Sermon de Mgr Lefebvre – Jeudi-​Saint – Messe chrismale – 16 avril 1987

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

Nous voi­ci réunis à nou­veau pour la messe chris­male. Ne peut-​on pas dire que cette céré­mo­nie et celles qui vont suivre au cours de ces quatre jour­nées de la Semaine Sainte, qui vont se ter­mi­ner dimanche par la Résurrection, sont des jour­nées sacer­do­tales, essen­tiel­le­ment sacer­do­tales. Il est bon pour nous prêtres, chers amis et confrères dans le sacer­doce et vous qui dans quelques mois allez être ordon­nés prêtres, de médi­ter un peu sur ces grands mystères.

Saint Paul dit que nous sommes les dis­pen­sa­teurs mys­te­rio­rum Dei ; nous sommes les dis­pen­sa­teurs des mys­tères de Dieu. Et s’il y a de grands mys­tères, ce sont bien ceux qui vont se dérou­ler au cours de ces jour­nées. Déjà dans la soi­rée, l’Église va évo­quer la Sainte Cène et à cette occa­sion, la créa­tion du sacer­doce, l’institution du sacer­doce. Quel mys­tère ! Que Dieu veuille bien choi­sir les hommes pour les sanc­ti­fier, pour les consa­crer à la conti­nua­tion de son œuvre de Rédemption, en leur confiant son propre Sacrifice. C’est là cer­tai­ne­ment un grand mys­tère d’amour, de cha­ri­té pour nous et pour tous ceux qui à tra­vers le sacer­doce au cours des siècles, rece­vront les grâces de sanctification.

Grand mys­tère aus­si que celui de la Passion de Notre Seigneur. Après la Sainte Cène, Jésus monte au Jardin des oli­viers et là com­mence cette Passion incroyable, extra­or­di­naire : Dieu souf­frant. Dieu qui semble écra­sé par la dou­leur, par le Sacrifice. Son Sang coule déjà, rien qu’à la pen­sée de son Sacrifice. Rien qu’à la pen­sée à la fois que son Sacrifice sera mal­heu­reu­se­ment incom­pris par beau­coup d’hommes. Et cepen­dant à tra­vers cette dou­leur, nous devons aper­ce­voir aus­si la joie immense de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Joie immense à la pen­sée qu’il réta­blit la gloire, l’honneur de son Père. Désormais, l’humanité dans sa Personne réta­blit le pont, réta­blit le lien avec Dieu, avec la Trinité Sainte. La gloire par­faite, totale, com­plète est ren­due à Dieu par Notre Seigneur Jésus-​Christ. Se peut-​il qu’il y ait quelqu’un qui puisse rendre dans une âme humaine et dans un corps humain, une gloire plus grande au Bon Dieu, à tel point que l’on pour­rait dire que la Rédemption est terminée.

Même, si tous les hommes sont per­dus, même si toute l’humanité doit être détruite et mou­rir même en enfer, la gloire du Bon Dieu a été rendue.

Notre Seigneur der­rière ses souf­frances, der­rière le sang qui coule, garde la vision béa­ti­fique et par consé­quent rend gloire à Dieu. Grand mys­tère encore.

Mystère des humi­lia­tions. Jésus-​Christ humi­lié, humi­lié par les Princes des prêtres, humi­lié par la tra­hi­son de Judas, humi­lié par les mau­vais trai­te­ments, les trai­te­ments hon­teux qu’il subit de la part de ses frères, de la part des Romains. Et puis le che­min de Croix, l’arrivée au Calvaire, le crucifiement.

Que de dou­leurs, que de souf­frances, que d’humiliations ! Participons plei­ne­ment à ce mys­tère. Parce que Notre Seigneur nous ayant asso­ciés, par­ti­cu­liè­re­ment nous prêtres, à son Sacrifice, com­ment ne pas nous asso­cier aus­si, nous, à ses mor­ti­fi­ca­tions, à ses souf­frances, à ses douleurs ?

Mystère de la mort de Notre Seigneur. Dieu meurt. Est-​ce pos­sible ? Non bien sûr. Dieu ne meurt pas, mais cepen­dant comme l’homme Il a vou­lu exha­ler son der­nier sou­pir ; Il a vou­lu que son âme se sépare de son Corps.

Et puis, ensuite, le grand mys­tère de la Résurrection. Mais avant, au cours de sa Passion, il est un geste qui doit nous tou­cher pro­fon­dé­ment de la part de Notre Seigneur et qui doit nous mar­quer pour toute notre vie sacer­do­tale, aus­si, c’est le don qu’il nous fait de sa Mère : Voici votre Mère. Encore un don admi­rable, que le Bon Dieu nous fait : Que Marie soit la Mère du prêtre.

Eh bien, médi­tons pen­dant ces jours ces grands mys­tères qui ont pour ori­gine, évi­dem­ment, la cha­ri­té de Dieu, l’amour de Dieu. Dieu est cha­ri­té. Rien ne s’est fait, rien ne s’est accom­pli depuis la Cène jusqu’à la Résurrection de Notre Seigneur qui ne soit fait sous le souffle de l’Esprit Saint, sous le souffle de la cha­ri­té du Bon Dieu, pour nous d’abord, pour ses prêtres. Et ensuite pour tous ceux qui, par l’intermédiaire des prêtres, comme le dit l’oraison d’aujourd’hui, seront sanctifiés.

Aussi nous devons par la médi­ta­tion de ces grands mys­tères, nous effor­cer de nous y unir, de les péné­trer, de tou­jours mieux les connaître. Il faut recon­naître que c’est bien dif­fi­cile, de péné­trer d’une manière très pro­fonde ces mys­tères, parce que nous ne connais­sons pas Dieu. Parce que Dieu est trop grand, pour nous.

Nous connais­sons bien sûr son exis­tence ; nous connais­sons ses per­fec­tions ; nous essayons de connaître son infi­ni­té, sa gran­deur. Mais si nous pou­vions par­ti­ci­per à la connais­sance que la très Sainte Vierge a eue de son divin Fils et de ces mys­tères que je viens d’énumérer, aux­quels Marie a par­ti­ci­pé d’une manière spé­ciale, nous com­pren­drions peut-​être pour­quoi la très Sainte Vierge est res­tée debout. Elle ne s’est pas écrou­lée comme elle aurait pu le faire, si elle n’avait eu que des connais­sances humaines, si elle n’avait eu que des sen­ti­ments humains. Mais non, sa foi, sa foi qui déjà avoi­sine presque la vision béa­ti­fique, voyait tout ce qui se pas­sait dans l’âme de Jésus. Elle savait par­fai­te­ment que Jésus était rem­pli en même temps, rem­pli de dou­leurs, de dou­leurs humaines, mais aus­si l’homme de la contem­pla­tion per­pé­tuelle, éter­nelle de Dieu, l’homme de la joie indi­cible et inéga­lée et tou­jours la même, imper­tur­bable. Marie savait très bien tout cela et par­ti­ci­pait pro­fon­dé­ment à toutes les souf­frances de son Fils, mais aus­si à ses joies profondes.

Demandons à Marie de mieux connaître cette œuvre de la Rédemption de Notre Seigneur.

Et Notre Seigneur a vou­lu, en plus du choix qu’il a fait de nous-​mêmes, de ses apôtres, des suc­ces­seurs des apôtres, de tous les prêtres qui ont exis­té et qui vien­dront dans l’avenir, Notre Seigneur a vou­lu choi­sir des élé­ments maté­riels. Et c’est pré­ci­sé­ment la rai­son qui nous réunit aujourd’hui pour cette messe chrismale.

Le Bon Dieu a vou­lu choi­sir l’huile d’olives. Il a vou­lu choi­sir l’eau du bap­tême ; Il a vou­lu choi­sir le grain de blé mou­lu pour deve­nir son Corps, le vin pour deve­nir son Sang. Et tous ces élé­ments. Il nous les a confiés ; Il nous les met entre les mains à nous prêtres.

Saurons-​nous uti­li­ser ces élé­ments, comme nous uti­li­sons les choses pro­fanes, les choses sécu­lières ? Quel sacri­lège ! Alors, c’est avec une grande dévo­tion, avec un pro­fond res­pect que nous devons trai­ter ces choses maté­rielles, que le Bon Dieu choi­sit pour com­mu­ni­quer sa grâce, pour com­mu­ni­quer ses béné­dic­tions, ses grâces de sanc­ti­fi­ca­tion à nous-​mêmes et aux fidèles vers les­quels nous sommes envoyés. Alors, ayons une grande dévo­tion pour ces créa­tures que le Bon Dieu a choi­sies pour être sacrées, pour deve­nir divines, pour deve­nir des causes. Encore choses vrai­ment mys­té­rieuses, parce que ces choses pure­ment maté­rielles deviennent des ins­tru­ments, des canaux de la vie divine, des canaux de l’Esprit Saint, qui rem­plissent les âmes. Alors avec quel soin nous devons gar­der ces choses.

Demandez d’appliquer, de pra­ti­quer le prin­cipe qui nous a été don­né lors de notre ordi­na­tion par l’évêque qui nous a ordon­né : Agnoscite quod agi­tis ; imi­ta­mi­ni quod trac­ta­tis (moni­tion aux ordi­nands) : « Considérez l’action que vous faites, imi­tez le sacri­fice que vous offrez ».

Oui, faites bien ce que vous avez à faire et imi­tez ce que vous tou­chez, ce que vous mani­pu­lez en quelque sorte. Oui, nous tou­chons la Sainte Hostie, nous tou­chons le calice du Sang de Notre Seigneur ; nous uti­li­sons les saintes Huiles, nous uti­li­sons l’eau bénite consa­crée du bap­tême, comme elle va l’être après la prière de l’Exultet. Tout cela est vrai­ment l’effet de la bon­té de Dieu pour nous.

Alors sachons com­mu­ni­quer ce sens du sacré ; ce sens des choix que le Bon Dieu a fait des créa­tures, pour notre sanc­ti­fi­ca­tion. Sachons com­mu­ni­quer cette dévo­tion et ce res­pect des choses sacrées à tous les fidèles dont nous avons la charge.

Et demandons-​le encore une fois, de manière toute par­ti­cu­lière, à la très Sainte Vierge Marie, qui a com­pris mieux que qui­conque l’œuvre de la Rédemption de Notre Seigneur Jésus-​Christ et qui est une ado­ra­trice modèle, modèle de dévo­tion pour tout ce qui tou­chait à Notre Seigneur Jésus-​Christ, à son divin Fils.

Que ce soit là notre prière à la très Sainte Vierge Marie, afin que nous soyons vrai­ment dans l’esprit dans lequel Notre Seigneur Jésus-​Christ a ins­ti­tué l’Église catho­lique et a ins­ti­tué le sacer­doce catho­lique. Si nous com­men­çons à pro­fa­ner, à sécu­la­ri­ser en quelque sorte, les choix de Dieu, eh bien, nous ne serons plus vrai­ment les fidèles dis­ciples de Notre Seigneur.

Soyons vrai­ment les dis­pen­sa­tores mys­te­rio­rum Dei.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.