Sermon de Mgr Lefebvre – 25 ans de sacerdoce du Père Marziac – 11 février 1979

Cher Père Marziac

Nous sommes heu­reux aujourd’hui de nous trou­ver auprès de vous, en cet anni­ver­saire de votre ordi­na­tion sacer­do­tale, afin qu’avec vous, nous puis­sions rendre grâces à Dieu au cours de cette sainte Messe que vous allez célé­brer, sous le signe de la très Sainte Vierge Marie.

Nous allons rendre grâces avec vous, de toutes les grâces que vous avez reçues vous-​même. Nous tous qui sommes ici, vos parents, amis, ceux qui éga­le­ment ont reçu par votre inter­mé­diaire des grâces abon­dantes. Et j’aurais garde d’oublier tous ceux qui ont contri­bué à la pré­pa­ra­tion de votre voca­tion, à la réa­li­sa­tion de votre voca­tions ; tous ceux qui ont contri­bué avec vous, à répandre les grâces que le Bon Dieu a vou­lu don­ner aux âmes par vos mains.

Et ceux-​là sont nom­breux. Dieu seul les connaît – même vous, je pense – vous ne les connais­sez pas. Beaucoup d’âmes recon­naî­tront un jour qu’elles ont reçu par vous, des grâces et s’associeront à votre joie et à la gloire que le Bon Dieu vous don­ne­ra, pour les grâces que vous avez données.

Je ne puis pas oublier vos chers parents qui ne sont pas ici aujourd’hui en rai­son de leur âge ou en rai­son d’autres cir­cons­tances. Je ne puis pas oublier non plus tous ceux qui là-​bas en Afrique, Côte d’ivoiriens, Dahoméens, vous ont connu et se réjouissent aujourd’hui de votre anni­ver­saire et le fêtent avec vous de tout leur cœur et dans leurs prières. Que de sou­ve­nirs pour vous ; que d’attachement à tous ceux auprès des­quels vous avez exer­cé votre apostolat.

Et je me gar­de­rai bien éga­le­ment d’oublier tous ces reli­gieux et reli­gieuses qui sont aujourd’hui dans des monas­tères ou exercent leur apos­to­lat reli­gieux et qui – dans une cer­taine mesure – doivent leur voca­tion à l’appel que vous leur avez don­né, aux conseils et aux avis que vous leur avez donnés.

C’est donc un nombre impor­tant de per­sonnes et d’âmes qui sont aujourd’hui près de vous et qui veulent avec vous rendre grâces à Dieu.

Rendre grâces à Dieu d’abord parce que vous êtes né dans une famille chré­tienne. Et je pense qu’il serait ingrat de ne pas évo­quer aujourd’hui le rôle de la famille chré­tienne dans la voca­tion sacer­do­tale ou reli­gieuse. Nous devons en effet cer­tai­ne­ment beau­coup de notre voca­tion à nos chers parents. Ce sont eux qui par leur exemple, par leurs conseils, par leurs prières, je dirai même par leur silence dans leurs dévo­tions, ont jeté dans nos âmes ce germe de la vocation.

Oui, nous devons sou­hai­ter qu’il y ait beau­coup de familles chré­tiennes qui favo­risent l’éclosion des voca­tions et de bonnes voca­tions, de saintes Vocations.

Et c’est dans votre famille que vous avez enten­du cet appel : Magister ad est et vocate : Le Maître est là. Il vous appelle. Et vous avez répon­du comme nous le lisions il y a un ins­tant dans l’Évangile ; vous avez répon­du comme la Vierge Marie à l’appel de Dieu ; vous avez répon­du par fiat : Oui me voi­ci Seigneur ; je veux répondre à votre appel. Et Notre Seigneur vous a dit : Sicut misit me Pater, et ego mit­to vos (Jn 20,21) : « Comme le Père m’a envoyé, moi aus­si je vous envoie ».

Et ce fut l’origine de votre voca­tion, non seule­ment mis­sion­naire, mais votre voca­tion sacer­do­tale. Car Notre Seigneur a réa­li­sé sa mis­sion ; s’il fut un mis­sion­naire, c’est bien Notre Seigneur Jésus-​Christ. Il a été envoyé : Sicut misit me Pater : Le Père m’a envoyé.

Il est donc essen­tiel­le­ment mis­sion­naire. Et si vous avez réa­li­sé votre voca­tion de mis­sion­naire, en allant por­ter l’Évangile dans les terres loin­taines, c’est parce que fon­da­men­ta­le­ment, votre mis­sion est sacer­do­tale et qu’elle se réa­lise avant tout, dans le Saint Sacrifice de la Messe. Comme la mis­sion de Notre Seigneur s’est réa­li­sée avant tout dans son Sacrifice de la Croix. C’est là l’essentiel de la mis­sion. Notre Seigneur a été envoyé ici-​bas, certes pour témoi­gner de la Vérité, comme Il l’a dit à Pilate :

Ego in hoc natus sum, et ad hoc veni in mun­dum, ut tes­ti­mo­nium per­hi­beam veri­ta­ti (Jn 18,37) : Je suis né pour cela et je suis venu pour cela, pour témoi­gner de la Vérité. Et cette Vérité, c’était pré­ci­sé­ment l’honneur et la gloire de Dieu qu’il devait rendre sur la Croix.

C’est cela la mis­sion prin­ci­pale, la mis­sion fon­da­men­tale du prêtre : Monter à l’autel pour témoi­gner de la Vérité, témoi­gner de la gloire de Dieu ; témoi­gner de l’Incarnation et de la Rédemption faite par Notre Seigneur et conti­nuer sa Rédemption.

Voilà ce qu’est le prêtre. Et cela vous l’avez fait tout au long de ces vingt-​cinq années.

Mais puisque le Bon Dieu vous a fait cette grâce – et c’en est une – de par­tir au loin pour prê­cher l’Évangile, vous avez réa­li­sé aus­si la parole de Notre Seigneur : Et eri­tis mihi testes in Jérusalem et in omni Judæa et in Samaria et usque ad ulti­mum terræ : Vous serez mes témoins, à dit Notre Seigneur aux apôtres, témoins à Jérusalem. Il y en a qui sont res­tés à Jérusalem comme les prêtres res­tent dans les milieux de leur famille pour évan­gé­li­ser leurs concitoyens.

Et omni Judæa et Samaria, et dans tous les pays voi­sins. Et enfin usque ad ulti­mum terræ. Il y en a qui sont allés jusqu’aux confins de la terre pour aller prê­cher l’Évangile.

C’est une grande grâce. Grâce de déta­che­ment en par­ti­cu­lier, grâce qui cor­res­pond je pense à cette béa­ti­tude de la pau­vre­té : Beati pau­peres spi­ri­tu : Bienheureux ceux qui ont l’esprit de pau­vre­té. Parce que l’esprit mis­sion­naire, pour celui qui part au loin, c’est le déta­che­ment, déta­che­ment total ; déta­che­ment de sa famille, déta­che­ment de son pays, déta­che­ment de tout ce qu’il a connu, de toute la manière de vivre qu’il a pu connaître. Il se trouve dans un milieu com­plè­te­ment dif­fé­rent, une civi­li­sa­tion tota­le­ment dif­fé­rente, une manière de pen­ser tota­le­ment étran­gère à celle qu’il a connue dans son pays. Et alors il va prê­cher l’Évangile à ces populations.

Et c’est une grâce éga­le­ment – je suis sûr, mon Père, que vous ne me contre­di­rez pas, vous l’avez vécu vous-​même – c’est une grâce de voir la toute puis­sance de la grâce de Notre Seigneur dans les âmes.

Précisément parce que ces milieux aux­quels vous avez été envoyé n’étaient pas chré­tiens – ou du moins l’étaient depuis peu de temps – vous avez vu, de vos yeux, fruc­ti­fier la grâce du Seigneur.

Et pour nous qui sommes habi­tués à vivre dans des pays chré­tiens, nous avons besoin de prendre conscience de cela. Nous n’estimons pas à sa juste valeur, la grâce que le Bon Dieu nous a don­née par le bap­tême et par les sacre­ments. Dans ces pays où le chris­tia­nisme est récent, nous avons pu consta­ter dans les âmes, ces effets de la grâce.

Des âmes pro­fon­dé­ment païennes, atta­chées aux choses de ce monde, plon­gées dans le péché, ces âmes par la grâce du bap­tême, trouvent véri­ta­ble­ment la ver­tu, la ver­tu chré­tienne et la mettent en pratique.

Pensons par­ti­cu­liè­re­ment à ces caté­chistes, ces caté­chistes qui non seule­ment ont reçu la grâce du bap­tême pour eux, mais eux aus­si sont deve­nus mis­sion­naires et par­fois ont offert leur vie pour Notre Seigneur Jésus-​Christ, pour témoi­gner de leur foi.

Vous avez donc reçu ces grâces, grâces de l’appel pour les mis­sions de la Société des Missions Africaines de Lyon, qui a com­men­cé en 1850 et qui a eu ses mar­tyrs. Les pre­miers pères qui sont par­tis dans cette Afrique, dans ce golfe de Guinée, ont été mas­sa­crés. Certains mas­sa­crés par les popu­la­tions indi­gènes qu’ils allaient évan­gé­li­ser, d’autres dis­pa­rais­saient au bout de quelques mois, tués par la malaria.

Et c’est à la suite de ces mar­tyrs que vous êtes allé, vous aus­si dans ce pays de mis­sion. Et vous le savez éga­le­ment, si ces popu­la­tions acceptent avec géné­ro­si­té la grâce de l’Évangile, elles ont besoin peut-​être plus que d’autres encore, et plus que celles qui sont dans un pays chré­tien depuis de longues années ; elles ont besoin d’approfondir leur foi. Elles ont besoin d’avoir des racines pro­fondes afin de résis­ter au retour des ten­ta­tions et de cet attrait qu’exercent sur elles le féti­chisme et toutes les habi­tudes du péché, qui se trouvent dans ces pays.

Alors vous avez pen­sé à juste titre et vous le pen­siez déjà depuis de longues années, puisque je pense que c’est au cours de votre sémi­naire que vous avez pris contact avec les Pères de Chabeuil qui prê­chaient les exer­cices de saint Ignace. Et vous avez pen­sé à juste titre que ces exer­cices de saint Ignace étaient non seule­ment utiles aux popu­la­tions déjà chré­tiennes comme les nôtres, mais qu’ils seraient utiles là-​bas en Afrique aus­si. Et je pense que vous avez été un des pre­miers à réa­li­ser cet apos­to­lat des exer­cices de saint Ignace en Afrique.

Et cela cer­tai­ne­ment, est une grâce par­ti­cu­lière. Car j’ai pu être le témoin moi-​même de l’effet extra­or­di­naire que pro­dui­saient ces exer­cices de saint Ignace en pays afri­cain. Car j’ai eu moi-​même l’occasion d’appeler les Pères de Chabeuil pour venir prê­cher à Dakar.

Et je sou­haite vive­ment que ces exer­cices conti­nuent à être prêches dans ces régions pour le grand bien de l’Afrique.

Et voi­ci que par des cir­cons­tances pro­vi­den­tielles, vous êtes reve­nu dans votre pays d’origine. Et hélas, voi­ci que main­te­nant, nous pou­vons dire que nos pays sont deve­nus des pays de mis­sion. Vous avez été mis­sion­naire en Afrique et voi­ci que main­te­nant vous êtes deve­nu mis­sion­naire en Europe.

Et vous avez conti­nué ; vous avez per­sé­vé­ré à prê­cher ces saints Exercices. Et grâce à cela vous avez pu répandre de nom­breuses grâces dans les âmes. Comme je le disais tout à l’heure, il nous est impos­sible, pour vous, comme pour nous à plus forte rai­son, de mesu­rer toutes ces grâces. Le Bon Dieu seul le sait, les connaît.

Mais c’est un exemple, cher Père Marziac, que vous don­nez à nos sémi­na­ristes et à nos jeunes prêtres. Et si aujourd’hui nous nous réjouis­sons avec vous et nous ren­dons grâces à Dieu, eh bien je vou­drais que cette céré­mo­nie soit aus­si l’occasion pour nos jeunes sémi­na­ristes, de suivre votre exemple.

Missionnaires ils le seront. S’ils sont prêtres, ils seront mis­sion­naires puisque Notre Seigneur est essen­tiel­le­ment mis­sion­naire. Le prêtre étant un autre Christ, doit être essen­tiel­le­ment mis­sion­naire. Missionnaires dans leur pays ils le seront vrai­sem­bla­ble­ment. Missionnaires dans les pays loin­tains, ils le seront aus­si pour beau­coup d’entre eux.

Et je sou­haite, mes chers amis, que vous mesu­riez le bien­fait des exer­cices spi­ri­tuels et les grâces qui en découlent ; qui par les faits montrent qu’il y a une grâce par­ti­cu­lière de Dieu dans ces exer­cices. D’abord parce que les papes l’ont dit eux-​mêmes maintes et maintes fois. Mais c’est un fait cer­tain, que ceux qui ont sui­vi ces exer­cices, en demeurent mar­qués. Marqués pour de longues années, par­fois pour toute leur vie. En par­ti­cu­lier ceux qui ont décou­vert dans ces exer­cices leur voca­tion, leur mis­sion spéciale.

Alors je sou­haite, mes chers amis, que cette céré­mo­nie soit l’occasion de vous atta­cher encore davan­tage à votre voca­tion. Ceci ce n’est pas moi qui devrais le dire, mais c’est le Père lui-​même qui vous le dira peut-​être dans quelques ins­tants, lorsque nous serons réunis.

Il dira peut-​être que la grâce du sacer­doce est une source de joies. Et que s’il y a des souf­frances qui sont nor­males, puisque nous sommes les dis­ciples d’un Maître qui a souf­fert et qui est mort sur la Croix, nous ne pou­vons pas pen­ser vivre sans souf­frances et sans épreuves. Ces épreuves sont des grâces aus­si. Mais le sacer­doce donne des joies profondes.

Et nous deman­dons à la très Sainte Vierge Marie, en ter­mi­nant, elle qui est la mère du prêtre, de faire en sorte cher Père Marziac, que vous puis­siez conti­nuer votre apos­to­lat et que vous puis­siez le mul­ti­plier et que vous puis­siez aider nos jeunes prêtres à com­prendre la grande uti­li­té de cet apos­to­lat par les exer­cices, afin qu’eux aus­si puissent se sanc­ti­fier, conti­nuer à se sanc­ti­fier eux-​mêmes en don­nant les exercices.

C’est le meilleur moyen de res­ter des prêtres fidèles. C’est le meilleur moyen, mes chers amis, de gar­der cette fer­veur que vous avez main­te­nant, que vous aurez encore davan­tage le jour où vous rece­vrez l’imposition des mains pour la grâce du sacerdoce.

Et si vous vou­lez conser­ver tout au long de votre vie cette fer­veur, cette dévo­tion, cet atta­che­ment à Notre Seigneur Jésus-​Christ, ce dévoue­ment total à Notre Seigneur Jésus-​Christ, c’est en prê­chant les exer­cices aux autres que vous vous sanc­ti­fie­rez ; que vous gar­de­rez cette grâce et que vous aurez la joie de consta­ter que cette grâce que vous pos­sé­dez vous pou­vez ain­si la com­mu­ni­quer à d’autres et faire en sorte que ce feu que Notre Seigneur a allu­mé sur terre se com­mu­nique aux autres.

Demandons à la très Sainte Vierge Marie aujourd’hui – cette fête nous rap­pelle le sou­ve­nir de Lourdes où Marie a répan­du tant de grâces – non seule­ment en gué­ris­sant les corps – mais sur­tout en gué­ris­sant les âmes. En don­nant, même aux corps qui ne sont pas gué­ris, le cou­rage et la grâce de sup­por­ter leurs souf­frances pour la plus grande gloire de Dieu.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.