Canonisations de Jean XXIII et de Jean-​Paul II : qu’en pense la FSSP ?

Le ser­mon d’un prêtre de cet ins­ti­tut apporte la réponse. Pour en per­mettre une bonne lec­ture (cf. infra) , deux points sont à souligner.

Tout d’abord, Benoît XIV est la grande auto­ri­té invo­quée pour défendre l’infaillibilité de la cano­ni­sa­tion de Jean XXIII et Jean-​Paul II. Or il est connu que Benoît XIV a écrit son trai­té De la béa­ti­fi­ca­tion et de la cano­ni­sa­tion des ser­vi­teurs de Dieu alors qu’il n’était que car­di­nal. Un tel texte n’a donc aucune auto­ri­té magis­té­rielle reconnue. 

En ce domaine de l’infaillibilité des cano­ni­sa­tions sur lequel le magis­tère ne s’est pas pro­non­cé, la posi­tion de la théo­lo­gie romaine tra­di­tion­nelle est peut-​être plus nuan­cée, ain­si que l’a rap­pe­lé récem­ment un excellent article de Roberto de Mattei.

Ce ser­mon illustre encore com­ment un tel manque de nuance peut entraî­ner mal­gré soi au rela­ti­visme doc­tri­nal.

Mentionnant à peine les dra­ma­tiques écueils des papes Jean XXIII et Jean-​Paul II en matière de foi et leurs lourdes consé­quences sur le peuple chré­tien, notre pré­di­ca­teur estime néan­moins qu’ils n’ont pas empê­ché ces papes « de mettre leurs pas dans les pas du Christ Seigneur, en dis­ciples amou­reux – quo­ti­dien­ne­ment, héroï­que­ment amou­reux – de Jésus »…

Au cas où cer­tains pen­se­raient que ce ser­mon d’un simple col­la­bo­ra­teur ne serait pas la posi­tion offi­cielle de la Fraternité Saint-​Pierre, nous publions infra le fac-​similé de la pre­mière page de la der­nière Lettre Aux Amis et Bienfaiteurs dûment signée par M. l’ab­bé Vincent Ribeton, Supérieur du District de France de la dite Fraternité Ecclesia Dei Adflicta…

La Porte Latine

I – Sermon de la solennité de Sainte Jeanne d’Arc – Besançon le 11 mai 2014

Qu’est-​ce qu’un saint cano­ni­sé ? La ques­tion mérite d’être posée en ce jour où nous célé­brons la solen­ni­té de sainte Jeanne d’Arc, dont la cano­ni­sa­tion – c’est-​à-​dire la décla­ra­tion de sain­te­té par l’Eglise – sui­vit un long, tor­tueux et dif­fi­cile par­cours de près de cinq siècles. La ques­tion mérite éga­le­ment d’être posée à la suite de la cano­ni­sa­tion des Papes Jean XXIII et Jean-​Paul II – qui n’a pas man­qué de sus­ci­ter, chez les uns une immense allé­gresse, chez d’autres un éton­ne­ment inté­res­sé, chez d’autres encore une viru­lente contes­ta­tion. Le contraire eût d’ailleurs été éton­nant dans la mesure où ces deux per­son­na­li­tés hors du com­mun ont été de très près liées à un évé­ne­ment qui déclen­cha et déclenche encore les réac­tions les plus pas­sion­nées : le Concile « Vatican II ».

Mais reve­nons à notre pro­pos ini­tial : qu’est-​ce qu’un saint ? Un saint est un(e) chrétien(ne) qui a plei­ne­ment épa­noui dans son quo­ti­dien le germe de Vie divine reçu au jour de son bap­tême. Que cela ait été le fruit d’une longue et pro­gres­sive matu­ra­tion ou, à l’op­po­sé d’une sou­daine conver­sion, notre baptisé(e) en route vers la sain­te­té a plei­ne­ment fait entrer le Christ dans sa vie : le contem­plant dans la prière, il l’a pris dans son cœur et l’a fait rayon­ner dans toute son exis­tence. Il ne s’a­git là nul­le­ment de je ne sais quelle condi­tion pri­vi­lé­giée qui le pla­ce­rait au-​dessus du com­mun des mor­tels, de ne je ne sais quelle per­fec­tion magique réser­vée à un petit nombre d’é­lus. L’appel à la sain­te­té est lan­cé à tout chré­tien et chaque saint y a hum­ble­ment répon­du, dans les cir­cons­tances concrètes qui l’ont cise­lé petit à petit : au cœur d’une époque et d’une culture, enra­ci­né dans une famille et dans une terre, pour­vu de qua­li­tés et de talents, mar­qué aus­si par les défauts et les misères de notre condi­tion de pécheur. C’est dans cette belle et bien impar­faite pâte humaine que la grâce divine a été semée, a ger­mé, a fleu­ri, s’est épa­nouie pour, fina­le­ment, éclore défi­ni­ti­ve­ment dans le Ciel.

Là-​haut, dans le Paradis, innom­brables sont les saints qui ont le bon­heur immense de contem­pler, d’a­do­rer et d’ai­mer Dieu pour toute l’é­ter­ni­té. La plu­part – la grande majo­ri­té – nous est incon­nue ; d’autres, à l’op­po­sé, nous sont pro­po­sés par l’Eglise comme des modèles sûrs et authen­tiques de vie chré­tienne. Ce sont les saints cano­ni­sés. En effet, après qu’un groupe de fidèles a pris l’i­ni­tia­tive d’en faire la demande, l’Eglise, à la suite d’une minu­tieuse enquête, décide de s’en­ga­ger solen­nel­le­ment et d’af­fir­mer que tel bap­ti­sé se trouve désor­mais pour tou­jours dans la Gloire de Dieu et qu’il est, à ce titre, pour le peuple chré­tien, un authen­tique témoin du Christ, un modèle sûr que l’on peut suivre et un inter­ces­seur pour nous dans le Ciel. Telle est la canonisation.

La ques­tion vient alors : mais cette décla­ra­tion de sain­te­té que l’Eglise pro­clame en la per­sonne du Souverain Pontife, cette cano­ni­sa­tion nous engage-​t-​elle – nous, catho­liques, fils de la Sainte Eglise ? Après tout, le Pape n’est pas infaillible en tout ; ain­si lors­qu’il se pro­nonce sur des sujets de poli­tique ou d’é­co­no­mie, son avis mérite d’être enten­du avec révé­rence, pru­dence, sagesse mais il peut aus­si être dis­cu­té et contes­té. En est-​il de même pour les cano­ni­sa­tions ? Quelle impor­tance leur accor­der ? Quel enga­ge­ment de foi demandent-​elles de notre part ? Je laisse répondre à cette ques­tion le Pape Benoît XIV (1) :

» Quiconque ose­rait pré­tendre que le Pape s’est trom­pé dans telle ou telle cano­ni­sa­tion, ou que tel ou tel saint cano­ni­sé par le Pape ne doit pas être hono­ré par un culte de véné­ra­tion, celui-​là, disons-​nous, s’il n’est pas déjà héré­tique, sou­tient une pro­po­si­tion erro­née et mérite les plus graves censures « .

Dans la décla­ra­tion de cano­ni­sa­tion, en effet, le Pape est tout spé­cia­le­ment assis­té de ce don spé­cial de l’Esprit-​Saint que l’on nomme « infailli­bi­li­té pon­ti­fi­cale » qui per­met au suc­ces­seur de Pierre de ne pas se trom­per lors­qu’il enseigne l’Eglise en ver­tu de son auto­ri­té suprême.

La for­mule très solen­nelle que le Pape François a employée pour la cano­ni­sa­tion de Jean XXIII et de Jean-​Paul II est, d’ailleurs, à ce sujet, extrê­me­ment claire : le Souverain Pontife a enga­gé dans cette pro­cla­ma­tion son infailli­bi­li­té pon­ti­fi­cale. Le nier revient tout sim­ple­ment à remettre en cause une doc­trine que saint Thomas d’Aquin, déjà, tenait pour acquise et qui n’a jamais été remise en ques­tion. Saint Jean XXIII et saint Jean-​Paul II sont au Ciel. Il n’y a, pour aucun fils de l’Eglise, à reve­nir sur cette affirmation.

Pour autant, cano­ni­ser un Pape, ce n’est pas cano­ni­ser un pon­ti­fi­cat. Je vous le disais : la sain­te­té n’a rien d’une per­fec­tion magique et aucun saint n’est le Christ lui-​même, Vrai Dieu et homme par­fait. Lorsque l’Eglise cano­ni­sa saint Louis, elle n’en­ten­dit jamais pro­cla­mer que l’en­semble de son gou­ver­ne­ment royal avait été en tout point par­fait et adé­quat. Lorsque l’Eglise cano­ni­sa Jeanne d’Arc, elle n’en­ten­dit jamais pro­cla­mer que toute son épo­pée mili­taire, que le moindre de ses faits d’armes était en tout point exempt d’er­reur et de mal­adresse. Il en va de même pour saint Jean XXIII et saint Jean-​Paul II : en les cano­ni­sant, l’Eglise n’en­tend pas jeter une chape de plomb sur ces cin­quante der­nières années en pro­cla­mant que tout a été mer­veilleux dans et entre le règne de ces deux Papes et qu’il n’y aurait, pour les théo­lo­giens ou les his­to­riens, rien à dis­cu­ter, à inves­ti­guer ou à éclai­rer. Elle pro­clame avant tout la sain­te­té de deux hommes, nés Angelo Roncalli et Karol Wojtyla, deve­nus enfants de Dieu par le bap­tême, prêtres et évêques par l’or­di­na­tion et, enfin, choi­sis – par la Providence de Dieu et le vœu des car­di­naux – pour assu­mer l’im­mense et rude mis­sion d’être les suc­ces­seurs de Pierre, à la tête de la barque de l’Eglise. Cette des­ti­née et cette mis­sion, ils les ont tra­ver­sées et por­tées avec leur tem­pé­ra­ment et leur his­toire per­son­nelle, leurs talents et leurs misères, leurs limites et leur grandeur…mais tou­jours en s’ef­for­çant de mettre leurs pas dans les pas du Christ Seigneur, en dis­ciples amou­reux – quo­ti­dien­ne­ment, héroï­que­ment amou­reux – de Jésus. Telle est le sens de leur canonisation.

Je ter­mi­ne­rai – vous en serez heu­reux – ce long ser­mon par trois der­niers points :

- tout d’a­bord, lorsque l’Eglise pose un acte, écou­tons tou­jours atten­ti­ve­ment l’ex­pli­ca­tion qu’elle nous en donne. En effet, en la per­sonne du Saint-​Père, l’Eglise nous a clai­re­ment don­né le sens de cette double cano­ni­sa­tion : dans son homé­lie, en effet, le Souverain Pontife n’a pas dit : « je cano­nise en Jean XIII le Pape de l’ou­ver­ture au monde et j’ap­plau­dis des deux mains aux excès et aux scan­dales qui ont été com­mis au nom – au pré­texte – du Concile Vatican II que le Bon Pape Jean avait ini­tié ». Non, le Pape nous a pré­sen­té en saint Jean XXIII, un modèle de vie spi­ri­tuelle : le Pape de la doci­li­té à l’Esprit-​Saint. De même, pour saint Jean-​Paul II, le Pape François n’a pas pro­cla­mé : « je cano­nise le Pape d’Assise et de tous les conclu­sions plus ou moins hasar­deuses que l’on a tirées de cette réunion ». Non, il nous a dit : « je cano­nise le Pape de la famille qui a appor­té à l’Eglise et au monde, avec audace et cou­rage, une lumière nou­velle sur la beau­té de la sexua­li­té, sur la sain­te­té du mariage, sur la gran­deur de la famille »…Voilà ce qu’il faut entendre !

- Ensuite, nous qui, aujourd’­hui, célé­brons et pre­nons part à la Messe selon la forme extra­or­di­naire, rappelons-​nous que cette litur­gie si chère à notre cœur peut à juste titre être appe­lée « Messe de saint Jean XXIII » puisque c’est ce Pape qui, si je puis dire, lui a appo­sé son ultime retouche en fai­sant ajou­ter le nom de saint Joseph dans le Canon. Sans doute, cette litur­gie est le fruit d’une longue et belle et mul­ti­sé­cu­laire matu­ra­tion : elle est la Messe de saint Léon et de saint Pie V, de saint Grégoire et de saint Pie X mais aus­si de saint Jean XXIII (« le rite de 1962 »). De même, rappelons-​nous avec recon­nais­sance que le saint Pape Jean-​Paul II est direc­te­ment à l’o­ri­gine de la Fraternité Saint-​Pierre. Sans doute y a‑t-​il eu d’autres acteurs qui, par leur esprit de fidé­li­té et de cou­rage, y ont contri­bué ; mais qui a lan­cé, le 2 juillet 1988, l’ap­pel du Motu Proprio Ecclesia Dei adflic­ta ? Qui a invi­té tous les catho­liques dési­reux de vivre « l’ex­pé­rience de la Tradition » à le faire dans le sein de l’Eglise ? Qui a accueilli et aidé les prêtres et diacres qui sont à l’o­ri­gine de la Fraternité Saint-​Pierre ? Saint Jean-​Paul II. Ne l’ou­blions pas trop vite.

- enfin, et j’en ter­mi­ne­rai là, je vous ai don­né la posi­tion de l’Eglise : Jean XXIII et Jean-​Paul II sont au Ciel. Le Pape François l’a décla­ré infailli­ble­ment. Pour autant, il reste ensuite à cha­cun d’entre nous de tis­ser – ou non – avec eux des liens d’a­mi­tié et de fer­veur. Certains diront : « Vive Saint Jean-​Paul II ! Je m’en sens proche et il m’aide et j’ai déjà dans mon ora­toire une image de lui ! » ; D’autres diront : « Pour ma part, saint Jean XXIII ne me parle pas et je ne me sens avec lui aucune accoin­tance… » Et alors ? Où est le pro­blème ? C’est la « glo­rieuse liber­té des enfants de Dieu » dont nous parle saint Paul et il y a assez de saints cano­ni­sés dans l’Eglise pour que cha­cun s’y retrouve. Pour ma part, la petite Thérèse est ma sainte pré­fé­rée ; d’au­cuns diront, en revanche : « quand j’ouvre L’Histoire d’une âme le livre me tombe des mains, tant le style est dou­ce­reux et mièvre »…Et alors ? Vais-​je pleu­rer, me battre, les convaincre à grands cris ? Non, à cha­cun ses amis… Ne tom­bons pas dans l’er­reur des Corinthiens que dénon­çait saint Paul – eux qui se déchi­raient en pro­cla­mant « moi, je suis de Pierre ; et moi de Paul ; et moi d’Apollos ! ». Vivons tous ces évé­ne­ments dans une grande paix et un grand res­pect, nous sou­ve­nant de la parole du grand saint Benoît (encore un saint que j’aime beau­coup !) : « Ne rien pré­fé­rer à l’Amour du Christ (car c’est lui qu’il faut suivre avant tout…), afin qu’il nous mène tous ensemble à la Vie éternelle » !

Abbé Jean-​Baptiste Moreau, prêtre de la Fraternité Saint-​Pierre des­ser­vant Besançon

(1) De la béa­ti­fi­ca­tion des ser­vi­teurs de Dieu et de la cano­ni­sa­tion des saints, livre 1, cha­pitre 10, n°6. Benoît XIV, a été élu pape le 17 août 1740. De ser­vo­rum Dei bea­ti­fi­ca­tione et de bea­to­rum cano­ni­za­tione a été écrit entre 1734–1738 par le car­di­nal Lambertini, futur Benoît XIV. M. l’ab­bé Moreau trompe donc ses audi­teurs en leur lais­sant croire que les paroles du car­di­nal Lambertini ont une auto­ri­té magistérielle…

Source : La Porte Latine du 29 juillet 2014

II – Position officielle de la Fraternité Saint-​Pierre – Abbé Vincent Ribeton, Supérieur du District de France