Sermon de Mgr Lefebvre – Ordination sacerdotale de l’abbé Néri – 27 septembre 1986

Bien cher Monsieur l’ab­bé Néri,

C’est avec action de grâces que nous célé­brons cette sainte Messe au cours de laquelle vous allez rece­voir, par l’imposition des mains du pon­tife, l’ordination, la consé­cra­tion sacerdotale.

Et c’est par une déli­ca­tesse de la Providence, que vous rece­vrez cette onc­tion sacer­do­tale, en ce same­di des Quatre-​Temps de sep­tembre, qui rap­pelle – nous venons de le dire dans les lec­tures de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament – qui rap­pelle à la fois deux fêtes anciennes que célé­brait Israël : la fête dite des Expiations et la fête des Tabernacles.

Ces fêtes sont pour le prêtre, tout par­ti­cu­liè­re­ment ins­truc­tives. Fête des Expiations. C’est en ce jour-​là que le Grand Prêtre entrait chaque année dans le Saint des saints – et comme le dit l’Écriture – il n’entrait pas sans le sang des victimes.

C’est là, comme le dit saint Paul, une image de ce que devait être dans l’avenir, le vrai Sacrifice, le Sacrifice de Notre Seigneur Lui-​même. Lui, le Saint par excel­lence n’entrerait pas non plus dans le taber­nacle qui n’était pas fait de main d’homme, sans son Sang, sans son Précieux Sang. Et c’est cela que le prêtre et que vous aujourd’hui, vous asso­ciant à cette messe – pre­mière messe que vous allez dire – vous ferez éga­le­ment repro­duire le Sacrifice de Notre Seigneur par le Sang de Notre Seigneur, par le Sang qui sera vrai­ment le Sang de l’expiation, le Sang de la répa­ra­tion, le Sang de la Rédemption.

Le Sacrifice que les prêtres offrent aujourd’hui, est com­bien plus grand, com­bien plus effi­cace, com­bien plus sublime, com­bien plus divin, que le sacri­fice qu’offrait autre­fois le Grand Prêtre une fois dans l’année, lorsqu’il entrait dans le Saint des saints.

Que ce soit là pour vous, bien cher ami, une leçon pour votre sacer­doce, un exemple et un sujet d’édification pour vous et pour nous tous, pour ceux qui sont prêtres, pour ceux qui se pré­parent à le deve­nir. Le sacer­doce que le Bon Dieu nous donne, nous per­met, avec le Sang de Notre Seigneur Jésus-​Christ et non point le nôtre, mais nous devrions y asso­cier le nôtre, par notre offrande, par notre sacri­fice, asso­cier aus­si notre sang à Celui de Notre Seigneur pour péné­trer dans le taber­nacle éter­nel, dans le Ciel.

Et c’est cela la messe, ce Sacrifice de la messe. Avec la vic­time qu’est Notre Seigneur Jésus-​Christ, par la vic­time qu’est Notre Seigneur Jésus-​Christ nous péné­trons dans le Ciel et avec nous, nous y atti­rons les fidèles qui s’unissent au Sacrifice de Notre Seigneur. Ceux qui bap­ti­sés dans le Sang de Notre Seigneur, peuvent par­ti­ci­per à ce Sacrifice, et peuvent par le fait même rece­voir les grâces extra­or­di­naires que ce Sacrifice donne, grâces de rédemp­tion, grâces d’être asso­ciés au repas de la Victime qui s’est offerte, grâces de la Sainte Eucharistie.

Et la deuxième fête qui est sug­gé­rée aujourd’hui, c’est la fête des Tabernacles. Eh bien, quelle leçon éga­le­ment pour nous prêtres, futurs prêtres, occa­sion pour nous de rap­pe­ler aux fidèles que nous ne sommes pas ici, dans une demeure per­ma­nente. Pendant huit jours, pen­dant sept jours, les juifs vivaient sous des tentes, sous des taber­nacles pour rap­pe­ler les tentes du désert ; pour rap­pe­ler ce voyage de qua­rante années qu’avaient fait leurs ancêtres.

Et ce voyage, c’est bien l’image de notre voyage ici-​bas. Nous mar­chons vers la Terre pro­mise. Cette Terre pro­mise n’est autre que le Ciel. Quelle image mer­veilleuse pour nous, pour tous les fidèles de pen­ser que nous sommes ici-​bas dans un grand pèle­ri­nage qui doit nous mener dans cette union défi­ni­tive avec le Bon Dieu, par Notre Seigneur Jésus-​Christ, par l’intercession de la très Sainte Vierge Marie. Quelle belle leçon, que nous donne ce same­di des Quatre-​Temps de septembre !

Et à cette occa­sion je vou­drais rap­pe­ler aus­si que ce Sacrifice, cette messe que vous allez célé­brer, que nous célé­bre­rons ensemble, cette messe est la messe de toujours.

Nous enten­dons par­fois cer­taines hési­ta­tions, cer­taines dis­cus­sions entre nos fidèles qui tiennent à gar­der la Tradition, qui parlent et qui opposent messe de Jean XXIII, messe de saint Pie X, messe de saint Pie V. Eh bien, je dirai : il n’y a pas de messe de Jean XXIII ; il n’y a pas de messe de saint Pie X ; il n’y a pas de messe de saint Pie V.

Si on lit atten­ti­ve­ment la bulle de saint Pie V, lorsqu’il a ren­du à la messe, sa véri­table forme, son véri­table rit, c’est saint Pie V lui-​même qui dit ; qui demande à la com­mis­sion des car­di­naux qu’il réunit pour cette res­tau­ra­tion de la messe : Secundum « ad pris­ti­nam Missalæ ipsum sanc­to­rum Patrum nor­mam ac ritum res­ti­tue­runt » ; secun­dum pris­ti­nam for­mam Missalæ, secun­dum for­mam sanc­to­rum Patrum.

Que veut dire par là saint Pie V ? Eh bien, des saints Pères, qui sont nos Pères dans la foi, c’est-àdire ceux qui furent nos Pères dans la foi, des pre­miers siècles.

Ainsi saint Pie V n’a pas l’intention du tout d’établir une nou­velle messe, mais bien de res­tau­rer la messe selon les prin­cipes et la forme qu’elle avait dans les pre­miers siècles et dont l’origine vient de nos saints Pères : sanc­to­rum Patrum : nos Pères dans la foi, nos Pères dans la Tradition des saints Mystères que Notre Seigneur Jésus-​Christ Lui-​même a ins­ti­tués et que nos saints Pères ont trans­mis inté­gra­le­ment et avec une pré­ci­sion doc­tri­nale, expri­mée dans les dif­fé­rentes prières qu’ils ont reçues soit de Notre Seigneur, soit des apôtres, soit des pre­miers Pères. Voilà notre messe ; voi­là ce qu’est notre messe et ce qu’est encore notre messe d’aujourd’hui et ce qu’est la messe dite de Jean XXIII, dite de saint Pie X, dite de saint Pie V.

Sans chan­ge­ment. Et s’il y a eu réforme, cette réforme s’est atta­chée pré­ci­sé­ment à main­te­nir le rit de nos saints Pères ; à main­te­nir la forme de la messe selon nos saints Pères.

Même la soi-​disant réforme de Jean XXIII – qui n’en est pas une véri­ta­ble­ment – mais qui a vou­lu éga­le­ment retrou­ver la forme ori­gi­nelle de notre Sainte Messe. Et par consé­quent, lorsque vous célé­bre­rez la Sainte Messe, pen­sez que cette Sainte Messe que vous célé­brez est la Sainte Messe : secun­dum for­mam pris­ti­nam sanc­to­rum Patræ. Voilà ce qui compte pour nous. Célébrer notre Saint Sacrifice selon la tra­di­tion de nos saints Pères, des apôtres et de ceux qui les ont sui­vis, qui nous ont trans­mis ce rit qui a été res­tau­ré par saint Pie V, par saint Pie X, par Jean XXIII. Alors nous sommes donc dans cette tra­di­tion si impor­tante, si essen­tielle, si fon­da­men­tale, parce que pré­ci­sé­ment, elle conti­nue ce Sacrifice expia­toire de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Parce qu’elle conti­nue à expier les péchés ; parce qu’elle conti­nue la rédemp­tion vou­lue par Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et c’est pour­quoi nous refu­sons la nou­velle messe, parce qu’elle ne conti­nue plus l’esprit d’expiation et de la Rédemption de Notre Seigneur Jésus-​Christ, dans le Sang de Notre Seigneur.

Cette idée de sacri­fice expia­toire s’estompe et dis­pa­raît dans ce nou­veau rit, qui a été vou­lu nou­veau par Paul VI. Il l’a dit lui-​même : « Nous aban­don­nons l’ancien rit, pour faire un rit nou­veau ». 742

« Nous regret­tons », a‑t-​il dit lui-​même, « cette dis­pa­ri­tion de l’ancien rit qui », dit-​il, « remonte à saint Grégoire le Grand. »

Mais qui remonte encore plus haut que lui, jusqu’aux apôtres. Il le dit expli­ci­te­ment. Et par consé­quent, nous refu­sons un nou­veau rit, qui n’a plus le sens du Sacrifice expia­toire et pro­pi­tia­toire de l’Église catho­lique et qui res­semble davan­tage à la Cène pro­tes­tante, à l’esprit pro­tes­tant. Et qui a été ins­ti­tué par œcu­mé­nisme avec la pré­sence de pas­teurs pro­tes­tants, mani­fes­tant ain­si ce désir d’assimiler notre Sainte Messe à la messe des pro­tes­tants, au culte des pro­tes­tants. Et c’est cela que nous refu­sons. Parce que nous ne vou­lons pas avoir le culte pro­tes­tant. Nous vou­lons le Sacrifice catho­lique, qui est essen­tiel à l’Église. On ne peut pas dres­ser autel contre autel. Or c’est ce que nous voyons dans les églises.

Ayant eu l’occasion de pas­ser dans la basi­lique du Curé d’Ars, il y a quelques jours, j’ai consta­té moi-​même, comme vous l’avez consta­té vous-​mêmes et comme nous le consta­tons par­tout main­te­nant, dans le monde entier, on dresse autel contre autel. Le magni­fique autel dres­sé devant la tombe et devant la dépouille mor­telle de ce saint Curé d’Ars qui a célé­bré, lui, la messe selon le Sacrifice de tou­jours, ce magni­fique autel est aban­don­né au pro­fit d’une misé­rable petite table qui est mise en face de cet autel magni­fique, dres­sant ain­si autel contre autel.

Mais cette table n’est plus un autel, parce qu’il n’y a pas de pierre d’autel, parce qu’il n’y a pas la pierre du Sacrifice ; parce qu’il n’y a pas les cinq signes de Croix qui repré­sentent les cinq plaies de Notre Seigneur ; parce qu’il n’y a pas les reliques des saints qui ont mélan­gé leur sang à Celui de Notre Seigneur, unis­sant leur sacri­fice à celui de Notre Seigneur pour la Rédemption des péchés du monde. Il n’y a pas deux autels dans l’Église, parce qu’il n’y a pas deux sacri­fices dans l’Église, il n’y en a qu’un. Et nous sommes atta­ché à ce Sacrifice et nous vou­lons le per­pé­tuer selon l’ordre du saint pape, saint Pie V, qui demande que nous per­pé­tuions ce Sacrifice jusqu’à la fin des temps tel qu’il l’a réfor­mé, tel qu’il l’a retrou­vé, tel qu’il l’a indi­qué. Ainsi nous conti­nuons (à obéir à) l’ordre de ce saint Pape en conti­nuant le Sacrifice que nous allons célé­brer dans quelques ins­tants et dans lequel vous allez être ordon­né, pro­met­tant vous-​même de conti­nuer ce Sacrifice jusqu’à votre der­nier soupir.

C’est dans ce Sacrifice que j’ai ordon­né trois cent cinq prêtres – vous êtes le trois cent sixième – depuis la fon­da­tion de la Fraternité. C’est dans ce Sacrifice. Et je leur ai deman­dé de conti­nuer ce Sacrifice. Certains nous ont aban­don­né et ont aban­don­né le Sacrifice de tou­jours. Ils sont dans l’erreur. Ils s’écartent de la Tradition sainte et sacro-​sainte du Sacrifice de la messe de toujours.

Alors nous deman­de­rons tous ensemble aujourd’hui, bien cher M. l’abbé Néri, que la très Sainte Vierge Marie, qui était elle aus­si pré­sente au Sacrifice de Notre Seigneur, qui a mélan­gé son sang – on peut le dire – car elle est la Reine des mar­tyrs ; elle a eu le cœur trans­per­cé par le glaive ; elle a uni son sacri­fice à celui de Notre Seigneur, au vrai Sacrifice de Notre Seigneur, à l’unique Sacrifice de Notre Seigneur pour tous les siècles, pour tous les temps. Elle ne peut pas chan­ger, elle non plus, le Sacrifice de son divin Fils.

Alors nous deman­de­rons à la très Sainte Vierge Marie de vous gar­der dans cette foi, dans cette Tradition afin que uni à Notre Seigneur et à sa Sainte Mère, vous soyez un saint Prêtre et que vous conti­nuiez à faire le bien que vous avez déjà fait et par lequel vous vous êtes atti­ré l’estime des parois­siens de Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

Continuez à gar­der cette sainte Tradition, pour le bien de l’Église et pour le salut des âmes et pour le salut de votre propre âme.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.