plus obser­va­teurs de ses lois. Que si les biens nom­breux que Nous venons de rap­pe­ler et qui ont dû leur nais­sance au minis­tère de l’Eglise et à son influence salu­taire sont vrai­ment des ouvrages et des gloires de la civi­li­sa­tion humaine, il s’en faut donc de beau­coup que l’Eglise de Jésus-​Christ abhorre la civi­li­sa­tion et la repousse, puisque c’est à elle, au contraire, qu’elle croit que revient entiè­re­ment l’hon­neur d’a­voir été sa nour­rice, sa maî­tresse et sa mère.

Bien plus, cette sorte de civi­li­sa­tion qui répugne, au contraire, aux saintes doc­trines et aux lois de l’Eglise, n’est autre chose qu’une fausse civi­li­sa­tion et doit être consi­dé­rée comme un vain nom sans réa­li­té. C’est là une véri­té dont nous four­nissent une preuve mani­feste ces peuples qui n’ont pas vu briller la lumière de l’Évangile ; dans leur vie, on a pu aper­ce­voir quelques faux dehors d’une édu­ca­tion plus culti­vée, mais les vrais et solides biens de la civi­li­sa­tion n’y ont pas prospéré.

Une faut point, en effet, consi­dé­rer comme une civi­li­sa­tion par­faite celle qui consiste à mépri­ser auda­cieu­se­ment tout pou­voir légi­time ; et on ne doit pas saluer du nom de liber­té celle qui a pour cor­tège hon­teux et misé­rable la pro­pa­ga­tion effré­née des erreurs, le libre assou­vis­se­ment des cupi­di­tés per­verses, l’im­pu­ni­té des crimes et des méfaits et l’op­pres­sion des meilleurs citoyens de toute classe. Ce sont là des prin­cipes erro­nés, per­vers et faux ; ils ne sau­raient donc assu­ré­ment avoir la force de per­fec­tion­ner la nature humaine et de la faire pros­pé­rer, car le péché fait les hommes misé­rables (1); il devient, au contraire, abso­lu­ment inévi­table qu’a­près avoir cor­rom­pu les esprits et les cœurs, ces prin­cipes, par leur propre poids, pré­ci­pitent les peuples dans toute sorte de mal­heurs, qu’ils ren­versent tout ordre légi­time et conduisent ain­si plus tôt ou plus tard la situa­tion et la tran­quilli­té publique à leur der­nière perte.

Si on contemple, au contraire, les œuvres du Pontificat Romain que peut-​il y avoir de plus inique que de nier com­bien les Pontife Romains ont noble­ment et bien méri­té de toute la socié­té civile ?

Nos pré­dé­ces­seurs, en effet, vou­lant pour­voir au bon­heur de peuples, entre­prirent des luttes de tout genre, sup­por­tèrent des rudes fatigues et n’hé­si­tèrent jamais à s’ex­po­ser à d’âpres dif­fi­cul­tés ; les yeux fixés au ciel, ils n’a­bais­sèrent point leur front devant les menaces des méchants et ne com­mirent pas la bas­sesse de se lais­ser détour­ner de leur devoir, soit par les flat­te­ries, soit par les pro­messes. Ce fut ce Siège Apostolique qui ramas­sa les restes de l’an­tique socié­té détruite et les réunit ensemble. Il fut aus­si le flam­beau ami qui illu­mi­na la civi­li­sa­tion des temps chré­tiens ; l’ancre de salut au milieu des plus ter­ribles tem­pêtes qui aient agi­té la race humaine ; le lien sacré de la concorde qui unit entre elles des nations éloi­gnées et de mœurs diverses ; il fut enfin le centre com­mun où Ton venait cher­cher aus­si bien la doc­trine de la foi et de la reli­gion que les aus­pices de paix et les conseils des actes à accom­plir. Quoi de plus ? C’est la gloire des Pontifes Romains de s’être tou­jours et sans relâche oppo­sés comme un mur et un rem­part à ce que la socié­té humaine ne retom­bât point dans la super­sti­tion et l’an­tique barbarie.

Mais, plût au ciel que cette auto­ri­té salu­taire n’eût jamais été négli­gée ou répu­diée I Le pou­voir civil n’eût pas alors per­du cette auréole auguste et sacrée qui. le dis­tin­guait, que la reli­gion lui avait don­née et qui, seule, rend l’é­tat d’o­béis­sance noble et digne de l’homme ; on n’au­rait pas vu s’al­lu­mer tant de sédi­tions et de guerres qui ont été la funeste cause de cala­mi­tés et de meurtres ; et tant de royaumes, autre­fois très flo­ris­sants, tom­bés aujourd’­hui du faite de la pros­pé­ri­té, ne seraient point accables sous le poids de toutes sortes de misères. Nous avons encore un exemple des mal­heurs qu’en­traîne la répu­dia­tion de l’au­to­ri­té de l’Eglise dans les peuples orien­taux qui, en bri­sant les liens très doux qui les unis­saient à ce Siège Apostolique, ont per­du la splen­deur de leur antique répu­ta­tion, la gloire des sciences et des lettres et la digni­té de leur empire.

Or, ces admi­rables bien­faits que le Siège Apostolique a répan­dus sur toutes les plages de la terre, et dont font foi les plus illustres monu­ments de tous les temps, ont été spé­cia­le­ment res­sen­tis par ce pays d’Italie qui a tiré du Pontificat Romain des fruits d’au­tant plus abon­dants que, par le fait de sa situa­tion, il s’en trou­vait plus rap­pro­ché. C’est, en effet, aux Pontifes Romains que l’Italie doit se recon­naître rede­vable de la gloire solide et de la gran­deur dont elle a brillé au milieu des autres nations. Leur auto­ri­té et leurs soins pater­nels l’ont plu­sieurs fois pro­té­gée contre les vives attaques des enne­mis, et c’est* d’eux qu’elle a reçu le sou­la­ge­ment et le secours néces­saire pour que la foi catho­lique fût tou­jours inté­gra­le­ment conser­vée dans le cœur des Italiens.

Ces mérites de Nos pré­dé­ces­seurs, pour n’en point citer d’autres, Nous sont sur­tout attes­tés par l’his­toire des temps de saint Léon le Grand, d’Alexandre III, d’Innocent III, de saint Pie V, de Léon X et d’autres Pontifes, par les soins et sous les aus­pices des­quels l’Italie échap­pa à la der­nière des­truc­tion dont elle était mena­cée par les bar­bares, conser­va intacte l’an­tique foi, et, au milieu des ténèbres et de la bar­ba­rie d’une époque plus gros­sière, déve­lop­pa la lumière des sciences et la splen­deur des arts, et les conser­va flo­ris­sants. Ils nous sont attes­tés encore par cette sainte ville, siège des Pontifes, qui a tiré d’eux ce très grand avan­tage d’être, non seu­lement la plus forte cita­delle de la loi, mais encore d’avoir obte­nu l’admiration et le res­pect du monde entier en deve­nant l’asile des beaux-​arts et la demeure de la sagesse. Comme la gran­deur de ces choses a été trans­mise au sou­ve­nir éter­nel de la pos­té­ri­té par les monu­ments de l’histoire, il est aisé de com­prendre que ce n’est que par une volon­té hos­tile et une indigne calom­nie, employées l’une et l’autre à trom­per les hommes, qu’on a fait accroire, par la parole et par les écrits, que ce Siège Apostolique était un obs­tacle à la civi­li­sa­tion des peuples et à la pros­pé­ri­té de l’Italie.

Si donc toutes les espé­rances de l’Italie et du monde tout entier sont pla­cées sur cette force si favo­rable au bien et à l’unité de tous- dont jouit l’autorité du Siège Apostolique et sur ce lien si étroit qui unit tous les fidèles au Pontife Romain, Nous com­pre­nons que Nous ne devons avoir rien plus à cœur que de conser­ver religieuse­ment intacte sa digni­té à la Chaire Romaine et de res­ser­rer de plus en plus l’union des membres avec la tête et celle des fils avec leur Père.

C’est pour­quoi, pour main­te­nir avant tout, autant qu’il est en Notre pou­voir, les droits de la liber­té de ce Saint-​Siège, Nous ne ces­se­rons jamais de com­battre pour conser­ver à Notre auto­ri­té l’obéissance qui lui est due, pour écar­ter les obs­tacles qui empêchent la pleine liber­té de Notre minis­tère et de Notre puis­sance, et pour obte­nir le retour à cet état de choses où les des­seins de la divine Sagesse avaient autre­fois pla­cé les Pontifes Romains. Et ce n’est ni par esprit d’ambition, ni par désir de domi­na­tion, Vénérables Frères, que Nous sommes pous­sé à deman­der ce retour ; mais bien par les devoirs de Notre charge et par les enga­ge­ments reli­gieux du ser­ment qui Nous lie : Nous y sommes en outre pous­sé, non seule­ment par la consi­dé­ra­tion que ce prin­ci­pal Nous est néces­saire pour défendre et conser­ver la pleine liber­té du pou­voir spi­ri­tuel, mais encore parce qu’il a été plei­ne­ment consta­té que, lorsqu’il s’agit du Principal tem­po­rel du Siège Apostolique, c’est la cause même du bien public et du salut de toute la socié­té humaine qui est en ques­tion. Il suit de là que, à rai­son du devoir de Notre charge, qui Nous oblige à défendre les droits de la Sainte Eglise, Nous ne pou­vons Nous dis­penser de renou­ve­ler et de confir­mer dans cette lettre les décla­rations et les pro­tes­ta­tions que Notre pré­dé­ces­seur Pie IX, de sainte mémoire, a plu­sieurs fois émises et renou­ve­lées, tant contre l’occupation du pou­voir tem­po­rel que contre la vio­la­tion des droits de l’Eglise Romaine. Nous tour­nons en même temps Notre voix vers les princes et les chefs suprêmes des peuples, et Nous les sup­plions ins­tam­ment, par l’auguste nom du Dieu très puis­sant, de ne pas repous­ser l’aide que l’Eglise leur offre dans un moment aus­si néces­saire d’entourer ami­ca­le­ment, comme de soins una­nimes, cette source d’autorité et de salut, et de s’attacher de plus en plus à elle par les liens d’un amour étroit et d’un pro­fond res­pect. Fasse le ciel qu’ils recon­naissent la véri­té de tout ce que Nous avons dit, et qu’ils se per­suadent que la doc­trine de Jésus-​Christ, comme disait saint Augustin, est le grand salut du pays quand on y conforme ses actes (1) ! Puissent-​ils com­prendre que leur sûre­té et leur tran­quilli­té aus­si bien que la sûre­té et la tran­quilli­té publiques, dépendent de la conser­va­tion de l’Eglise et de l’o­béis­sance qu’on lui prête, et appli­quer alors toutes leurs pen­sées et tous leurs soins à. l’aire dis­pa­raître les maux dont l’Eglise et son Chef visible sont affligés !

Puisse-​t-​il enfin en résul­ter que les peuples qu’ils gou­vernent entrent dans la voie de la jus­tice et de la paix et jouissent d’une ère heu­reuse de pros­pé­ri­té et de gloire !

Voulant aus­si ensuite main­te­nir de plus en plus étroite la concorde entre tout le trou­peau catho­lique et son Pasteur suprême, Nous- Vous enga­geons ici, avec une affec­tion toute par­ti­cu­lière, Vénérables Frères, et Nous Vous exhor­tons cha­leu­reu­se­ment à enflam­mer de l’a­mour de la reli­gion, par Votre zèle sacer­do­tal et Votre vigi­lance pas­to­rale, les fidèles qui Vous ont été confiés, afin qu’ils s’at­tachent, de plus en plus étroi­te­ment à cette Chaire de véri­té et de jus­tice, qu’ils acceptent tous sa doc­trine avec la plus pro­fonde sou­mis­sion d’es­prit et de volon­té, et qu’ils rejettent enfin abso­lu­ment toutes les opi­nions, même les plus répan­dues, qu’ils sau­ront être contraires aux ensei­gne­ments de l’Eglise. Sur ce sujet, les Pontifes Romains,. Nos pré­dé­ces­seurs, et en par­ti­cu­lier Pie IX, de sainte mémoire„ sur­tout dans le concile du Vatican, ayant sans cesse devant les yeux ces paroles de saint Paul : Veillez et ce que per­sonne ne vous trompe par Le moyen de la phi­lo­so­phie ou d’un vain arti­fice qui serait sui­vant la tra­di­tion des hommes ou sui­vant les élé­ments du monde et non sui­vant Jésus-​Christ (2), ne négli­gèrent pas, toutes les fois que ce fut néces­saire, de réprou­ver les erreurs qui fai­saient irrup­tion et de les frap­per des cen­sures apos­to­liques. Nous aus­si, mar­chant sur les traces de Nos pré­dé­ces­seurs, Nous confir­mons et Nous renou­ve­lons toutes ses condam­na­tions du haut de ce Siège Apostolique de véri­té et Nous deman­dons vive­ment en même temps au Père des lumières de faire que tous les fidèles, entiè­re­ment unis dans un même sen­ti­ment et une même croyance, pensent et parlent abso­lu­ment comme Nous. Votre devoir à Vous, Vénérables Frères, est d’employer Vos soins assi­dus à répandre au loin dans le champ du Seigneur la semence des célestes doc­trines et à faire péné­trer à pro­pos dans l’es­prit des fidèles les prin­cipes de la foi catho­lique pour qu’ils y poussent de pro­fondes racines et s’y conservent à l’a­bri de la conta­gion des erreurs. Plus les enne­mis de la reli­gion font de grands efforts pour ensei­gner aux hommes sans ins­truc­tion et sur­tout aux jeunes gens des prin­cipes qui obs­cur­cissent leur esprit et cor­rompent leur cœur, plus il faut tra­vailler ardem­ment à faire pros­pé­rer non seule­ment une habile et solide méthode d’é­du­ca­tion, mais sur­tout à ne pas s’é­car­ter de la foi catho­lique dans l’en­sei­gne­ment des lettres et des sciences et en par­ti­cu­lier de la phi­lo­so­phie de laquelle dépend, en grande par­tie, la vraie direc­tions des autres sciences, et qui, loin de tendre à ren­ver­ser la divine révé­la­tion, se réjouit, au contraire, de lui apla­nir la voie et de la défendre contre ses assaillants, comme nous Vont ensei­gné, par leur exemple et leurs écrits, le grand Augustin et le doc­teur angé­lique, et tous les autres maîtres de la sagesse chrétienne.

Il est tou­te­fois néces­saire que cette excel­lente édu­ca­tion de la jeu­nesse, pour être une garan­tie de la vraie foi et de la reli­gion et une sau­ve­garde de l’in­té­gri­té des mœurs, com­mence dans l’in­té­rieur même de la famille, de cette famille qui, mal­heu­reu­se­ment trou­blée dans les temps actuels, ne peut recou­vrer sa liber­té que par ces lois que le divin Auteur lui a lui-​même fixées en l’ins­ti­tuant dans l’Eglise. Jésus-​Christ, en effet, en éle­vant à la digni­té de sacre­ment l’al­liance du mariage, qu’il a vou­lu faire ser­vir à sym­bo­li­ser son union avec l’Eglise, n’a pas seule­ment ren­du la liai­son des époux plus sainte, mais il a pré­pa­ré tant* aux parents qu’aux enfants des moyens très effi­caces propres à leur faci­li­ter, par l’ob­ser­vance de leurs devoirs réci­proques, l’ob­ten­tion de la féli­ci­té tem­po­relle et éternelle.

Malheureusement, après que des lois impies et sans aucun res­pect pour la sain­te­té de ce grand sacre­ment, l’ont rabais­sé au même rang que les contrats pure­ment civils, il est arri­vé que des citoyens, pro­fa­nant la digni­té du mariage chré­tien, ont adop­té le concu­bi­nat légal au lieu des noces reli­gieuses ; des époux ont négli­gé les devoirs de la foi qu’ils s’é­taient pro­mise, des enfants ont refu­sé à leurs parents l’o­béis­sance et le res­pect qu’ils leur devaient, les liens de la cha­ri­té domes­tique se sont relâ­chés et, ce qui est d’un bien triste exemple et fort nui­sible aux mœurs publiques, à un amour insen­sé ont très sou­vent suc­cé­dé des sépa­ra­tions funestes et per­ni­cieuses. Il est impos­sible que la vue de cette misère et de ces cala­mi­tés lamen­tables, Vénérables Frères, n’ex­cite pas Votre zèle et ne Vous pousse pas à exhor­ter avec soin et sans relâche les fidèles confiés à Votre garde à prê­ter une oreille docile aux ensei­gne­ments qui ont trait à la sain­te­té du mariage chré­tien et à obéir aux. lois de l’Eglise qui règlent les devoirs des époux et des enfants.

C’est ain­si que Vous obtien­drez cette réforme si dési­rable des mœurs et de la manière de vivre de chaque homme en par­ti­cu­lier ; car, de même que d’un tronc pour­ri ne peuvent naître que des branches gâtées et des fruits misé­rables, de même cette funeste plaie qui cor­rompt les familles s’é­tend, par une triste conta­gion, sur tous les citoyens et devient un mal et un défaut com­mun. Au contraire, la socié­té domes­tique, une fois façon­née à une forme de vie chré­tienne, chaque membre s’ac­cou­tu­me­ra peu à peu à aimer la reli­gion et la pié­té, à détes­ter les fausses et per­ni­cieuses doc­trines, à pra­ti­quer la ver­tu, à obéir à ses supé­rieurs et à répri­mer cette recherche insa­tiable de l’in­té­rêt pure­ment pri­vé qui abaisse et énerve si pro­fon­dé­ment la nature humaine. Un bon moyen de réa­li­ser ce but sera de diri­ger et d’en­cou­ra­ger ces pieuses asso­cia­tions qui ont été plus par­ti­cu­liè­re­ment ins­ti­tuées, sur­tout dans ces temps-​ci, pour favo­ri­ser les inté­rêts catholiques.

Ce sont, en véri­té, Vénérables Frères, de grandes choses, même des choses supé­rieures aux forces humaines que Nous embras­sons ain­si de Nos vœux et de Nos espé­rances ; mais, comme Dieu a fait les nations du monde gué­ris­sables et qu’il a fon­dé son Eglise pour le salut des peuples, en pro­met­tant de l’as­sis­ter jus­qu’à la consom­ma­tion des siècles, Nous avons la ferme confiance que le genre humain, frap­pé de tant de maux et de cala­mi­tés, fini­ra, grâce a Vos efforts, par cher­cher le salut et la pros­pé­ri­té dans la sou­mis­sion à l’Eglise et dans le magis­tère infaillible de cette Chaire Apostolique.

Et main­te­nant, Vénérables Frères, avant de clore cette lettre, Nous éprou­vons le besoin de Vous faire part de Notre joie en voyant l’u­nion admi­rable et la concorde qui règnent par­mi Vous et Vous unissent si par­fai­te­ment à ce Siège Apostolique, et Nous sommes en véri­té per­sua­dé que cette par­faite union est non seule­ment un rem­part inex­pug­nable contre les assauts des enne­mis, mais encore un pré­sage heu­reux et pros­père de temps meilleurs pour l’Eglise ; elle pro­cure un très grand sou­la­ge­ment à Notre fai­blesse et relève aus­si d’une façon heu­reuse Notre esprit, en Nous aidant à sou­te­nir avec ardeur, dans la dif­fi­cile charge que Nous avons reçue, toutes les fatigues et tous les com­bats pour l’Eglise de Dieu.

Nous ne pou­vons non plus sépa­rer de ces causes d’es­pé­rance et de .joie que Nous venons de Vous mani­fes­ter ces décla­ra­tions d’a­mour et d’o­béis­sance que, dans ces com­men­ce­ments de Notre Pontificat, Vous, Vénérables Frères, Vous avez faites à Notre humble per­sonne et que Nous ont aus­si faites tant d’ec­clé­sias­tiques et de fidèles, prou­vant ain­si par les lettres envoyées, par les lar­gesses recueillies, par les pèle­ri­nages accom­plis et par tant d’autres marques de pié­té, que cette dévo­tion et cette cha­ri­té qu’ils n’a­vaient ces­sé de témoi­gner à Notre si digne Prédécesseur sont demeu­rées si fermes, si stables et si entières, qu’elles ne se sont point refroi­dies à la venue d’un suc­ces­seur aus­si peu digne de cet héri­tage. A la vue de témoi­gnages si splen­dides de la foi catho­lique, Nous devons confes­ser hum­ble­ment que le Seigneur est bon et bien­veillant et à Vous, Vénérables Frères, et à tous ces Fils ché­ris de qui Nous les avons reçus, Nous expri­mons les nom­breux et pro­fonds sen­ti­ments de gra­ti­tude qui inondent Notre cœur, plein de confiance que, dans la détresse et les dif­fi­cul­tés des temps actuels, Votre zèle et Votre amour, ain­si que ceux des fidèles, ne Nous feront jamais défaut. Nous ne dou­tons pas non plus que ces remar­quables exemples de pié­té filiale et de ver­tu chré­tienne ne contri­buent puis­sam­ment à tou­cher le cœur du Dieu très misé­ri­cor­dieux, et à lui faire jeter un regard de bien­veillance sur son trou­peau et accor­der la paix et la vic­toire à l’Eglise. Et comme Nous sommes per­sua­dé que cette paix et cette vic­toire Nous seront plus promp­te­ment et plus faci­le­ment accor­dées si les fidèles adressent constam­ment à Dieu des prières et des vœux pour les lui demander,

Nous Vous exhor­tons vive­ment, Vénérables Frères, à exci­ter dans ce but le zèle et la fer­veur des fidèles, en les enga­geant à employer pour média­trice auprès de Dieu la Reine Immaculée des Cieux, et pour inter­ces­seurs saint Joseph, patron céleste de l’Eglise, et les saints apôtres Pierre ‑et Paul, au puis­sant patro­nage des­quels Nous recom­man­dons Notre humble per­sonne, tous les ordres de la hié­rar­chie ecclé­sias­tique, et tout le trou­peau du Seigneur.

Au reste, Nous sou­hai­tons que ces jours où Nous fêtons le solen­nel anni­ver­saire de la résur­rec­tion de Jésus-​Christ soient, pour Vous et pour tout le trou­peau du Seigneur heu­reux, salu­taires et pleins d’une sainte joie, priant Dieu, qui est si bon, d’effacer les fautes que nous avons com­mises et de Nous faire misé­ri­cor­dieu­se­ment remise de la peine qu’elles Nous ont méri­tée, et cela par la ver­tu de ce Sang de l’Agneau imma­cu­lé qui a effa­cé la « sen­tence por­tée contre nous ».

« Que la grâce de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, la cha­ri­té de Dieu et la com­mu­ni­ca­tion du Saint-​Esprit soient avec vous tous », Vénérables Frères, et c’est de grand cœur que Nous Vous accor­dons, à Vous et à cha­cun en par­ti­cu­lier, ain­si qu’à Nos chers fils le cler­gé et les fidèles de vos Églises, la béné­dic­tion apos­to­lique comme gage de Notre spé­ciale bien­veillance et comme pré­sage de la pro­tec­tion céleste.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le jour solen­nel de Pâques, le 21 avril de l’an 1878, la pre­mière année de Notre Pontificat.

LÉON XIII, PAPE