Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

3 juillet 1940

Discours aux jeunes époux

Le prix infini du Sang de Jésus

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 3 juillet 1940

La pié­té des fidèles consacre le mois de juillet au Précieux Sang de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, en l’hon­neur duquel l’Eglise célèbre une solen­nelle fête litur­gique le pre­mier jour de ce mois. C’est de ce sujet, cher à toute âme chré­tienne, que Nous dési­rons briè­ve­ment vous entre­te­nir. Puisse, à une heure de luttes cruelles où coulent des fleuves de sang humain, puisse la contem­pla­tion des mer­veilles du Sang divin, source inépui­sable de récon­ci­lia­tion et de paix répan­due par pur amour, rem­plir vos âmes de récon­fort et d’espérance.

Vous n’i­gno­rez certes pas le prix infi­ni du Sang rédemp­teur ; vous savez que cer­taines églises ou cha­pelles se vantent d’en conser­ver quelques restes ou traces, comme celles qu’on vénère à la Scala Santa. Vous savez sur­tout qu’au taber­nacle, sous les appa­rences de l’hos­tie, est la réa­li­té même de ce Sang, pré­sent avec le corps, l’âme et la divi­ni­té du Sauveur. Vous avez plus d’une fois, en ado­rant cet auguste sacre­ment, répé­té avec la sainte litur­gie : Pange, lin­gua, glo­rio­si cor­po­ris mys­te­rium san­gui­nisque pre­tio­si, « Chante, ô ma langue, le mys­tère du glo­rieux Corps et du Précieux Sang. » Et nombre d’entre vous, Nous vou­lons le croire, ont célé­bré avant-​hier par une pieuse com­mu­nion la fête du Précieux Sang. Saint Pierre emploie cette expres­sion dans son épître aux chré­tiens de son temps : « Sachez que vous avez été affran­chis de la vaine manière de vivre que vous teniez de vos pères, non par des choses péris­sables, de l’argent ou de l’or, mais par un Sang Précieux, celui de l’a­gneau sans défaut et sans tache, le Sang du Christ » (I P 1,18–19).

Cette même expres­sion est en usage dans les prières de l’Eglise, témoin ce ver­set du Te Deum qu’on récite à genoux : Te ergo quae­su­mus, tuis famu­lis sub­ve­ni, quos pre­tio­so san­guine rede­mis­ti, « Daignez, Seigneur, venir en aide à vos ser­vi­teurs, que vous avez rache­tés par votre Précieux Sang. »

Il est natu­rel que cha­cun estime son propre sang comme un bien de haute valeur ; il trans­porte, en effet, aux dif­fé­rents tis­sus la nour­ri­ture et l’oxy­gène, tan­dis que ses cor­pus­cules blancs défendent l’or­ga­nisme contre l’in­va­sion des bac­té­ries. Partant, un des pre­miers soins des parents est de trans­mettre à leurs enfants un sang non alté­ré ni appau­vri par les mala­dies internes, des conta­mi­na­tions externes ou une dégé­né­ra­tion progressive.

Lorsque vous appe­lez vos enfants les héri­tiers de votre sang, vous devez son­ger à quelque élé­ment plus éle­vé que la seule géné­ra­tion phy­sique : vous êtes, et vos enfants doivent être, les reje­tons d’une race de saints, selon la parole de Tobie à sa jeune épouse : Filii Sanctorum sumus, « Nous sommes enfants des saints » (Tb 8,5), c’est-​à-​dire des hommes sanc­ti­fiés et par­ti­ci­pants de la nature divine moyen­nant la grâce. En ver­tu du bap­tême qui lui a appli­qué les mérites du Sang divin, le chré­tien est fils de Dieu, un de « ceux qui, selon saint Jean (1, 12–13), croient en son nom et qui ne sont nés ni du sang, ni de la volon­té de la chair, ni de la volon­té de l’homme, mais de Dieu ». Lorsque, par consé­quent, dans un pays de bap­ti­sés, on parle de trans­mettre le sang des pères aux fils, qui devront vivre et mou­rir non point comme des ani­maux sans rai­son, mais en hommes et en chré­tiens, il ne faut pas res­treindre le sens de ce mot à une idée pure­ment bio­lo­gique et maté­rielle, mais l’é­tendre à ce qui est comme le liquide nour­ri­cier de la vie intel­lec­tuelle et spi­ri­tuelle : le patri­moine de foi, de ver­tu et d’hon­neur que les parents trans­met­tront à leurs enfants, est mille fois plus pré­cieux que le sang, si riche soit-​il, qu’ils répandent en leurs veines.

Les membres des familles nobles vantent leur sang illustre, et cet insigne hon­neur, fon­dé sur le mérite des aïeux, com­porte dans leurs héri­tiers autre chose que de seuls avan­tages phy­siques. Mais tous ceux qui ont reçu la grâce du bap­tême peuvent se dire « princes du sang », non d’un sang sim­ple­ment royal, mais d’un sang divin. Inspirez donc, chers jeunes époux, aux enfants que Dieu vous don­ne­ra, une telle estime de cette noblesse sur­na­tu­relle, qu’ils soient prêts à tout souf­frir plu­tôt que de perdre un tré­sor si précieux.

Songez, pour l’ap­pré­cier mieux encore, aux bien­faits du Précieux Sang. Vous connais­sez l’his­toire de la pre­mière Pâque de l’Ancien Testament ; quand le Seigneur envoya son ange frap­per les premiers-​nés des Egyptiens, il ordon­na aux enfants d’Israël d’im­mo­ler un agneau sans tache et de mar­quer de son sang les portes de leurs mai­sons. A la vue de ce signe, l’ange pas­se­rait outre et épar­gne­rait les fils du peuple élu (Ex., XII). Toute la tra­di­tion, dès les Apôtres et les Pères, voit dans cet agneau la figure du Christ immo­lé sur la croix afin que les hommes, mar­qués de son Sang rédemp­teur, soient sau­vés de la mort éternelle.

Si pur que fût l’a­gneau pas­cal de l’Ancien Testament, Dieu n’en accep­tait l’hom­mage que comme un rite pro­vi­soire. Tout autre est le sang humain par sa fonc­tion et sa valeur sym­bo­lique. Versé par un cri­mi­nel, il crie ven­geance devant Dieu, comme celui d’Abel (Gn 4, 10). Versé par amour pour le pro­chain, il consti­tue le plus grand acte pos­sible de cha­ri­té (Jn 15, 13), celui que le Christ a accom­pli pour nous. C’est pré­ci­sé­ment parce que les vic­times ani­males étaient impuis­santes à ôter les péchés du monde, que le Verbe s’est incar­né pour s’of­frir au Père en holo­causte d’a­do­ra­tion et d’ex­pia­tion (He 10) ; dans la plé­ni­tude de sa liber­té (Is 53,7 ; Jn 10, 17–18) il a don­né sa vie et ver­sé son sang pour la rédemp­tion de l’hu­ma­ni­té pécheresse.

Cette effu­sion rédemp­trice com­men­ça huit jours après la nais­sance de Jésus, dans le rite sacré de la cir­con­ci­sion ; elle se conti­nua plus tard durant les heures dou­lou­reuses de sa Passion, dans l’an­goisse de l’a­go­nie de Gethsemani, sous les coups de la fla­gel­la­tion, lors du cou­ron­ne­ment d’é­pines au pré­toire ; elle se consom­ma au Calvaire, où son Cœur fut trans­per­cé afin de demeu­rer tou­jours ouvert pour nous. Le sang que Jésus répan­dait ain­si en sacri­fice et qui fai­sait de lui « le Médiateur de la nou­velle alliance », sui­vant le mot de saint Paul, « par­lait mieux qu’Abel » (He 12, 24) : parce que son cri de misé­ri­corde et de rémis­sion est celui d’un Homme-​Dieu, la voix du par­don couvre celle du délit.

Renouvelez donc en vos cœurs, chers fils et filles, la salu­taire dévo­tion au Précieux Sang ; inef­fa­çable est le signe que le bap­tême a impri­mé en vous. Dans la nature même, le sang ver­sé semble se col­ler aux mains du cri­mi­nel, comme le délit et le remords s’at­tachent à sa conscience. La poé­sie et l’art dra­ma­tique ont tiré de cette per­sis­tance si tenace des effets impres­sion­nants. En vain Pilate lava, devant le peuple, les mains qui avaient signé la condam­na­tion à mort du Juste (Mt 27, 24) : jus­qu’à la fin des siècles, l’empreinte du Sang divin res­te­ra atta­chée, inef­fa­çable, à sa mémoire : Passus sub Pontio Pilato, « il a souf­fert sous Ponce Pilate ». Il dépend de vous, époux chré­tiens, de don­ner au Sang du Christ en vos âmes et en celles de vos enfants une voix de par­don, ou une voix de ven­geance. Conservée tou­jours vive et dans l’é­clat de sa pre­mière fraî­cheur, l’empreinte du Sang divin ne parle que de rédemp­tion et de misé­ri­corde ; obs­cur­cie et souillée par la fange du péché, elle se change en flé­tris­sure de condam­na­tion. Même alors, pour­tant, il vous reste un refuge : auriez-​vous com­mis d’in­nom­brables fautes, vous pou­vez tou­jours, par un repen­tir sin­cère, laver de nou­veau la robe de votre bap­tême dans le Sang de l’Agneau (Ap 1, 5), qui ne cesse de cou­ler pour vous dans les sacre­ments de péni­tence et d’Eucharistie. Ainsi, pieu­se­ment conser­vé, ou recon­quis avec un humble cou­rage, ce signe sera votre pro­tec­tion quand pas­se­ra sur vous et votre pos­té­ri­té l’Ange exé­cu­teur de la Justice divine.

En outre, dès main­te­nant et pour votre vie entière, vous pou­vez faire votre cri d’a­mour de ce qui fut un cri de haine de la part des Juifs : Sanguis eius super nos et super filios nos­tros — « Que son Sang retombe sur nous et sur nos enfants ! » (Mt 27, 25) — « Seigneur Jésus, direz-​vous, faites qu’il retombe en grâces de rédemp­tion sur nous, sur tous ceux qui nous sont chers et en par­ti­cu­lier sur ceux qui seront, s’il vous plaît, les héri­tiers de notre sang ! »

PIE XII, Pape.

19 août 1942
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