Négociations secrètes entre le Vatican et les intégristes – Figaro du 20/​10/​09

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Figaro du 20/​10/​09

Lundi à Rome, la Fraternité Saint Pie X et des théo­lo­giens de haut niveau vont enga­ger un dia­logue pour ten­ter de trou­ver un accord sur le concile Vatican II. Il va durer plu­sieurs mois. À la clé : une réin­té­gra­tion pos­sible des lefebvristes.

C’est un voyage dans le temps. À la fois pas­sé, pré­sent et futur. Lundi pro­chain, à Rome, deux mondes et deux visions de l’Église catho­lique se confron­te­ront. Les deux mondes, ce sont, d’une part, les dis­ciples de Mgr Lefebvre. Connus sous la déno­mi­na­tion d”«intégristes », ils tota­lisent plus de 500 prêtres, 100 000 fidèles en France. Et, d’autre part, le Saint-​Siège, l’Église catho­lique, soit 400 000 prêtres et 1,1 mil­liard de fidèles. La com­pa­rai­son numé­rique est absurde car la confron­ta­tion est ailleurs. Elle n’a rien d’a­nec­do­tique : ce sont deux visions de l’Église qui s’op­posent fron­ta­le­ment, une tra­di­tion de plu­sieurs siècles contre une réno­va­tion datant du concile Vatican II (1962–1965).

Jusque-​là, le conflit ouvert par Mgr Marcel Lefebvre – figure d’op­po­si­tion de ce concile – était une guerre de tran­chées. Chacun cam­pait sur ses posi­tions. Au point qu’en 1988 l’é­vêque dis­si­dent finit par ordon­ner quatre évêques à Ecône, pour assu­rer sa suc­ces­sion. Au prix d’une excom­mu­ni­ca­tion, de fac­to. La trans­gres­sion aurait pu conduire à un schisme durable si Benoît XVI n’a­vait pas déci­dé d’en finir avec la rup­ture. À la dif­fé­rence de son pré­dé­ces­seur Jean-​Paul II, il a donc ouver­te­ment ten­du la main aux « intégristes ».

Trois actes marquent d’ores et déjà le bilan de son pon­ti­fi­cat. Le 14 sep­tembre 2007, d’a­bord, il a auto­ri­sé la célé­bra­tion – à cer­taines condi­tions, mais qui échappent désor­mais au pou­voir des évêques – de la messe selon le mis­sel latin de 1963. Cette célé­bra­tion en latin est réta­blie comme rite « extra­or­di­naire » de l’Église catho­lique. Le 24 jan­vier 2009, ensuite, il a levé les excom­mu­ni­ca­tions qui frap­paient les quatre évêques ordon­nés par Mgr Lefevbre, dont le désor­mais célèbre Mgr Williamson (actuel­le­ment mis au ban de la Fraternité Saint Pie X et pour­sui­vi par la jus­tice alle­mande pour ses pro­pos néga­tion­nistes de la Shoah). Le lun­di 26 octobre, enfin, les subor­don­nés du Pape ouvrent, au Vatican, une dis­cus­sion avec les lefeb­vristes sur le désac­cord fon­da­men­tal tou­chant le concile Vatican II. En appa­rence peu spec­ta­cu­laire, cette troi­sième étape du rap­pro­che­ment est, de loin, la plus impor­tante. Elle touche non plus les exté­rieurs mais le cœur même de la foi catho­lique. Non que le Pape hési­te­rait sur son inter­pré­ta­tion. Mais il concède que l’Église catho­lique n’exa­mine plus de manière dis­ci­pli­naire – comme elle trai­tait jusque-​là ces irré­duc­tibles résis­tants – mais de manière théo­lo­gique les reproches que les lefeb­vristes adressent à l’Église Mère.

Les neufs négo­cia­teurs ne vont certes pas faire, à eux seuls, un nou­veau concile. Mais leurs débats obéissent à un axe majeur du pon­ti­fi­cat. En décembre 2005, lors d’un dis­cours fon­da­teur à la curie romaine, le nou­veau pape avait pré­ve­nu : le temps de l’in­ter­pré­ta­tion du concile Vatican II vu comme une « rup­ture » avec le pas­sé est ter­mi­né ; il importe de mettre en appli­ca­tion ce concile en « conti­nui­té » avec la tra­di­tion la plus ancienne de l’Église. Ce texte fit grin­cer des dents dans les milieux pro­gres­sistes de l’Église catho­lique, mais cette « poli­tique » de Benoît XVI est main­te­nant en acte.

Significatif, ce rendez-​vous du 26 octobre avec l’his­toire de l’Église va tou­te­fois se dérou­ler de la plus simple des manières. Ni appa­rat ni céré­mo­nie. Une salle de réunion, digne et sobre, de la congré­ga­tion pour la Doctrine de foi, sise dans l’en­ceinte de la cité du Vatican. Les tra­vaux se dérou­le­ront à huis clos. Les pro­ta­go­nistes seront même tota­le­ment pro­té­gés de la presse. Les deux par­ties vou­lant évi­ter « toute pres­sion exté­rieure » sur la teneur de leurs échanges, « stric­te­ment réser­vés », selon le Vatican.

Pour l’Église catho­lique, il y a deux res­pon­sables de la délé­ga­tion : un théo­lo­gien ita­lien, Mgr Guido Pozzo, secré­taire de la com­mis­sion Ecclesia Dei (struc­ture ad hoc du Saint-​Siège dédiée au contact des lefeb­vristes), et Mgr Luis F. Ladaria Ferrer, jésuite et secré­taire de la congré­ga­tion pour la Doctrine de la foi. Quant aux experts, il y a le domi­ni­cain suisse Charles Morerod, secré­taire de la Commission théo­lo­gique inter­na­tio­nale et rec­teur de l’Angelicum, pres­ti­gieuse uni­ver­si­té pon­ti­fi­cale, le vicaire géné­ral de l’Opus Dei, Mgr Fernando Ocariz, et le jésuite alle­mand Karl Josef Becker, tous deux consul­teurs de la congré­ga­tion pour la Doctrine de la foi, c’est-​à-​dire conseillers théo­lo­giques habi­tuels du Vatican. La délé­ga­tion est de haut niveau, ses per­son­na­li­tés sont très qua­li­fiées et de pro­fils plu­tôt classiques.

Une première depuis 1988

Pour la Fraternité sacer­do­tale Saint Pie X, c’est l’un des quatre évêques ordon­nés par Mgr Lefebvre qui mène­ra la délé­ga­tion, et non Mgr Bernard Fellay, l’ac­tuel supé­rieur. Mgr Alfonso de Galarreta, direc­teur du Séminaire Nuestra Señora Corredentora de La Reja en Argentine, sera ain­si assis­té par l’ab­bé Benoît de Jorna, direc­teur du Séminaire inter­na­tio­nal Saint Pie X d’Ecône en Suisse, de l’ab­bé Jean-​Michel Gleize, pro­fes­seur d’ec­clé­sio­lo­gie de ce même sémi­naire et l’ab­bé Patrick de La Rocque, prieur du Prieuré Saint-​Louis à Nantes.

De quoi vont-​ils concrè­te­ment par­ler ? Il y a trois semaines, en Afrique du Sud, Mgr Fellay qui visi­tait les implan­ta­tions de la Fraternité a résu­mé les points qui font « dif­fi­cul­té » : « La liber­té reli­gieuse, l’œ­cu­mé­nisme, la col­lé­gia­li­té » et « l’in­fluence de la phi­lo­so­phie moderne, les nou­veau­tés litur­giques, l’es­prit du monde et son influence sur la pen­sée moderne qui sévit dans l’Église.» Vaste pro­gramme qui n’ef­fraye pas les inter­lo­cu­teurs romains. De ce côté-​là, on se réjouit – « enfin », il n’y a eu aucun échange offi­ciel de ce type depuis 1988 – de pou­voir connaître « la posi­tion offi­cielle » de la Fraternité Saint Pie X sur toutes ces ques­tions issues du concile Vatican II, et non plus à tra­vers les mul­tiples points de vue, for­mu­lés par tel ou tel.

On ajoute, tou­jours de très bonnes sources, que trois prin­cipes vont gui­der les conver­sa­tions. Le pre­mier touche « l’her­mé­neu­tique de la conti­nui­té » et non de « rup­ture » avec la tra­di­tion, vou­lue par Benoît XVI pour l’in­ter­pré­ta­tion de Vatican II. Et il y a là une « conver­gence » sur cette volon­té de récon­ci­lia­tion de l’Église avec son pas­sé. Le second prin­cipe est plus pro­blé­ma­tique : Rome tient le dépôt de la foi « comme un tout ». Il n’ac­cepte pas un choix, à la carte, des ensei­gne­ments du der­nier concile. Le troi­sième prin­cipe sera cer­tai­ne­ment déci­sif. Il s’a­git de « reve­nir à la lettre du concile Vatican II et non à sa vul­gate ». En clair, aux textes ori­gi­naux et non à leurs inter­pré­ta­tions, ou sim­pli­fi­ca­tions… Une sorte de relec­ture du concile donc, où les spé­cia­listes cla­ri­fie­raient des « ques­tions de lan­gage » ou les « ambi­guï­tés » sou­vent incri­mi­nées par les lefebvristes.

« Nous demandons la clarté »

Il va donc fal­loir du temps pour dis­cu­ter, assure-​t-​on des deux côtés. « Un temps assez long », estime Mgr Fellay. « Plusieurs années », pense Mgr de Galarreta. « Pas beau­coup plus d’une année », espère-​t-​on du côté romain. L’accord n’a rien d’é­vident. Personne ne nie l’am­pleur de la dif­fi­cul­té. À Rome, chez les tech­ni­ciens de la théo­lo­gie, c’est le « pes­si­misme » qui domine. On voit mal que de telles diver­gences puissent se résoudre aus­si faci­le­ment. Mgr Fellay parle, lui, « d’es­poir » mais avec pru­dence, pour ne pas dire méfiance, deux sen­ti­ments qui l’emportent du côté lefebvriste.

En mai der­nier, Mgr de Galarreta pré­ci­sait : « Nous n’a­vons pas fixé d’at­tente. Il nous semble qu’il est de notre devoir de don­ner le témoi­gnage de la foi catho­lique, de la défendre et de condam­ner les erreurs contraires, mais nous ne savons pas quel fruit sor­ti­ra de ces nou­velles conver­sa­tions. » Mgr Fellay jus­ti­fiait un mois plus tard : « Ce n’est pas nous qui sommes le pro­blème (…). Nous ne pou­vons pas pré­tendre dic­ter com­ment et quoi pen­ser dans l’Église (…) Nous disons sim­ple­ment ce que l’Église a tou­jours ensei­gné, tan­dis qu’à pré­sent, règne la confu­sion. Nous deman­dons la clar­té. » Et il ajou­tait dans deux autres entre­tiens : « Nous ne devons faire aucun com­pro­mis sur le concile. La réa­li­té de la crise (de l’Église, NDLR) est admise, pas les remèdes. Nous disons, et on le prouve par les faits, que la solu­tion de la crise est un retour au pas­sé. »

Nul doute que le théo­lo­gien Benoît XVI, ouvert à la tra­di­tion mais très atta­ché au concile Vatican II, va suivre de près l’é­vo­lu­tion des dis­cus­sions dont il sou­haite per­son­nel­le­ment une issue posi­tive. Quant à la ques­tion du sta­tut cano­nique (admi­nis­tra­tion apos­to­lique ou pré­la­ture) qui per­met­trait, en cas de suc­cès de ces négo­cia­tions, à la Fraternité Saint Pie X d’être inté­grée dans l’Église catho­lique, elle est tota­le­ment pré­ma­tu­rée car rien n’est encore joué.

Jean-​Marie Guénois, envoyé spé­cial à Rome , In Le Figaro du 20 octobre 2009