Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

21 juin 1955

Discours Ci torna

Allocution aux représentants du monde du cinéma

Table des matières

Rome, près Saint Pierre, le 21 juin 1955

Aux repré­sen­tants de l’in­dus­trie ciné­ma­to­gra­phique italienne

Audience du 21 juin 1955

C’est pour Nous un très grand plai­sir, Messieurs, d’ac­cueillir en Notre pré­sence les dignes repré­sen­tants de ce monde du ciné­ma, dont l’ex­ten­sion et le pres­tige ont atteint en quelques années des pro­por­tions extra­or­di­naires, au point d’im­pri­mer en quelque sorte sa marque à notre siècle.

Bien que d’autres fois et en dif­fé­rentes cir­cons­tances Nous ayons accor­dé à l’ac­ti­vi­té ciné­ma­to­gra­phique une atten­tion pleine de sol­li­ci­tude, Nous sommes heu­reux de ren­con­trer aujourd’­hui per­son­nel­le­ment ceux qui s’y consacrent de façon stable, pour ouvrir Notre cœur de Pasteur, où l’é­loge envers les réa­li­sa­tions remar­quables obte­nues par eux s’ac­com­pagne d’une vive anxié­té pour le sort de tant d’âmes sur les­quelles le ciné­ma exerce un pou­voir pro­fond.
C’est à juste titre qu’on peut par­ler d’un « monde du ciné­ma », quand on pense à l’ac­ti­vi­té vaste et dyna­mique à laquelle le ciné­ma a don­né nais­sance, soit dans le domaine stric­te­ment artis­tique, soit dans celui de l’é­co­no­mie et de la tech­nique. Il dépend de légions de pro­duc­teurs, d’é­cri­vains, de met­teurs en scène, d’ac­teurs, de musi­ciens, d’o­pé­ra­teurs, de tech­ni­ciens et de tant d’autres, dont les emplois sont dési­gnés par des noms nou­veaux de nature à consti­tuer une nomen­cla­ture par­ti­cu­lière dans la lin­guis­tique moderne. Que l’on pense encore aux éta­blis­se­ments indus­triels, innom­brables et com­plexes, qui pour­voient à la pro­duc­tion des maté­riaux et des machines, aux stu­dios, aux salles de spec­tacle : si l’on ima­gi­nait tout cet ensemble réuni en un seul lieu, il consti­tue­rait cer­tai­ne­ment une des plus grandes villes du globe, et, de fait, à la péri­phé­rie de nom­breuses villes on en trouve de sem­blables, de dimen­sions plus réduites. De plus, le cercle des inté­rêts éco­no­miques créés par le ciné­ma et gra­vi­tant autour de lui, soit pour la pro­duc­tion des films, soit pour leur uti­li­sa­tion, trouve peu d’é­qui­va­lents dans l’in­dus­trie pri­vée, spé­cia­le­ment si l’on consi­dère la masse des capi­taux enga­gés, la faci­li­té avec laquelle ils sont offerts, et com­bien vite ils font retour aux indus­triels eux mêmes, non sans d’en­viables bénéfices.

Or ce monde du ciné­ma ne peut pas ne pas créer autour de lui un champ d’in­fluence extra­or­di­nai­re­ment large et pro­fond dans la pen­sée, dans les moeurs et dans la vie des pays où il déploie son pou­voir, sur­tout par­mi les classes les plus humbles, pour les­quelles le ciné­ma consti­tue sou­vent l’u­nique détente après le tra­vail, et par­mi la jeu­nesse, qui voit dans le ciné­ma le moyen rapide et agréable de ras­sa­sier la soif de connais­sance et d’ex­pé­riences que lui pro­met son âge.

De la sorte, au monde de la pro­duc­tion ciné­ma­to­gra­phique, que vous repré­sen­tez, fait pen­dant un monde par­ti­cu­lier et bien plus vaste, celui des spec­ta­teurs, qui, avec plus ou moins d’as­si­dui­té et d’ef­fi­ca­ci­té, reçoivent du pre­mier une orien­ta­tion déter­mi­née dans leur culture, leurs idées, leurs sen­ti­ments et sou­vent dans la conduite même de leur vie. Cette simple consi­dé­ra­tion montre clai­re­ment que l’art du ciné­ma doit être conve­na­ble­ment étu­dié dans ses causes et dans ses effets, afin que cette acti­vi­té, comme toute autre, soit orien­tée vers le per­fec­tion­ne­ment de l’homme et la gloire de Dieu.

I. L’importance de l’art du cinéma

L’extraordinaire pou­voir du ciné­ma dans la socié­té contem­po­raine appa­raît à la soif crois­sante qu’en éprouve cette der­nière et qui, mise en chiffres, consti­tue un phé­no­mène tout à fait nou­veau et éton­nant. Dans la copieuse docu­men­ta­tion qui Nous a été aima­ble­ment com­mu­ni­quée, on rap­porte, entre autres, que durant l’an­née I954, le nombre des spec­ta­teurs pour l’en­semble de tous les pays du monde a été de douze mil­liards, par­mi les­quels deux mil­liards et demi pour les Etats-​Unis d’Amérique, un mil­liard trois cents mil­lions pour l’Angleterre, tan­dis que le chiffre de 800 mil­lions met l’Italie au troi­sième rang.

Où ce nou­vel art puise-​t-​il l’at­trait fas­ci­nant grâce auquel, depuis envi­ron soixante ans qu’il est appa­ru, il a obte­nu le pou­voir qua­si magique d’at­ti­rer dans l’obs­cu­ri­té de ses salles, et non certes gra­tui­te­ment, des foules qui se comptent par mil­liards ? Quel est le secret du charme qui fait de ces foules ses clients assi­dus ? Dans la réponse à ces ques­tions se trouvent les causes fon­da­men­tales dont dérivent la grande impor­tance et la popu­la­ri­té si éten­due du cinéma.

La pre­mière force d’at­trac­tion d’un film naît de ses qua­li­tés tech­niques, les­quelles opèrent le pro­dige de trans­por­ter le spec­ta­teur dans un monde ima­gi­naire, ou bien, pour un film docu­men­taire, de mettre sous ses yeux la réa­li­té dis­tante dans l’es­pace et dans le temps. La tech­nique occupe donc la pre­mière place dans l’o­ri­gine et dans l’é­vo­lu­tion du ciné­ma. Elle a pré­cé­dé le film et l’a ren­du d’a­bord pos­sible ; c’est elle encore qui le rend chaque jour plus agréable, facile, vivant. Les prin­ci­paux élé­ments tech­niques d’un spec­tacle ciné­ma­to­gra­phique exis­taient déjà avant que le film naisse, puis petit à petit le film s’en est empa­ré, jus­qu’à pous­ser enfin la tech­nique à créer de nou­veaux moyens pour son ser­vice. Dans cette influence réci­proque la tech­nique et le film ont ain­si évo­lué rapi­de­ment vers la per­fec­tion, par­tant de la prise de vue floue d’un train qui arrive pour pas­ser au film ani­mé par des idées et des sen­ti­ments, d’a­bord avec des per­son­nages muets, puis par­lants, puis se mou­vant dans des lieux sono­ri­sés par des bruits et de la musique. Préoccupé de réa­li­ser la trans­po­si­tion par­faite du spec­ta­teur dans le monde irréel, le film a récla­mé à la tech­nique les cou­leurs de la nature, puis les trois dimen­sions de l’es­pace, et il tend main­te­nant par des pro­cé­dés har­dis à faire péné­trer le spec­ta­teur dans la scène vivante.

Quand on revoit aujourd’­hui un film vieux de qua­rante ans, on peut noter les mer­veilleux pro­grès tech­niques obte­nus et on doit admettre que, grâce à eux, un film d’au­jourd’­hui, même sim­ple­ment sonore et en noir et blanc, consti­tue une splen­dide représentation.

Mais plus que de la qua­li­té tech­nique, la force d’at­trac­tion et l’im­por­tance du film dérivent du per­fec­tion­ne­ment de l’élé­ment artis­tique, qui s’est affi­né non seule­ment par suite de la contri­bu­tion d’au­teurs, d’é­cri­vains et d’ac­teurs choi­sis selon des cri­tères rigou­reux, mais aus­si en ver­tu de l’é­mu­la­tion vive qui s’est éta­blie entre eux dans une com­pé­ti­tion mondiale.

De la simple nar­ra­tion visuelle d’un évé­ne­ment ordi­naire on est arri­vé à mettre sur l’é­cran le cours de la vie humaine dans ses drames mul­ti­formes, en ana­ly­sant dans le détail les idéaux, les fautes, les espé­rances, les médio­cri­tés, ou les pro­fon­deurs d’un ou de plu­sieurs per­son­nages. Une maî­trise gran­dis­sante dans l’in­ven­tion et la for­ma­tion du sujet a ren­du le spec­tacle tou­jours plus vivant et plus pal­pi­tant ; il a d’ailleurs tiré par­ti du pou­voir tra­di­tion­nel de l’art dra­ma­tique de tous les temps et de toutes les cultures, jouis­sant même sur lui d’un avan­tage notable grâce à la plus grande liber­té de mou­ve­ment, à l’am­pleur de la scène et aux autres effets propres du cinéma.

Mais pour péné­trer toute l’ef­fi­ca­ci­té du film et pour appré­cier à sa juste valeur la ciné­ma­to­gra­phie, il faut por­ter son atten­tion sur la part impor­tante qu’y tiennent les lois de la psy­cho­lo­gie, soit pour expli­quer la manière dont le film agit sur les esprits, soit qu’on s’en serve consciem­ment pour faire plui d’im­pres­sion sur les spec­ta­teurs. Les spé­cia­listes de cette science observent avec soin le pro­ces­sus d’ac­tion et de réactìon que sus­cite la vision du film, en appli­quant la méthode d’en­quête, I’analyse, les résul­tats de la psy­cho­lo­gie expé­ri­men­tale, et en scru­tant les couches secrètes du sub­cons­cient et de l’in­cons­cient. Non seule­ment ils recherchent l’in­fluence du film en tant que reçu pas­si­ve­ment par le spec­ta­teur, mais ils ana­lysent éga­le­ment sa puis­sance connexe d’ac­ti­va­tion psy­chique, selon ses lois imma­nentes, c’est-​à-​dire le pou­voir qu’il a de sub­ju­guer un esprit par le charme de la repré­sen­ta­tion. Si, par suite de l’une et l’autre de ces influences, le spec­ta­teur demeure vrai­ment pri­son­nier du monde qui défile devant ses yeux, il est pous­sé à trans­fé­rer d’une cer­taine manière son moi, avec ses dis­po­si­tions psy­chiques, ses expé­riences intimes, ses dési­rs latents et mal défi­nis, dans la per­sonne de l’au­teur. Durant tout le temps de cette sorte d’en­chan­te­ment, dû en grande par­tie à la sug­ges­tion du pro­ta­go­niste, le spec­ta­teur se meut dans le monde de celui-​ci comme si c’é­tait le sien, et même, en un cer­tain sens et jus­qu’à un cer­tain point, il vit à sa place et comme en lui, en par­faite com­mu­nion de sen­ti­ment ; par­fois même il est entraî­né par l’ac­tion à lui sug­gé­rer des paroles et des expres­sions. Ce pro­ces­sus, que les met­teurs en scène des films modernes connaissent bien et dont ils cherchent à tirer pro­fit a pu être com­pa­ré à l’é­tat oni­rique, avec la dif­fé­rence que les visions et les images du rêve jaillissent seule­ment du monde intime de celui qui rêve, tan­dis que pour le spec­ta­teur elles pro­viennent de l’é­cran, de manière tou­te­fois à en sus­ci­ter d’autres, plus vives et plus chères, du plus pro­fond de sa conscience. Il arrive sou­vent alors que le spec­ta­teur voit se réa­li­ser sous les images de per­sonnes et de choses, ce qui ne s’est jamais pro­duit dans les faits, mais ce qu’il a cepen­dant plu­sieurs fois pen­sé pro­fon­dé­ment, dési­ré ou craint en lui-​même. C’est donc à juste titre que le pou­voir extra­or­di­naire du film trouve son expli­ca­tion la plus pro­fonde dans la struc­ture intime du fait psy­chique, et le spec­tacle est d’au­tant plus atta­chant que le film en sti­mule davan­tage les processus.

Par consé­quent le met­teur en scène lui-​même est conti­nuel­le­ment pous­sé à affi­ner sa propre sen­si­bi­li­té psy­cho­lo­gique et sa pers­pi­ca­ci­té par l’ef­fort qu’il fait pour recher­cher la forme la plus effi­cace en vue de com­mu­ni­quer au film ce pou­voir cité plus haut, lequel peut agir dans une direc­tion morale bonne ou mau­vaise. En fait les dyna­mismes intimes du moi du spec­ta­teur, dans le fond de sa nature, de son sub­cons­cient et de son incons­cient, peuvent le conduire aus­si bien dans le royaume de la lumière, de la noblesse, du beau, que dans les domaines des ténèbres et de la dépra­va­tion, à la mer­ci d’ins­tincts extrê­me­ment puis­sants et effré­nés, selon que le spec­tacle met en évi­dence et sti­mule les élé­ments de l’un ou l’autre de ces domaines et en fait le centre de l’at­ten­tion, du désir et de l’im­pul­sion psy­chique. La condi­tion de la nature humaine est effec­ti­ve­ment telle que les spec­ta­teurs n’ont pas ou ne conservent pas tou­jours, ni tous, I’énergie spi­ri­tuelle, la réserve inté­rieure, sou­vent même la volon­té de résis­ter à la sug­ges­tion atti­rante et avec cela la capa­ci­té de se domi­ner et de se gui­der eux-mêmes.

A côté de ces causes fon­da­men­tales et de ces expli­ca­tions de l’at­ti­rance et de l’im­por­tance du film, un autre élé­ment psy­chique actif a été ample­ment mis en lumière. C’est l’in­ter­pré­ta­tion libre et per­son­nelle du spec­ta­teur et la pré­vi­sion du déve­lop­pe­ment futur de l’ac­tion, qui pro­cure, en quelque mesure, le plai­sir propre de celui qui crée un évé­ne­ment. Le met­teur en scène tire éga­le­ment pro­fit de cet élé­ment par des gestes habiles, appa­rem­ment insi­gni­fiants, comme pour­raient l’être par exemple un mou­ve­ment de main, des épaules qui se lèvent, une porte lais­sé entr’ouverte.

Avec ses méthodes propres le film a ain­si adop­té les canons de la nar­ra­tion tra­di­tion­nelle – fon­dés eux aus­si sur les lois de la psy­cho­lo­gie – dont le pre­mier consiste à tenir l’at­ten­tion du lec­teur constam­ment sou­te­nue jus­qu’au der­nier épi­sode, en sus­ci­tant en lui des sup­po­si­tions, des attentes, des espé­rances, des craintes, en un mot en le met­tant dans l’an­goisse de ce qui arri­ve­ra aux per­son­nages, deve­nus désor­mais, d’une cer­taine manière, ses connais­sances. Ce serait donc une erreur que de pré­sen­ter dès le début d’une manière claire et lim­pide la trame de la nar­ra­tion ou de la vision. Au contraire, le livre, et plus encore peut-​être le film, en ver­tu des moyens les plus variés et les plus sub­tils dont il dis­pose, trouve son charme typique en inci­tant le spec­ta­teur à don­ner sa propre inter­pré­ta­tion du récit, en l’in­vi­tant par une logique à peine esquis­sée ou d’a­gréables arti­fices, à entre­voir ce qui est indé­ter­mi­né, à pré­ve­nir une action, à anti­ci­per une impres­sion, à résoudre un cas. Ainsi, en s’a­dap­tant de la sorte à l’ac­ti­vi­té psy­chique du spec­ta­teur, le film accroît encore le charme de la repré­sen­ta­tion cinématographique.

Une fois éprou­vée la force péné­trante du film et véri­fié le fait de sa large influence dans les rangs du peuple et sur les mœurs, la ciné­ma­to­gra­phie a atti­ré l’at­ten­tion tant des Autorités com­pé­tentes, civiles et ecclé­sias­tiques, que de la col­lec­ti­vi­té et de tous ceux qui sont doués d’un juge­ment serein et d’un véri­table sen­ti­ment des responsabilités.

A vrai dire, com­ment pourrait-​on lais­ser livré à lui-​même ou condi­tion­né par le seul inté­rêt éco­no­mique un moyen, en soi tout à fait noble, mais tel­le­ment puis­sant pour éle­ver les âmes ou les dépra­ver ? Un ins­tru­ment prompt à faire le bien mais aus­si à répandre le mal ?

La vigi­lance et la réac­tion des pou­voirs publics, plei­ne­ment jus­ti­fiés par le droit de défendre le patri­moine com­mun civil et moral, se mani­festent sous des formes diverses : par la cen­sure civile et ecclé­sias­tique des films et, s’il est néces­saire, par leur pro­hi­bi­tion ; par la publi­ca­tion de listes pro­ve­nant de com­mis­sions d’exa­men des films qui les qua­li­fient selon leur valeur afin de four­nir au public des infor­ma­tions et des normes. Il est bien vrai que l’es­prit de notre temps, qui se montre plus qu’il ne convient irri­té des inter­ven­tions des pou­voirs publics, pré­fé­re­rait une défense qui pro­vien­drait direc­te­ment de la col­lec­ti­vi­té. Il serait cer­tai­ne­ment dési­rable que l’on obtînt l’ac­cord des bons contre le film cor­rup­teur, par­tout où il se montre, pour le com­battre par les moyens juri­diques et moraux à leur dis­po­si­tion ; une telle action n’est cepen­dant pas, en soi, suffisante.

L’ardeur du zèle pri­vé peut s’at­tié­dir, et de fait s’at­tié­dit bien vite, comme le démontre l’ex­pé­rience. Au contraire la pro­pa­gande agres­sive ne s’at­tié­dit pas, qui tire sou­vent du film d’a­bon­dants béné­fices et qui sou­vent trouve un allié facile au fond même de l’homme, Nous vou­lons dire dans l’ins­tinct aveugle, avec ses attraits ou ses impul­sions bru­tales et basses.

Si, en consé­quence, le patri­mo­nie civil et moral du peuple et des familles doit être pro­té­gé de manière effi­cace, il est plus que juste que l’Autorité publique inter­vienne comme il se doit pour empê­cher ou frei­ner les influences les plus dangereuses.

Laissez-​Nous main­te­nant vous adres­ser, à vous qui êtes si pleins de bonne volon­té, une parole, Nous vou­drions presque dire confi­den­tielle et pater­nelle. Ne serait-​il pas oppor­tun que l’ap­pré­cia­tion hon­nête et le rejet de ce qui est indigne ou infé­rieur fût dès le début et d’une manière par­ti­cu­lière entre vos mains ? Dans ce cas on ne pour­rait cer­tai­ne­ment pas par­ler d’in­com­pé­tence ou de pré­ven­tion, si vous, par un juge­ment mûr, for­mé selon de sages prin­cipes moraux, et dans un des­sein sérieux, vous réprou­viez ce qui cause du dom­mage à la digni­té humaine, au bien des par­ti­cu­liers et de la socié­té, et spé­cia­le­ment à la jeunesse.

Aucun esprit sen­sé ne pour­rait igno­rer ou railler votre ver­dict conscien­cieux et pon­dé­ré dans une matière qui concerne votre propre pro­fes­sion. Faites donc lar­ge­ment usage de ce pres­tige et de cette auto­ri­té que votre savoir, votre expé­rience, la digni­té de votre tra­vail vous confè­grnt. Remplacez les spec­tacles insi­gni­fiants ou per­ver­tis­seurs par des images bonnes, nobles, belles, qui, sans être troubles peuvent cer­tai­ne­ment être atti­rantes et même tou­cher au som­met de l’art. Vous aurez avec vous l’ac­cord et l’ap­pro­ba­tion de tous ceux qui ont un juge­ment sain et une volon­té droite, et sur­tout l’ap­pro­ba­tion de votre conscience.

II. Le film idéal

Nous avons jus­qu’i­ci consa­cré une par­tie de Notre expo­sé au film tel qu’il est en réa­li­té, à pré­sent ; main­te­nant Nous vou­drions, dans une seconde par­tie, dire Notre pen­sée sur le film tel qu’on vou­drait qu’il fût, c’est-​à-​dire du film idéal.

Avant tout une ques­tion préa­lable : peut-​on par­ler d’un film idéal ? L’usage appelle idéal ce à quoi rien ne manque de ce qui lui est propre mais qui au contraire le pos­sède d’une manière par­faite. Y a‑t-​il en ce sens un film sim­ple­ment idéal ? Certains ont cou­tume de nier qu’un idéal abso­lu puisse exis­ter ; en d’autres termes, on affirme que tout idéal est rela­tif, c’est-​à-​dire que l’i­déal signi­fie tou­jours quelque chose, mais seule­ment pour une per­sonne ou une chose déter­mi­née. La diver­gence d’o­pi­nion est cau­sée en grande par­tie par les cri­tères dif­fé­rents employés pour dis­tin­guer les élé­ments essen­tiels des élé­ments acces­soires. En effet, bien qu’on en affirme la rela­ti­vi­té, I’idéal ne manque jamais d’un noyau abso­lu, qui se réa­lise dans tous les cas, même dans la mul­ti­pli­ci­té et la varié­té des élé­ments secon­daires, requis par leur rela­tion à un cas déterminé.

Ceci dit, il Nous semble qu’il faut consi­dé­rer le film idéal sous trois aspects :

  • 1) par rap­port au sujet, c’est-​à-​dire aux spec­ta­teurs aux­quels le film est destiné ;
  • 2) par rap­port à l’ob­jet, c’est-​à-​dire au conte­nu du film lui-même ;
  • 3) par rap­port à la com­mu­nau­té sur laquelle, comme Nous le disions tan­tôt, il exerce une influence particulière.

Puisque Nous dési­rons Nous arrê­ter un peu sur ce sujet impor­tant, Nous nous bor­ne­rons aujourd’­hui à trai­ter le pre­mier aspect, en réser­vant le second et le troi­sième à une autre Audience, si l’oc­ca­sion Nous en est donnée.

1° Le film idéal consi­dé­ré par rap­port au spectateur

a) Le pre­mier carac­tère qui doit à cet égard dis­tin­guer le film idéal, c’est le res­pect envers l’homme. Il n’y a en effet aucun motif pour qu’il échappe à la norme géné­rale, selon laquelle celui qui traite avec des hommes doit être rem­pli de res­pect pour l’homme.

Bien que les dif­fé­rences d’âge, de condi­tion et de sexe puissent sug­gé­rer une atti­tude dif­fé­rente et une adap­ta­tion, l’homme conserve tou­jours cepen­dant la digni­té et la noblesse que le Créateur lui don­na quand il le fit à son image et à sa res­sem­blance (Gen.I, 26). Dans l’homme, se trouve l’âme spi­ri­tuelle et immor­telle ; le micro­cosme avec sa mul­ti­pli­ci­té et son poly­mor­phisme, avec l’a­gen­ce­ment mer­veilleux de toutes ses par­ties ; la pen­sée et la volon­té avec la plé­ni­tude et l’am­pleur de son champ d’ac­ti­vi­té ; la vie affec­tive avec ses élé­va­tions et ses pro­fon­deurs ; le monde des sens avec son pou­voir, sa per­cep­tion et sa sen­sa­tion mul­ti­formes ; le corps for­mé jusque dans ses der­nières fibres selon une téléo­lo­gie qui n’est pas encore entiè­re­ment explo­rée. L’homme est consti­tué sei­gneur de ce micro­cosme ; il doit se gui­der libre­ment lui-​même selon les lois du vrai, du bien et du beau, comme la nature, la vie en com­mun avec ses sem­blables et la révé­la­tion divine le lui indiquent.

Puisque le spec­tacle ciné­ma­to­gra­phique, comme on l’a obser­vé, a le pou­voir d’o­rien­ter l’es­prit du spec­ta­teur vers le bien ou vers le mal, Nous n’ap­pel­le­rons un film idéal que si, non seule­ment il n’of­fense pas ce que Nous venons de décrire, mais le traite avec res­pect. Bien plus, cela même ne suf­fit pas ! Nous devons dire : s’il ren­force et élève l’homme dans la conscience de sa digni­té ; s’il lui fait connaître et aimer davan­tage le rang éle­vé où le Créateur le mit dans sa nature ; s’il lui parle de la pos­si­bi­li­té d’ac­croître en lui les qua­li­tés d’éner­gie et les ver­tus dont il dis­pose ; s’il conso­lide en lui la per­sua­sion qu’il peut vaincre des obs­tacles et évi­ter des déci­sions erro­nées ; qu’il peut tou­jours se rele­ver de ses chutes et se remettre sur la bonne route ; enfin qu’il peut pro­gres­ser du bien au mieux en se ser­vant de sa liber­té et de ses facultés.

b) Un tel film aurait déjà en réa­li­té la fonc­tion fon­da­men­tale d’un film idéal ; mais on peut encore lui accor­der quelque chose de plus si, au res­pect de l’homme, s’a­joute une com­pré­hen­sion affec­tueuse. Rappelez-​vous la parole émou­vante du Seigneur : « J’ai pitié de ce peuple » (Marc. 8, 2).

La vie humaine ici-​bas a ses gran­deurs et ses abîmes, ses ascen­sions et ses déclins, elle se meut par­mi les ver­tus et les vices, les conflits, les dif­fi­cul­tés et les trêves, elle connaît vic­toires et défaites. Tout cela cha­cun l’ex­pé­ri­mente à sa façon, selon ses condi­tions internes et externes, et selon les dif­fé­rents âges qui, comme un fleuve, le portent des pay­sages mon­ta­gneux vers les col­lines boi­sées et vers les plaines illi­mi­tées brû­lées de soleil.
Ainsi se diver­si­fient les condi­tions de mou­ve­ment et de lutte ; chez l’en­fant, à l’é­veil de son esprit ; chez l’a­do­les­cent, la pre­mière fois qu’il pos­sède plei­ne­ment l’u­sage et la maî­trise de sa rai­son ; chez le jeune homme, pen­dant les années de son déve­lop­pe­ment quand de grandes tem­pêtes alternent avec de mer­veilleuses éclair­cies ; chez l’homme mûr sou­vent tota­le­ment absor­bé dans la lutte pour la vie avec ses secousses inévi­tables ; chez le vieillard, qui, jetant avec regret, nos­tal­gie et repen­tir, un regard en arrière sur son pas­sé, se pose des ques­tions et consi­dère les évé­ne­ments comme seul peut le faire quel­qu’un qui a beau­coup navigué.

Le film idéal doit mon­trer au spec­ta­teur qu’il sait toutes ces choses, qu’il les com­prend et les appré­cie exac­te­ment ; mais il doit le mon­trer à l’en­fant comme il convient à l’en­fant, au jeune homme avec un lan­gage à lui adap­té, à l’homme mûr comme il lui convient, c’est-​à-​dire en assi­mi­lant sa façon propre de connaître et de regar­der les choses.

Mais il ne suf­fit pas de com­prendre l’homme en géné­ral, quand le film s’a­dresse à une pro­fes­sion ou à une condi­tion déter­mi­née ; il faut en outre une com­pré­hen­sion spé­ci­fique des carac­tères par­ti­cu­liers aux divers états sociaux. Le film doit com­mu­ni­quer à celui qui voit et écoute le sens de la réa­li­té mais d’une réa­li­té vue avec les yeux de quel­qu’un qui en sait plus que lui, mais qui se place fra­ter­nel­le­ment à côté du spec­ta­teur pour pou­voir, s’il le faut, I’aider et le réconforter.

Dans cet esprit, la réa­li­té repro­duite par le film est pré­sen­tée d’une manière artis­tique puisque c’est le propre de l’ar­tiste de ne pas repro­duire méca­ni­que­ment le réel ni de s’as­su­jet­tir aux seules pos­si­bi­li­tés tech­niques des ins­tru­ments, mais en se ser­vant d’eux, d’é­le­ver et domi­ner le sujet sans l’al­té­rer ni le sous­traire à la réa­li­té. On en trou­ve­ra un exemple magni­fique dans les para­boles splen­dides de l’Ecriture Sainte, dont les sujets sont pris à la vie quo­ti­dienne et aux occu­pa­tions des audi­teurs, avec une fidé­li­té, Nous dirions presque pho­to­gra­phique, mais domi­nés et éle­vés de telle manière que réa­li­té et idéal soient fon­dus dans une forme d’art par­faite.
c) Au res­pect et à la com­pré­hen­sion, il faut ajou­ter l’ac­com­plis­se­ment des pro­messes et la satis­fac­tion des dési­rs offerts peut-​être et sus­ci­tés dès le début ; bien plus, en géné­ral les mil­lions de per­sonnes qui affluent au ciné­ma, y sont pous­sées par l’es­pé­rance vague d’y trou­ver la satis­fac­tion de leurs dési­rs secrets et impré­cis, de leurs aspi­ra­tions intimes ; dans l’a­ri­di­té de leur vie, elles se réfu­gient au ciné­ma comme chez un magi­cien qui peut tout trans­for­mer au tou­cher de sa baguette.

Le film idéal par consé­quent doit savoir répondre à l’at­tente et appor­ter une satis­fac­tion non quel­conque mais totale ; il n’a certes pas à satis­faire toutes les aspi­ra­tions, même fausses et dérai­son­nables (Nous ne par­lons pas de celles qui sont dépla­cées ou amo­rales) mais bien celles que le spec­ta­teur nour­rit à bon droit.

Sous l’une ou l’autre de ces formes, ce qu’on en attend, c’est tan­tôt un sou­la­ge­ment tan­tôt un ensei­gne­ment, une joie, un récon­fort, ou une émo­tion ; les unes plus pro­fondes, les autres super­fi­cielles. Le film répond tan­tôt à l’une tan­tôt à l’autre de ces requêtes, ou bien il don­ne­ra une réponse qui peut en satis­faire plu­sieurs ensemble.

Vous lais­sant juger en spé­cia­listes ce qui touche à l’as­pect tech­nique et esthé­tique, Nous pré­fé­rons consi­dé­rer l’élé­ment psy­cho­lo­gique et per­son­nel pour en tirer la confir­ma­tion de ce fait que, mal­gré l’élé­ment de rela­ti­vi­té, il reste tou­jours un noyau d’ab­so­lu qui dicte les normes pour accep­ter ou refu­ser de répondre aux requêtes du spectateur.

Pour se faire une idée de la ques­tion, il n’est pas néces­saire de reprendre les consi­dé­ra­tions de fil­mo­lo­gie et de psy­cho­lo­gie dont Nous nous sommes déjà occu­pés ; il suf­fit de se lais­ser gui­der, ici encore, par le sens com­mun. Dans l’homme nor­mal, en effet, on trouve aus­si une psy­cho­lo­gie pour ain­si dire non savante, déri­vant de sa nature même qui le rend capable de se diri­ger cor­rec­te­ment dans les cas ordi­naires de la vie quo­ti­dienne, pour­vu qu’il suive la saine facul­té de pen­ser, son sens du réel et les conseils de son expé­rience ; mais sur­tout pour­vu que l’élé­ment affec­tif soit en lui ordon­né et réglé, puisque ce qui, en der­nier lieu, déter­mine l’homme à juger et à agir est sa dis­po­si­tion affec­tive actuelle.

Sur la base de cette psy­cho­lo­gie simple, il est clair que celui qui va voir un film sérieux et ins­truc­tif, a droit à l’en­sei­gne­ment pro­mis ; celui qui se rend à une repré­sen­ta­tion his­to­rique veut qu’on lui montre l’é­vé­ne­ment, même si les exi­gences tech­niques et artis­tiques en modi­fient et en élèvent la forme ; celui à qui on a pro­mis de mon­trer un roman ou une nou­velle, ne doit pas s’en aller décu parce qu’il n’en a pas vu déve­lop­per le sujet.
Mais il y en a qui, au contraire, fati­gués de la mono­to­nie de leur vie, ou affai­blis par ses luttes, cherchent dans le film en pre­mier lieu le sou­la­ge­ment, I’oubli, la détente : peut-​être aus­si la fuite dans un monde illu­soire. Ces exi­gences sont-​elles légi­times ? Le film idéal peut-​il s’a­dap­ter à de tels dési­rs et ten­ter de les satisfaire ?

L’homme moderne – affirme-​t-​on – au soir d’une jour­née tour­men­tée ou mono­tone, sent le besoin de chan­ger les cir­cons­tances de per­sonnes et de lieux ; il désire donc des repré­sen­ta­tions qui, par la mul­ti­pli­ci­té de leurs images, à peine liées entre elles par un léger fil conduc­teur, calment l’es­prit, même si elles res­tent à la sur­face et ne pénètrent pas en pro­fon­deur, pour­vu qu’elles réparent la fatigue et éloignent l’ennui.

Il se peut qu’il en soit ain­si, et même sou­vent. En ce cas, le film doit cher­cher à répondre d’une façon idéale à cette condi­tion, en évi­tant cepen­dant de tom­ber dans des vul­ga­ri­tés ou des sen­sa­tions indignes.

Il n’est pas niable que même un spec­tacle plu­tôt super­fi­ciel puisse atteindre des formes artis­tiques éle­vées et méri­ter d’être jugé idéal, car l’homme est aus­si super­fi­cia­li­té et non seule­ment pro­fon­deur : mais celui qui n’est que super­fi­cia­li­té et ne réus­sit pas à appro­fon­dir pen­sées et sen­ti­ments n’est qu’un sot.

Sans doute est-​il per­mis au film de conduire l’es­prit fati­gué et ennuyé sur le seuil du monde de l’illu­sion, afin qu’il jouisse d’une courte trêve dans la réa­li­té qui l’op­prime ; mais on aura soin de ne pas revê­tir l’illu­sion de telles formes qu’elle soit prise pour la réa­li­té par des esprits trop inex­pé­ri­men­tés et faibles. Le film, en effet, qui conduit de la réa­li­té à l’illu­sion, doit ensuite rame­ner de l’illu­sion à la réa­li­té, un peu avec la même dou­ceur que la nature uti­lise dans le som­meil. Elle aus­si sous­trait l’homme fati­gué à la réa­li­té et le plonge, pour quelque temps, dans le monde illu­soire des songes ; mais, après le som­meil, elle le ramène plus solide et comme réno­vé, à la réa­li­té vivante, à la réa­li­té habi­tuelle dans laquelle il vit et qu’il doit sans cesse domi­ner par le tra­vail et la lutte. Que le film suive en cela la nature ; il aura alors accom­pli une par­tie notable de son office.

d) Mais le film idéal, consi­dé­ré par rap­port au spec­ta­teur, a enfin une mis­sion haute et posi­tive à remplir.

Pour l’ap­pré­cier, il ne suf­fit pas d’a­voir pour le spec­ta­teur res­pect et com­pré­hen­sion ni de répondre à ses attentes légi­times et à ses justes dési­rs. Il faut aus­si qu’il s’a­dapte aux exi­gences du devoir inhé­rent à la nature de la per­sonne humaine et, en par­ti­cu­lier, de l’es­prit. L’homme depuis le moment où la rai­son s’é­veille jus­qu’à celui où elle s’é­teint, a une foule de devoirs par­ti­cu­liers à rem­plir, à la base des­quels, comme leur fon­de­ment à tous, on trouve celui de dis­po­ser jus­te­ment de lui-​même, c’est-​à-​dire selon une pen­sée et un sen­ti­ment hon­nêtes, selon son intel­li­gence et sa conscience. La norme direc­tive néces­saire à cette fin, I’homme la prend dans la consi­dé­ra­tion de sa nature, dans l’en­sei­gne­ment d’au­trui, dans la parole de Dieu aux hommes. Le déta­cher de cette norme signi­fie­rait le rendre inca­pable de mener à terme sa mis­sion essen­tielle, de la même manière que ce serait le para­ly­ser si on cou­pait les ten­dons et liga­ments qui unissent et sou­tiennent les membres et les par­ties de son corps.

Eh bien, un film idéal a jus­te­ment l’im­por­tant devoir de mettre les grandes pos­si­bi­li­tés et la force d’in­fluence que Nous avons déjà recon­nues à la ciné­ma­to­gra­phie, au ser­vice de l’homme et de l’ai­der à main­te­nir et réa­li­ser l’af­fir­ma­tion de lui-​même dans le che­min de la rec­ti­tude et du bien.

On ne cache pas que pour cela sont requis chez le met­teur en scène des dons excel­lents car tout le monde sait qu’il n’est cer­tai­ne­ment pas dif­fi­cile de pro­duire des films atti­rants, en les ren­dant com­plices des ins­tincts infé­rieurs et des pas­sions qui entraînent l’homme en le sous­trayant aux règles de sa rai­son et de son meilleur vou­loir. La ten­ta­tion des che­mins faciles est grande, d’au­tant plus que le film per­vers – le Poète dirait « galeot­to » – se prête faci­le­ment à rem­plir les salles et les caisses, à sus­ci­ter des applau­dis­se­ments fré­né­tiques et à rece­voir dans les colonnes de quelques jour­naux des articles trop ser­viles et béné­voles ; mais tout cela n’a rien de com­mun avec l’ac­com­plis­se­ment d’un devoir idéal. En réa­li­té, c’est une déca­dence et une dégra­da­tion ; c’est sur­tout un renon­ce­ment aux cimes. Le film idéal par contre entend les atteindre à tout prix et tout en refu­sant de ser­vir des mar­chands sans scru­pules. Il n’af­fecte pas de faire une morale creuse, mais com­pense abon­dam­ment ce refus par une œuvre posi­tive, qui, comme les cir­cons­tances l’exigent, enseigne, charme, répand une joie et un plai­sir nobles et vrais, écarte tout ennui ; il est à la fois léger et pro­fond, ima­gi­na­tif et réel. En un mot, il sait entraî­ner, sans arrêts ni secousses, dans les régions pures de l’art et du plai­sir de telle façon que le spec­ta­teur, à la fin, sort de la salle plus joyeux, plus libre et, au fond de son âme, meilleur que lors­qu’il est entré : si, à ce moment, il ren­con­trait le pro­duc­teur, le scé­na­riste ou le met­teur en scène, il ne man­que­rait peut-​être pas de les abor­der ami­ca­le­ment dans l’é­lan de son admi­ra­tion et de sa recon­nais­sance, comme Nous les remer­cie­rions Nous-​même au nom de tant d’âmes deve­nues meilleures.

Nous vous avons signa­lé, Messieurs, un idéal sans cacher les dif­fi­cul­tés de sa réa­li­sa­tion ; mais Nous expri­mons en même temps la confiance dans votre haute com­pé­tence et dans votre bon vou­loir. Réaliser le film idéal c’est le pri­vi­lège des artistes qui sortent de l’or­di­naire ; certes c’est le but éle­vé vers lequel au fond tendent votre pou­voir et votre voca­tion. Fasse le Seigneur que vous obte­niez l’aide de tous ceux qui en sont capables !

Pour que Nos vœux se réa­lisent dans ce domaine impor­tant de la vie, si proche des régions de l’es­prit, Nous invo­quons sur vous, sur vos familles, sur les artistes et les tra­vailleurs du monde ciné­ma­to­gra­phique, la divine bien­veillance, en gage de laquelle des­cende sur vous tous Notre pater­nelle Bénédiction Apostolique .

PIUS PP. XII

28 octobre 1955
Allocution aux propriétaires de salle de cinéma
  • Pie XII