Editorial d’octobre 2011 : La messe interdite – Abbé Ludovic Girod

La messe interdite

Les Chinois avaient leur Cité inter­dite, arpen­tée aujourd’­hui par de nom­breux tou­ristes. L’Eglise qui est en France conti­nue à avoir sa messe inter­dite, à qui le droit de cité est refu­sé. Seules quelques tolé­rances sont accor­dées, et avec quelle par­ci­mo­nie soup­çon­neuse. S’agit-​il de répri­mer les abus, de faire ces­ser les inno­va­tions, de reve­nir à la norme du mis­sel romain ? Que nen­ni, ne met­tons sur­tout pas de limites aux nou­veau­tés et aux incon­grui­tés d’une révo­lu­tion litur­gique vieille de qua­rante ans. Il s’a­git bien du mis­sel romain antique et véné­rable, de la messe de tou­jours res­tau­rée sous le pon­ti­fi­cat du glo­rieux saint Pie V. Oui aux synaxes « pique-​nique », non à la messe « Pie-cinq » !

Quelques quatre années après le Motu Proprio du pape Benoît XVI, recon­nais­sant enfin après qua­rante ans de per­sé­cu­tion, que la messe tri­den­tine n’a­vait jamais été abro­gée et qu’elle pou­vait donc être célé­brée par tous les prêtres de rite latin, la situa­tion en France reste inchan­gée, hor­mis quelques rares excep­tions. Deux faits récents nous l’ont confirmé.

Il s’a­git tout d’a­bord d’une messe d’en­ter­re­ment à Sissonne, au début du mois de sep­tembre. La défunte, Madame Grégoire, appré­ciait la messe tri­den­tine et avait rédi­gé un tes­ta­ment deman­dant que ce fût cette messe qui fût célé­brée lors de ses obsèques dans sa ville. Au pas­sage, je vous encou­rage à rédi­ger un tes­ta­ment de ce genre qui mani­fes­te­ra clai­re­ment votre volon­té et évi­te­ra des ten­sions entre dif­fé­rentes ten­dances dans la famille au moment d’or­ga­ni­ser l’en­ter­re­ment. La famille entra en contact avec nous. Il me fal­lait obte­nir l’au­to­ri­sa­tion du curé encore en poste, l’Abbé Etienne Kerjean. Malgré de nom­breuses démarches auprès du pres­by­tère et de l’é­vê­ché, je ne par­vins pas à le joindre. La famille eut plus de chance que moi, mais ce fut pour se voir oppo­ser un refus caté­go­rique. Les enfants ne se démon­tèrent pas et nous convînmes d’or­ga­ni­ser la messe d’en­ter­re­ment devant l’é­glise, avec l’au­to­ri­sa­tion du maire. Elle eut lieu le ven­dre­di 9 sep­tembre, devant la porte soi­gneu­se­ment ver­rouillée, sous une bruine légère et la menace des pigeons habi­tués du lieu. La céré­mo­nie, sui­vie par une qua­ran­taine de per­sonnes, se dérou­la dans le recueille­ment et la prière, au rythme de la litur­gie de toujours.

L’Abbé Kerjean, inter­ro­gé par la suite par un jour­na­liste, tint des pro­pos assez sur­pre­nants pour jus­ti­fier son refus. Devant une légi­time demande de la famille, pré­vue par le Motu Proprio de Benoît XVI, il oppose clai­re­ment une fin de non rece­voir et refuse de trou­ver un prêtre agréé par le dio­cèse pour le faire. Ce ne sont pour­tant pas de tels prêtres qui manquent dans les com­mu­nau­tés Ecclesia Dei, qui acceptent de pas­ser par les fourches cau­dines des ordi­naires du lieu. Mais que les fourches sont étroites ! Il fut un temps par exemple durant lequel l’au­mô­nier du camp mili­taire de Sissonne célé­brait la messe dans la paroisse. Cet arran­ge­ment ces­sa subi­te­ment lors­qu’un prêtre de la Fraternité Saint Pierre assu­ra cette charge. Vous voyez bien, de prêtre, il n’y en a point. L’Abbé Kerjean, peu au cou­rant de la manière dont les auto­ri­tés romaines nous consi­dèrent, toutes imbues qu’elles soient des erreurs du der­nier Concile, nous rejette en dehors de l’Eglise catho­lique, avec en prime cette fois-​ci le refus de tout oecu­mé­nisme. Nos théo­lo­giens célèbrent tran­quille­ment la sainte messe à Saint- Pierre de Rome, mais Sissonne semble bien éloi­gné de Rome. Voici ses pro­pos : « il m’est impos­sible en tant que prêtre fidèle à l’é­glise catho­lique, mais aus­si en tant que répu­bli­cain, puisque l’Eglise est pro­prié­té de la com­mune, d’y lais­ser entrer des per­sonnes qui ne nous recon­naissent pas ! » (L’Union, jeu­di 15 sep­tembre, page 19. Dans un sou­ci d’au­then­ti­ci­té, nous avons conser­vé l’or­tho­graphe du jour­na­liste, qui doit être fâché avec le « é » minus­cule ou majus­cule d’Eglise). Si nous nous adres­sons à lui pour une telle céré­mo­nie, c’est bien que nous lui recon­nais­sons sa charge de curé. Quant au carac­tère anti-​républicain d’une messe d’en­ter­re­ment, je lui laisse l’en­tière res­pon­sa­bi­li­té de ses propos.

Pour l’Abbé Kerjean, deman­der une messe tri­den­tine pour un enter­re­ment, c’est chose impos­sible à réa­li­ser : « Si untel sou­haite être inci­né­ré et que ses cendres soient dis­sé­mi­nées audes­sus de la tour Eiffel, on le lui refu­se­ra ». Effectivement, la com­pa­rai­son me semble très pro­bante et ne peut qu’emporter l’adhé­sion. Je me demande vrai­ment à quoi pen­saient les curés qui enter­raient leurs ouailles avant le renou­veau de Vatican II, quand chaque église avait son prêtre. La suite est dans le même genre : « A ce moment, je dois ouvrir l’é­glise si des per­sonnes de reli­gion juive veulent célé­brer dans notre lieu ? ». L’Abbé Kerjean qui com­pare les inté­gristes aux Juifs ! Je le laisse encore une fois se débrouiller avec la Licra et les ligues de ver­tu. Un tout petit détail a échap­pé à notre abbé : la messe catho­lique n’a pas grand-​chose a voir avec les rites judaïques. Nous croyons, nous catho­liques, que Jésus-​Christ, le Messie pro­mis au peuple hébreu, est le seul Sauveur qui nous récon­ci­lie avec Dieu et nous ouvre les portes du Ciel.

L’estocade finale arrive dans les der­nières lignes de l’ar­ticle : « Et puis le latin, entre nous… Je ne me sou­viens pas que Jésus par­lait en latin, non ? […] Je com­prends que cette famille et la défunte, que je ne connais­sais pas, voyait (sic !) pro­ba­ble­ment une dimen­sion magique dans une célé­bra­tion en latin ». Je sup­pose, en lisant ces lignes, que l’Abbé Kerjean célèbre la litur­gie en ara­méen et je m’in­cline devant son sou­ci d’au­then­ti­ci­té. Je me per­mets sim­ple­ment de rap­pe­ler que le latin est la langue litur­gique de l’Eglise catho­lique, à laquelle j’ap­par­tiens, et que la litur­gie réno­vée per­met sim­ple­ment la célé­bra­tion en langue ver­na­cu­laire. L’argument de la dimen­sion magique est abra­ca­da­brant. Pour le cler­gé pro­gres­siste, la litur­gie ne doit plus rien conte­nir de sacré ou de mys­té­rieux, tout doit être abais­sé à la dimen­sion de l’homme, dans une pla­ti­tude déses­pé­rante. Parler latin, c’est entre­te­nir l’illu­sion d’un pou­voir magique des for­mules, c’est un reli­quat de super­sti­tion qui a heu­reu­se­ment été balayé par la nou­velle messe. Une telle concep­tion en dit long sur la perte du sens du sacré qui affecte les offi­ciants de la litur­gie nouvelle.

Le deuxième fait sui­vit de peu. Nous avions deman­dé et obte­nu l’au­to­ri­sa­tion de célé­brer la messe lors de notre pèle­ri­nage de ren­trée à Notre- Dame de Liesse le same­di 24 sep­tembre. Cette auto­ri­sa­tion, accor­dée en août, vint d’un vieux prêtre en poste à Liesse et non de l’Abbé Kerjean. Mais Mgr Giraud, évêque de Soissons, l’ap­prit et m’en­voya une semaine avant notre pèle­ri­nage une lettre recom­man­dée avec accu­sé de récep­tion m’in­for­mant que nous ne pou­vions pas célé­brer la messe dans la basi­lique. L’évêque s’ap­puie pour moti­ver son refus sur la ren­contre récente entre Mgr Fellay et le Cardinal Levada. Ainsi, avant cette entre­vue, l’u­ti­li­sa­tion de la basi­lique était pos­sible, mais plus après. J’ai encore du mal à per­ce­voir la per­ti­nence des argu­ments invo­qués. Dans le même ordre d’i­dées, un fidèle a écrit une lettre à l’é­vêque de Verdun pour lui deman­der si nous pou­vions célé­brer la messe dans un lieu de pèle­ri­nage. L’évêque refu­sa éga­le­ment en s’ap­puyant cette fois-​ci sur le com­mu­ni­qué de l’Abbé de Cacqueray dénon­çant la nou­velle ren­contre inter­re­li­gieuse d’Assise à la fin du mois. Décidemment, le cler­gé qui est en France, dans sa majo­ri­té, n’ap­pré­cie pas la messe tri­den­tine ni le rap­pel des prin­cipes catholiques.

Cette messe de tou­jours, c’est celle que nous vou­lons pour la sanc­ti­fi­ca­tion de nos âmes, cette foi catho­lique, c’est celle que nous pro­fes­sons pour être à Jésus-​Christ. Restons fermes dans ce bon com­bat de la foi et de la messe.

Abbé Ludovic Girod

Extrait de laSainte Ampoule n° 200 d’oc­tobre 2011