Jésus contre Gandhi

Le Christ chassant les vendeurs du temple, par Quentin Metsys (1456/1466–1530)

L’amour des enne­mis ne doit jamais être un pré­texte pour léser la justice.

En lisant l’Évangile, nous sommes sur­pris de la doc­trine que nous livre le Christ. Entre nous, qui aurait la folie de l’ap­pli­quer ? « Quelqu’un te frappe-​t-​il sur la joue droite, présente-​lui encore l’autre. Quelqu’un veut-​il te faire un pro­cès pour te prendre ta tunique, abandonne-​lui encore ton man­teau. » Lorsqu’on s’est fait voler son télé­phone, on n’au­rait pas idée de don­ner en plus au voleur son por­te­feuille. S’il nous arrive d’être frap­pés dans la rue, il est sou­vent pru­dent de fuir. Mais qui accep­te­rait de se pré­sen­ter à son agres­seur pour se faire bastonner ?

Le Christ semble exi­ger de notre part une naï­ve­té qui dépasse les limites de la rai­son. Il est vrai que la cha­ri­té et l’a­mour des enne­mis est la note par­ti­cu­lière du chris­tia­nisme, mais de là à accep­ter le triomphe de l’in­jus­tice sur la ver­tu, non, c’est trop ! Si tous les chré­tiens ten­daient tou­jours l’autre joue, le mal pren­drait le des­sus sur le bien.

Comment alors com­prendre ces paroles du Sermon sur la mon­tagne ? Saint Thomas d’Aquin a com­men­té ces lignes et affirme qu’il ne faut pas les entendre dans un sens lit­té­ral. Nous ne sommes heu­reu­se­ment pas tenus de don­ner le bâton pour se faire battre.

Nous avons à ce sujet deux exemples. Durant sa Passion, un garde frappe Notre Seigneur sur la joue. Face à cet outrage, le Christ ne pré­sente pas son autre joue mais il répond avec auto­ri­té. « Si j’ai mal par­lé, montre ce que j’ai dit de mal ? Mais si j’ai bien par­lé, pour­quoi me frappes-​tu ? » (Jn 18, 23)

Plus tard quand saint Paul est frap­pé, loin de s’en­fer­mer dans un mutisme pas­sif, il aver­tit son agres­seur du juge­ment de Dieu : « Dieu te frap­pe­ra, muraille blan­chie ! Toi, tu sièges pour me juger selon la Loi et vio­lant la Loi, tu ordonnes de me frap­per. » (Act 23, 3)

Face au péché, per­sonne ne doit res­ter indif­fé­rent. Or, qui ne dit mot consent ; donc, le chré­tien ne peut pas demeu­rer indif­fé­rent quand la foi et la morale sont en jeu. On pour­rait très bien tra­duire la parole de Notre Seigneur ain­si : le chré­tien n’a pas le droit de lais­ser insul­ter sa reli­gion, il a le devoir de défendre ce que le Christ a vou­lu confier à son Église, le dépôt de la foi.

Dans ce pas­sage, Notre Seigneur nous apprend aus­si l’a­mour des enne­mis, chose incom­pré­hen­sible pour ceux qui n’ont pas la grâce. Si c’est notre seule per­sonne qui est insul­tée, il est bon de sup­por­ter avec patience ce mal. Refuser la ven­geance est cer­tai­ne­ment le meilleur moyen de faire reve­nir son enne­mi au repentir.

La reli­gion de Jésus-​Christ n’a donc rien à voir avec la pen­sée de Mahatma Gandhi qui fait débor­der la non-​violence jus­qu’aux ani­maux et dont la pen­sée n’at­teint pas le sur­na­tu­rel. Pas ques­tion pour nous de lais­ser cha­cun vivre tran­quille­ment dans son péché. Le par­don et l’a­mour des enne­mis ne peuvent exclure la défense cou­ra­geuse de la jus­tice. L’amour des enne­mis ne doit jamais être un pré­texte pour léser la justice.

Abbé Cyrille Perriol

Source : L’Aigle de Lyon n°374