Sermon de Mgr Lefebvre – Pâques – 26 mars 1978

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Confidite, nolite timere, ego vin­ci mun­dum. (Jn 16,33).

C’est Notre Seigneur qui nous laisse cette parole, avant de prendre le che­min de sa Passion et de sa mort.

« Ayez confiance. Ne crai­gnez pas. J’ai vain­cu le monde. »

Et en effet. Notre Seigneur a vain­cu le monde, le monde tel que saint Jean le décrit. Qu’est-ce qu’est le monde, dit saint Jean ?

Concupiscentia car­nis est, et concu­pis­cen­tia ocu­lo­rum et super­bia vitæ (I Jn 2,16). Qu’est-ce que cela veut dire ? Les richesses, les hon­neurs, la volup­té, les plai­sirs de la chair. Voilà ce qu’est le monde.

Et Notre Seigneur a vain­cu le monde. Il suf­fit de contem­pler Notre Seigneur atta­ché à sa Croix, cou­vert de sang, cou­ron­né d’épines, le côté ouvert, pour voir que Notre Seigneur a vrai­ment vain­cu le monde ; le monde des richesses, qui ne recherche que les richesses.

Y a‑t’il plus pauvre que Notre Seigneur sur sa Croix ?Le monde des hon­neurs. Y a‑t’il plus humble que Notre Seigneur mou­rant comme un condam­né de droit commun ?

Enfin concu­pis­cence de la chair. Y a‑t-​il un autre exemple de sacri­fice et de souf­france, de dou­leur, de meur­tris­sures de la chair, que Notre Seigneur cou­vert de sang sur sa Croix ?

Oui, Notre Seigneur a vain­cu le monde. Ce que le monde aimait, Notre Seigneur l’a mépri­sé. Et pour­quoi Notre Seigneur a‑t-​il mépri­sé ces choses ? Pour aimer ; pour aimer son Père ; pour aimer Dieu, parce que l’on ne peut pas ser­vir deux maîtres. On ne peut aimer le monde et aimer Dieu.

Or, Notre Seigneur, sur sa Croix est mort d’amour. Mort d’amour pour son Père, mort d’amour pour Dieu. Et ses bras éten­dus, son cœur ouvert, nous montrent aus­si qu’il est mort d’amour pour son prochain.

Il y a donc toute une grande leçon dans la vic­toire de Notre Seigneur sur le monde. Et parce qu’il a vain­cu le monde, il a fal­lu aus­si, qu’il rem­porte la vic­toire sur le péché. Car ce qui est à la racine de cette dévia­tion dans laquelle naissent nos âmes – et ce que l’on appelle le monde – tout cela nous vient du péché originel.

Et Notre Seigneur par sa Croix a rem­por­té la vic­toire sur le péché. Les hommes jusqu’alors n’avaient pas pu péné­trer au Ciel. Désormais, par la voie royale de la Croix, le Ciel est ouvert. Les âmes peuvent suivre Notre Seigneur et mon­ter au Ciel. Le péché est vain­cu. Le péché est vain­cu par le sang et l’eau qui ont cou­lé du côté de Notre Seigneur. Et qui va se concré­ti­ser dans tous ces sacre­ments que Notre Seigneur va nous lais­sés et qui nous don­ne­ront, qui nous appli­que­ront son Sang, dans le bap­tême en par­ti­cu­lier. Car toutes les âmes qui, désor­mais, après la mort de Notre Seigneur, seront bap­ti­sées, les âmes seront déli­vrées du péché ori­gi­nel et pour­ront pré­tendre aller au Ciel, suivre Notre Seigneur.

Notre Seigneur nous a déli­vré du péché ori­gi­nel. Il nous délivre même de nos péchés per­son­nel, par le sacre­ment de péni­tence, par le sacre­ment de l’extrême-onction et par le Saint Sacrifice de la messe. Notre Seigneur nous délivre de nos péchés.

Cependant, devons-​nous pen­ser, que déli­vrés de nos péchés, nous pou­vons désor­mais ne plus com­battre ? Qu’il n’y a plus d’exercices spi­ri­tuels à réa­li­ser dans nos âmes ?

Non, Notre Seigneur aurait pu aus­si faire dis­pa­raître dans nos âmes toutes les consé­quences du péché ori­gi­nel et par consé­quent nous éloi­gner de tous ces faux dési­rs, ces dési­rs désor­don­nés du monde. Notre Seigneur ne l’a pas vou­lu. Il a vou­lu – comme le dit saint Thomas – il a vou­lu que notre vie se passe à com­battre, à souf­frir dans les épreuves, dans les ten­ta­tions, dans les difficultés.

Chacun de nous a son petit drame, son grand drame. Le drame de sa vie spi­ri­tuelle, le drame de sa vie inté­rieure. À quel point en sommes-​nous, vis-​à-​vis de Dieu, vis-​à-​vis de Notre Seigneur ? Nos âmes sont-​elles pures ? Nos âmes sont-​elles rem­plies de grâce ? Nos âmes sont-​elles aimantes de Notre Seigneur Jésus-​Christ ? Sont-​elles aimantes de notre pro­chain ? Accomplissons-​nous nos devoirs d’état ? Sommes-​nous obéis­sants à la loi de Dieu qui nous demande d’aimer Dieu et d’aimer notre prochain ?

À cha­cun de nous de faire le point ; de savoir où nous en sommes. Et de com­battre. Dans le com­bat, lorsqu’il y a une trêve, les offi­ciers de l’état-major se réunissent et se demandent pour­quoi la défaite a eu lieu ; à tel endroit, où se trouvent les points faibles de l’ennemi, afin de reprendre le com­bat et de conqué­rir la victoire.

Eh bien, nous aus­si, nous avons à nous recueillir par­fois dans notre vie, à faire des retraites, pour savoir où nous en sommes. Savoir com­ment com­battre l’ennemi pour rem­por­ter la vic­toire avec Notre Seigneur. Il faut que nous la rem­por­tions. Il faut lut­ter. Car si Notre Seigneur a vain­cu le monde, a vain­cu le péché ; il a vain­cu aus­si le démon.

Et cepen­dant, nous consta­tons tous les jours, les influences mau­vaises des esprits qui nous entourent. Qui, comme le dit saint Paul, sont dans l’air, autour de nous et qui veulent notre perte.

Eh bien, Notre Seigneur a vrai­ment vain­cu le démon, parce que, avant sa Passion, avant sa mort, avant sa Résurrection, le démon régnait sur les âmes, de l’intérieur. Il avait une emprise sur nos âmes – il l’a encore lorsque les âmes ne sont pas bap­ti­sées, puisque nous devons pro­non­cer les exor­cismes pour chas­ser le démon des âmes – mais, désor­mais, grâce à la Passion de Notre Seigneur, grâce à sa vic­toire, Notre Seigneur l’a dit :

Nunc eii­cie­tur prin­ceps huis mun­di (Jn 12,31) : « Maintenant le Prince de ce monde est chas­sé dehors ». Oui, il est chas­sé dehors des âmes qui sont bap­ti­sées, c’est vrai. Mais il a encore une influence dans ce monde ; du dehors, il peut nous ten­ter ; il peut faire pres­sion sur toute notre vie, par toutes sortes de moyens, vous le savez bien. Par tous les moyens que ce monde met à sa disposition.

Et cepen­dant sa défaite est assu­ré. À nous de com­battre ; à nous de veiller, d’avoir l’œil ouvert sur toutes les influences dia­bo­liques qui nous entourent, afin de gar­der nos âmes à Notre Seigneur Jésus-Christ.

Enfin, Notre Seigneur a conquis la vic­toire sur la mort. Car la mort, c’est la consé­quence du péché.

Et voi­ci qu’aujourd’hui, nous fêtons sa Résurrection. Conséquence de la vic­toire de Notre Seigneur, nous sommes assu­rés que nous aurons, nous aus­si, un jour, la joie de la résur­rec­tion, si tou­te­fois nous sui­vons Notre Seigneur ; si nous L’aimons ; si nous sommes comme la Vierge Marie, debout au pied de la Croix

Cette parole que je vais vous citer se trouve dans l’offertoire de Notre-​Dame des sept dou­leurs, le jour de la fête de Notre-​Dame des sept douleurs :

Dilectus meus can­di­dus et rubi­cun­dus (Ps 115,2 – Ct 5,10) : « Mon Bien-​Aimé est blanc et rosé… », totus spi­rat amo­rem : « Mon Bien-​Aimé, pur et à la fois ver­meil par le Sang qui coule, res­pire tout entier l’amour. »

Caput incli­na­tum : « Sa tête inclinée »

Manus expensæ : « Ses mains étendues »

Pectus aper­tum : « Son cœur ouvert »

Oui, contem­plons Notre Seigneur Jésus-​Christ sur sa Croix, comme la Vierge Marie et deman­dons à Notre Seigneur de nous don­ner cet amour. Mais pour avoir cet amour, il faut nous sacri­fier ; il faut com­battre. Toute la Croix nous le montre. Si nous ne com­bat­tons pas ; si nous res­tons pas­sif ; si nous nous endor­mons, alors l’ennemi sera tout-​puissant et vien­dra de nou­veau s’introduire dans nos âmes.

Et hélas, mes bien chers frères, aujourd’hui c’est le grand drame de l’Église. Cette vic­toire que Notre Seigneur Jésus-​Christ a rem­por­tée et qui se mani­feste aujourd’hui dans cette fête de la Résurrection, cette vic­toire com­porte néces­sai­re­ment un com­bat gigan­tesque contre le monde, contre le démon, contre la mort, contre le péché. Notre Seigneur a triom­phé, mais ce com­bat conti­nue et toute l’Histoire de l’Église, n’est que l’histoire de ce com­bat avec des péri­pé­ties diverses.

Mais aujourd’hui, n’est-on pas dans une heure de ténèbres où le démon règne à nou­veau, où l’esprit du monde est par­tout et s’infiltre par­tout, n’allons-nous pas à la mort ? À la mort éternelle ?

Et hélas, dans l’Église elle-​même, on ne veut plus com­battre. Il ne faut plus par­ler de com­bat, plus par­ler de péni­tence, plus par­ler de renon­ce­ment, plus par­ler de mor­ti­fi­ca­tion. Voilà le grand drame que l’Église subit aujourd’hui. On a dépo­sé les armes. Alors le démon se trouve tout puis­sant parce que l’on ne le com­bat plus.

On en vien­dra bien­tôt à dire que le démon n’existe plus, que le monde n’est pas si mau­vais que l’on veut bien le dire ; que ce monde est plein de bonnes inten­tions. Or, nous savons qu’il est l’instrument du démon pour nous per­ver­tir. Si le monde a haï Notre Seigneur, Notre Seigneur l’a dit Lui-​même : Ce monde aus­si vous haïra.

Alors si nous venons, nous, à aimer le monde, le monde nous aime­ra. Et par consé­quent, nous nous sépa­re­rons de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Or, aujourd’hui, il semble que l’on soit plein de com­plai­sance pour ce monde.

Même les clercs, même les évêques.

Je lisais hier une décla­ra­tion faite par un car­di­nal sur les Droits de l’homme. Car, désor­mais, il ne s’agit plus du Décalogue qui nous dit d’aimer Dieu et d’aimer notre pro­chain. Il ne s’agit plus de par­ler de nos devoirs vis-​à-​vis de Dieu, vis-​à-​vis de Notre Seigneur et vis-​à-​vis de notre pro­chain. Non, il ne s’agit plus que des droits de l’homme.

Et à quoi se réduisent ces droits de l’homme ? Qui sont soi-​disant néces­saires pour la digni­té humaine au par­tage des biens de ce monde. Il faut par­ta­ger les biens de ce monde. Voilà. Cela se réduit à cela les droits de l’homme.

Est-​ce cela que Notre Seigneur nous repré­sente sur sa Croix ? Notre Seigneur nous demande jus­te­ment, de mépri­ser les richesses de ce monde. Et voi­là que ceux qui devraient apprendre aux hommes à mépri­ser ces richesses, à aimer cet esprit de pau­vre­té même s’ils sont riches, à vivre en pauvre, pauvre en esprit, déta­ché des biens de ce monde, voi­là que ceux qui devraient prê­cher ces choses et prê­cher Notre Seigneur Jésus-​Christ, ne pensent qu’au par­tage des biens de ce monde et sus­citent, par consé­quent, encore l’envie dans les cœurs. Toujours plus ; tou­jours plus que notre voi­sin. Jalousie envers ceux qui pos­sèdent quelques biens. Ils mettent dans le cœur des hommes, cette divi­sion, cette lutte des classes, qui est pré­ci­sé­ment ce que le démon veut, pour détruire le monde et détour­ner les âmes.

N’y aura-​t-​il pas au Brésil, cette année, une réunion de tous les délé­gués des confé­rences épis­co­pales pour ne par­ler que des droits de l’homme ? Où se trouve la digni­té humaine ? On parle des droits de l’homme pour la digni­té humaine. Mais de quoi s’agit-il ?

La digni­té humaine consiste à aimer la Vérité et à aimer le bien. Dans la mesure où nous nous éloi­gnons de la Vérité, dans la mesure où nous nous éloi­gnons du bien, nous ne sommes plus dignes ; nous ne serons pas dignes du Ciel.

Est-​ce que le démon serait encore digne ! Il y a là des erreurs pro­fondes qui actuel­le­ment sont entrées dans les esprits, même les esprits de ceux qui devraient prê­cher la Vérité et qui, désor­mais, sont des pro­phètes d’erreur.

Eh bien, nous devons, nous, mes bien chers frères, main­te­nir, main­te­nir la Croix de Notre Seigneur Jésus-​Christ ; médi­ter tous les jours la Croix de Notre Seigneur Jésus-​Christ ; la mettre par­tout, dans nos chambres, dans nos mai­sons, à la croi­sée de nos che­mins. Que la Croix de Notre Seigneur Jésus-​Christ règne et soit par­tout devant nos yeux, afin que nous ayons cette leçon conti­nuelle que Notre Seigneur Jésus-​Christ nous donne, d’une manière si admirable.

Lui qui est riche, car il est le Créateur de toutes choses, tout lui appar­tient. Il a vou­lu vivre pauvre et mou­rir pauvre. Lui qui aurait dû avoir tous les hon­neurs du monde, toute l’humanité qui aurait dû venir se pré­ci­pi­ter à ses pieds, lui rendre gloire et hon­neur. Il est mort comme un malfaiteur.

Et Lui qui pos­sède toutes choses, aurait pu s’offrir tous les plai­sirs légi­times que le monde peut offrir. Il a vou­lu périr bai­gné dans son Sang. Voilà l’exemple que nous donne Notre Seigneur Jésus-​Christ, si nous vou­lons vrai­ment vivre en chrétien.

Voilà ce que vous, mes bien chers amis, vous prê­che­rez plus tard : la Croix de Notre Seigneur Jésus-​Christ, comme saint Paul. Que prêche-​t-​il ? Jésus et Jésus cru­ci­fié, vous prê­che­rez Jésus cru­ci­fié pour le bien des âmes. Et si vous ne le faites pas, vous trom­pe­rez ceux vers les­quels vous serez envoyé. Vous ne les condui­rez pas au Ciel. Et c’est pour cela que nous devons main­te­nir, main­te­nir la Croix de Notre Seigneur Jésus-​Christ et par consé­quent son Saint Sacrifice de la messe.

Parce que la Croix de Notre Seigneur Jésus-​Christ n’est plus hono­rée et n’est plus hono­rée dans le Saint Sacrifice de la messe en par­ti­cu­lier, que les âmes se perdent, que les âmes sont déso­rien­tées, ne savent plus où se trouve la voie du Ciel. La voie du Ciel elle est dans le Saint Sacrifice de la messe ; elle est dans le Sacrifice de Notre Seigneur ; elle est dans la Croix de Notre Seigneur qui répand son Sang tous les jours sur nos autels. C’est par cette Croix que nous irons au Ciel. Il n’y a pas d’autre che­min ; il n’y a pas d’autre voie de salut que la Croix de Notre Seigneur Jésus-​Christ qui est la voie royale du Ciel : Via rega­lis Crucis et cœli.

Voilà, mes bien chers frères, ce que nous devons main­te­nir à tout prix. Demandons à la très Sainte Vierge Marie, de nous ensei­gner la Croix. Elle nous dira ce qu’est vrai­ment pour nous, le che­min du Ciel et ain­si elle nous accueille­ra lorsque l’heure de notre mort sera venue, si nous avons sui­vi Notre Seigneur Jésus-Christ.

Demandons aus­si, en ce jour, que les esprits soient éclai­rés ; que les esprits des prêtres, de ceux qui doivent prê­cher la Vérité, que le Saint-​Esprit les éclaire, afin qu’ils reviennent vrai­ment à cette pré­di­ca­tion de la Croix, qui est le trône de gloire de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.