Sermon de Mgr Lefebvre – Première messe de M. l’abbé Simoulin – 21 septembre 1980

Bien cher M. l’ab­bé Simoulin,

Si hier j’ai pen­sé utile, pro­fi­table, édi­fiant de remettre devant vos yeux et devant les yeux de tous ceux qui assis­taient à votre ordi­na­tion, ce qu’était le prêtre essen­tiel­le­ment et les dis­po­si­tions qu’il devait avoir pour rece­voir digne­ment la grâce de l’ordination, aujourd’hui c’est à vous que je m’adresse d’une manière par­ti­cu­lière puisque dans quelques jours vous aurez à exer­cer votre sacerdoce.

Honor unus. Ces jours-​ci vous êtes dans l’honneur, demain vous serez dans le poids de la Croix, dans l’exercice de votre charge.

Mais avant de par­ler de ce que pour­ra être votre charge, votre minis­tère, votre beau minis­tère, jetez un regard sur le pas­sé, afin de rendre grâce à Dieu qui vous a conduit à tra­vers des che­mins que vous connais­sez mieux que qui­conque. Hier vous en avez don­né quelque idée. Mais vous pou­vez retrou­ver toutes les béné­dic­tions du Bon Dieu à tra­vers ces années de votre enfance dans une famille pro­fon­dé­ment chré­tienne, au milieu de nom­breux frères et sœurs qui, aujourd’hui, vous entourent avec joie et émo­tion. Vous vous rap­pe­lez toutes ces années de votre enfance, ces années de votre ado­les­cence. Ceux qui vous ont for­mé et qui ont cru vous diri­ger dans une voca­tion qui n’est pas celle qu’en défi­ni­tive, le Bon Dieu vous a choisie.

Et vous auriez pu sans doute, comme beau­coup d’autres et des membres de votre famille déjà unis dans les liens du mariage, pen­ser vous aus­si à suivre vos frères et sœurs unis dans le mariage.

Mais non ! Le Bon Dieu avait d’autres vues sur vous. Et sui­vant l’étoile que le Bon Dieu a pla­cée sur votre che­min, vous voi­là arri­vé à Écône. Et là, dans le silence de ces quatre années, dans le tra­vail, dans la prière, vous vous êtes for­mé une âme de prêtre. Et voi­ci que vous avez reçu la grâce sacer­do­tale et que dans la joie et dans l’émotion aus­si, vous mon­tez à l’autel. Et dans quelques ins­tants, vous allez pro­non­cer les paroles du Sacrifice, les paroles de la Consécration, avec le pou­voir de votre grâce sacer­do­tale, de faire des­cendre Jésus le Fils de Dieu, sur l’autel.

Et c’est là – aujourd’hui je pense – la cause des prières que vous adres­sez à Dieu en recon­nais­sance de tous ces dons que vous avez reçus et que le Bon Dieu vous a donnés.

Mais après avoir atteint ce but qui peut paraître une fin en soi – bien sûr être prêtre a un but bien appré­ciable et admi­rable – mais ce qui est un but est aus­si un com­men­ce­ment. Vous com­men­cez votre vie sacer­do­tale et alors il ne faut pas seule­ment regar­der le pas­sé, mais il faut regar­der l’avenir.

Et je vous pro­pose de vous trans­por­ter par la pen­sée, dans l’église où vous allez exer­cer votre minis­tère. Et lorsque vous ren­tre­rez dans cette église – désor­mais prêtre – au pre­mier regard depuis l’entrée dans cette magni­fique église – Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet – vos regards se por­te­ront sur ce qui est essen­tiel, ce qui est cen­tral dans cette église, ce pour­quoi cette église a été construite : l’autel, l’autel du Saint Sacrifice.

Et vous vous rap­pel­le­rez en même temps des paroles qui ont été pro­non­cées hier par l’évêque consécrateur :

Sacerdotem et enim opor­tet offerre : « Le prêtre doit offrir, sacrifier ».

Et en effet, c’est le pre­mier devoir du prêtre, c’est sa pre­mière fonc­tion : offrir le Saint Sacrifice de la messe. Monter à l’autel, accom­plir cet acte, comme ins­tru­ment de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Cet acte où se réa­lise la plus grande mani­fes­ta­tion qui ait jamais eu lieu au monde, de la cha­ri­té. Car s’il y a un acte de cha­ri­té qui au monde a ren­du gloire à Dieu et qui a expri­mé l’amour pour le pro­chain, c’est bien la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Or, mon­tant à l’autel, vous allez remettre devant les yeux des fidèles, cet acte, ré-​accomplir et conti­nuer cet acte du Sacrifice de la Croix, où Notre Seigneur a don­né sa vie pour la gloire de Dieu, pour la gloire de son Père et pour le salut des âmes, pour le salut du pro­chain. Vous vous rem­pli­rez donc de cette cha­ri­té, de cette cha­ri­té qui a ani­mé le cœur de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Vous vous rem­pli­rez de cette charité.

Offere, offrir, et bene­di­cere, bénir, Benedicere en effet, c’est à l’autel que vous aurez l’occasion de bénir. De bénir et de pré­pa­rer les enfants qui vont rece­voir pour la pre­mière fois la sainte Eucharistie. Et aujourd’hui, une grâce du Bon Dieu a vou­lu que l’une de vos nièces reçoive de vos mains, pour la pre­mière fois. Notre Seigneur Jésus-​Christ. Ce sera cer­tai­ne­ment pour elle, un sou­ve­nir qu’elle gar­de­ra pré­cieu­se­ment pour toute sa vie au fond de son cœur.

Bénir les enfants et leur don­ner Notre Seigneur Jésus-Christ.

Bénir aus­si les époux, en don­nant la béné­dic­tion nup­tiale. Le prêtre – de l’autel – bénit les époux qui reçoivent le sacre­ment du mariage.

Bénir éga­le­ment les corps des défunts, avant de les conduire à leur der­nière demeure.

Bénir tout ce que le peuple saint veut sanc­ti­fier, veut consa­crer : les fruits nou­veaux, les champs, tout ce que les fidèles dési­rent consa­crer et bénir, le prêtre les bénit. Et ces béné­dic­tions viennent de l’autel, du Saint Sacrement de l’Eucharistie, où est pré­sent Notre Seigneur Jésus-Christ.

Sacerdotem et enim opor­tet offerre bene­di­cere. – Præsse : pré­si­der, dit encore, hier, le Pontifical.

Et alors, je vous pro­pose de rap­pe­ler à votre mémoire, la parole du Bon Pasteur. C’est Notre Seigneur Jésus-​Christ, Lui-​même qui dit :

Ego sum pas­tor bonus ; et cognos­co meas, et congnos­cunt me mae (Jn 10,14).

Le pas­teur va devant les bre­bis. Il les conduit. Et parce qu’il est le vrai pas­teur, alors les bre­bis entendent et connaissent la voix du vrai pasteur :

« Je suis le bon pas­teur ; je connais mes bre­bis et mes bre­bis me connaissent ».

Et elles le suivent. Et Lui va les conduire dans les pâtu­rages où elles trou­ve­ront leur nour­ri­ture. Quelle belle image que celle du bon pasteur.

Par contre les bre­bis ne connaissent pas celui qui est mer­ce­naire, celui qui est le voleur. Elles s’enfuient. Et le mer­ce­naire qui ne connaît pas ses bre­bis et qui ne les aime pas, dis­perse le trou­peau et ruine le troupeau.

Vous serez ce bon pas­teur. Vous condui­rez les âmes à Jésus-​Christ. Vous les condui­rez à l’autel pour qu’elles puissent y trou­ver la réfec­tion spi­ri­tuelle de leur âme.

Sacerdotem opor­tet offerre, bene­di­cere, præesse præ­di­care.

Prædicare. Vous aurez à prê­cher. Là encore à prê­cher Notre Seigneur Jésus-​Christ, comme saint Paul. Saint Paul disait :

Non enim judi­ca­vi me scire ali­quid inter vos, nisi Jesum Christum, et hunc cru­ci­fixum (1 Co 2,2).

« Car je n’ai pas jugé que je dusse savoir par­mi vous autre chose que Jésus-​Christ, et Jésus-​Christ crucifié ».

Nos autem præ­di­ca­mus Christum cru­ci­fixum : Judæis guident scan­da­lum, gen­ti­bus autemm stul­ti­tiam (1 Co 1,23).

« Nous, nous prê­chons le Christ cru­ci­fié, scan­dale pour les juifs et folie pour les gentils ».

La croix de Jésus pour les juifs est un scan­dale. Pour les gen­tils, pour les païens, pour les gens du monde qui vivent sans Dieu, qui s’éloignent de Notre Seigneur Jésus-​Christ, c’est une folie.

Eh bien, vous prê­che­rez Notre Seigneur Jésus-​Christ, ce scan­dale et cette folie, afin d’attirer les âmes à Notre Seigneur, de les conver­tir à Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et enfin, le Pontifical ter­mine cette série de devoirs du pas­teur en disant : Sacerdotem opor­tet bap­ti­zare.

Et alors, en conti­nuant votre che­min dans votre église, vous trou­ve­rez en effet le bap­tis­tère, où vous don­ne­rez la vie spi­ri­tuelle aux âmes qui vien­dront vous deman­der la grâce du baptême.

Et vous ren­dant vers le bap­tis­tère, vous pas­se­rez devant le confes­sion­nal, devant le tri­bu­nal de la péni­tence, où vous aurez à vous asseoir et à juger. À juger ceux qui vien­dront vous appor­ter leurs misères, leurs péchés. Et ce tri­bu­nal sera sans doute un tri­bu­nal de jus­tice, mais aus­si et sur­tout, un tri­bu­nal de misé­ri­corde. Et vous vous pen­che­rez sur les âmes pour leur redon­ner la vie spi­ri­tuelle qu’elles avaient per­due, ou les récon­for­ter dans leur vie spirituelle.

Voilà le minis­tère du prêtre.

Ainsi quand vous entre­rez dans cette église, tout votre minis­tère sera pré­sent à vos yeux et la source de ce minis­tère sera le Cœur de Notre Seigneur Jésus-​Christ pré­sent à l’autel.

Alors, nous vous sou­hai­tons, tous ici pré­sents, tous ceux qui vous entourent de leur affec­tion, nous vous sou­hai­tons tous d’immenses grâces, de nom­breuses grâces.

Car en ce temps dif­fi­cile de l’Église, vous enten­drez beau­coup de récla­ma­tions, dif­fi­cul­tés, oppo­si­tions, contra­dic­tions. Elles ne man­que­ront pas en ce temps de trouble dans la Sainte Église.

Ce qui don­ne­ra la solu­tion à tous ces pro­blèmes dif­fi­ciles dans les­quels vous pour­rez vous trou­ver, c’est pré­ci­sé­ment, de faire votre minis­tère. Le minis­tère de l’Église. Le minis­tère que le Pontifical – qui date de siècles et de siècles – ce n’est pas moi qui l’ai inven­té. Je n’ai fait que lire des paroles que des mil­liers et des mil­liers d’évêques ont dites avant moi. Et ces paroles que je viens de vous redire : sacer­do­tem opor­tet offerre, bene­di­cere, præesse, bene­di­care, bap­ti­zare, cela c’est l’Église. C’est le rôle que l’Église donne au prêtre.

Accomplissez ce rôle et tous les pro­blèmes s’effaceront. Vous serez peut-​être per­sé­cu­té, vous aurez peut-​être beau­coup de souf­frances, mais vous aurez cette cer­ti­tude, cette per­sua­sion, cette convic­tion que vous faites le tra­vail de l’Église, que vous faites le tra­vail de Notre Seigneur Jésus-​Christ, ce que l’Église a tou­jours deman­dé à ses prêtres et ce que les fidèles attendent du prêtre. Et c’est pour­quoi, fai­sant cela, les fidèles, simples, droits, qui ont une conscience juste et bonne, vien­dront vers vous et vous deman­de­ront le sou­tien de votre parole, le sou­tien des sacre­ments, le sou­tien de la grâce. Et la Vierge Marie vous accom­pa­gne­ra. Elle sera votre Mère.

Dans les anciennes églises on voyait sou­vent et on le voit encore là où on ne les a pas enle­vées, ces images de Notre-​Dame de la Compassion, la très Sainte Vierge rece­vant dans ses bras son divin Fils.

Que cette Vierge de Notre-​Dame de la Compassion vous accom­pagne et vous donne un vrai cœur de prêtre, comme elle a for­mé en quelque sorte le Cœur de son Fils en son sein. Et demandez-​lui d’être un autre Christ comme son divin Fils.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.