11 avril 1971

Sermon de Pâques 1971

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

Comme vous pou­vez le consta­ter par la litur­gie, par les textes que l’Église nous fait dire et nous fait chan­ter, aujourd’hui tout est à la joie.

Nous avons repris l’Alléluia qui veut dire : Gloire à Dieu : Al El uia (en hébreu Halleluia : Louez Dieu).

Tous ces textes magni­fiques, cette prose que nous venons de lire, cette hymne que nous venons de dire il y a quelques ins­tants, où nous avons vu com­bien Marie-​Madeleine qui avait appro­ché pour la pre­mière fois le Sauveur après sa Résurrection, était tout à la joie et à la crainte.

Mettons-​nous à la place des apôtres, des dis­ciples, qui ont vécu ces ins­tants abso­lu­ment extra­or­di­naires, des ins­tants uniques dans l’histoire de l’Église, de la Résurrection de Notre Seigneur. Eux qui avaient souf­fert, qui avaient dou­té de la puis­sance de Notre Seigneur, qui avaient dou­té de sa divi­ni­té en défi­ni­tive et qui pen­saient bien que tout était fini.

Et voi­ci que tout à coup, Marie-​Madeleine qui a reçu cette grâce insigne d’être la pre­mière – sans doute après la très Sainte Vierge Marie qui a reçu cer­tai­ne­ment la pre­mière visite de Notre Seigneur – Marie-​Madeleine qui per­sé­vère dans le désir de ren­con­trer Notre Seigneur, au moins de gar­der le corps de Notre Seigneur, de pou­voir l’embaumer, elle ne com­prend pas que ce sépulcre est ouvert, que le corps n’y est plus. Alors elle le cherche en vain. Et voi­là que Notre Seigneur récom­pense sa per­sé­vé­rance, récom­pense son insis­tance par sa présence.

Et puis ce sont les autres femmes qui étaient sans doute éloi­gnées d’elle, qui ont eu aus­si la joie de voir Notre Seigneur et de cou­rir le dire aux apôtres, qui n’ont pas cru. Non cre­di­de­runt (Me 16,11), dit l’Évangile. Mais ils sont venus quand même au tom­beau pour voir si ce que disaient les saintes femmes était vrai.

Et voi­ci qu’ils constatent que le corps de Notre Seigneur n’est plus pré­sent. Mais, eux, ils n’ont pas encore vu Notre Seigneur et ils doutent encore. Ils ont vu le saint Suaire ran­gé sur un côté, les linges ran­gés sur un autre côté. Ils ont vu le sépulcre vide. Quelque chose d’extraordinaire s’est pas­sé. Mais que s’est-il passé ?

Voici qu’ils reviennent et racontent cela aux autres. Ils se réunissent. Et voi­ci que tout à coup Notre Seigneur leur appa­raît. Ils sont stu­pé­faits. Ils sont dans la crainte. Ils se demandent s’ils ne rêvent pas, si ce n’est pas un esprit qu’ils voient et non pas un corps.

Notre Seigneur leur dit : Mais non, ce n’est pas un esprit. Voyez, je suis là au milieu de vous. Donnez-​moi du miel, donnez-​moi du pain et vous allez voir (Lc 24, 36,47). Je vais en man­ger devant vous, vous allez le consta­ter. Ils n’en reviennent pas.

Évidemment leur cœur est à la joie. Leur cœur est à l’espérance, mais ils craignent encore. Ils sont sous le coup d’une chose qu’ils ne peuvent pas admettre, qu’ils ne peuvent pas imaginer.

Thomas n’était pas pré­sent. Et il vient lui aus­si. Ils doutent encore et Notre Seigneur le leur reproche. Il leur reproche cette incré­du­li­té. Car enfin, II leur a annon­cé. Il leur a dit :
Filius homi­ni tra­den­das est in manus homi­num : et occi­dent eum et ter­tia die resur­get (Mt 17, 21,22) : « Le Fils de l’homme sera livré entre les mains des hommes. Ils le feront mou­rir et le troi­sième jour, Il res­sus­ci­te­ra ». Je res­sus­ci­te­rai d’entre les morts, avait dit Jésus. Mais ils ne l’avaient pas cru. Voici qu’ils sont obli­gés de le consta­ter. Alors la joie rem­plit leur cœur.

Et cepen­dant, il y a encore quelque chose qu’ils n’ont pas com­pris. Ils pensent que Notre Seigneur, main­te­nant qu’il est res­sus­ci­té, va réta­blir le royaume d’Israël. Ils ne com­prennent pas que ce royaume est un royaume éter­nel. Ils ne com­prennent pas que Notre Seigneur, dans quelques jours, dans qua­rante jours. Notre Seigneur va mon­ter au Ciel, va les quit­ter de nouveau.

Mais au cours de ces qua­rante jours. Notre Seigneur va les ins­truire et tout dou­ce­ment la lumière va se faire en eux. Ils vont com­prendre. Ils vont com­prendre que désor­mais, ils ont eux aus­si à rem­por­ter la vic­toire. Et c’est cela que je vou­drais vous dire et c’est sur cela que je vou­drais insis­ter un peu.

Si nous sommes dans la joie, dans la joie de Notre Seigneur, car c’est un triomphe du bien sur le mal, c’est un triomphe de Dieu sur le démon, sur l’esprit mau­vais. C’est le triomphe de la ver­tu sur le vice, de l’éternité sur le temps. C’est le triomphe éter­nel de la vie contre la mort.

Eh bien, donc, nous devons être heu­reux, créa­tures du Seigneur, créa­tures de Dieu. Nous ne pou­vons pas ne pas nous réjouir que désor­mais le Ciel nous est ouvert de nou­veau. Que Dieu qui nous deve­nait incon­nu, que Dieu qui nous était éloi­gné, devient de nou­veau proche de nous. Et que la voie est ouverte pour retour­ner à Dieu pour lequel nous avons été créés de toute éter­ni­té. Nous avons été créés pour Dieu, pour vivre en Dieu, pour jouir de Dieu pen­dant l’éternité.

Voici que nous étions fer­més, le Ciel était clos, la voie pour aller à Dieu était obs­truée. Nous ne pou­vions plus y aller. Même les saints de l’Ancien Testament ne pou­vaient plus aller à Dieu. Ils étaient là ; ils atten­daient dans ce lieu que sont les limbes, où Notre Seigneur est allé les visi­ter après sa mort, pour leur don­ner cet espoir que dans quelques jours, dans quelques moments, ils allaient pou­voir enfin trou­ver la béa­ti­tude éternelle.

Eh bien, ce che­min qui est ouvert, que le Bon Dieu nous a ouvert, il faut le gagner. Si Notre Seigneur, Lui, est ren­tré dans son éter­ni­té, si Notre Seigneur a reçu sa gloire en défi­ni­tive, si les saints de l’Ancien Testament qui L’ont accom­pa­gné, sont main­te­nant dans leur gloire et jouissent de la vision béa­ti­fique, de la vision bien­heu­reuse avec le Bon Dieu, qui sont dans la Maison du Père, nous, nous n’y sommes pas encore.

Par consé­quent, si nous devons nous réjouir, nous devons être rem­plis d’espérance – la ver­tu d’espérance est la grande ver­tu du chré­tien – parce que nous mar­chons vers ce but que nous espé­rons, que nous vou­lons obte­nir, que nous dési­rons obte­nir, pour lequel nous sommes faits, le but de notre pèle­ri­nage ici-​bas. Nous avons, nous, désor­mais, cet espoir au cœur, cette foi pro­fonde en la Résurrection de Notre Seigneur, par consé­quent du triomphe de Notre Seigneur sur le mal. Nous ne devons pas oublier, qu’à côté des dis­ciples, à côté de Marie-​Madeleine, à côté de la très Sainte Vierge, il y avait les gardes, les gardes qui gar­daient le tom­beau. Et à côté des gardes, il y avait encore les princes des prêtres. Qu’ont-ils fait ?

Les gardes ont été stu­pé­faits. Ils ont été ren­ver­sés par terre. Ils se sont deman­dé ce qui leur arri­vait et quelques-​uns ont du croire, pas tous.

Sans doute, on peut pen­ser que par­mi eux, il y en a qui se sont conver­tis et qui ont dit : Nous nous sommes trom­pés. On nous a mis là pour gar­der le corps de Notre Seigneur et voi­ci que tout à coup, il a dis­pa­ru. Il est res­sus­ci­té. Nous le croyons. Nous étions pré­sents, nous ne pou­vons pas ne pas y croire. Et les autres y croyaient aus­si d’ailleurs, mais quelques-​uns sont allés racon­ter cela aux princes des prêtres, disant : Voici ce qui est arri­vé. Au milieu d’un coup de ton­nerre, d’un fra­cas épou­van­table, la pierre qui obs­truait le tom­beau de Notre Seigneur, a rou­lé par terre et nous nous sommes trou­vés tous pro­je­tés à terre. Et voi­ci que le corps de Notre Seigneur a disparu.

Regardez la malice de ces princes des prêtres, qui ont été pos­sé­dés du démon – car le père du men­songe, c’est le démon – ils inventent un men­songe et disent : bien, bien, mais sur­tout ne répan­dez pas cette nou­velle. Voici ce que vous allez dire : Vous direz que les apôtres sont venus, pen­dant la nuit, pen­dant que vous dor­miez et qu’ils l’ont enlevé.

Mais eux rétorquent : Ce n’est pas pos­sible, nous sommes témoins du contraire. Nous avons vu une lumière écla­tante et nous avons été ren­ver­sés, un bruit extra­or­di­naire, un véri­table trem­ble­ment de terre. Quelque chose s’est pro­duit. Ce ne sont pas les apôtres qui sont venus l’enlever, nous sommes témoins. Nous étions là.

— Mais ce n’est rien, disent les princes des prêtres, nous vous don­ne­rons de l’argent. Combien voulez-​vous ? Des sommes impor­tantes ? Les voi­là. Et voi­là qu’à cause de ce misé­rable argent, ils vont répandre la nou­velle que ce sont les apôtres qui ont enle­vé le corps de Notre Seigneur.

Par consé­quent, devant la Résurrection de Notre Seigneur, voyez l’œuvre du démon qui conti­nue. Le démon a été vain­cu par la Croix. Il a été vain­cu par la Résurrection de Notre Seigneur, mais il est là. Et, tant que le monde n’est pas fini, il lut­te­ra, il men­ti­ra. Il dira que Notre Seigneur n’est pas res­sus­ci­té, que Notre Seigneur n’était pas Dieu, qu’on l’a volé. Il conti­nue­ra à tra­vers tous les siècles à men­tir. Et c’est ain­si que vien­dront les schismes, les héré­sies, les per­sé­cu­tions contre l’Église, contre les prêtres,

les per­sé­cu­tions contre qui croit en la résur­rec­tion de Notre Seigneur.

En consé­quence, nous sommes dans un monde de lutte. Nous ne devons pas l’oublier. Le démon est encore là. Il conti­nue son œuvre, comme il l’a conti­nuée jusqu’encore après la résur­rec­tion de Notre Seigneur, alors qu’à ce moment-​là, tout le monde aurait dû croire. La lutte n’est pas terminée.

Nous ne dirons pas : Gloire à Dieu, la Résurrection est venue, tout le monde est sau­vé. Hélas, hélas ! Nous avons donc à conqué­rir nous aus­si cette résur­rec­tion. Nous avons à conqué­rir par la sain­te­té. C’est pour­quoi toute notre vie spi­ri­tuelle est un com­bat, un com­bat spi­ri­tuel tous les jours, com­bat contre les puis­sances des ténèbres, contre tous les ins­tincts mau­vais qui sont en nous, contre le péché qui est encore en nous ; nous devons lutter.

Luttons cou­ra­geu­se­ment, lut­tons avec per­sua­sion qu’un jour Notre Seigneur nous don­ne­ra la vic­toire. Mais prenons-​en les moyens. Prenons les moyens qui sont la recherche de la sain­te­té et sur­tout la Croix de Notre Seigneur, qui elle, est le che­min de la résur­rec­tion. C’est par la Croix que Notre Seigneur est arrive à la Résurrection. Si nous vou­lons, nous aus­si, arri­ver à la résur­rec­tion de Notre Seigneur, il faut pas­ser par la Croix ; il faut pas­ser par la souf­france ; il faut pas­ser par la dou­leur ; il faut pas­ser par le com­bat et par consé­quent, cette Croix, ses dis­ciples l’ont por­tée. Si la voie de Dieu est ouverte, la voie de Dieu se trouve à l’autel. Notre résur­rec­tion passe par l’autel, passe par la Sainte Messe, passe par le Sacrifice de la Croix.

Nous devons nous atta­cher à Notre Seigneur Jésus-​Christ. Et c’est grâce à l’Eucharistie que nous aurons en nous, grâce à Notre Seigneur cru­ci­fié et à Notre Seigneur main­te­nant res­sus­ci­té, que nous met­trons en nous, dans nos corps, dans nos cœurs, dans notre âme, que nous aurons aus­si le gage de la résur­rec­tion. Car c’est bien cela que la Sainte Eucharistie est le gage de notre résurrection.

Si nous vou­lons res­sus­ci­ter nos âmes et que nos corps res­sus­citent aus­si, nous devons nous nour­rir de la chair et du sang de Notre Seigneur et savoir que nos aurons à com­battre au cours de cette vie contre les puis­sances des ténèbres.

C’est cela que nous devons faire aujourd’hui et prendre comme réso­lu­tion. Ne pas nous com­plaire sim­ple­ment dans un sen­ti­ment agréable de jouis­sance, de gloire. Quelle joie pour nous de savoir que le Bon Dieu est res­sus­ci­té, que Notre Seigneur est res­sus­ci­té et qu’il nous a ouvert le che­min du Ciel et que désor­mais nous n’avons plus qu’à Le suivre, suivre le che­min qu’il nous a tra­cé afin d’arriver dans la Maison du Père et de nous réjouir tous ensemble.

Mais il nous faut mar­cher pas à pas, cou­ra­geu­se­ment, tous les jours, gagner notre patrie céleste.

Eh bien, que ce soit là notre réso­lu­tion aujourd’hui, notre joie en même temps que de pro­mettre au Bon Dieu de Le suivre, de por­ter sa Croix, de la por­ter, afin d’arriver aus­si à sa Résurrection.

Et nous le deman­de­rons pour nous, nous le deman­de­rons pour nos amis, nous le deman­de­rons pour nos familles et nous le deman­de­rons par­ti­cu­liè­re­ment aujourd’hui pour les futurs prêtres qui sont ici, afin qu’ils com­prennent bien que c’est là le but du sacer­doce, le but de leur voca­tion : appor­ter Notre Seigneur Jésus-​Christ aux âmes, appor­ter la Croix de Notre Seigneur, réa­li­ser le Sacrifice de Notre Seigneur, afin de pou­voir sanc­ti­fier les âmes par la Croix de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Et c’est par la voie de la Croix qu’ils amè­ne­ront les âmes à la Résurrection de Notre Seigneur.

Nous deman­de­rons sur­tout à la très Sainte Vierge Marie, qui elle n’a pas eu besoin de se trou­ver auprès du tom­beau. Elle n’a pas cou­ru avec Pierre, avec Jean, elle n’a pas dou­té comme saint Thomas. Elle n’a pas eu besoin d’aller comme les saintes Femmes jusqu’au tom­beau pour croire à la résur­rec­tion de Notre Seigneur. Elle y croyait. Elle savait bien. Elle était la seule à ne pas dou­ter. Elle n’a pas dou­té. Elle savait très bien ce qui se pas­se­rait. C’est pour­quoi elle na pas eu besoin de consta­ter que les linges de Notre Seigneur étaient ran­gés. Elle n’a pas eu besoin que les anges lui annoncent que Notre Seigneur allait en Galilée. Elle le savait parfaitement.

Eh bien, nous aus­si, reposons-​nous dans cette foi de la très Sainte Vierge. Demandons à la très Sainte Vierge qu’elle nous donne cette foi dans la résur­rec­tion de Notre Seigneur afin que nous ayons le cou­rage de lut­ter pen­dant toute notre vie pour conqué­rir, avec Notre Seigneur, avec elle, le che­min du Ciel.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.