Sermon de Mgr Lefebvre – Fête du Sacré-​Cœur de Jésus – Jubilé sacerdotal de M. l’abbé Mouraux – 26 juin 1987

Cher Monsieur l’ab­bé Mouraux,

Dans le bul­le­tin (Bonum Certamen), le der­nier sans doute, dans lequel vous annon­ciez votre céré­mo­nie du cin­quan­tième anni­ver­saire du sacer­doce que vous avez reçu, vous faites quelques réflexions à ce sujet, bien courtes, bien brèves, mais qui sont très suggestives.

Vous dites que ce fameux 8 juillet 1937, vous avez éprou­vé une joie, au-​dessus de tout sen­ti­ment. Vous avez éprou­vé cette joie lors de votre ordi­na­tion, parce que – comme vous le dites éga­le­ment – le Seigneur a choi­si votre humble per­sonne, dites-​vous, pour rece­voir le sacer­doce de Notre Seigneur Jésus-Christ

En effet quel hon­neur et quelle source de joie. Puissiez-​vous éga­le­ment aujourd’hui res­sen­tir la même joie, dans ce sémi­naire où nous vous accueillons avec une immense satis­fac­tion. Nous fêtons donc avec vous ces cin­quante années de sacer­doce et nous nous réjouis­sons avec vous, dans l’action de grâces au Bon Dieu.

Ce sera le pre­mier motif de notre joie.

Le deuxième motif de cette joie que nous éprou­vons en vous entou­rant aujourd’hui au Saint Sacrifice de la messe, c’est que le Bon Dieu vous a fait la grâce – cette grâce n’est pas négli­geable – de la fidé­li­té. Fidélité à la foi de votre bap­tême, fidé­li­té à la messe dans laquelle vous avez été fait prêtre : la messe de tou­jours. Et nous nous réjouis­sons avec vous de cette grâce que le Bon Dieu vous a don­née et par l’exemple, par le fait même, que vous avez don­né autour de vous.

Un troi­sième motif de notre réjouis­sance, c’est plus humble, plus simple, c’est de vous mani­fes­ter notre recon­nais­sance, notre gra­ti­tude, pour la bon­té de votre accueil en faveur des sémi­na­ristes qui sont venus auprès de vous, au cours de leur ser­vice mili­taire, ou en fai­sant des études à l’université de Nancy. Vous êtes d’ailleurs aujourd’hui entou­ré par deux d’entre eux, de ceux qui ont pro­fi­té de votre aimable hos­pi­ta­li­té, de votre aimable accueil, de votre sou­tien spi­ri­tuel, mais ils sont nom­breux. Et par consé­quent, nous sommes heu­reux aujourd’hui, dans cette céré­mo­nie, de pou­voir vous expri­mer notre reconnaissance.

Mais j’aurais peine de ne pas joindre à votre nom celui de Mademoiselle Cécile, qui a été pour eux comme une mère et qui les a entou­rés de tous les soins dont ils avaient besoin. Je la remer­cie éga­le­ment de tout cœur. Car ce fut une grâce pour nos sémi­na­ristes de pou­voir dans l’aridité de ce ser­vice mili­taire, trou­ver un havre de paix et une mai­son spi­ri­tuelle et l’affection d’un père et d’une mère. Je vous remer­cie de tout cela et nous nous réjouis­sons que vous soyez aujourd’hui au milieu de nous pour célé­brer la messe d’anniversaire de vos cin­quante ans de sacerdoce.

Vous dites : revê­tir le sacer­doce de Notre Seigneur Jésus-​Christ. C’est-à-dire aus­si revê­tir sa Croix.

Et en effet, les orne­ments que nous por­tons à la messe, portent une croix. Nous por­tons la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Votre vie sacer­do­tale com­men­cée en 1937, s’est dérou­lée d’abord pen­dant deux ans, dans un minis­tère parois­sial et puis, ce fut la guerre. Terrible guerre de 1939 à 1945 et vous en avez subi les consé­quences en étant dépor­té dans les camps de concen­tra­tion. Mais avec votre audace légen­daire, vous avez réus­si à vous échap­per et vous êtes reve­nu dans votre dio­cèse et vous y avez exer­cé, là encore avec beau­coup de cou­rage, avec le don de force qui vous carac­té­rise, la pro­tec­tion de vos fidèles au milieu des troubles, des troupes qui s’en allaient, des troupes qui venaient, en pleine guerre. Vous avez été un peu le Père de la Cité pour vos chers paroissiens.

Et puis la guerre ter­mi­née, vous avez repris ce minis­tère parois­sial pen­dant un cer­tain nombre d’années, jusqu’au moment où votre évêque, Mgr Pirolley, vous a deman­dé de vous char­ger d’une mai­son d’éducation à Nancy, dans laquelle vous êtes res­té pen­dant un cer­tain nombre d’années et où non seule­ment vous appor­tiez les secours spi­ri­tuels aux âmes des enfants qui se trou­vaient dans cette mai­son, mais aus­si la science, les cours de latin, de reli­gion. Et vous me disiez que c’était par­mi vos meilleures années.

Et puis voi­ci une nou­velle guerre. Guerre plus ter­rible encore que la pré­cé­dente, la guerre du concile. Car, en défi­ni­tive, c’est une guerre. C’est une vraie guerre de reli­gion. Et une guerre plus dou­lou­reuse, plus pénible, plus des­truc­trice que les guerres meur­trières de nos corps. Car elle meur­trit nos âmes.

Et alors il a fal­lu faire des choix, des choix dou­lou­reux, des choix pénibles. Mais encore une fois, la grâce du Bon Dieu vous a don­né de la fidé­li­té, vous a fait com­prendre qu’il valait mieux gar­der la foi, quitte à paraître déso­béis­sant, plu­tôt que d’abandonner la foi pour être obéissant.

Car c’est bien cela que nous avons deman­dé au jour de notre bap­tême. Nous avons deman­dé à l’Église : Donnez-​nous la foi. Et nous vou­lons la conser­ver jusqu’à la fin de nos jours. Et vous avez vou­lu et vous vou­lez la conser­ver jusqu’à la fin de vos jours.

Alors, vous avez mon­tré là aus­si, votre esprit de fidé­li­té. Et cela vous a bien sûr cau­sé de nom­breux ennuis, de nom­breuses dif­fi­cul­tés. Au moment où les réformes sont venues, les fidèles de Nancy qui dési­raient gar­der la Tradition, sont venus vers vous. Les églises se trans­for­mant en églises néo-​protestantes, bien des fidèles ont pen­sé qu’ils ne trou­ve­raient plus vrai­ment la Tradition qu’auprès de vous. Et alors cette cha­pelle de reli­gieuses où vous vous trou­viez est deve­nue trop petite pour accueillir tout le monde qui venait pour assis­ter à vos messes. Et c’est pré­ci­sé­ment ce qui a été évi­dem­ment l’occasion des foudres de l’épiscopat.

Et alors, vous avez été obli­gé de quit­ter cette mai­son que vous aimiez et dans laquelle vous vous étiez dévoué, pour vous retrou­ver dans votre petite mai­son de famille que connaissent bien vos amis. Et dans laquelle vous vous trou­vez encore aujourd’hui, pour conti­nuer la fidé­li­té de tou­jours à la Sainte Église et à la Sainte Messe.

Désormais ayant pu acqué­rir auprès de chez vous une petite église, ancienne syna­gogue, vous l’avez trans­for­mée en cha­pelle catho­lique. Et c’est là que j’ai eu la joie de venir célé­brer la Sainte Messe, don­ner la confir­ma­tion, bénir les cloches – tous ces sou­ve­nirs très heu­reux – et entou­ré d’une nom­breuse popu­la­tion de fidèles qui dési­rent demeu­rer catho­liques, tout simplement.

Vous me le disiez hier, que si vous aviez quelques mots à adres­ser aux chers sémi­na­ristes, vous leur diriez : Mes chers amis, n’ayez pas peur, soyez audacieux.

J’ai recher­ché ce que dit saint Thomas de l’audace.

Eh bien, l’audace, dit saint Thomas, si elle est tem­pé­rée par la rai­son, est une ver­tu annexe de la ver­tu de force. Et c’est bien cette ver­tu que vous avez mani­fes­tée dans toute votre vie et qui doit être – je pense – la leçon rete­nue aujourd’hui par nos chers sémi­na­ristes. Eux aus­si la pra­tiquent la ver­tu de force.

Ils l’ont déjà pra­ti­qué par le choix qu’ils ont fait en venant à Flavigny, en venant ici à Écône, en sui­vant leurs amis, en sui­vant les exemples de tous ces prêtres qui nom­breux – heu­reu­se­ment – ont gar­dé la fidé­li­té à l’Église, à la messe de tou­jours (et qui) ont déjà dû affron­ter bien des dif­fi­cul­tés, quel­que­fois dif­fi­cul­tés dans (leurs) familles qui sont effrayées à la pen­sée que leur fils va se rendre à Écône.

Et alors il faut du cou­rage ; il faut une grâce par­ti­cu­lière, une grâce de force. Car en défi­ni­tive, qu’est-ce que la force, mes chers amis ? Saint Thomas la carac­té­rise cette ver­tu, par deux actes prin­ci­paux : sus­ti­nere et aggre­di. Sustinere, en effet, tenir dans le com­bat, per­sé­vé­rer dans le com­bat. C’est une grande ver­tu qui demande la grâce de la force et le don de force. Et c’est ce que vous faites, mal­gré les reproches que vous pou­vez rece­voir, ici ou là, les cri­tiques. Vous main­te­nez, vous sou­te­nez votre foi, votre réso­lu­tion de res­ter catho­liques et de deve­nir prêtres catholiques.

Et puis aggre­di. C’est peut-​être la par­tie de la force qui plai­rait davan­tage à M. l’abbé Moureaux. Car c’est ce qu’il a eu l’occasion de faire, dans bien des cir­cons­tances dif­fi­ciles de sa vie. Savoir atta­quer. C’est ce que dit saint Thomas aggre­di, cela veut dire : atta­quer. Attaquer pour gar­der le bien, pour main­te­nir le bien. Attaquer l’ennemi, l’ennemi de nos âmes ; atta­quer ceux qui en veulent au bien de nos âmes.

Il faut par­fois, avec la grâce du Bon Dieu, savoir pré­ve­nir ; ne pas être sou­mis à ceux qui veulent notre perte. Rappelez-​vous de cela. Et que cette messe du cin­quan­tième anni­ver­saire de sacer­doce du cher M. l’abbé Mouraux, soit pour vous une occa­sion de persévérer.

La per­sé­vé­rance, voyez-​vous, est aus­si une ver­tu annexe de la ver­tu de force. Et c’est ce qu’a dit Notre Seigneur : Qui autem per­se­ve­ra­rit usque in finem, hic sal­vus erit (Mt 24,13).

Eh bien, c’est ce que nous sou­hai­tons, cher M. l’abbé Mouraux : Celui qui per­sé­vé­re­ra jusqu’à la fin sera sauvé.

Que le Bon Dieu vous donne, cher M. l’abbé Mouraux et à vous-​mêmes, chers amis, la grâce de la per­sé­vé­rance, la per­sé­vé­rance finale. C’est la plus grande grâce que le Bon Dieu puisse nous don­ner puisque c’est elle qui doit nous ouvrir les portes de l’éternité, les portes du Ciel.

Ne nous éton­nons pas de la situa­tion dans laquelle nous nous trou­vons aujourd’hui en cette fête du Sacré-​Cœur de Jésus. Pouvait-​on trou­ver une meilleure fête pour un anni­ver­saire sacer­do­tal ? Le Cœur de Jésus est tout entier sacer­do­tal, l’amour des âmes. Nous l’avons chan­té tout à l’heure : Cogitationes Cordis ejus in gene­ra­tio­nem ut eruat a morte ani­mas eorum (Ps 32,11–19).

Les pen­sées de notre Cœur, dit Notre Seigneur, sont de sau­ver les âmes et de leur don­ner le Pain dont elles ont besoin pour ne pas mou­rir de faim. C’est là tout le pro­gramme d’une vie sacerdotale.

Et alat eos in fame (Ps 32–1,11,19).

Eh bien que ce soit là votre pro­gramme, mes chers amis, en regar­dant la très Sainte Vierge Marie, parce que, elle aus­si, elle était fidèle à Jésus jusqu’au bout, jusqu’au mar­tyre, jusqu’à avoir le cœur trans­per­cé par un glaive. Elle ne L’a pas aban­don­né. Les apôtres L’ont aban­don­né ; ils sont par­tis – sauf saint Jean – les autres ont quit­té Jésus-​Christ pour se rendre dans le monde. Combien de prêtres hélas quittent Notre Seigneur pour se rendre au monde aussi !

Mais nous, efforçons-​nous de demeu­rer auprès de la Vierge Marie, de Notre-​Dame-​de-​Compassion, de par­ta­ger la Passion de Notre Seigneur Jésus-​Christ, de par­ta­ger la Passion de l’Église. Car c’est bien cela que nous vivons aujourd’hui. L’Église vit sa Passion. Et c’est ce qu’expliqué si bien le Père Emmanuel dans ses lettres magni­fiques, dans les­quelles il montre que la fin des temps sera la Passion de l’Église.

Eh bien je crois que nous sommes dans ce moment : la Passion de l’Église. Alors allons-​nous aban­don­ner notre mère la Sainte Église parce qu’il fau­dra souf­frir la Passion avec elle ?

Non, au contraire ! À l’image de la Vierge Marie nous demeu­rons fidèles, à l’image de ces prêtres fidèles qui nous encou­ragent et qui sont un grand sou­tien pour nous – je tiens à le dire – parce que c’est vrai.

Nous ren­dons grâces au Bon Dieu qu’il n’y a pas que la Fraternité qui s’efforce d’être fidèle, mais qu’il y a une mul­ti­tude de prêtres par­tout, de reli­gieux, de reli­gieuses, qui s’efforcent de res­ter fidèles à l’Église et fidèles à la foi de tou­jours et fidèles à la Sainte Messe.

Demandons à la Vierge Marie de nous don­ner cette grâce de la per­sé­vé­rance finale et de la fidélité.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.