Sermon de Mgr Lefebvre – Pentecôte – 22 mai 1988

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

Les Actes des Apôtres nous rap­portent ces paroles de Notre Seigneur avant son Ascension au sujet de l’effusion du Saint-​Esprit que Notre Seigneur va envoyer aux apôtres :

Quia Joannes qui­dem bap­ti­za­vit aqua : Jean-​Baptiste vous a bap­ti­sés dans l’eau. Moi je vous enver­rai après quelques jours le bap­tême de l’Esprit Saint : Vos autem bap­ti­za­bi­mi­ni Spiritu Sancto non post mul­tos hos dies (Ac 1,5).

Ce sont des paroles qui rejoignent d’ailleurs celles que Notre Seigneur a dites Lui-​même à Nicodème : Nisi quis rena­tus fue­rit ex aqua, et Spiritu Sancto, non potest introire in regnum Dei (Jn 3,5) : Si quelqu’un ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint, il ne peut pas entrer dans le royaume des Cieux.

Ainsi les apôtres qui ont été bap­ti­sés par Jean-​Baptiste, vont main­te­nant rece­voir le bap­tême de l’Esprit Saint.

Or, les Actes des Apôtres mani­festent quels ont été les effets de ce bap­tême de l’Esprit Saint dans l’âme des apôtres. Cela a été un chan­ge­ment radi­cal, une réno­va­tion totale. Quelques temps encore avant l’Ascension de Notre Seigneur, les apôtres lui demandent : « Quand allez-​vous res­ti­tuer le royaume d’Israël ? ». Leurs pré­oc­cu­pa­tions sont encore toutes ter­restres. Ils ne pensent qu’à un royaume de ce monde. Ils n’ont pas com­pris ce pour­quoi Notre Seigneur était venu. Et Notre Seigneur leur reproche d’ailleurs, la dure­té de leur cœur.

Et voi­ci qu’après cet évé­ne­ment extra­or­di­naire de la des­cente du Saint-​Esprit sur eux, entou­rant la Vierge Marie, ils étaient, disent les Actes des Apôtres, envi­ron cent-​vingt, lorsque le Saint-​Esprit des­cen­dit sur eux et leur fit com­prendre que ce qui impor­tait, ce n’était pas le royaume de la terre, c’était le royaume du Ciel.

Leur foi leur espé­rance, leur cha­ri­té, ont gran­di et sous l’influence de la Lumière du Saint-​Esprit, ils ont com­pris que ce qui était l’objet de leur foi, ce qui était l’objet de leur cha­ri­té, c’était Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et désor­mais, nous les ver­rons prê­cher Notre Seigneur Jésus-​Christ. Il n’y a plus que cela qui compte pour eux. Saint Pierre com­mence à le dire aux fidèles ras­sem­blés, aux juifs ras­sem­blés et les juifs lui deman­de­ront : « Mais alors que devons-​nous faire ? – Faire péni­tence et être bap­ti­sés. Et les apôtres en bap­ti­se­ront cinq mille.

Et ain­si voi­là que cette réno­va­tion dont ils ont été l’objet, va être aus­si celle des fidèles qui vont être bap­ti­sés. Et peu à peu, ain­si, ce feu se répan­dra à tra­vers le monde.

Et nous aus­si nous avons reçu notre Pentecôte. Notre Pentecôte, cela a été notre bap­tême. Et il faut bien le dire, étant don­né que la plu­part d’entre nous, nous avons été bap­ti­sés enfant, quelques jours après notre nais­sance, nous n’avons pas pris conscience peut-​être suf­fi­sam­ment de l’événement extra­or­di­naire qui nous est arrivé.

Nous aus­si, nous avons eu notre Pentecôte. Nous aus­si nous avons été bap­ti­sés dans l’Esprit Saint. Et notre âme a été trans­for­mée, comme a été trans­for­mée l’âme des apôtres. C’est le même Esprit. Il n’y a pas deux Esprit Saint : il n’y en a qu’un. L’Esprit Saint qui est des­cen­du sur les apôtres et l’Esprit Saint qui est des­cen­du dans nos âmes, au jour de notre baptême.

Nous devons prendre conscience de cette trans­for­ma­tion qui s’est opé­rée dans nos âmes, afin de venir au secours de cette trans­for­ma­tion, de ne pas l’étouffer, de ne pas contris­ter l’Esprit Saint ; de ne pas l’empêcher d’agir en nous et d’avoir les mêmes effets en nous, que les effets qui ont été don­nés aux apôtres après la Pentecôte.

Vivre pour Jésus. Que Notre Seigneur Jésus-​Christ soit vrai­ment, à la fois l’objet de notre foi, l’objet de notre espé­rance, l’objet de notre cha­ri­té. Et nous devons consta­ter en effet, que si nous sommes vrai­ment chré­tiens, c’est-à-dire atta­chés à Notre Seigneur Jésus-​Christ, toute notre vie se trans­forme. Notre vie a un tout autre sens que celui qu’a la vie par­mi les païens, qui n’ont d’espoir qu’en cette terre. La foi, la foi dans la divi­ni­té de Notre Seigneur Jésus-​Christ, la foi en Dieu venu sur terre par­mi nous. Et c’est d’ailleurs tout ce que l’Évangile nous enseigne. Notre Seigneur le répète à satiété.

Saint Jean, saint Paul le disent éga­le­ment sans cesse. Il faut croire, croire à Notre Seigneur JésusChrist. Celui qui croi­ra sera sau­vé, celui qui ne croi­ra pas sera condamné.

Et Notre Seigneur a ajou­té à Nicodème cette parole impor­tante : « Celui qui ne croit pas est déjà jugé ». « Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sau­ver », dit Notre Seigneur à Nicodème, mais celui qui ne croit pas est déjà jugé.

C’est ter­rible. Il est jugé, jugé pour l’éternité, à moins qu’il ne se conver­tisse et qu’il ne croie.

C’est donc la foi qui est à la racine de notre réno­va­tion. C’est cela qui est le pre­mier effet qui est pro­duit dans nos âmes, par la des­cente du Saint-​Esprit au jour de notre baptême.

C’est d’ailleurs ce que nous avons deman­dé au jour de notre bap­tême. Nous avons deman­dé à l’Église la foi. Eh bien, cette grâce du Saint-​Esprit nous a don­né la foi. Nous croyons en Notre Seigneur Jésus-​Christ. Nous sommes chré­tiens. Et cela, encore une fois, a une influence sur toutes nos actions quotidiennes.

Nous nous met­tons sous la loi que Notre Seigneur Jésus-​Christ nous a don­née, cette loi d’amour : aimer Dieu, aimer son pro­chain. Car Notre Seigneur nous l’apprend, tout le Décalogue se résume dans ces deux pré­ceptes : aimer Dieu, aimer notre prochain.

Et cet amour trans­forme les familles, trans­forme la Société, a fait d’une Société païenne, une Société chré­tienne. Cet amour natu­rel, ce res­pect des autres, ce désir de faire du bien aux autres, de faire du bien, c’est-à-dire de les rap­pro­cher de Notre Seigneur Jésus-​Christ ; de les aider à mieux imi­ter Notre Seigneur Jésus-​Christ dans leur vie. Car c’est cela le véri­table amour. Le véri­table amour, fait en sorte de por­ter les âmes à Dieu, por­ter les âmes à Dieu. Nous mettre dans cette ambiance de la des­cente de l’Esprit Saint et de ce feu d’amour qui doit rem­plir nos âmes.

Et j’insiste aus­si, non seule­ment sur la foi, mais aus­si sur l’espérance, ver­tu trop oubliée. Or, c’est la ver­tu du pèle­rin. Or, nous sommes des pèle­rins. Si notre foi nous enseigne la divi­ni­té de Notre Seigneur Jésus-​Christ, l’espérance, elle, nous fait espé­rer, dési­rer, d’être uni à Notre Seigneur JésusChrist pour l’éternité. Entrer dans la gloire de la Trinité Sainte par Notre Seigneur Jésus-​Christ, en Notre Seigneur Jésus-​Christ. Et ce n’est pas une petite chose.

Si nous vivions davan­tage dans l’espérance, nous n’aurions pas la crainte de la mort. Beaucoup craignent la mort, ont hor­reur de la mort, alors que la mort est au contraire une déli­vrance et que nos âmes vont – vers ce pour­quoi elles ont été créées – vers leur bon­heur éternel.

Je dirai que l’on pour­rait com­pa­rer un peu nos âmes, à ces chry­sa­lides qui sont enfer­mées dans ces cocons et qui tout dou­ce­ment, tout dou­ce­ment pré­parent leur envol et de cette chry­sa­lide sort un joli papillon qui s’envole vers le soleil.

Eh bien, c’est un peu ce que nous sommes ici-​bas. Nous sommes comme des chry­sa­lides, mais un jour, notre corps sera inani­mé, mais notre âme s’en ira vers le Bon Dieu, vers le soleil éter­nel, vers Dieu qui est la Lumière éter­nelle. C’est cela notre vie. C’est cela pour­quoi nous sommes faits.

Alors si nous avons l’espérance, la mort n’effraie pas. Et au contraire, nous la dési­rons comme le dési­rait saint Paul : Desiderium habens dis­sol­vi, et esse cum Christo (Ph 1,23) : Je désire de par­tir de mon corps et me trou­ver avec Notre Seigneur Jésus-​Christ. Et com­bien d’Âmes saintes, ont dési­ré aus­si ce moment pour aller rejoindre Dieu dans l’éternité, rejoindre Notre Seigneur.

Il faut vivre de cette espérance.

Et nous devons éga­le­ment vivre de la cha­ri­té. Déjà main­te­nant, nous pou­vons jouir de Dieu par la pré­sence de Notre Seigneur Jésus-​Christ en nous, par la pré­sence de son Esprit en nous : nous devons jouir de la pré­sence de Dieu en nous et par­ti­cu­liè­re­ment par les sacre­ments qui entre­tiennent en nous la pré­sence de Notre Seigneur et sur­tout la Sainte Eucharistie.

Voilà le résul­tat de la Pentecôte. C’est là une source de conso­la­tion que ne connaissent pas les païens. Et c’est pour­quoi nous devons dési­rer être mis­sion­naires et vou­loir répandre autour de nous la bonne nou­velle de la venue de Notre Seigneur par­mi nous. Et vou­loir com­mu­ni­quer son Esprit – par le bap­tême – à toutes les âmes qui nous entourent ; à toutes les âmes que nous connais­sons et qui sont éloi­gnées encore de Notre Seigneur Jésus-Christ.

C’est cela l’esprit mis­sion­naire de l’Église. C’est cela qui a été l’esprit mis­sion­naire des apôtres. Voyez comme ils sont prêts à par­tir à tra­vers le monde. Douze apôtres, un tout petit groupe, insi­gni­fiant et qui a mis le feu de l’amour aux quatre coins du monde et qui a trans­for­mé le monde.

Voilà quelles doivent être aus­si nos pen­sées et nos dési­rs. Mais, vous le savez bien, nous vivons aujourd’hui un drame. Cette foi, cette espé­rance et cette cha­ri­té dimi­nuent, semblent bien­tôt vou­loir dis­pa­raître à l’intérieur de l’Église, dans les milieux chré­tiens, beau­coup ne croient plus à la divi­ni­té de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Beaucoup aban­donnent leur foi, leur pra­tique reli­gieuse et s’inscrivent dans des sectes qui ne croient pas à la divi­ni­té de Notre Seigneur Jésus-​Christ. C’est l’apostasie, l’apostasie qui se géné­ra­lise de plus en plus.

Et ceux-​là vont rejoindre le groupe immense de ceux qui n’ont pas la foi et qui sont déjà jugés, par Dieu, par Notre Seigneur Jésus-​Christ Lui-même.

Tout cela est très dou­lou­reux et nous ne devons pas (seule­ment consta­ter) cette situa­tion. Nous devons plus que jamais faire péni­tence, prier, prier pour la conver­sion des âmes.

Vous, mes bien chers frères, vous avez pris la réso­lu­tion de gar­der la foi catho­lique, vous deman­dant com­ment dans ce milieu qui est quel­que­fois tout proche de vous, dans vos familles mêmes, vous voyez des per­sonnes, (des parents) qui aban­donnent la pra­tique reli­gieuse et qui semblent ne plus avoir la foi, (com­ment résis­ter). Mais au lieu de vous lais­ser ten­ter par ce mau­vais exemple, vous avez pris la réso­lu­tion de main­te­nir votre foi.

Et com­ment avez-​vous pu main­te­nir votre foi ? Quel a été le moyen qui vous a sem­blé bon pour gar­der la foi catho­lique, res­ter chré­tiens ? Eh bien, c’est la Tradition. Vous avez vou­lu imi­ter vos ancêtres, vos grands-​parents, vos aïeux, vos parents en vous disant : nos parents ont agi de telle manière pour gar­der la foi ; ils ont gar­dé la foi ; ils sont morts dans l’amour de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Nous vou­lons faire comme eux. Et par consé­quent nous vou­lons main­te­nir ce qu’ils ont fait, ce que l’Église leur a appris ; ce qu’ils ont pra­ti­qué ; ce que les saints Prêtres leur ont ensei­gné ; ce que les saints Évêques leur ont enseigné.

Et vous avez rai­son. C’est ain­si que vous vous main­te­nez et que vous main­te­nez votre famille dans la foi catho­lique. C’est là une très grande grâce, au milieu de ce désar­roi uni­ver­sel, on peut le dire en réalité.

Alors, nous devons prendre la réso­lu­tion de main­te­nir cette Tradition. Et vous, mes bien chers amis, qui allez être les ins­tru­ments et qui êtes déjà les ins­tru­ments de la per­ma­nence de la Tradition, cette Tradition vous la trou­ve­rez ici, dans votre sémi­naire ; vous la trou­ve­rez dans vos études. Vous entre­te­nez votre foi catho­lique par les études que vous faites ici. Vous pou­vez consul­ter dans votre biblio­thèque, vous pou­vez consul­ter les livres anciens, les livres des Pères. Vous pou­vez consul­ter ce qu’a été la foi des siècles pas­sés. Imitez cette foi. Vous pou­vez lire la vie des saints. Comment les saints qui ont été des modèles d’adhésion à la divi­ni­té de Notre Seigneur Jésus-​Christ, qui ont été des modèles de cette récep­ti­vi­té de l’Esprit Saint qu’ils ont reçu, com­ment ont-​ils agi. Et vous essayez ain­si de confor­mer ain­si votre vie à la foi de nos ancêtres, de ceux qui ont écou­té et main­te­nu l’enseignement tra­di­tion­nel de l’Église et qui ont mis en pra­tique les ver­tus chrétiennes.

Et alors, forts de ces exemples, forts de cette Tradition, vous allez – avec la grâce du Bon Dieu – revê­tir la grâce du sacer­doce, effet aus­si de la Pentecôte, effet de l’Esprit Saint.

Vous avez pu remar­quer que dans toutes les céré­mo­nies d’ordination, il est fait allu­sion à la grâce de l’Esprit Saint qui des­cend en vous, d’une manière plus par­ti­cu­lière au diaconat.

Eh bien, vous serez les ins­tru­ments du main­tien de la foi catho­lique, les ins­tru­ments du main­tien de l’espérance et les ins­tru­ments du main­tien de la cha­ri­té. Ainsi vous main­tien­drez ce que l’on a appe­lé la civi­li­sa­tion chré­tienne, la chrétienté.

Sans vous, s’il n’y a plus ces hérauts, ceux qui mani­festent cet ensei­gne­ment de Notre Seigneur, ceux qui mani­festent cette espé­rance, cette effu­sion du Saint-​Esprit dans le monde ; com­ment les familles pourraient-​elles se main­te­nir chré­tiennes ? C’est impos­sible. Et c’est pour­quoi nous sou­hai­tons vive­ment pou­voir vous don­ner des suc­ces­seurs dans l’épiscopat afin qu’ils vous gardent et vous main­tiennent dans cette foi catho­lique ; qu’ils vous main­tiennent dans cette espé­rance ; qu’ils vous main­tiennent dans cette cha­ri­té, afin de pou­voir conti­nuer le témoi­gnage qui a été don­né par les apôtres, après la Pentecôte et ne pas étouf­fer la grâce de l’Esprit Saint, ne pas la réduire à néant.

Car il est facile, dans un milieu comme celui dans lequel vivent nos chré­tiens dans le monde, de perdre la foi, d’abandonner la foi. S’ils n’ont pas par votre inter­mé­diaire, par votre secours, les grâces dont ils ont besoin pour gar­der leur foi catho­lique, leur espé­rance et leur cha­ri­té, eh bien ce sont des âmes qui risquent de gros­sir le rang des âmes qui vivent comme si elles ne croyaient plus.

Alors deman­dons au Bon Dieu, de faire en sorte que la Tradition puisse conti­nuer. C’est ce que nous avons tou­jours deman­dé à Rome : « Laissez-​nous faire l’expérience de la Tradition ». Donneznous les moyens de conti­nuer la Tradition afin de main­te­nir cette Pentecôte, la vraie Pentecôte. La Pentecôte qui a été don­née par les sacre­ments par Notre Seigneur Jésus-​Christ et par l’Église. Que nous puis­sions la main­te­nir. Voilà ce que nous deman­dons sans cesse à Rome.

Que la très Sainte Vierge Marie, en ce mois de mai – et dans le sou­ve­nir de Notre-​Dame de Fatima – nous aide à par­ve­nir à ce but et à faire en sorte que la foi catho­lique se main­tienne dans les âmes, avec l’espérance et la charité.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.