Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

5 mars 1941

Discours aux jeunes époux

Le ministre des sacrements, simple instrument de Dieu

Table des matières

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 5 mars 1941

Vous n’i­gno­rez pas qu’en tout sacre­ment celui qui l’ad­mi­nistre n’est que l’ins­tru­ment de la main de Dieu. L’homme, certes, fait quelque chose : il accom­plit une céré­mo­nie sym­bo­lique et pro­nonce des paroles qui signi­fient la grâce propre au sacre­ment ; mais cette grâce, Dieu est seul à la pro­duire : il se sert de l’homme comme d’un ministre agis­sant en son nom, à l’ins­tar du pin­ceau dont le peintre se sert pour des­si­ner et colo­rer sur la toile l’i­mage pré­sente à son esprit d’ar­tiste. Dieu est donc l’agent prin­ci­pal : c’est lui-​même qui agit, tan­dis que le ministre n’est qu’une cause ins­tru­men­tale, un ins­tru­ment qui agit sous l’im­pul­sion de Dieu. C’est pour­quoi, ce que le sacre­ment confère et pro­duit, c’est-​à-​dire la grâce, qui nous fait par­ti­ci­per à la nature de Dieu, res­semble, en tant qu’ef­fet de Dieu, à la cause divine et non pas au ministre1. Autre consé­quence, l’ef­fi­ca­ci­té du sacre­ment ne peut être conta­mi­née par le ministre : elle est comme la lumière du soleil, qui ne peut se souiller au contact des choses qu’elle illu­mine2.

Or, dans le sacre­ment de mariage, quel est l’ins­tru­ment de Dieu qui a pro­duit la grâce dans vos âmes ? Est-​ce peut-​être le prêtre qui vous a bénits et unis dans le mariage ? Non. Il est vrai que, sauf cer­tains cas excep­tion­nels bien déter­mi­nés3, l’Eglise pres­crit aux époux, pour que leur lien et leurs enga­ge­ments mutuels soient valides et leur pro­curent la grâce, de les échan­ger en pré­sence du prêtre ; mais le prêtre n’est qu’un témoin qua­li­fié, le repré­sen­tant de l’Eglise, et ne fait que pré­si­der les céré­mo­nies reli­gieuses qui accom­pagnent le contrat matri­mo­nial. C’est vous-​mêmes qui, en pré­sence du prêtre, avez été consti­tués par Dieu ministres du sacre­ment de mariage ; c’est de vous qu’il s’est ser­vi pour éta­blir votre indis­so­luble union et ver­ser dans vos âmes les grâces qui vous ren­dront constam­ment fidèles à vos nou­veaux devoirs. A quel hon­neur et à quelle digni­té Dieu vous a éle­vés ! Ne semble-​t-​il pas avoir vou­lu que vous soyez, dès le pre­mier ins­tant que vous quit­tiez le saint autel, les coopé­ra­teurs et les ins­tru­ments de ses œuvres ? Lui-​même vous en a ouvert et sanc­ti­fié le chemin.

C’est par les époux que se communique la vie de la grâce en ce sacrement, comme ensuite la vie des corps.

Dans le sacre­ment de mariage, l’ac­cep­ta­tion mutuelle de vos per­sonnes, votre consen­te­ment réci­proque mani­fes­té par la parole, est un acte exté­rieur qui a atti­ré sur vous les grâces divines ; dans votre vie conju­gale, vous serez les ins­tru­ments de l’art divin en mode­lant la matière, le corps de vos enfants. Vous appel­le­rez dans la chair tirée de votre chair l’âme spi­ri­tuelle et immor­telle et c’est à votre appel que Dieu la crée­ra, ce Dieu qui a fidè­le­ment pro­duit la grâce à l’ap­pel du sacre­ment. Et lorsque vien­dra au monde votre premier-​né, la nou­velle Eve redi­ra avec la mère du genre humain : Possedi homi­nem per Deum, « j’ai acquis un homme par le secours de Dieu » (Gn 4,1). Dieu seul peut créer les âmes, Dieu seul peut pro­duire la grâce ; mais il dai­gne­ra se ser­vir de votre minis­tère pour tirer les âmes du néant, comme il s’en est ser­vi pour vous don­ner la grâce.

Dans les deux cas, Dieu veut dépendre de leur libre consentement

Dans l’une et l’autre de ces col­la­bo­ra­tions, Dieu atten­dra que vous disiez oui, pour user de sa toute-​puissance créa­trice. Lui qui, « maître de sa force, juge avec dou­ceur et gou­verne avec une grande indul­gence » (Sg 12,18), il ne veut point vous trai­ter comme des ins­tru­ments inertes ou sans rai­son, à la façon du pin­ceau dans la main du peintre : il veut que libre­ment vous posiez l’acte qu’il attend pour accom­plir son œuvre de créa­tion et de sanctification.

Bien-​aimés fils et filles, vous vous trou­vez donc comme pla­cés devant le Créateur pour pré­pa­rer ses voies ; mais il vous a lais­sés libres et pro­fon­dé­ment res­pon­sables. Il dépen­dra de vous aus­si que viennent au seuil de la vie ces âmes simples qui ne savent rien, et que l’Amour infi­ni désire si vive­ment appe­ler du néant pour en faire un jour ses élus dans l’é­ter­nelle féli­ci­té du ciel ; et il dépen­dra, hélas ! éga­le­ment de vous que ces âmes res­tent à l’é­tat d’i­mages dans la pen­sée de Dieu, d’i­mages magni­fiques, il est vrai, mais qui auraient pu deve­nir des rayons du Soleil illu­mi­nant tout homme venant en ce monde, tan­dis qu’elles ne seront jamais, par la lâche­té et l’é­goïsme des hommes, que des lumières éteintes.

Ne vous êtes-​vous pas, ministres de son sacre­ment, libre­ment unis devant Dieu, pour lui deman­der, sain­te­ment et libre­ment, et dociles au com­man­de­ment don­né à nos pre­miers parents, les âmes qu’il brûle de vous confier ? Devant l’au­tel, seule votre libre volon­té a pu vous unir par le lien du sacre­ment de mariage et nul autre consen­te­ment ne pou­vait se sub­sti­tuer au vôtre. D’autres sacre­ments, qui sont plus néces­saires, peuvent, en l’ab­sence du ministre, être sup­pléés par la puis­sance de la misé­ri­corde divine ; Dieu peut se pas­ser des signes exté­rieurs pour por­ter la grâce dans les cœurs : au caté­chu­mène qui n’a per­sonne pour lui ver­ser l’eau sur le front, au pécheur qui ne trouve per­sonne pour l’ab­soudre, le Bon Dieu accor­de­ra, en réponse à leurs actes de désir et d’a­mour, la grâce qui les rend ses amis et ses fils, même sans l’acte sacra­men­tel du bap­tême et de la confession.

… que rien ne peut suppléer, et lourd de responsabilités.

Mais dans le sacre­ment de mariage, per­sonne ne peut sup­pléer les ministres, de même que per­sonne ne peut se sub­sti­tuer aux conjoints eux-​mêmes. Ici triomphe l’in­com­pa­rable splen­deur du plus grand des dons, la liber­té de la volon­té humaine : l’homme, en tant que doué d’in­tel­li­gence, a la ter­rible res­pon­sa­bi­li­té d’être le maître de lui-​même et de la vie, de sa vie à lui et de celle d’au­trui, de la vie qui monte vers l’é­ter­ni­té ; il a le pou­voir d’en arrê­ter le cours en d’autres, par un acte de rébel­lion contre Dieu. Un aveugle ins­tinct assure la conti­nua­tion de la vie dans les espèces pri­vées de rai­son ; mais, pour la race humaine, pour la race d’Adam, tom­bée, et qu’a rache­tée et sanc­ti­fiée le Verbe incar­né Fils de Dieu, les froids et astu­cieux cal­culs de l’é­goïsme jouis­seur peuvent s’employer à cou­per la fleur d’une vie cor­po­relle qui désire s’ou­vrir et s’é­pa­nouir. Pareil délit empêche le bras de Dieu d’ap­pe­ler à l’exis­tence le sou­rire des âmes inno­centes qui auraient vivi­fié ce corps et éle­vé ces membres à la digni­té d’ins­tru­ments de l’es­prit et de la grâce jus­qu’à par­ti­ci­per un jour à la récom­pense de leurs ver­tus et à la joie éter­nelle dans la gloire des saints.

Soyez fidèles à la fin du mariage

Pour vous, chers époux, conscients de l’in­vio­lable fin du sacre­ment de mariage, vous pré­pa­re­rez un ber­ceau aux dons de la toute-​puissance de Dieu, même si peut-​être la divine Providence allait per­mettre que vos vœux ardents et vos prières ne fussent pas exau­cés et que res­tât vide le ber­ceau pré­pa­ré avec tant d’a­mour. Vous ver­rez sans doute plus d’une fois la grâce ins­pi­rer à des âmes géné­reuses de renon­cer aux joies de la famille pour deve­nir des mères au cœur plus large et d’une plus haute fécon­di­té sur­na­tu­relle ; mais vous, dans la belle et sainte union du mariage chré­tien, vous avez à votre dis­po­si­tion la vie à com­mu­ni­quer, non seule­ment dans l’ordre natu­rel, mais aus­si dans l’ordre spi­ri­tuel et sur­na­tu­rel, avec la puis­sance redou­table d’en arrê­ter le cours.

…et soumis à la loi de Dieu.

Cette facul­té de trans­mettre la vie est pour vous un insigne hon­neur, mais elle vous sou­met dans son usage à la loi de Dieu, dont la sévé­ri­té ne doit pas vous sur­prendre à l’é­gard de ceux qui, par une détes­table faute, la détournent de sa haute et véri­table fin. Qu’ils craignent, ceux-​là ! (cf. Gn 38,10). Pour vous, chré­tiens sin­cères et obéis­sants à Dieu, soyez sans crainte, puisque vous avez com­pris l’é­troite col­la­bo­ra­tion qui unit l’homme et Dieu dans la trans­mis­sion de la vie. Votre intel­li­gence qu’illu­mine la foi ne sau­rait conce­voir que Dieu puisse per­mettre à l’homme de vio­ler impu­né­ment les dis­po­si­tions de sa Providence et de son gou­ver­ne­ment, car ces dis­po­si­tions furent hau­te­ment sanc­tion­nées lorsque, dès le pre­mier jour de l’ap­pa­ri­tion de l’homme et de la femme sur la terre, Dieu ins­ti­tua le lien du mariage ; et ce lien, le Christ l’a éle­vé à la digni­té de grand sacre­ment, pour appe­ler à la vie d’ici-​bas des âmes que Dieu des­tine à se sanc­ti­fier dans la lutte et dans la vic­toire sur le mal, afin de le contem­pler, aimer et louer dans la bien­heu­reuse éternité.

O chers jeunes époux, levez les yeux au ciel : dans ce sacre­ment de votre mariage dont vous avez été les ministres, Dieu a mar­qué et dis­po­sé pour vous la voie qui y monte. Puisse-​t-​il vous faire tou­jours mieux com­prendre et res­pec­ter le pou­voir dont vous dis­po­sez et qui vient éga­le­ment de lui. Puisse-​t-​il faire de vous les fidèles ins­tru­ments de sa Providence, pour le rôle émi­nent qu’il vous a confié dans l’œuvre de la puis­sance créa­trice de la Très Sainte Trinité. Cette grâce, Nous l’im­plo­rons sur vous et Nous vous don­nons du fond du cœur, en gage des dons célestes les plus abon­dants, Notre Bénédiction apostolique.

PIE XII, Pape.

  1. S. Thomas, S. Theol., III 62,1. []
  2. S. Augustin, In Joannis Evang., tract. V, n. 15 ; Migne, P. L., t. 35, col. 1422. []
  3. Cf. Code de Droit cano­nique, can. CIS 1099. []