Le dialogue Rome-​Ecône dans Famille chrétienne : les cinq racines du conflit

Sauf avis contraire, les articles, cou­pures de presse, com­mu­ni­qués ou conférences
qui n’é­manent pas des membres de la FSSPX ne peuvent être consi­dé­rés comme
reflé­tant la posi­tion offi­cielle de la Fraternité Saint-​Pie X

Summorum Pontificum Observatus du 14/​11/​09

Jamais une seule dis­cus­sion offi­cielle d’ordre doc­tri­nal n’avait été ouverte avec le cou­rant « lefeb­vriste ». Des ren­contres ont com­men­cé à Rome le 26 octobre. L’essayiste Gérard Leclerc ana­lyse les cinq prin­ci­pales causes de cette divi­sion entre catholiques.

Pendant des années, l’hebdomadaire Famille chré­tienne a évi­té de par­ler du pro­blème tra­di­tio­na­liste. Peu d’articles de fond sur le sujet, juste quelques brèves, sauf quand l’événement s’imposait véri­ta­ble­ment, comme en 1988, par exemple. On disait que la proxi­mi­té fami­liale du direc­teur de la rédac­tion avec les « tra­dis, ten­dance Saint-​Pie X », ne favo­ri­sait pas les choses. Le futur Mgr Le Gall, alors qu’il était encore père abbé béné­dic­tin avait écrit une série, véri­table plai­doyer en faveur de la nou­velle litur­gie pen­dant qu’Aline Lizotte, sor­tant de son rôle de phi­lo­sophe pour s’élever au rang de litur­giste avait mécham­ment atta­qué un petit ouvrage sur la messe édi­té par l’abbaye de Fontgombault. Un article com­man­di­té, disait-​on alors (mais rien n’a été prou­vé) par l’abbaye Saint-​Pierre de Solesmes.

Aujourd’hui, les choses changent. Gérard Leclerc, auquel l’hebdo fait appel dès qu’il faut par­ler de choses qui dépassent l’ordre du témoi­gnage, publie dans le der­nier numé­ro un long article sur « les cinq prin­ci­pales causes » de la divi­sion avec la Fraternité Saint-​Pie X. Gérard Leclerc lui aus­si a sen­ti le vent tour­né. Il sait qu’à Rome on s’intéresse de près à la ques­tion tra­di­tion­nelle, que le motu pro­prio a bous­cu­lé la donne et… que la main­mise auto­ri­taire du car­di­nal Lustiger, auquel il fal­lait com­plaire, n’est plus là. En février der­nier, il a réa­li­sé un entre­tien avec Mgr Fellay, qui fut publié par Famille Chrétienne. Mais, aupa­ra­vant, Gérard Leclerc se ren­dait déjà fré­quem­ment aux dîners orga­ni­sés à Saint Nicolas du Chardonnet pour la presse.

Même s’il reproche au mou­ve­ment tra­di­tio­na­liste de ne pas avoir accep­té au nom d’un tho­misme dépas­sé les bien­faits de la nou­velle théo­lo­gie luba­cienne (par exemple), cela n’enlève rien à la proxi­mi­té intel­lec­tuelle de Gérard Leclerc avec quelques tra­di­tio­na­listes, l’abbé de Tanoüarn par exemple.

Dans le der­nier numé­ro de Famille Chrétienne, il s’attache donc à expli­quer à un public peu aver­ti les thèmes qui dérangent. Ils sont au nombre de cinq :

1°) La liber­té religieuse

Pour Gérard Leclerc, il s’agit d’un vrai pro­blème dont il pense don­ner la solu­tion. « Accepter le régime juri­dique com­mun ne signi­fie pas du tout pour l’Église catho­lique renon­cer à sa mis­sion ». Si l’exposé du pro­blème est juste, l’écrivain n’apporte aucun argu­ment véri­table à sa solu­tion. Il y a seule­ment une péti­tion de prin­cipe pour répondre à un pro­blème qua­li­fié d’important…

2°)La crise post-concilaire.

Ce thème, ain­si for­mu­lé, n’appartient pas au sujet rete­nu pour le dia­logue entre Rome et Écône. Mais il appar­tient au livre de Gérard Leclerc… Mais là encore ce sujet, qui relève des his­to­riens et non des théo­lo­giens, entraîne une péti­tion de prin­cipe : « L’Église n’est pas res­pon­sable d’une crise de civi­li­sa­tion qui s’est pro­duite en dehors d’elle ». Gérard Leclerc est-​il his­to­rien pour l’affirmer aus­si caté­go­ri­que­ment ? Et s’il l’est, où sont ses preuves ? On note­ra au pas­sage que l’on passe dans son article, de « la crise post-​conciliaire », pro­pre­ment ecclé­siale, à la crise de civi­li­sa­tion, qui l’inclut mais la dépasse. Mais pour Gérard Leclerc, le concile a per­mis d’éviter les consé­quences de cette crise de civi­li­sa­tion : « s’il n’avait eu lieu, les consé­quences eussent été bien pires ». On veut bien le croire, mais pour­quoi n’y a‑t-​il aucune preuve, aucun fait, pour sou­te­nir ce qui n’est pas une argu­men­ta­tion, mais une décla­ra­tion de prin­cipe. La seule trace d’argumentation repose sur un argu­ment d’autorité, qui peut impres­sion­ner les lec­teurs de Famille chré­tienne, mais qui n’est quand même pas bien sérieux : « pour Lubac, l’apostasie qu’il dénonce consti­tue une tra­hi­son mani­feste de Vatican II. Il est absurde d’imputer au Concile des idées qui lui sont étran­gères et pro­viennent des théo­ries que ce théo­lo­gien dénonce comme per­ni­cieuses ». J’ai beau­coup de res­pect pour Lubac, mais il appar­tient au pro­blème. On ne peut donc l’appeler à la barre comme s’il était l’autorité infaillible. Sa pen­sée est à prendre en compte, mais Gérard Leclerc ne lui rend pas ser­vice en la rédui­sant à une telle uti­li­sa­tion. On ima­gine au Saint-​Office, les membres de la Commission romaine décla­rer en sub­stance : il n’y a pas de crise et de toute façon celle-​ci n’est pas due au concile parce que Lubac l’a dit…

3°) Le dia­logue inter­re­li­gieux, avec une réfé­rence à Assise.

Pour Gérard Leclerc, on ne peut pas accu­ser Jean-​Paul II d’être tom­bé dans le rela­ti­visme tout sim­ple­ment parce que sa foi, sa pié­té, son ortho­doxie étaient impec­cables : « un tel grief était pro­pre­ment absurde, insen­sé ». On le voit l’argument n’existe pas. L’intellectuel catho­lique ne fait appel qu’à un sub­jec­ti­visme de bas étage, tein­té d’une sen­si­ble­rie surnaturaliste.

4°) La réforme litur­gique.

Elle a été mal appli­quée, mais Jean-​Paul II et Benoît XVI, sen­sibles aux plaintes émises, ont ren­du pos­sible la célé­bra­tion de la messe de saint Pie V. Sauf que Benoît XVI est allé plus loin. Il a rap­pe­lé que cette messe n’avait jamais été abro­gée et que sa célé­bra­tion est un droit, et non une faveur faite à des groupes tra­di­tio­na­listes. La messe tra­di­tion­nelle est rede­ve­nue le bien com­mun de l’Église. Et le pro­blème sou­le­vé par la Fraternité Saint-​Pie X concer­nant la réforme litur­gique dépasse le cadre d’une réforme mal appli­quée ou d’une messe à nou­veau auto­ri­sée. Elle est d’ordre théo­lo­gique, avec des ques­tions pré­cises concer­nant, pour aller vite, la doc­trine de la nou­velle liturgie.

5°) La nou­velle théologie.

Selon Gérard Leclerc, Mgr Lefebvre n’a pas com­pris le concile Vatican II parce qu’il n’avait pas été for­mé dans le cadre de la nou­velle théo­lo­gie, renou­veau de la pen­sée chré­tienne. Mais n’est-ce pas inver­ser le pro­blème ? Mgr Lefebvre ne reproche-​t-​il pas jus­te­ment au concile d’être influen­cé par la nou­velle théo­lo­gie ? La nou­velle théo­lo­gie appar­tient donc à la pro­blé­ma­tique sou­le­vée par la Fraternité Saint-​Pie X et Gérard Leclerc y voit la clef d’explication d’une incom­pré­hen­sion du concile par l’évêque d’Écône. N’y aurait-​il pas mieux fal­lu expli­quer les reproches contre la nou­velle théo­lo­gie et cher­cher à y répondre pour mon­trer où se situer pré­ci­sé­ment l’un des nœuds qui sépare Rome et Écône ?

Par Christophe Saint-​Placide, In Summorum Pontificum Observatus du 14 novembre 2009