Sermon de Mgr Lefebvre – Circoncision de Notre Seigneur – 1er janvier 1977

Mes bien chers frères,

Vous avez pu remar­quer que tout à l’heure, avant la célé­bra­tion de la Sainte Messe, nous avons chan­té le Veni Creator, pour qu’au début de cette année nou­velle nous rece­vions vrai­ment et plei­ne­ment les dons du Saint-​Esprit dont nous avons tant besoin pour pra­ti­quer notre vie chrétienne.

Quels sont donc les vœux que je puis aujourd’hui vous offrir au nom de la com­mu­nau­té ? Certes, comme l’on dit en famille, des vœux de bonne san­té, des vœux de paix, de pros­pé­ri­té, mais je pense – comme prêtre et comme pas­teur – je ne puis mieux vous dire et vous expri­mer comme vœux que ceux de 1’Enfant-Jésus Lui-même.

Nous sommes bien aujourd’hui dans l’octave de la fête de la Nativité. Et s’il est des biens que nous devons nous sou­hai­ter mutuel­le­ment, c’est bien ceux que Notre Seigneur Jésus-​Christ est venu nous appor­ter. Rien de plus beau, rien de plus grand, rien de plus riche, de plus sublime ne peut être sou­hai­té à quelqu’un que de rece­voir et de croître dans les dons que Notre Seigneur Jésus-​Christ est venu nous apporter.

Il nous faut donc réflé­chir aujourd’hui, d’une manière par­ti­cu­lière à ce que Jésus est venu appor­ter aux âmes. Et cette fête de la Circoncision nous le rap­pelle d’une manière toute particulière.

En effet, la cir­con­ci­sion rat­ta­chait l’enfant cir­con­cis, au peuple élu de Dieu. Et en ce sens nous fait pen­ser à notre bap­tême. Nous pour­rions dire qu’aujourd’hui la fête de la cir­con­ci­sion (de Notre Seigneur) nous rap­pelle le sacre­ment de bap­tême. Car, par ce sacre­ment du bap­tême, nous avons pré­ci­sé­ment reçu les dons que Notre Seigneur Jésus-​Christ est venu appor­ter ici-bas.

Pour nous, mes bien chers frères, qui avons eu la grande grâce – la plu­part d’entre nous, je le pense du moins – ont eu la grande grâce du bap­tême, peu de jours après leur nais­sance, peut-​être même le jour de la nais­sance. Il est pos­sible que nous mesu­rions d’une manière moins pro­fonde, moins consciente, la grâce du bap­tême, que ceux qui se sont conver­tis, par exemple du pro­tes­tan­tisme au catholicisme.

Je suis per­sua­dé que vous connais­sez per­son­nel­le­ment des per­sonnes qui se sont conver­ties et qui sont ardentes, qui ont le désir de par­ti­ci­per aux dons que l’Église catho­lique, par l’intermédiaire de sa hié­rar­chie, par l’intermédiaire de ses prêtres, com­mu­nique aux âmes. Ces pro­tes­tants conver­tis ont une soif, peut-​être plus ardente et plus vive que ceux qui sont catho­liques – je dirai – par géné­ra­tion, par tradition.

J’ai eu moi-​même l’occasion de véri­fier cette véri­té lorsque étant mis­sion­naire, j’ai eu l’occasion de don­ner le bap­tême à beau­coup plus d’adultes qu’aux enfants.

Et com­bien de fois, nous avons remar­qué, que ceux qui étaient bap­ti­sés adultes avaient en effet un sens de la gran­deur du bap­tême peut-​être plus pro­fond, peut-​être plus grand, au moins au moment où ils rece­vaient le bap­tême et même par­fois dans la suite.

Je me sou­viens de l’exemple frap­pant d’un chef afri­cain de la ville de Port-​Gentil, qui avait une très grande influence dans la région et qui, avant son bap­tême, vivait à la mode païenne, étant poly­game, uti­li­sant les fétiches, ayant autour de lui des spé­cia­listes dans l’utilisation de ces fétiches. Et on le crai­gnait dans toute la région.

Or, un jour, par la grâce de Dieu, ce chef s’est conver­ti. Et il a régu­la­ri­sé sa situa­tion ; il fit brû­ler tous ces fétiches, toutes ces amu­lettes et, se conver­tis­sant, il devient un fervent catho­lique. Je le vois encore, le matin, de très bonne heure, pré­sent à la porte de l’église, avant même que le Père arrive pour ouvrir la porte de l’église. Il était là sur le pas de la porte, atten­dant que le Père vienne pour ouvrir l’église.

Et lorsqu’il n’y avait pas de ser­vant, c’était lui qui ser­vait la messe, avec une pié­té, avec une dévo­tion admi­rable. Et devant son hon­nê­te­té, sa loyau­té, il fut choi­si par la ville comme juge. Et il ren­dit les juge­ments avec beau­coup d’intégrité, beau­coup d’impartialité. Il eut ain­si un grand renom éga­le­ment comme catho­lique dans la ville de Port-Gentil.

Cependant, évi­dem­ment, il fut per­sé­cu­té par les païens qu’il avait aban­don­nés et par­fois aus­si par des Européens qui le trou­vaient trop catho­lique, trop croyant, trop fidèle.

Mais lui, avait trou­vé sa vie d’une manière ferme et ne s’inquiétait pas de ce que l’on pou­vait dire de lui. Il avait la foi ; il était heu­reux ; il croyait en Notre Seigneur Jésus-​Christ ; il avait trou­vé la véri­té ; il com­pre­nait qu’enfin le bap­tême lui avait appor­té le plus grand bien qu’il pou­vait avoir dans son existence.

Eh bien, si des âmes païennes ont pu ain­si com­prendre la valeur du bap­tême et chan­ger com­plè­te­ment leur vie pour mani­fes­ter les ver­tus chré­tiennes, au lieu d’être tou­jours sou­mis aux vices du paga­nisme, pour nous aus­si, nous devons aujourd’hui réflé­chir d’une manière par­ti­cu­lière sur la gran­deur de notre baptême.

Et nous devons entre­te­nir en nous un désir pro­fond, un désir inces­sant de croître dans la connais­sance de Notre Seigneur Jésus-​Christ, dans l’amour de Notre Seigneur Jésus-​Christ, dans l’union à Notre Seigneur Jésus-Christ.

Vous savez que les auteurs spi­ri­tuels dis­tinguent dans la marche vers la per­fec­tion, vers l’union à Notre Seigneur, dis­tinguent trois étapes qu’ils appellent : la voie pur­ga­tive, la voie illu­mi­na­tive et la voie contemplative.

La voie pur­ga­tive, c’est celle des débu­tants, qui luttent contre les vices qu’ils peuvent avoir, les défauts : la grâce de Notre Seigneur est forte, mais aus­si les marques du péché ori­gi­nel qui sont en nous, qui sont tou­jours puis­santes. Alors, il faut lut­ter. Oh, il faut lut­ter toute sa vie, s’éloigner du péché, s’éloigner de ses vices tout au long de sa vie.

Cependant après qu’une pre­mière étape peut-​être nous a fait fran­chir, cette lutte ardente contre tous nos péchés et que la ver­tu a fini par triom­pher au moins par­tiel­le­ment sur nos fautes et sur nos vices : la vie illu­mi­na­tive nous aide à mieux com­prendre l’Évangile, à mieux com­prendre les mys­tères de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Lorsque nous lisons l’Évangile, lorsque nous lisons les livres de pié­té, lorsque nous prions, le Bon Dieu nous aide à mieux com­prendre ce qu’il est ; ce pour­quoi Il est venu, ce que nous sommes, où nous allons, d’où nous venons, pour­quoi nous sommes ici-​bas. Et alors, notre vie s’éclaire et notre ver­tu s’approfondit et notre foi aus­si devient plus ferme, plus cou­ra­geuse, plus com­bat­tive peut-​être, contre les erreurs des temps modernes, contre les scan­dales qui nous entourent.

Et je pense, mes bien chers frères, que cette période de grâce illu­mi­na­tive qui éclaire nos intel­li­gences et nos cœurs, est pré­ci­sé­ment une de ces périodes que nous vivons aujourd’hui.

Et pour vous, en par­ti­cu­lier, car je crois en véri­té, que vous rece­vez des grâces par­ti­cu­lières en ces temps-​ci. S’il y en a mal­heu­reu­se­ment beau­coup qui apos­ta­sient, beau­coup qui quittent l’Église devant la crise de l’Église, vous, au contraire, vous vous êtes res­sai­sis et vous avez affer­mi votre foi et vous avez prié davan­tage et le Bon Dieu vous a illu­mi­né cer­tai­ne­ment ; vous a don­né des lumières sur ce qu’est la reli­gion catho­lique, sur ce qu’il est. Lui, Notre Seigneur ; sur ce qu’il est venu nous appor­ter. Et alors, vous vous êtes accro­ché davan­tage à Lui et vous L’aimez davan­tage et vous Le sui­vez avec plus d’ardeur, avec plus de ferveur.

Il faut remer­cier Notre Seigneur de cette grâce, qui est une épreuve en même temps – une dure épreuve – quand on pense qu’il faut com­battre et qu’il faut lut­ter par­fois contre ceux qui devraient nous don­ner ces lumières.

Mais ce n’est pas nous qui choi­sis­sons les épreuves qui sont sur notre che­min. Lorsque l’épreuve vient, alors nous devons nous atta­cher à Notre Seigneur Jésus-​Christ plus que jamais.

Et enfin, les auteurs spi­ri­tuels disent que cette vie mène petit à petit, doit mener nor­ma­le­ment, à la vie de tout chré­tien qui aime sa vie chré­tienne et qui pour­suit vrai­ment sa vie chré­tienne, à la vie contemplative.

Qu’est-ce que cela veut dire la vie contem­pla­tive, sinon que l’on aime le Bon Dieu, que l’on vit avec Notre Seigneur ; que l’on vit toute la jour­née avec la Bon Dieu ; qu’à tout ins­tant, la pen­sée de Dieu nous vient, avec les évé­ne­ments que l’on ren­contre, aux épreuves que l’on subit. À tout ce qui peut éveiller un peu notre cœur et notre ima­gi­na­tion. Tout de suite la pen­sée de Dieu vient ; dans nos cœurs et dans nos âmes. Tous les évé­ne­ments de la vie, les plus simples, comme les plus impor­tants, sont sou­mis au regard du Bon Dieu dans nos âmes. Nous vivons au cours de la jour­née avec le Bon Dieu, avec Notre Seigneur Jésus-​Christ. Nous aimons prier ; nous aimons prendre notre chapelet.

Le Curé d’Ars, un jour, trou­vait dans sa cha­pelle, un vieillard qui venait sou­vent prier et qui demeu­rait de longues heures devant le Saint-​Sacrement. Et le Curé d’Ars lui demande un jour : « Mais enfin, qu’est-ce que vous faites là ? » – « Eh bien je Le regarde et Il me regarde ».

Dans toute sa sim­pli­ci­té cette bonne per­sonne disait : Je regarde le Bon Dieu et le Bon Dieu me regarde.

C’est cela la contem­pla­tion. Vous savez, il ne faut pas com­pli­quer les choses. C’est vivre avec le Bon Dieu, être avec son Père, son Père du Ciel. Et le Père, nous le savons, aime ses enfants. Il nous aime.

Par consé­quent, lorsque nous sommes soit à la cha­pelle – bien sûr, peut-​être d’une manière encore beau­coup plus vivante à la cha­pelle que par­tout ailleurs – mais éga­le­ment dans d’autres lieux. Lorsque nous fai­sons notre devoir d’état, nos pro­fes­sions, dans nos mai­sons, dans notre tra­vail, dans tout ce que nous fai­sons. Eh bien, si nous sommes avec le Bon Dieu, le Bon Dieu nous regarde et nous Le regardons.

C’est cela la vie du chré­tien. Que ce soit notre vie aus­si. Que nous pre­nions cette réso­lu­tion, au début de cette année, de vivre avec le Bon Dieu, de vivre sous le regard de Dieu ; de L’aimer de tout notre cœur ; d’aimer Notre Seigneur. Il est en nous. Nous vivons avec Lui ; par­ti­cu­liè­re­ment lorsque nous Le rece­vons dans la Sainte Communion. Et que ce ne soit pas seule­ment dans la Sainte Communion que nous Le gar­dions en nous, mais que ce soit tout au long de nos journées.

Alors notre vie sera sereine ; notre vie sera tou­jours pai­sible. Nous n’aurons pas de ces décou­ra­ge­ments ou de ces joies exces­sives. Mais notre vie se pas­se­ra dans la paix, devant le Bon Dieu, quoi qu’il arrive, que ce soit des évé­ne­ments joyeux, que ce soit des évé­ne­ments dou­lou­reux qui nous frappent, pour­vu que nous puis­sions tou­jours aimer Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et cela si nous le vou­lons, per­sonne ne peut nous l’enlever. Quoiqu’il arrive nous pour­rons tou­jours dire : Ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent, ils ne nous empê­che­ront jamais d’aimer Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et c’est là la source du bon­heur, c’est la source de notre sérénité.

Que ce soit le meilleur sou­hait que je puisse for­mer pour vous : Que jamais per­sonne ne puisse vous empê­cher d’aimer Notre Seigneur Jésus-​Christ et sa Sainte Mère, la très Sainte Vierge Marie.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.