Comment ne pas prier ?

Jeune fille en prière par Roberto Ferruzzi, 1870, huile sur toile. Domaine public.

Nous sommes sur­pris que les Apôtres, aus­si bien pen­dant le dis­cours après la Cène, qu’au moment de l’agonie, mal­gré plu­sieurs années de vie com­mune avec Notre-​Seigneur, res­tent des novices dans la prière. Et cepen­dant qui peut pré­tendre savoir prier ? En face des mys­tères de Dieu, nous serons tou­jours des novices. Les prin­ci­paux écueils sont le manque de pau­vre­té, le manque de pré­pa­ra­tion et le manque de désintéressement.

Le manque de pauvreté

L’illusion du céré­bral. Nous croyons que pour prier, il faut avoir des idées. L’oraison n’est ni un cours de théo­lo­gie, ni une dis­ser­ta­tion. Le but de la prière est de confor­mer notre volon­té, nos pro­jets, à sa volon­té, à son des­sein d’amour. La prière est un lan­gage de la foi, un regard… « je l’avise, et il m’avise ». Nous ne prions pas pour aug­men­ter notre culture, fut-​elle reli­gieuse, mais pour redire à Dieu que nous l’aimons et que nous savons qu’il nous aime… pour nous confor­mer au plan de misé­ri­corde qui est le sien. 

L’illusion du sen­sible. Le monde est friand d’expériences, d’états d’âme… et nous sommes heu­reux de nous iden­ti­fier par une pro­jec­tion sen­sible de nous-​mêmes. La prière est une expé­rience pri­vi­lé­giée pour don­ner corps à ce type pro­jec­tion. Croire que notre prière n’a de valeur que si nous avons « sen­ti » quelque chose est en fait une recherche de soi. Le chré­tien ne prie pas pour se retrou­ver mais pour se don­ner et cor­res­pondre mieux aux des­seins de Dieu ; c’est la grande dif­fé­rence entre la prière chré­tienne et la prière des non-chrétiens.

Le manque de préparation

C’est une autre menace qui pèse sur notre prière nous avons l’illusion que nous sommes tou­jours prêts à prier. Cette illu­sion est double : d’une part, notre cœur est occu­pé, nous ne sommes pas en silence ; d’autre part, nous sommes étran­gers aux choses de Dieu. Le manque de silence et de pure­té inté­rieure, le manque de fami­lia­ri­té avec la doc­trine sont les deux écueils que ren­contre notre pré­pa­ra­tion à la prière. 

Le manque de silence. C’est du dedans que viennent les prin­ci­paux obs­tacles. Nous sommes agi­tés : pour prier il faut être vigi­lant pour réser­ver une part de soi-​même à Dieu. Les embar­ras inté­rieurs sont mul­tiples : notre mémoire est satu­rée, les idées que nous nous fai­sons de nous-​mêmes et le regard de l’autre nous obnu­bilent, nos acti­vi­tés et nos pas­sions nous agitent per­pé­tuel­le­ment. Toute cette agi­ta­tion est un trop grand amour de soi qu’il faut rem­pla­cer par l’amour de Dieu, simple, gra­tuit et spon­ta­né. Le silence, ce recueille­ment habi­tuel, même au plus fort de nos pré­oc­cu­pa­tions, uni­fie notre vie et nous pré­pare pour l’instant de la ren­contre avec Dieu. 

Le manque de fami­lia­ri­té avec la doc­trine. Prétendre aimer quelqu’un que l’on ne connaît pas est un leurre. Pour maî­tri­ser notre ima­gi­na­tion débor­dante, il faut se fixer sur la sta­bi­li­té de la Vérité. Il faut beau­coup de modes­tie et d’humilité pour nous appro­cher de Dieu : seule la fami­lia­ri­té de sa gran­deur et de son mys­tère arrivent à vaincre l’inertie de notre âme. 

Le manque de désintéressement

Heureux les inutiles ! La gra­tui­té est ce qui dis­tingue le véri­table amour. Nous n’aimons pas Dieu parce qu’il nous est utile, ou parce qu’il satis-​fait nos dési­rs ; nous aimons Dieu, parce qu’ayant décou­vert sa gran­deur, nous savons qu’il est digne de notre louange et que nous ne sommes pas grand chose sans Lui. Ceci doit éli­mi­ner de notre prière toute atti­tude où inter­vient le cal­cul. C’est un des signes les plus nets qui séparent une âme de pauvre de celle d’un riche : le riche reçoit et donne par cal­cul et vit de ce cal­cul. Le vrai pauvre ne fait pas de cal­cul. Nous pou­vons faire sem­blant de prier, nous pou­vons prendre une pos­ture… la fausse prière ne résiste pas à l’inutilité de nos capa­ci­tés, au vide ver­ti­gi­neux du face à face avec Dieu et de la dis­pa­ri­tion en Lui. 

La médi­ta­tion est à la mode… la prière n’est pas un moyen d’épanouissement per­son­nel sinon acci­den­tel­le­ment. Elle n’est pas non plus l’ultime recours lorsque tous les autres ont été épui­sés : Dieu n’est pas à notre ser­vice, il n’est pas à notre mesure. Il est la fin de tout. Sainte Marie-​Madeleine avec son vase de par­fum, David dan­sant devant l’arche, étran­gers tous les deux des regards exté­rieurs, ont sus­ci­té l’admiration du Christ. Nous devons aller à la ren­contre de Dieu, en nous aban­don­nant jusqu’à nous y perdre. Il est essen­tiel à la prière de durer et de débor­der dans nos vies, de tendre à ce dépas­se­ment de notre besoin pour atteindre ce loi­sir dés­in­té­res­sé en Dieu aimé.

Abbé Vincent Bétin

Source : L’Aigle de Lyon n°367