Sermon de Mgr Lefebvre – Funérailles du R.P. Barrielle – 4 mars 1983

Mes bien chers frères,
Mes bien chers amis,

Nous voi­ci donc réunis ici, dans cette cha­pelle d’Écône autour de notre cher Père Barrielle, de sa dépouille mortelle.

Il me semble que de prime abord il nous est bon de deman­der à l’Église quels doivent être nos sen­ti­ments dans des cir­cons­tances sem­blables. Toute cette belle litur­gie des défunts, tous ces appels que l’Église fait aux saints Anges, à saint Michel Archange, pour deman­der de por­ter l’âme du défunt dans le sein du Père, dans le Paradis, dans le Ciel, n’a d’objet, n’a de rai­son d’être, que si nous avons la foi dans l’existence du Purgatoire.

En effet si le Purgatoire n’existait pas, l’âme du défunt serait ou au Ciel déjà, ou hélas en enfer. Et par consé­quent, dans une solu­tion comme dans l’autre, nos prières seraient inutiles. Celui qui est au Ciel n’a plus besoin de prières et hélas, celui qui est en enfer ne peut plus non plus se ser­vir de nos prières.

Alors, c’est parce que nous croyons qu’il y a un Purgatoire et que les âmes qui se trouvent au Purgatoire, ont besoin de nos prières, elles ont besoin de nos prières. Sans doute, les âmes peuvent aller direc­te­ment au Ciel. C’est le Bon Dieu qui en est juge.

Mais nous savons trop que nous sommes pécheurs et que nous avons tous à nous puri­fier et à demeu­rer dans cette anti­chambre du Ciel qu’est le Purgatoire, afin de faire en quelque sorte, la toi­lette de nos âmes, afin qu’elles soient pures, par­faites, pour ren­con­trer Celui qui est la Vérité, qui est la beau­té, qui est la per­fec­tion, la sain­te­té et que les anges nous y accompagnent.

Alors nous prions et nous conti­nue­rons de prier pour que Dieu veuille accueillir dans son Paradis, le plus tôt pos­sible, notre cher Père Barrielle.

Si une parole résume ce qu’a été le Père Barrielle, je crois que nous pou­vons dire que le Père Barrielle a été un vrai prêtre, un prêtre dans toute l’acception du terme.

Il le disait avec sa sim­pli­ci­té et son enthou­siasme cou­tu­mier, que déjà lorsque sa mère le por­tait dans son sein, elle l’avait consa­cré à la très Sainte Vierge Marie et deman­dait qu’il soit prêtre. Que si elle por­tait en son sein un gar­çon, qu’il devienne prêtre. Or, dans son enfance, dans son ado­les­cence, au petit sémi­naire, au grand sémi­naire, notre cher Père Barrielle n’a eu qu’une pen­sée, celle de deve­nir prêtre et d’être un jour ain­si, le ser­vi­teur de Dieu.

Et vous le savez aus­si, car il aimait à nous le dire, qu’il avait été long­temps vicaire, puis curé, dans une grande paroisse de Marseille. Et là pen­dant de nom­breuses années, il s’est dévoué avec tout son zèle sacerdotal.

Est venue la guerre et puis ensuite sa ren­contre avec le Père Vallet.

Dans une ville comme celle de Marseille et hélas comme dans beau­coup d’autres grandes villes, com­bien l’apostolat est dif­fi­cile et com­bien pour des prêtres zélés, au cœur de feu comme le Père Barrielle, le suc­cès hélas ne répond pas tou­jours aux efforts du prêtre. Alors il cher­chait, il cher­chait une voie plus sûre, plus rapide, plus effi­cace pour conver­tir les âmes.

Et voi­là qu’il entend par­ler du Père Vallet avec ses Exercices spi­ri­tuels qui conver­tit des mil­liers et des mil­liers d’âmes et qui les trans­forme en de bon et véri­tables chré­tiens. Alors il n’hésite pas, il quitte son dio­cèse, il demande à son évêque de quit­ter son dio­cèse, pour suivre le Père Vallet et prê­cher avec lui les Exercices.

Il sera désor­mais ce pré­di­ca­teur renom­mé et bien connu. La plu­part d’entre vous, mes bien chers frères qui sont ici, l’avez connu avant moi-​même. Beaucoup d’entre vous sont allés à Chabeuil entendre le Père Barrielle et reve­nir rem­plis de zèle, rem­plis du désir de sanc­ti­fier vos âmes. Et c’est pour­quoi vous êtes res­tés atta­chés à ce cher Père Barrielle. Beaucoup ont sui­vi ses retraites, de nom­breuses fois.

Est venu l’événement du concile qui par hélas, ses consé­quences, son paci­fisme en quelque sorte, venu de cet œcu­mé­nisme qui ne voit plus d’ennemis nulle part, mais des frères, des amis ; plus d’ennemis, alors plus de com­bat ! Pour le Père Barrielle, c’était dépo­ser les armes, puisqu’il n’y a plus de combat.

Or pour une âme comme la sienne rem­plie de foi ; de cette foi pro­fonde qui ani­mait les apôtres et qui ani­mait tous ceux qui ont prê­ché l’Évangile pen­dant vingt siècles, ils ont lut­té, lut­té contre les Puissances, comme le dit saint Paul, contre les Puissances spi­ri­tuelles qui sont dans l’air qui sont ni plus ni moins que les démons, qui entraînent le monde dans le péché.

Alors, le Père Barrielle a réflé­chi et il a pen­sé qu’il valait mieux essayer de regrou­per quelques-​uns de ses confrères, déci­dés à conti­nuer le com­bat d’une manière éner­gique comme il l’avait tou­jours fait, sans chan­ger d’orientation, sans chan­ger de fer­veur et de géné­ro­si­té. Et alors, il est venu ici, il y a main­te­nant douze ans, cher­chant une mai­son, cher­chant un lieu où il aurait pu réunir ces apôtres si néces­saires encore aujourd’hui bien sûr, plus néces­saires que jamais. Mais la Providence n’a pas vou­lu qu’il puisse réa­li­ser son désir.

Et alors, vivant ici, il a com­pris que le Bon Dieu lui deman­dait d’infuser cet esprit d’apôtre qu’il avait, cet esprit de foi qui le menait, de le don­ner à ceux autour des­quels et avec les­quels il vivait. Et alors, il s’est dévoué auprès des sémi­na­ristes, auprès des jeunes prêtres qui sor­taient du sémi­naire, afin de leur incul­quer ce zèle, ce zèle du règne de Notre Seigneur Jésus-​Christ, et par­ti­cu­liè­re­ment par la pré­di­ca­tion des Exercices spi­ri­tuels de saint Ignace.

Et il faut le dire, il a mar­qué pro­fon­dé­ment ces pre­mières années de sémi­naire. Nous lui devons une grande recon­nais­sance car il a appro­fon­di la foi de nos jeunes prêtres. Il leur a don­né ce zèle de la pré­di­ca­tion. Il leur a don­né ce zèle du salut des âmes.

Or, vous savez que dans les temps modernes, actuel­le­ment, ce milieu dans lequel nous vivons est comme un milieu qui nous rend peu à peu indif­fé­rent à toutes choses ; qui dimi­nue la fer­veur ; qui atté­nue et dimi­nue la géné­ro­si­té. Alors, sa pré­sence était bien néces­saire pour secouer un peu cette tor­peur, dans laquelle nous nous trou­vons aujourd’hui.

Mais Dieu sait s’il était capable et s’il avait tous les dons pour nous incul­quer ce renou­veau de la foi. Car je crois que c’est cela sur­tout qu’a été le Père Barrielle : un prêtre, mais un prêtre qui avait la foi, comme les apôtres.

Nos vero ora­tio­ni, et minis­te­rio ver­bi ins­tantes eri­mus (Ac 6,4) :

Nous (les apôtres), dit saint Pierre, désor­mais, nous vou­lons nous consa­crer entiè­re­ment au minis­tère de la prière et au minis­tère de la parole de Dieu.

Qu’a fait le Père Barrielle, sinon se dévouer à ce minis­tère de la prière et de la parole de Dieu ?

Homme de prière : Dieu sait si le Père Barrielle le fut. Je puis en témoi­gner encore, ces der­niers jours j’étais avec lui à Montalenghe, car il était dévo­ré par le désir de prê­cher et il vou­lait aller encore mal­gré sa mala­die, mal­gré sa fai­blesse, il a vou­lu se rendre encore à Montalenghe.

Et il a vou­lu, puisqu’il ne pou­vait pas prê­cher – étant don­né son mau­vais état de san­té – il a vou­lu prier. Et mal­gré sa défi­cience, il a deman­dé qu’on le conduise, pen­dant la nuit à la cha­pelle pour qu’il puisse faire une heure d’oraison. Et je lui fai­sais remar­quer : « Mais, mon cher Père, de grâce, vous savez bien qu’il n’est pas per­mis de se sui­ci­der ». Et il me répon­dait : « Monseigneur, j’attire des béné­dic­tions sur la Fraternité et sur ceux qui m’entourent, pen­dant cette heure d’oraison ».

Je crois en effet que ce cher Père Barrielle, par ses prières, ses prières noc­turnes, par son désir aus­si, ardent, de célé­brer le Saint Sacrifice de la messe, la grande Prière de Notre Seigneur, la grande Prière de l’Église, atti­rait des béné­dic­tions sur la Fraternité et sur tous ceux qu’il aimait et sur tous ses anciens retrai­tants, sur vous-​même mes bien cher frères. C’était un grand exemple.

Ministère de la parole : Ces der­nières années il le pou­vait un peu moins, étant don­né que sa san­té n’était plus aus­si robuste. Alors il écri­vait. Et son der­nier livre sur le Père Vallet qu’il m’a dédi­ca­cé, dans les lignes que je lisais encore ce matin, il me disait : Monseigneur, je vous dédie ce livre sur le Père Vallet afin que ce Père puisse être un modèle pour vos jeunes prêtres et pour les prêtres de la Fraternité. Je l’ai écrit au cours de mes insom­nies pen­dant la nuit.

Voilà ce que fai­sait le Père Barrielle. Il pas­sait ses nuits, puisqu’il ne pou­vait plus prê­cher, il pas­sait ses nuits lorsqu’il ne pou­vait pas dor­mir, à écrire. Et à écrire avec quel style, vous le savez bien, tou­jours rem­pli de fer­veur, d’ardeur, de cou­rage, pour le salut des âmes. Quel bel exemple !

Alors, mes chers amis, puisque vous avez eu cette grâce par­ti­cu­lière et vous mes bien chers frères éga­le­ment, de connaître le Père Barrielle, nous devons lui pro­mettre de recueillir son héri­tage ; de recueillir son héri­tage de telle sorte qu’il conti­nue à par­ler : Defunctus adhuc loqui­tur (He 11,4) : « Défunt il parle encore ». Oui il parle et il par­le­ra par nos bouches ; il par­le­ra par ses écrits ; il par­le­ra aus­si par sa pré­sence par­mi nous. Car il est bien cer­tain qu’il demeu­re­ra auprès de nous.

Oui, deman­dons au Père Barrielle d’être notre pro­tec­teur, d’être notre inter­ces­seur auprès de Dieu, afin que dans ce grand com­bat qu’il menait, nous ne nous décou­ra­gions pas. Comme lui, avec la même force, avec le même don de force, avec la même foi que lui, nous conti­nuions à com­battre ce bon com­bat jusqu’au moment où un jour nous pour­rons aller le rejoindre.

Pour mener ce com­bat, il s’entourait de toutes les Puissances du Ciel. Il s’entourait de la dévo­tion à la très Sainte Vierge Marie – et Dieu sait s’il vous disait encore, chers Valaisans qui êtes ici, dans sa lettre aux Valaisans, il disait : Si vous vou­lez gar­der vos foyers dans la foi ; si vous vou­lez sau­ver vos âmes, réci­tez le cha­pe­let en famille. Une mai­son dans laquelle on récite le cha­pe­let en famille est une mai­son qui se sauve. Combien il aimait les Valaisans et com­bien il vous était attaché.

Et il s’entourait aus­si de la dévo­tion au Sacré-​Cœur. Le Labarum, comme il disait dans sa bro­chure : le dra­peau du chré­tien, c’est le dra­peau du Sacré-​Cœur, la grande misé­ri­corde de Dieu. Ce fut sa der­nière parole presque qu’il a adres­sée je crois, à l’un des sémi­na­ristes qui l’entouraient, lorsqu’il le recon­dui­sait après sa messe, dans sa chambre : « Avez-​vous besoin de quelque chose mon Révérend Père ? » Et il répon­dait : « J’ai besoin de la misé­ri­corde de Dieu ».

Voilà les réponses de cet homme de foi.

Dévotion aus­si aux saints Anges. Il a écrit une magni­fique bro­chure sur les saints Anges.

Dévotion à saint Joseph. Il aimait beau­coup la dévo­tion à saint Joseph et est-​ce que saint Joseph n’a pas vou­lu jus­te­ment lui mani­fes­ter son amour en venant le cher­cher aux pre­mières heures du mois qui lui est consacré ?

Dans les pre­mières heures du mois de saint Joseph, saint Joseph est venu le prendre d’une manière qua­si inat­ten­due. En l’espace de trois heures, notre cher Père Barrielle est par­ti pour son éter­ni­té bienheureuse.

Alors, gar­dons pré­cieu­se­ment, dans nos mémoires, dans nos cœurs, ce bon sou­ve­nir, ce sou­ve­nir de prêtre au cœur de feu, à la foi inébran­lable et à la vis spi­ri­tuelle si pro­fonde, au zèle pour le salut des âmes.

Demandons à tous ceux pour les­quels il avait une grande dévo­tion, de nous aider à le suivre.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.