« Non ce n’est pas la messe qui nous oppose, c’est la doctrine », par M. l’abbé Legrand pour la solennité de saint Pie X – 7 sept. 2014


M. l’ab­bé Thierry LEGRAND,
Supérieur du District de Belgique-Pays-Bas

[Le style oral du ser­mon a été conser­vé volontairement]

« Non ce n’est pas la messe qui nous oppose, c’est la doctrine »

Au Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit,

Ainsi soit-Il

Un Pape pour notre temps, un saint Pape pour notre temps

On peut dire de saint Pie X, sans se trom­per, qu’il est un Pape pour notre temps, un saint Pape pour notre temps. En effet, cent ans après sa mort, on ne peut être qu’admiratif de la sagesse avec laquelle saint Pie X avait déce­lé le poi­son qui se répan­dait dans l’Eglise ; admi­ra­tif aus­si de la force et de la téna­ci­té avec laquelle il a lut­té pour empê­cher ce poi­son de se répandre dans les âmes qui lui étaient confiées. C’est bien ce que l’Eglise met sur nos lèvres dans la Collecte de la Messe : « Dieu, qui pour pro­té­ger la Foi catho­lique et pour tout res­tau­rer dans le Christ, avez rem­pli saint Pie, votre sou­ve­rain Pontife, de sagesse et de force, … ».

Pie XII a ren­du hom­mage à son pré­dé­ces­seur en disant qu’il était « éclai­ré par la clar­té de la véri­té éter­nelle, gui­dé par une conscience déli­cate, lucide, d’une grande droi­ture, aimable, ami de la paix fra­ter­nelle mais en tout temps défen­seur imper­tur­bable de la Foi, héraut de la véri­té, gar­dien des plus saintes traditions ».

Toutes ses qua­li­tés, toute l’action du saint Pape qui en découle, tout cela n’est pas mort à la mort de saint Pie X mais ses qua­li­tés se reflètent dans les écrits qu’il nous a lais­sés. Son action imper­tur­bable pour la défense de la Foi se per­pé­tue et demeure effi­cace par ses écrits qui res­tent un ensei­gne­ment sûr pour la crise que nous subis­sons de nos jours, crise qui n’est que la conti­nui­té du moder­nisme dont saint Pie X avait vu les consé­quences désas­treuses pour l’Église.

Nous le savons, la charge pre­mière confiée par Notre Seigneur à l’église est de sau­ver les âmes et com­ment cela ? En main­te­nant intact le dépôt de la Foi, ces véri­tés éter­nelles et immuables qu’il est néces­saire de connaître et qu’il faut croire pour être sau­vé. C’est pour cela que saint Paul résume le minis­tère de l’évêque – et cela est vrai aus­si et avec encore plus de force pour le Pape – par la néces­si­té de com­battre le bon com­bat de la Foi.

Combattre le bon combat de la Foi

Et en quoi consiste ce bon com­bat de la Foi ? En deux objets : d’abord pro­pa­ger cette Foi pour sau­ver les âmes, puisque la Foi pro­cure la vie éter­nelle comme nous le rap­pelle les pre­mières ques­tions du rituel du sacre­ment de bap­tême ; ensuite défendre cette Foi, c’est-à-dire tout faire pour qu’elle puisse être trans­mise aux âmes, intacte, en toute sécurité. 

A deux reprises, Notre Seigneur va s’adresser à saint Pierre en lui confiant ces deux objec­tifs du com­bat de la Foi. 

Le pre­mier évè­ne­ment (qui chro­no­lo­gi­que­ment est le second) nous est bien connu : c’est celui de la triple pro­tes­ta­tion d’amour de saint Pierre, après la résur­rec­tion, sur les bords du lac de Tibériade. Notre Seigneur donne à saint Pierre l’ordre de paître son trou­peau. Il lui confie son Église toute entière pour la gui­der vers de bon pâtu­rage, pour lui don­ner la nour­ri­ture de la saine doc­trine, ce qui est le rôle essen­tiel du bon Pasteur. 

Le second évè­ne­ment a lieu à la fin de la der­nière Cène : après avoir annon­cé à saint Pierre que le démon avait deman­dé le pou­voir de ten­ter les apôtres, Notre Seigneur dit au chef des apôtres : « J’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point ; et toi, quand tu seras conver­ti, reve­nu, confirme tes frères ». Ici c’est l’autre charge pri­mor­diale de saint Pierre qui est mis en avant, rôle rap­pe­lé par saint Pie X : « A la mis­sion qui vous a été confiée d’en haut de paître le trou­peau du Seigneur, Jésus Christ a assi­gné comme pre­mier devoir de gar­der avec un soin jaloux le dépôt tra­di­tion­nel de la Foi ». (1)

Trois mois avant de mou­rir, saint Pie X vit avec luci­di­té que le mal qu’il com­bat­tait n’était pas com­plè­te­ment éra­di­qué ; et nous en subis­sons les consé­quences de nos jours : l’apostasie, la perte et l’abandon de la Foi par un grand nombre ne sont que trop visibles. C’est bien ce que saint Pie X avait pré­dit : le goût des nou­veau­tés, le désir de faire entrer l’esprit du monde, c’est-à-dire l’esprit de révolte dans l’Eglise à ame­ner les âmes à se détour­ner des véri­tés pour se tour­ner vers les fables, les oreilles les déman­geant, comme l’écrivait St Paul.

Nous savons éga­le­ment par le témoi­gnage de ceux qui côtoyaient saint Pie X, que celui-​ci « sen­tit » venir la grande défla­gra­tion de la pre­mière guerre mon­diale. Il en eu comme l’intuition, espé­rant cepen­dant jusqu’au bout que cela n’arriverait pas.

Mais voyez-​vous, deux mois avant la décla­ra­tion de la guerre qu’il sen­tait immi­nente et dont il voyait les consé­quences désas­treuses et le cor­tège des mil­lions de morts, c’est encore le sou­ci de gar­der le dépôt de la Foi, de lut­ter pour conser­ver pure la Foi, qui res­ta son prin­ci­pal sou­ci et la cause de ses plus grands tourments.

Pourquoi cela ? Il le dit dans une lettre de fin mai 1914 :

« on adopte cer­taines idées de conci­lia­tion de la Foi avec l’esprit moderne, idées qui conduisent beau­coup plus loin qu’on ne le pense, non seule­ment à l’affaiblissement mais à la perte totale de la Foi. » 

Voila donc la rai­son d’être de la téna­ci­té de saint Pie X dans le com­bat de la Foi, voi­là le dan­ger qui était la pre­mière source de dou­leur dans le cœur du Pasteur suprême de l’Eglise : ces erreurs conduisent à la perte de la Foi, le bien le plus pré­cieux don­né par Dieu aux hommes, puisque sans elle, impos­sible de lui plaire et donc d’être sauvé.

Non ce n’est pas la messe qui nous oppose, c’est la doctrine

Nous avons une grande leçon à médi­ter de cette sol­li­ci­tude de saint Pie X pour gar­der la Foi intacte : tant que l’on adop­te­ra et accueille­ra favo­ra­ble­ment ces idées de conci­lia­tion de la Foi avec l’esprit moderne, le dan­ger res­te­ra non pas seule­ment d’affaiblir la Foi dans les âmes mais c’est la perte totale de la Foi qui en résul­te­ra : constat poi­gnant mais bien réel.

Nous savons bien que de nos jours, il y a beau­coup de com­bats à mener : les chré­tiens d’Orient sont per­sé­cu­tés et leur sang est ver­sé ; en Occident, la loi natu­relle est de plus en plus bafouée ; le sang des inno­cents est ver­sé éga­le­ment par l’avortement ; la famille chré­tienne est qua­si­ment mise au ban de la socié­té. Nous en sommes bien conscients. Et vous nous ver­rez tou­jours prier, offrir le Saint Sacrifice de la Messe, agir pour lut­ter contre ces dan­gers et ces crimes. 

Mais n’oublions pas que le pre­mier devoir d’un pas­teur c’est la conser­va­tion de la Foi sans mélange d’erreurs dans les âmes de ses bre­bis. Saint Pie X nous l’a dit. Et c’est d’ailleurs la rai­son d’être de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X. Mgr Lefebvre se fai­sait en effet l’écho des paroles de saint Pie X, septante-​cinq années plus tard : 

« ce n’est pas une petite chose qui nous oppose. Il ne suf­fit pas qu’on nous dise ‘vous pou­vez dire la messe ancienne mais il faut accep­ter le concile’. Non ce n’est pas la messe qui nous oppose, c’est la doc­trine ; c’est clair. »

Permettez ce paral­lèle car ce qui a inci­té Mgr Lefebvre à pla­cer la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X sous le patro­nage de saint Pie X, c’est en grande par­tie cette défense intré­pide de la Foi qui fut l’apanage du saint Pape. Pour beau­coup, la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X exa­gère dans son com­bat. Nous ver­rons que c’était déjà ces objec­tions qu’on pré­sen­ta à la cano­ni­sa­tion de saint Pie X. Mais c’est au contraire l’un des plus beaux titres de gloire du saint Pape, et aus­si, toutes pro­por­tions gar­dées, de la Fraternité : gar­der intègre, autant qu’il dépend de nous, mal­gré nos fai­blesses et imper­fec­tions, le flam­beau de la Foi catholique.

Lucidité et force

Quelle leçon devons-​nous tirer de cette atti­tude de saint Pie X ? Nous pour­rions la résu­mer en deux mots : luci­di­té et force.

Tout d’abord donc, ne pas tran­si­ger avec l’erreur, « résis­ter fort dans la Foi » ; sinon un jour ou l’autre nous lâche­rons le com­bat, nous cher­che­rons un repos ou une paix fac­tice face aux fatigues d’une lutte certes dif­fi­cile mais néces­saire. C’est pour cette rai­son qu’il nous faut être ani­més de fortes convic­tions : connaître n’est pas suf­fi­sant, il faut aimer ces véri­tés que Dieu nous a don­nées, il faut en vivre, pour les défendre digne­ment. Pie XII quant à lui écri­vait que « l’avenir appar­tient aux éner­giques qui espèrent et agissent avec fer­me­té, non aux timides et aux irrésolus ».

Ensuite, pour ne pas tran­si­ger avec l’erreur, sachons nous ins­truire de ces véri­tés, et ins­truire les autres de cette véri­té. L’essentiel en cela étant, nous dit saint Pie X, le caté­chisme : quand il n’était encore qu’évêque, conscient que l’ignorance des choses reli­gieuses était la base de toutes les dévia­tions des fidèles dans la Foi et les mœurs, Mgr Sarto impo­sa à tous les fidèles de venir suivre une heure de caté­chisme tous les dimanches. Et il ordon­na à tout prêtre de refu­ser l’absolution aux parents qui empê­chaient leurs enfants d’aller régu­liè­re­ment à ces leçons de catéchisme.

Alors deman­dons cette force sur­na­tu­relle que nous avons tous reçue en germe au bap­tême ; deman­dons la en par­ti­cu­lier au pied de l’Autel, « devant le Saint Tabernacle, comme le disait saint Pie X, d’où viennent la force pour com­battre et la cer­ti­tude de la victoire ». 

Mais jus­te­ment, cette force, cette fer­me­té de saint Pie X a été l’objection majeure de son pro­cès de cano­ni­sa­tion. Il existe dans ces pro­cès de cano­ni­sa­tion, une sorte d’avocat du diable dont la fonc­tion, néces­saire, est de déce­ler s’il n’existe pas un défaut, un manque de ver­tu dans le can­di­dat à la cano­ni­sa­tion et qui empê­che­rait cette canonisation. 

Pour saint Pie X, l’objection majeure fut cette intran­si­geance envers l’erreur en par­ti­cu­lier envers le moder­nisme, qui le pous­sa – c’est l’avocat du diable qui parle – qui le pous­sa à man­quer de cha­ri­té ou de prudence. 

Pie XII, armé de l’enquête sur les ver­tus de Pie X, don­ne­ra une réponse claire et nette à cette objection : 

« Pour cer­tains, dira Pie XII, la fer­me­té de saint Pie X envers l’erreur peut demeu­rer un scan­dale. En réa­li­té c’est un ser­vice et une extrême cha­ri­té ren­du par un saint, en tant que Chef de l’Eglise, à toute l’humanité. Il a réus­si à pré­ser­ver le dépôt de la Foi de toute erreur par une lutte éner­gique. Par nature per­sonne de plus doux, de plus aimable que lui, per­sonne de plus pater­nel. Mais quand par­lait en lui la voix de la conscience pas­to­rale, plus rien ne comp­tait que le sen­ti­ment du devoir ; ce der­nier impo­sait silence à toutes les consi­dé­ra­tions de la fai­blesse humaine, met­tait fin à toutes les ter­gi­ver­sa­tions, décré­tait les mesures les plus éner­giques si pénibles qu’elles fussent à son cœur. »

Nous appuyant sur les paroles de Pie XII et sur l’examen de la vie du saint pape, nous pou­vons dire que saint Pie X ne man­qua aucu­ne­ment ni de pru­dence, ni de cha­ri­té dans son com­bat contre le moder­nisme, mais qu’au contraire, cette force s’alliait de façon admi­rable, à une extrême cha­ri­té, et à la dou­ceur également.

C’est pour­quoi notre force dans la défense de la Foi ne doit pas se trans­for­mer en zèle amère ou en haine de nos enne­mis. Cela est pri­mor­dial car le but n’est pas d’avoir rai­son à tout prix mais de col­la­bo­rer à la grâce de Dieu pour ame­ner les âmes à la Vérité. Mais en même temps, fai­sons atten­tion à ce que notre cha­ri­té et notre ama­bi­li­té ne se trans­forment pas non plus en fai­blesse envers l’erreur.

Il y a, en cette matière, un équi­libre à tenir, et il est par­fois dif­fi­cile d’y per­sé­vé­rer sans tom­ber, soit dans le zèle amer, soit au contraire, dans un aban­don du com­bat à mener. 

Mais nous avons un guide sûr en saint Pie X : Aussi invoquons-​le, lui qui fut « doux et humble de cœur, ven­geur plein de force pour tout ce qui est catho­lique », comme nous le rap­pelle l’épitaphe pla­cée sur la pre­mière tombe du saint. 

Soyons nous aus­si, « forts dans la Foi », « ven­geur plein de force pour tout ce qui est catho­lique », mais en même temps « doux et humble de cœur ». 

Abbé Thierry Legrand +, Supérieur du District de Belgique et des Pays-Bas

Source : PQR n° 119 (2)

Notes de LPL

(1) Accès aux ency­cliques de saint Pie X
(2) Les inter­titres et les sur­li­gne­ments sont de la rédac­tion de La Porte Latine