Sermon de Mgr Lefebvre – Diaconat et Ordres mineurs – Pentecôte – 2 juin 1974

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

En ce moment, alors que nous allons dans quelques ins­tants confé­rer des ordi­na­tions à un bon nombre d’entre les sémi­na­ristes, cette heure nous rap­pelle la des­cente du Saint-​Esprit sur les apôtres au jour de la Pentecôte.

En effet, c’est à la troi­sième heure que le Saint-​Esprit des­cen­dit sur les apôtres alors qu’ils étaient réunis dans le Cénacle et qu’ils priaient. Qu’ils priaient avec la très Sainte Vierge Marie. Qu’ils priaient en atten­dant que le Saint-​Esprit des­cende sur eux, que la pro­messe de Notre Seigneur Jésus-​Christ leur avait faite se réalise.

Et voi­ci qu’aujourd’hui, presque à la même heure, nous nous trou­vons réunis, pour deman­der aus­si à l’Esprit Saint de des­cendre dans les âmes de ceux qui vont rece­voir ces ordi­na­tions. Descendre aus­si dans toutes nos âmes. Nous avons tous besoin du Saint-​Esprit ; nous en avons tou­jours besoin.

Vous remar­que­rez, mes chers amis, que c’est jus­te­ment à l’heure de tierce que l’Église nous demande de réci­ter l’hymne spé­ciale au Saint-Esprit.

Vous remar­que­rez aus­si, qu’habituellement à l’heure de tierce, il est ques­tion du Saint-​Esprit, parce que la Sainte Église veut nous rap­pe­ler que c’est cette heure que Dieu a choi­sie pour faire des­cendre le Saint-​Esprit dans les âmes des apôtres.

Je m’adresserai d’abord à ceux qui venus pour la pre­mière année dans ce sémi­naire, vont bien­tôt ter­mi­ner leur pre­mière année de spi­ri­tua­li­té. Et ils la ter­minent presque par la fête de la Pentecôte.

Chers amis, vous qui avez pen­dant cette année, cher­ché d’une manière par­ti­cu­lière à rece­voir les grâces du Saint-​Esprit, vous avez sur­tout appris – je l’espère – à prier. Car c’est cela qui est la condi­tion par­ti­cu­lière pour que le Saint-​Esprit des­cende en nous. Et c’est cela que le Saint-​Esprit nous ins­pire aussi.

Oh ce n’est pas cela la prière vocale, vous avez sans doute appris de nou­velles prières que vous ne connais­siez pas, vous avez appris à médi­ter et à goû­ter les belles prières du bré­viaire, les belles prières de nos offices litur­giques sans doute. Mais je pense que la prière est plus que cela. Vous avez appris – je l’espère aus­si – non seule­ment à apprendre les prières vocales, à apprendre à prier sen­si­ble­ment, mais vous avez sur­tout – je l’espère – appris à vous unir à Notre Seigneur Jésus-​Christ dans votre prière.

Vous avez appris à contem­pler Notre Seigneur Jésus-​Christ, à contem­pler Dieu, la contem­pla­tion n’est pas réser­vée aux âmes par­ti­cu­liè­re­ment pri­vi­lé­giées, à toutes les âmes qui s’ouvrent à Dieu, à toutes les âmes qui dési­rent connaître Dieu, qui dési­rent prendre conscience que Dieu est en eux.

Si vous m’aimez, dit Notre Seigneur – nous l’entendrons dans quelques ins­tants – si vous nous aimez, nous vien­drons et nous ferons notre demeure en vous. Notre Seigneur le dit pour tout le monde, mais Il le dit par­ti­cu­liè­re­ment pour vous qui vous pré­pa­rez au sacer­doce. « Si vous nous aimez, nous vien­drons en vous et nous ferons notre demeure en vous ».

Avez-​vous conscience que Notre Seigneur, que Dieu est venu en vous et qu’il habite en vous ? C’est cette conscience de la pré­sence de Dieu en vous et en toutes choses, qui est pré­ci­sé­ment la défi­ni­tion, en quelque sorte, de la contem­pla­tion. Nous sommes mal­heu­reu­se­ment tel­le­ment éloi­gnés de Dieu. Nos esprits et nos cœurs sont tel­le­ment atta­chés aux choses de ce monde. Nous sommes tel­le­ment impli­qués dans nos pen­sées, nos dési­rs, nos pro­jets, ce que nous pos­sé­dons, tout ce que nous avons, tout cela nous pré­oc­cupe beau­coup plus que Dieu. Notre répu­ta­tion, ce que l’on pense de nous, ce que l’on dit de nous. Ah, si nous pou­vions nous déta­cher davan­tage ! Car c’est là pré­ci­sé­ment que se trouve peut-​être le prin­ci­pal effort que vous pou­vez faire et que vous devez faire et que vous avez fait cer­tai­ne­ment – je le pense – au cours de cette année.

Vous déta­cher, vous aban­don­ner entre les mains de la Providence ; vous aban­don­ner entre les mains de Dieu ; vous déta­cher des biens de ce monde ; vous déta­cher des hon­neurs, de la répu­ta­tion ; vous déta­cher de vos propres pen­sées ; vous déta­cher de vos propres dési­rs, pour n’avoir plus que ceux du Bon Dieu ; pour n’avoir plus que les inté­rêts de Notre Seigneur Jésus-​Christ dans votre cœur et dans votre âme. Ne plus pen­ser qu’à cela.

Alors, vrai­ment, quand vous venez à la cha­pelle, quand vous venez devant Notre Seigneur Jésus-​Christ dans le Saint-​Sacrement, alors vos âmes s’élèvent toutes seules vers le Bon Dieu. Tandis qu’au contraire, si vous demeu­rez atta­chés, si vous demeu­rez liés à tous ces biens éphé­mères qui ne sont rien à côté de Dieu, qui ne sont rien à côté de la très Sainte Trinité, rien à côté de Notre Seigneur Jésus-​Christ, alors vos âmes ne s’élèvent pas. Elles ne peuvent pas s’élever.

J’espère que cette année de spi­ri­tua­li­té vous aura aidés à vous appro­cher du Bon Dieu, à Le com­prendre un peu plus.

Vous connais­sez ces paroles que je vous ai déjà citées et que saint Thomas répète : « Plus on apprend à connaître Dieu, et plus on s’aperçoit qu’on le connaît moins ».

Plus on s’approche de la connais­sance de Dieu et plus l’on s’aperçoit qu’on Le connaît moins.

En effet, à mesure que l’on s’approche tant soit peu de la gran­deur de Dieu et plus l’on s’aperçoit que le Bon Dieu nous dépasse infi­ni­ment. Et ce sera la joie de l’éternité. De pen­ser que nous avons déjà une cer­taine connais­sance de Dieu, une vision de Dieu et cepen­dant Dieu est encore beau­coup plus infi­ni, beau­coup plus grand, beau­coup plus immense que nous ne le pen­sions et que nous pou­vons l’imaginer.

Eh bien, je sou­haite que cette année de spi­ri­tua­li­té vous marque pour votre vie sacer­do­tale tout entière. Pourquoi y a‑t-​il tant de défec­tions dans le sacer­doce ? Parce que peut-​être ces prêtres qui ont aban­don­né leur voca­tion sacer­do­tale, n’ont pas su prier, n’ont pas su ce que c’était que la prière ; ont prié super­fi­ciel­le­ment ; ont prié par habi­tude ; ont prié par un cer­tain devoir, en quelque sorte, de leur fonc­tion, mais n’ont pas prié véri­ta­ble­ment ; n’ont pas appris ce qu’était Dieu ; n’ont pas appris à s’unir à Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et main­te­nant, je m’adresserai à vous mes chers amis, qui allez, dans quelques ins­tants, rece­voir le dia­co­nat. Le Saint-​Esprit se mani­feste dans la Sainte Église d’une manière toute par­ti­cu­lière – et Dieu sait si le jour de la Pentecôte nous le rap­pelle – car c’est bien ce jour-​là que l’Église a été fondée.

On pour­rait dire, d’une cer­taine manière, si l’on vou­lait employer notre lan­gage moderne, que la fête de la Pentecôte est la fête de l’efficacité, la fête de l’efficience.

Pourquoi ? Parce que le Saint-​Esprit est Celui qui agit. Veni Creator Spiritus : l’Esprit créa­teur. C’est Lui par lequel Dieu a créé le monde. C’est Lui aus­si qui a réa­li­sé toute l’œuvre de l’Incarnation, qui est à l’origine de l’œuvre de l’Incarnation. Car c’est bien Lui qui a rem­pli la très Sainte Vierge Marie. C’est par Lui qu’elle est deve­nue Mère de Dieu.

Et c’était, rappelez-​vous, dans la prière que le Saint-​Esprit est venu, lorsque Marie priait.

C’est Lui qui est des­cen­du sur Notre Seigneur Jésus-​Christ au moment de son bap­tême et Notre Seigneur priait, Et ora­bat, Jesu orante, dit l’Évangile : Jésus priait. Et le Saint-​Esprit est des­cen­du sur Lui.

Oh non pas pour le lui don­ner ! Notre Seigneur était rem­pli du Saint-​Esprit, mais pour être le signe de la plé­ni­tude que Notre Seigneur avait de l’Esprit Saint.

Et enfin, le Saint-​Esprit s’est mani­fes­té au jour de la Pentecôte et Il s’est mani­fes­té par les langues de feu. Par des langues de feu qui signi­fient ce feu de la cha­ri­té dont Il embra­sait le cœur des apôtres qui allaient deve­nir des mis­sion­naires ; qui allaient com­prendre enfin, enfin, ce qu’était l’Évangile, ce pour­quoi Notre Seigneur les avait choi­sis, quelle était leur voca­tion. Car ils n’avaient rien com­pris jusqu’alors et cela encore juste avant l’Ascension. Avant que Notre Seigneur monte au Ciel, ils lui deman­daient encore : « Quand vien­dra le royaume, ce royaume tem­po­rel ? » Ils se voyaient déjà des ministres de Notre Seigneur Jésus-​Christ, dans ce royaume ter­restre. Ils n’avaient encore rien compris.

Mais Notre Seigneur leur avait dit : « Lorsque le Saint-​Esprit vien­dra. Il vous fera com­prendre tout ce que je vous ai dit ». Et ils l’ont com­pris. Ils sont deve­nus mis­sion­naires. Ils ont par­lé et c’est en enten­dant leur parole que les âmes se sont conver­ties et ont été bap­ti­sées. Trois mille per­sonnes ont été bap­ti­sées sur le champ, parce qu’elles étaient prêtes à rece­voir le Saint-​Esprit, grâce à la parole des apôtres.

Eh bien, dans la Sainte Église, les moments – si l’on peut dire – et les moyens les plus effi­caces que le Saint-​Esprit veut employer pour la conver­sion des âmes, sont ceux que les saints ont tou­jours employés dans leur minis­tère. C’est le confes­sion­nal. Accipite Spiritum Sanctum : Recevez le Saint-Esprit.

Deinde ego te absol­vo a pec­ca­tis tuis.
« Que le Dieu tout-​puissant vous fasse misé­ri­corde ; qu’il vous par­donne vos péchés et vous conduise à la vie éter­nelle.
« Que le Seigneur tout-​puissant et misé­ri­cor­dieux vous accorde l’indulgence, l’absolution et la rémis­sion de vos péchés » .

Notre Seigneur dit à Pierre : Et quod­cumque liga­ve­ris super ter­ram, erit liga­tum in cœlis ; et quod­cumque sol­ve­ris super ter­ram, erit solu­tum et in cœlis (Mt 16,19) : « Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié aus­si dans les cieux et tout ce que tu délie­ras sur la terre sera délié dans les cieux ».

Accipite Spiritum Sanctum. Et donc, au confes­sion­nal, le Saint-​Esprit se donne aux âmes.

Et c’est pour­quoi l’Église a tou­jours esti­mé beau­coup le sacre­ment de péni­tence et c’est aus­si pour­quoi les saints ont pas­sé leur vie au confes­sion­nal. Souvenez-​vous du saint Curé d’Ars et tout récem­ment du bon Padre Pio. Ils ont pas­sé leur vie dans le confes­sion­nal, parce qu’ils savaient que par là les âmes rece­vaient le Saint-Esprit.

Autre moyen dont le Saint-​Esprit se sert pour venir dans les âmes : la pré­di­ca­tion. « Allez, ensei­gnez toutes les nations » a dit Notre Seigneur. Et l’efficacité de la parole des apôtres s’est mani­fes­tée pré­ci­sé­ment lorsque tous ces fidèles, tous ceux qui ont enten­du la parole des apôtres, se sont conver­tis et tous ceux qui à la suite des apôtres ont enten­du la parole de leurs suc­ces­seurs. Prêcher l’Évangile, prê­cher les mis­sions, ne jamais refu­ser de por­ter la parole de Dieu, mes chers amis, ne refu­sez jamais. Lorsque l’on vous deman­de­ra de par­ler de Dieu, de prê­cher l’Évangile, ne refu­sez jamais. Le SaintEsprit sera avec vous. Il vous don­ne­ra cette parole dont vous avez besoin. Ne refu­sez pas ; ne dites jamais : je ne suis pas capable ; je ne suis pas digne. Car vous êtes faits pour cela ; vous êtes faits pour par­ler, pour por­ter l’Évangile.

Le confes­sion­nal, la chaire, la pré­di­ca­tion, et enfin le Saint Sacrifice de la messe et la Sainte Communion, la Sainte Eucharistie, car par le Saint Sacrifice de la messe, par le Sang de Notre Seigneur Jésus-​Christ, par la Sainte Communion, vient en nous éga­le­ment le Saint-Esprit.

Ce sont les trois moyens les plus impor­tants que Notre Seigneur Jésus-​Christ a fon­dés, a ins­ti­tués, pour nous don­ner l’Esprit Saint. C’est pour­quoi nous devons être atta­chés à ces choses. Futurs prêtres, vous devez vous pré­pa­rer à prê­cher l’Évangile, à confes­ser et à offrir le Saint Sacrifice de la messe, pour qu’il y ait un véri­table sacri­fice et que ce sacri­fice répande les grâces dans les âmes par la Sainte Communion.

Voilà quel sera votre rôle prin­ci­pal. Soyez-​en persuadés.

Et vous deman­de­rez ces grâces au Saint-​Esprit, à la très Sainte Vierge Marie, elle qui était rem­plie du Saint-​Esprit, elle qui a prié, elle qui était à la fois contem­pla­tive et active.

Voyez, par­fois l’on essaye d’opposer la vie contem­pla­tive à la vie active, comme si c’était deux choses qui ne pour­raient vivre ensemble. On ne peut pas être actif et contem­pla­tif en même temps ; on ne peut pas être contem­pla­tif et actif en même temps, alors que toute la vie chré­tienne devrait être contem­pla­tive. Toutes les âmes sont appe­lées à s’unir à Dieu ; toutes les âmes sont appe­lées à la vision béa­ti­fique, sont appe­lées à voir Dieu face à face.

Et si main­te­nant nous sommes dans ce pèle­ri­nage, en quelque sorte, non point éloi­gnés de Dieu, mais sépa­rés de Dieu, parce que nous n’en avons pas une vision directe, mais par la foi nous devons croire à Dieu. Et par les dons du Saint-​Esprit, par le don d’intelligence, par le don de sagesse qui est répan­du dans toutes les âmes, le Bon Dieu sus­cite en nous cette vision de Dieu, cette vision intime de l’âme qui s’unit à Dieu. Et cette sagesse qui nous fait goû­ter Dieu, de telle sorte que les âmes chré­tiennes, à plus forte rai­son les âmes sacer­do­tales, soient pro­fon­dé­ment atta­chées à Dieu et soient en quelque sorte confir­mées en grâce comme l’ont été les apôtres.

Les apôtres, le jour où ils ont reçu l’Esprit Saint, le jour de la Pentecôte, ont été confir­més en grâce. C’est un pri­vi­lège extra­or­di­naire que le Bon Dieu leur a don­né. C’est-à-dire qu’ils ne pou­vaient plus pécher mor­tel­le­ment et qu’ils ont été confir­més en grâce, jusqu’à la grâce de la per­sé­vé­rance finale : ils ont don­né leur vie pour Notre Seigneur Jésus-Christ.

Demandons aus­si au Bon Dieu, de nous confir­mer en grâce. Demandons à la très Sainte Vierge Marie, elle qui a été confir­mée en grâce, dès sa nais­sance, puisqu’elle n’a pas eu le péché ori­gi­nel, demandons-​lui de nous confir­mer en grâce. De faire en sorte que nous soyons vrai­ment atta­chés au Bon Dieu, de telle manière que jamais plus nous ne nous en séparions.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.