Un an après les sacres – Entretien de Mgr Lefebvre à Fideliter – Juin 1989

Il y a eu un an le 30 juin, au cours d’une céré­mo­nie dont tous ceux qui y ont assis­té ont gar­dé un sou­ve­nir empli d’ad­mi­ra­tion et d’é­mo­tion, S. Exc. Monseigneur Lefebvre consa­crait quatre évêques, assis­té de S. Exc. Monseigneur de Castro Mayer, en sa qua­li­té d’é­vêque co-​consécrateur. A l’oc­ca­sion de cet anni­ver­saire, Monseigneur Lefebvre a bien vou­lu répondre aux ques­tions de Fideliter et expri­mer sa pro­fonde satis­fac­tion à la suite de cet évé­ne­ment qu’il a qua­li­fié de miraculeux.

FIDELITER – Monseigneur, cette déci­sion que vous avez prise de sacrer des évêques, vous en par­liez déjà depuis un cer­tain temps. Vous aviez même écrit au Pape, conjoin­te­ment avec Mgr de Castro Mayer, pour lui faire part de votre inten­tion. Vous aviez fait aus­si une décla­ra­tion au pério­dique ita­lien Trenta Giorni, dans laquelle vous disiez notam­ment : « Si c’est mon devoir, je sacre­rai des évêques ». Propos que vous avez confir­més lors des ordi­na­tions de 1987. C’était alors la pre­mière fois que vous en par­liez en public. Et cela a enclen­ché une espèce de pro­ces­sus. Vous avez reçu à la fin du mois de juillet une lettre du car­di­nal Ratzinger, qui vous avait per­mis de dire lors de la céré­mo­nie du qua­ran­tième anni­ver­saire de votre épis­co­pat : « II me semble effec­ti­ve­ment qu’il y a quelque chose de chan­gé à Rome, parce que ce que l’on me pro­pose indique tout de même qu’il y a une nou­velle façon de conce­voir les choses ». Puis, il y a eu ces dif­fé­rents échanges qui ont mené aux col­loques en mai 1988, ceux-​ci débou­chant sur le pro­to­cole, qui aurait peut-​être per­mis de déga­ger un accord ; pro­to­cole que vous avez signé sans enthou­siasme, puisque dès le len­de­main vous avez été ame­né à consi­dé­rer que les ater­moie­ments du car­di­nal Ratzinger quant au choix d’un évêque, condui­saient à pen­ser que fina­le­ment on cher­chait à vous ber­ner. Alors, vous avez pris la déci­sion de sacrer quatre évêques, déci­sion irré­ver­sible ren­due publique dans la confé­rence de presse que vous avez faite le 15 juin.

Peut-​être serait-​il bon de rap­pe­ler pour­quoi, dans quel but, effec­ti­ve­ment, vous avez pris cette déci­sion grave de consé­quences, dont vous n’i­gno­riez pas à l’é­poque qu’elle sus­ci­te­rait une réac­tion assez vio­lente de la part de Rome. Vous avez donc accep­té de cou­rir le risque d’être excom­mu­nié, d’être qua­li­fié de schis­ma­tique, parce que vous vou­liez assu­rer par ces sacres, la conti­nui­té dans la trans­mis­sion du sacer­doce et des sacrements. 

Monseigneur Lefebvre – Oui, évi­dem­ment, il y a eu une pré­pa­ra­tion. Cela ne s’est pas fait d’un jour à l’autre. Depuis déjà plu­sieurs années j’es­sayais de faire entendre à Rome qu’a­van­çant en âge, il me fal­lait assu­rer ma suc­ces­sion, que quel­qu’un un jour ou l’autre, prenne ma place. On ne peut pas avoir des sémi­naires et des sémi­na­ristes sans un évêque ; les fidèles eux-​mêmes ont besoin aus­si d’un évêque pour la trans­mis­sion de la foi et celle des sacre­ments, en par­ti­cu­lier celui de la confir­ma­tion. On était très conscient de cela à Rome. J’y ai fait allu­sion à plu­sieurs reprises et puis j’ai fini par le faire publi­que­ment. On ne peut pas dire à Rome que je les ai pris au dépour­vu, qu’ils ne savaient rien et que j’ai fait cela subrep­ti­ce­ment. Ce n’est pas vrai. Ils ont bien été aver­tis plu­sieurs années avant par lettres, par les cas­settes de mes ser­mons qu’ils ont eues et par la lettre que Mgr de Castro Mayer et moi-​même avions adres­sée au Saint Père.

Je pense que c’est cela qui a d’ailleurs déter­mi­né un cer­tain chan­ge­ment d’at­ti­tude vis-​à-​vis de nous. Ils crai­gnaient ces consé­cra­tions épis­co­pales, mais ils ne croyaient pas que j’ar­ri­ve­rais à les faire.

Alors le 29 juin 1987 quand j’en ai par­lé publi­que­ment, le car­di­nal Ratzinger s’est tout de même un peu ému. A Rome, on a eu peur que j’ar­rive vrai­ment à consa­crer des évêques et c’est alors qu’il a été déci­dé de faire une ouver­ture plus grande vis-​à-​vis de ce que nous deman­dions depuis tou­jours, c’est-​à-​dire de pou­voir célé­brer la Messe, les sacre­ments et les offices pon­ti­fi­caux selon le rite de Jean XXIII de 1962. A ce moment il sem­blait qu’ils ne for­mu­le­raient pas d’exi­gences à pro­pos de l’adhé­sion au Concile. Ils n’en par­laient pas et ils fai­saient même une allu­sion à une pos­si­bi­li­té d’a­voir un évêque, qui soit pour moi un successeur.

C’était quand même un chan­ge­ment assez pro­fond, assez radi­cal. Alors, là s’est posée la ques­tion de savoir ce qu’il y avait lieu de faire. Je suis allé moi-​même à Rickenbach voir M. le Supérieur géné­ral et ses assis­tants pour leur deman­der : qu’en pensez-​vous ? Est-​ce qu’on prend la main qui nous est ten­due ? Ou est-​ce qu’on la refuse ? « Moi, per­son­nel­le­ment, ai-​je dit, je n’ai aucune confiance. Cela fait des années et des années que je fré­quente ce milieu, des années que je vois la manière dont ils agissent. Je n’ai plus aucune confiance. Mais je ne vou­drais pas quand même, qu’en­suite, dans la Fraternité et dans les milieux de la Tradition, on dise : vous auriez bien pu essayer. Cela ne vous coû­tait pas de dis­cu­ter, de dia­lo­guer. Cela a été leur avis. Ils ont dit : II faut prendre en consi­dé­ra­tion l’offre qui est faite et ne pas la négli­ger. Cela vaut quand même la peine de par­ler avec eux ».

A ce moment j’ai accep­té de voir le car­di­nal Ratzinger et j’ai beau­coup insis­té auprès de lui pour que l’on nous visite. J’espérais que cette visite aurait pour résul­tat de mon­trer le bien­fait du main­tien de la Tradition, en même temps que d’en consta­ter les effets. Je pen­sais que cela aurait pu ren­for­cer nos posi­tions à Rome et que les demandes que je ferais d’ob­te­nir plu­sieurs évêques et une com­mis­sion à Rome pour défendre la Tradition, auraient plus de chances d’aboutir.

Mais rapi­de­ment, nous nous sommes aper­çus que nous avions affaire à des gens qui ne sont pas hon­nêtes. Déjà dès le retour du car­di­nal Gagnon et de Mgr Péri à Rome, le mépris était jeté sur nous. Le car­di­nal Gagnon fai­sait dans les jour­naux des décla­ra­tions invrai­sem­blables. Selon lui, 80 % des gens nous quit­te­raient si je fai­sais des ordi­na­tions épis­co­pales. Nous, nous dési­rions la recon­nais­sance, Rome vou­lait la récon­ci­lia­tion et que nous recon­nais­sions nos erreurs. Ceux qui nous avaient visi­tés disaient qu’a­près tout ils n’a­vaient vu que l’ex­té­rieur, que seul Dieu voit l’in­té­rieur et que par consé­quent la visite ne valait que ce qu’elle valait… Bref des choses qui ne cor­res­pon­daient pas à ce qu’ils avaient dit et fait pen­dant la visite. Cela parais­sait inima­gi­nable. Parce qu’ils retournent au Vatican et qu’ils retrouvent cette mau­vaise influence de Rome, ils en reprennent la men­ta­li­té et se retournent vers nous, ils nous méprisent de nouveau.

Je suis quand même allé à Rome pour ces col­loques, mais en n’ayant pas confiance. J’écrivais au début du mois de jan­vier à M. l’ab­bé Aulagnier : je suis per­sua­dé que le 30 juin je sacre­rai des évêques. Ce sera l’an­née de la consé­cra­tion des évêques, parce que je n’ai vrai­ment pas confiance.

Et de fait, j’ai vou­lu aller aus­si loin que pos­sible pour mon­trer la bonne volon­té qui était la nôtre. On nous a alors remis la ques­tion du Concile sous les yeux, dont nous ne vou­lions pas entendre par­ler. On a trou­vé une for­mule, accep­table à la rigueur.

Ensuite ils nous accor­daient la messe et les sacre­ments et les livres litur­giques. Mais au sujet de cette com­mis­sion romaine et du sacre des évêques ils n’ont pas vou­lu accep­ter nos demandes. Nous n’ob­te­nions que deux membres sur sept dans la com­mis­sion romaine, ni le pré­sident, ni le vice-​président et je n’ob­te­nais qu’un évêque, alors que j’en deman­dais trois. Cela était déjà, presque inac­cep­table. Et quand, avant même de signer, nous deman­dions quand aurions-​nous cet évêque, c’é­tait la fuite en avant. On ne savait pas. Mois de novembre, on ne sait pas. Noël, on ne sait pas. Impossible d’a­voir une date.

C’est là, qu’a­près avoir signé le pro­to­cole qui devait ouvrir la voie à un accord, j’ai réflé­chi. Cette accu­mu­la­tion de méfiance et de réti­cence, m’a pous­sé à exi­ger la nomi­na­tion d’un évêque pour le 30 juin, par­mi les trois dos­siers que j’a­vais dépo­sés le 5 mai. C’est cela, ou je fais des évêques. C’est cette mise en demeure qui a fait que le car­di­nal Ratzinger a dit : « Si c’est comme cela, le pro­to­cole est abo­li. C’est fini il n’y a plus de pro­to­cole. Vous rom­pez les rela­tions. » – C’est lui qui l’a dit, ce n’est pas moi.

Le 20 mai j’ai écrit au Saint Père en lui disant que j’a­vais signé le pro­to­cole, mais que je tenais abso­lu­ment à avoir des évêques et pour le 30 juin.

Mais en fait il n’y a pas eu moyen d’ar­ri­ver à un accord. Tandis que je met­tais le car­di­nal Ratzinger au pied du mur et qu’il nous disait qu’il allait nous don­ner un évêque le 15 août, il me deman­dait encore d’autres dos­siers, pour que le Saint-​Siège puisse choi­sir un évêque qui aurait « le pro­fil » dési­ré par le Vatican. Où est-​ce que cela pou­vait nous mener ?

Constatant l’im­pos­si­bi­li­té de nous entendre, le 2 juin j’ai écrit de nou­veau au Pape : inutile de conti­nuer les col­loques et les contacts. Nous n’a­vons pas le même but. Vous vou­lez nous ral­lier et nous récon­ci­lier et nous, nous vou­lons être recon­nus tels que nous sommes. Nous vou­lons conti­nuer la Tradition, comme nous le faisons.

Cela a été fini. Alors j’ai pris la déci­sion de faire cette confé­rence de presse le 15 juin, parce que je ne vou­lais pas agir d’une manière secrète. Il ne peut pas y avoir de Tradition qui tienne sans évêque tra­di­tion­nel. C’est abso­lu­ment indis­pen­sable. C’est pour­quoi la Fraternité Saint-​Pierre et le Barroux se font com­plè­te­ment illu­sion, car ils n’ont pas d’é­vêques traditionnels.

FIDELITER – Le bruit a cou­ru que la Fraternité Saint-​Pierre pour­rait être dotée d’un évêque.

Mgr Lefebvre – Quel évêque ? Un évêque qui aura le pro­fil que désire le Vatican ? Dans ce cas, ils auront un évêque qui tout dou­ce­ment les ramè­ne­ra au Concile, c’est évident. Ils n’ob­tien­dront jamais un évêque plei­ne­ment tra­di­tion­nel, oppo­sé aux erreurs du Concile et aux réformes post-​conciliaires. C’est pour­quoi ils n’ont pas signé le même pro­to­cole que nous, parce qu’ils n’ont pas d’é­vêque. Le pro­to­cole que j’ai signé avec le car­di­nal Ratzinger sti­pu­lait quand même que nous pour­rions avoir un évêque. Donc, d’une cer­taine manière, Rome approu­vait la nomi­na­tion d’un évêque. On nous dit : vous avez déso­béi au Saint Père. Désobéi par­tiel­le­ment, mais fon­da­men­ta­le­ment, nous n’a­vons pas déso­béi. Le car­di­nal Ratzinger a don­né l’au­to­ri­sa­tion par écrit pour nous d’a­voir un évêque membre de la Fraternité. J’en ai fait quatre, c’est vrai. Mais le prin­cipe lui-​même d’a­voir un ou plu­sieurs évêques a été accor­dé par le Saint Père.

Jusqu’à preuve du contraire, ceux qui nous ont quit­tés n’ont pas obte­nu d’é­vêque et aucune repré­sen­ta­tion dans la com­mis­sion romaine. Alors, ils sont pieds et poings liés, dans les mains des pro­gres­sistes. Dans de telles condi­tions ce n’est pas pos­sible d’ar­ri­ver à main­te­nir la Tradition. On leur accorde soi-​disant tout ce qu’ils dési­rent, mais ils se font abso­lu­ment illusion.

Je crois que c’é­tait un devoir pour moi et donc une néces­si­té pour les fidèles et pour les sémi­na­ristes d’a­voir ces évêques traditionnels.

Encore une fois, je ne crois pas pos­sible pour une com­mu­nau­té de res­ter fidèle à la foi et à la Tradition, si les évêques n’ont pas cette foi et cette fidé­li­té à la Tradition. C’est impos­sible. L’Eglise est quand même faite avant tout des évêques. On a beau avoir des prêtres, les prêtres sont influen­cés par les évêques. Ce sont tout de même les évêques qui font les prêtres et donc qui les orientent, que ce soit dans les sémi­naires, par des pré­di­ca­tions, des retraites ou par tout un ensemble de choses. Il est impos­sible de gar­der la Tradition avec des évêques progressistes.

Puisqu’il n’y avait pas d’autres moyens pour nous, je suis très content que nous soyons main­te­nant assu­rés d’a­voir des évêques qui main­tiennent la tra­di­tion catho­lique, qui main­tiennent la foi. Car c’est une ques­tion de foi, ce n’est pas une petite chose. Il ne s’a­git pas de quelques broutilles.

FIDELITER – Certains disent : oui, mais Monseigneur aurait dû accep­ter un accord avec Rome, parce qu’une fois que la Fraternité aurait été recon­nue et les sus­penses levées, il aurait pu agir d’une manière plus effi­cace à l’in­té­rieur de l’Eglise, alors que main­te­nant il s’est pla­cé à l’extérieur.

Monseigneur – Ce sont des choses qui sont faciles à dire. Se mettre à l’in­té­rieur de l’Eglise, qu’est-​ce que cela veut dire ? Et d’a­bord de quelle Eglise-​t-​on ? Si c’est de l’Eglise conci­liaire, il fau­drait que nous qui avons lut­té contre elle pen­dant vingt ans parce que nous vou­lons l’Eglise catho­lique, nous ren­trions dans cette Eglise conci­liaire pour soi-​disant la rendre catho­lique. C’est une illu­sion totale. Ce ne sont pas les sujets qui font les supé­rieurs, mais les supé­rieurs qui font les sujets.

Dans toute cette Curie romaine, par­mi tous les évêques du monde qui sont pro­gres­sistes, j’au­rais été com­plè­te­ment noyé. Je n’au­rais rien pu faire, ni pro­té­ger les fidèles et les sémi­na­ristes. On nous aurait dit : bon, on va vous don­ner tel évêque pour faire les ordi­na­tions, vos sémi­na­ristes devront accep­ter des pro­fes­seurs venus de tel ou tel dio­cèse. C’est impos­sible. A la Fraternité Saint-​Pierre ils ont des pro­fes­seurs qui viennent du dio­cèse d’Augsbourg. Quels sont ces pro­fes­seurs ? Qu’est-​ce qu’ils enseignent ?

FIDELITER – Est-​ce que vous ne crai­gnez pas qu’à la longue et quand le Bon Dieu vous aura rap­pe­lé à Lui, petit à petit le cli­vage s’ac­cen­tue et qu’on ait un peu l’im­pres­sion d’une Eglise paral­lèle à ce que cer­tains appellent l”« Eglise visible » ?

Monseigneur – Cette his­toire d’Eglise visible de Dom Gérard et de M. Madiran est enfan­tine. C’est incroyable que l’on puisse par­ler d’Eglise visible pour l’Eglise conci­liaire par oppo­si­tion à l’Eglise catho­lique que nous essayons de repré­sen­ter et de conti­nuer. Je ne dis pas que nous sommes l’Eglise catho­lique. Je ne l’ai jamais dit. Personne ne peut me repro­cher d’a­voir jamais vou­lu me prendre pour un pape. Mais, nous repré­sen­tons vrai­ment l’Eglise catho­lique telle qu’elle était autre­fois puisque nous conti­nuons ce qu’elle a tou­jours fait. C’est nous qui avons les notes de l’Eglise visible : “l’u­ni­té, la catho­li­ci­té, l’a­pos­to­li­ci­té, la sain­te­té. C’est cela qui fait l’Eglise visible.

M. Madiran ajoute : et l’in­failli­bi­li­té. Mais, l’in­failli­bi­li­té il faut bien se dire comme l’ex­pri­mait l’ab­bé Dulac dans une phrase sug­ges­tive au sujet du pape Paul VI : « Quand il y a eu dans l’his­toire de l’Eglise plu­sieurs papes, on pou­vait choi­sir par­mi les papes. Mais main­te­nant nous avons deux papes en un. » Nous n’a­vons pas le choix. Ce sont en effet des papes qui ont une double face. En ce qu’ils repré­sentent la tra­di­tion des papes, la tra­di­tion de l’in­failli­bi­li­té nous sommes d’ac­cord avec le Pape. Nous lui sommes atta­chés en tant que conti­nuant la suc­ces­sion de Pierre et à cause des pro­messes de l’in­failli­bi­li­té qui lui ont été faites. C’est nous qui sommes atta­chés à son infailli­bi­li­té. Mais lui, même, si sous cer­tains aspects, onto­lo­gi­que­ment, on peut dire qu’il la repré­sente, for­mel­le­ment il lui est oppo­sé parce qu’il ne veut plus de l’in­failli­bi­li­té. Il n’y croit pas et ne pose pas d’actes mar­qués de l’infaillibilité.

C’est pour­quoi ils ont vou­lu que Vatican II soit un Concile pas­to­ral et non un Concile dog­ma­tique, parce qu’ils ne croient pas à l’in­failli­bi­li­té. Ils ne veulent pas de véri­té défi­ni­tive. La Vérité doit vivre et doit évo­luer. Elle peut chan­ger éven­tuel­le­ment avec le temps, avec l’his­toire, la science, etc… L’infaillibilité, elle, fixe à jamais une for­mule et une véri­té qui ne changent plus. Cela ils ne peuvent pas y croire. C’est nous qui sommes avec l’in­failli­bi­li­té, ce n’est pas l’Eglise conci­liaire. Elle est contre l’in­failli­bi­li­té, c’est abso­lu­ment certain.

Le car­di­nal Ratzinger est contre l’in­failli­bi­li­té, le Pape est contre l’in­failli­bi­li­té de par sa for­ma­tion phi­lo­so­phique. Que l’on nous com­prenne bien, nous ne sommes pas contre le Pape en tant qu’il repré­sente toutes les valeurs du siège apos­to­lique, qui sont immuables, du siège de Pierre, mais contre le Pape qui est un moder­niste qui ne croit pas à son infailli­bi­li­té, qui fait de l’œ­cu­mé­nisme. Evidemment nous sommes contre l’Eglise conci­liaire qui est pra­ti­que­ment schis­ma­tique, même s’ils ne l’ac­ceptent pas. Dans la pra­tique c’est une Eglise vir­tuel­le­ment excom­mu­niée, parce que c’est une Eglise moder­niste. Ce sont eux qui nous excom­mu­nient, alors que nous vou­lons res­ter catho­liques. Nous vou­lons res­ter avec le Pape catho­lique et avec l’Eglise catho­lique. Voilà la différence.

Que M. Madiran qui connaît tout de même bien la situa­tion, aille dire que nous ne sommes pas l’Eglise visible, que nous quit­tons l’Eglise visible qui a l’in­failli­bi­li­té, ce sont des mots qui n’ex­priment pas la réalité.

FIDELITER – Peut-​on à la fois n’être ni pour, ni contre les sacres et même avoir le droit de ne rien en pen­ser du tout et prô­ner la for­ma­tion des prêtres telle que vous l’a­vez pra­ti­quée en fon­dant Ecône, sans abou­tir à la conclu­sion que s’il y a des sémi­na­ristes for­més au sacer­doce catho­lique, il faut des évêques catho­liques pour les ordonner ?

Monseigneur – Ils auront des évêques comme Mgr de Milleville qui est venu en civil pour faire les ordi­na­tions à Fontgombault. S’il avait fait un ser­mon, je me demande bien ce qu’il aurait dit à ces sémi­na­ristes et quel exemple il leur aurait donné.

Cela n’est plus l’Eglise catho­lique, c’est l’Eglise conci­liaire avec toutes ses mau­vaises consé­quences. Ils contri­buent à détruire l’Eglise.

C’est Jean XXIII, qui, comme le disait l’ab­bé Dulac, a com­men­cé à être deux papes en un. C’est lui qui a joué l’ou­ver­ture de l’Eglise au monde. Dès lors on est entré dans l’am­bi­guï­té, dans l’é­qui­voque et cette manière d’a­gir est le propre du libéral.

Je pense donc qu’il n’y a aucune hési­ta­tion, ni aucun scru­pule à avoir vis-​à-​vis de ces consé­cra­tions épis­co­pales. Nous ne sommes ni schis­ma­tiques, ni excom­mu­niés, nous ne sommes pas contre le Pape. Nous ne sommes pas contre l’Eglise catho­lique. Nous ne fai­sons pas d’Eglise paral­lèle. Tout cela est absurde. Nous sommes ce que nous avons tou­jours été, des catho­liques qui conti­nuent. C’est tout. Il n’y a pas à cher­cher midi à qua­torze heures. Nous ne fai­sons pas une « petite Eglise », comme l’é­crit Paupert dans son livre1. Quand on arrive à la conclu­sion de son ouvrage, ce qu’il écrit est à vous faire trem­bler : « Je ne sais plus ce que je suis » !

Ce Paupert qui a été sémi­na­riste, sinon prêtre, a per­du la foi, puis l’a retrou­vée plus ou moins et il est plu­tôt tra­di­tion­nel d’es­prit, mais il a peur de quit­ter l’Eglise conci­liaire. Alors, il ne sait plus s’il est catho­lique ou non, s’il est pra­ti­quant ou non. « Quand je suis dans une église actuel­le­ment, j’ai l’im­pres­sion de ne pas être chez moi. C’est pour­quoi je ne com­mu­nie pas. »

C’est un homme intel­li­gent, mais qui se trouve dans une espèce d’im­passe à laquelle il ne trouve pas d’is­sue. C’est effrayant. Et cela c’est le pro­blème de tous les catho­liques qui ne veulent abso­lu­ment pas faire le pas vers la Tradition. Ils veulent res­ter avec ceux qui occupent les sièges, avec les évêques, mais ils n’ont plus rien à voir avec la foi catho­lique qu’ils ont pra­ti­quée quand ils étaient plus jeunes et à laquelle ils n’ont pas la volon­té de reve­nir. Cela fait vrai­ment fré­mir quand on pense que des mil­lions de catho­liques se trouvent dans cette situa­tion. C’est ain­si que beau­coup d’entre eux ne vont plus à l’é­glise le dimanche, que d’autres entrent dans les sectes, ou ne pra­tiquent plus du tout et perdent la foi.

FIDELITER – Dans son livre « Ecône, com­ment dénouer la tra­gé­die », le Père de Margerie vous conseille de vous récon­ci­lier avec Rome pra­ti­que­ment en accep­tant ce que vous avez tou­jours reje­té. Qu’en pensez-vous ?

Monseigneur – Je ne connais pas per­son­nel­le­ment le Père de Margerie. Il est plein de contra­dic­tions. On voit bien qu’il est fort embar­ras­sé pour défendre la liber­té reli­gieuse et pour affir­mer qu’elle est conforme à la Tradition, qu’il n’y a pas de rup­ture. C’est une posi­tion insou­te­nable. Parce que les tenants de l’Eglise conci­liaire, les per­son­na­li­tés les plus mar­quantes, comme par exemple le Recteur de l’Université du Latran, ou Mgr Pavan qui est un homme impor­tant à Rome (c’est lui qui a pra­ti­que­ment rédi­gé toutes les ency­cliques sociales des papes), ont dit ouver­te­ment l’an der­nier au mois de mai au Congrès de Venise à pro­pos de la liber­té reli­gieuse : Oui, il y a eu quelque chose de chan­gé. Les autres, comme le car­di­nal Ratzinger et les théo­lo­giens qui ont écrit de nom­breux ouvrages sur la ques­tion s’ef­forcent de prou­ver que c’est la conti­nua­tion de la Tradition.

Avant, la liber­té était essen­tiel­le­ment en rap­port avec la Vérité. Maintenant la liber­té est en rap­port avec la conscience humaine. C’est donc lais­ser à la liber­té de la conscience le choix de la Vérité. C’est la mort de l’Eglise. C’est l’in­tro­duc­tion du poi­son de la Révolution, des Droits de l’homme agréés par l’Eglise. Le Recteur de l’Université du Latran et Mgr Pavan eux au moins le recon­naissent. Les autres diront ce qu’ils vou­dront pour essayer de nous fer­mer la bouche. Mais c’est écrit noir sur blanc : « L’Etat, la Société civile, est radi­ca­le­ment inca­pable de connaître quelle est la véri­table religion ».

Toute l’his­toire de l’Eglise depuis Notre Seigneur s’ins­crit en faux contre une affir­ma­tion semblable.

Et Jeanne d’Arc, et les saints, et tous les princes et les rois qui ont été saints, qui ont défen­du l’Eglise, étaient-​ils inca­pables de dis­cer­ner la véri­table reli­gion ? On se demande com­ment on peut écrire de pareilles énormités.

Les réponses à nos objec­tions qui nous ont été envoyées de Rome par des inter­mé­diaires, ten­daient toutes à démon­trer qu’il n’y avait pas de chan­ge­ment mais conti­nua­tion de la Tradition. Ce sont des affir­ma­tions qui sont pires que celles de la Déclaration conci­liaire sur la liber­té reli­gieuse. C’est le vrai men­songe officiel.

Tant qu’à Rome on res­te­ra atta­ché aux idées conci­liaires : liber­té reli­gieuse œcu­mé­nisme, col­lé­gia­li­té… on fera fausse route. C’est grave parce que cela va jusque dans des réa­li­sa­tions pra­tiques. C’est cela qui jus­ti­fie la visite du Pape à Cuba. Le Pape visite ou reçoit les chefs com­mu­nistes tor­tion­naires ou assas­sins qui ont du sang de chré­tiens sur les mains, comme s’ils étaient aus­si dignes que des hon­nêtes gens.

FIDELITER – II v a eu un hia­tus avec le car­di­nal Lustiger qui n’a pas pu aller à Kiev.

Monseigneur – En allant en U.R.S.S., il a cru que Moscou était deve­nue catho­lique. C’est un manque de juge­ment. Le Pape, dit-​on, aurait plus ou moins accor­dé à Moscou la dési­gna­tion du Patriarche ukrai­nien en rem­pla­ce­ment de l’ac­tuel, qui a lui-​même suc­cé­dé au car­di­nal Slipyi, mais un patriarche qui serait évi­dem­ment un agent sovié­tique comme Pimène.

Toutes ces visites font le jeu des Soviétiques qui fini­ront par avoir ce qu’ils dési­rent c’est-​à-​dire mettre les Ukrainiens dans leur poche par l’intermédiaire d’une hié­rar­chie dans la main du gou­ver­ne­ment. Exactement comme ils l’ont fait après le car­di­nal Mindszenty en Hongrie en nom­mant Lekaï : le scan­dale Lekaï ! Autrefois tous ces car­di­naux et ces évoques étaient jetés en pri­son parce qu’ils défen­daient, la reli­gion catho­lique et main­te­nant ce sont eux qui font mettre en pri­son les prêtres qui sont vrai­ment catho­liques. Nous sommes exac­te­ment dans la même situa­tion : les évoques nous pour­suivent parce que nous sommes catho­liques. Ce n’est pas le gou­ver­ne­ment athée, les socia­listes les francs-​maçons qui nous pour­suivent, ce sont les évoques soi-​disant catho­liques, les évoques conciliaires.

C’est la même chose dans les pays com­mu­nistes, ils ont des évêques conci­liaires, des évêques qui font par­tie des « prêtres de la paix », qui sont d’ac­cord avec le gou­ver­ne­ment com­mu­niste. Ce ne sont plus les gou­ver­ne­ments qui sont les per­sé­cu­teurs, mais les évêques.

J’ai reçu une lettre d’un prêtre hon­grois qui m’é­crit : quand il y a des litiges le gou­ver­ne­ment serait presque le bon papa qui essaie de mettre l’é­vêque d’ac­cord avec les prêtres et qui se donne le beau rôle. C’est invrai­sem­blable. Le Pape est la cause d’un tort consi­dé­rable avec cette manière d’ac­cor­der le même res­pect à l’er­reur et au vice qu’à la véri­té et à la ver­tu. C’est catas­tro­phique pour les petites gens, c’est la ruine totale de toute morale chré­tienne, du fon­de­ment même de la mora­li­té et même de la vie sociale.

FIDELITER – Jean-​Paul II défend l’u­ni­té de la famille, il est contre le mariage des prêtres, contre l’a­vor­te­ment. Au plan de la morale beau­coup estiment que c’est un bon pape.

Monseigneur – Oui vis-​à-​vis de cer­tains prin­cipes de morale natu­relle. On dit cela, et puis pra­ti­que­ment on laisse faire sans les pour­suivre les prêtres qui sont favo­rables à la contra­cep­tion. Il n’y a pas de prises de posi­tions éner­giques. Ce sont des dis­po­si­tions géné­rales qui font tel­le­ment par­tie de la morale natu­relle que l’on ne va pas s’y oppo­ser. Bush, le pré­sident des Etats-​Unis est contre l’a­vor­te­ment, il ne serait pas ima­gi­nable que le Pape y soit favorable.

FIDELITER – Jean-​Paul II a pro­cé­dé à des nomi­na­tions d’é­vo­qués, en Autriche ou ailleurs, qui sont consi­dé­rés comme plu­tôt tra­di­tion­nels, à tel point qu’un groupe de théo­lo­giens alle­mands, relayés par des théo­lo­giens fran­çais, cri­tiquent le Pape et lui en font reproche.

Récemment aus­si, le car­di­nal Ratzinger a publié cette ins­truc­tion sur le ser­ment de fidé­li­té avec la pro­fes­sion de foi qui le pré­cède, est-​ce que vous ne voyez pas là des signes d’une sorte d’a­men­de­ment et de retour vers cer­taines for­mules plus traditionnelles ?

Monseigneur – Je ne pense pas que ce soit un véri­table retour. C’est comme dans un com­bat, quand on a l’im­pres­sion que les troupes vont un peu trop loin, on les retient, on freine un tout petit peu l’é­lan de Vatican II, parce que les tenants du Concile vont trop loin. D’ailleurs ces théo­lo­giens ont bien tort de s’é­mou­voir. Ces évêques sont tout acquis au Concile et aux réformes post-​conciliaires, à l’œ­cu­mé­nisme et au charismatisme.

Apparemment ils font quelque chose d’un peu plus modé­ré, un peu de sen­ti­ment reli­gieux tra­di­tion­nel, mais ce n’est pas pro­fond. Les grands prin­cipes fon­da­men­taux du Concile, les erreurs du Concile, ils les accueillent, ils les mettent en pra­tique. Cela ne fait pas de pro­blème. Au contraire, je dirais même que ce sont ceux-​là qui sont les plus durs avec nous. Ce sont eux qui exi­ge­raient le plus que nous nous sou­met­tions aux prin­cipes du Concile.

Non, c’est une tac­tique un peu néces­saire comme dans tout com­bat. Il faut évi­ter les excès.

D’ailleurs le Pape vient de nom­mer Mgr Kasper en Allemagne. Il était secré­taire du Synode en 1985, pré­si­dé par le car­di­nal Danneels de Bruxelles. Kasper était le chef, l’homme à pen­ser du Synode. Il est très intel­li­gent et c’est l’un des plus dan­ge­reux. Le Pape vient de le nom­mer évêque. Il est un peu comme l’é­vêque de Trêves qui est pré­sident de l’Assemblée épis­co­pale alle­mande et qui est très dan­ge­reux aus­si. Ce sont tout à fait des gens de gauche qui, au fond, rejoignent les Rahner, les Hans Küng, mais qui se gardent bien de le dire. Ils prennent des formes pour évi­ter qu’on les asso­cie à eux, mais ils ont le même esprit. Alors non, je pense qu’il n’y a guère d’es­poir pour le moment.

FIDELITER – Que pen­ser fina­le­ment de l’at­ti­tude de Rome qui peut être carac­té­ri­sée par les car­di­naux Ratzinger et Mayer qui, jus­qu’à main­te­nant, font tout de même preuve d’une cer­taine tolé­rance vis-​à-​vis du Barroux, de la Fraternité Saint-​Vincent-​Ferrier, de la Fraternité Saint-​Pierre. Pensez-​vous qu’ils soient sin­cères ? Est-​ce un double jeu que l’on pour­sui­vra le temps d’é­pui­ser tous les moyens de faire se ral­lier d’autres groupes tra­di­tio­na­listes, et qu’a­lors le jeu étant abat­tu, il soit deman­dé aux « récon­ci­liés » avec Rome : soumettez-​vous au Concile. Ou bien est-​ce un virage à ins­crire à leur actif ?

Monseigneur – II y assez de signes qui nous montrent que tout cela n’est qu’ex­cep­tion et pro­vi­soire. Ce ne sont pas des règle­ments géné­raux inter­ve­nant pour tous les prêtres et pour le monde entier. Ce sont des pri­vi­lèges excep­tion­nels accor­dés à des cas pré­cis. Ainsi ce qui est accor­dé à l’ab­baye de Fontgombault ou aux Sœurs de Jouques et à d’autres monas­tères – ils ne le disent pas – mais c’est selon l’in­duit. Or l’in­duit est une excep­tion. Il peut tou­jours être reti­ré. L’induit confirme la règle géné­rale. Et celle-​ci c’est la nou­velle messe, la litur­gie nou­velle. C’est donc une excep­tion qui est faite pour ces communautés.

Nous avons un exemple à Londres, où le car­di­nal arche­vêque a inau­gu­ré trois messes autour de notre propre centre dans la capi­tale bri­tan­nique pour essayer de nous enle­ver des fidèles. « Je fais un essai pour six mois » a‑t-​il dit. Si nos fidèles com­mencent à se déta­cher de notre centre, il conti­nue­ra. Si au contraire les fidèles res­tent chez nous, il les sup­pri­me­ra. Si on leur sup­prime ces messes, les fidèles qui auront repris goût à la litur­gie tra­di­tion­nelle vien­dront sans doute chez nous.

Il paraît que le car­di­nal Lustiger envi­sa­ge­rait de don­ner une église à des prêtres qui nous ont quit­tés, mais il exi­ge­rait que des messes nou­velles soient aus­si célé­brées. Lorsque nous dis­cu­tions à Rome avec le car­di­nal Ratzinger, il m’a­vait dit que dans la pers­pec­tive d’un accord, si l’au­to­ri­sa­tion était don­née d’u­ti­li­ser l’an­cienne litur­gie à Saint-​Nicolas, il fau­drait aus­si qu’il y ait des messes nouvelles.

C’était par­fai­te­ment clair et cela illustre bien leur état d’es­prit. Il n’est pas ques­tion pour eux d’a­ban­don­ner la nou­velle messe. Au contraire et cela est évident. C’est pour­quoi ce qui peut appa­raître comme une conces­sion n’est en réa­li­té qu’une manœuvre pour par­ve­nir à déta­cher de nous le plus pos­sible de fidèles. C’est dans cette pers­pec­tive qu’ils semblent don­ner tou­jours un peu plus et aller très loin. Il nous faut abso­lu­ment convaincre les fidèles qu’il s’a­git bien d’une manœuvre, que c’est un dan­ger de se mettre entre les mains des évêques conci­liaires et de la Rome moder­niste. C’est le plus grand dan­ger qui les menace. Si nous avons lut­té pen­dant vingt ans pour évi­ter les erreurs conci­liaires, ce n’est pas pour nous mettre main­te­nant dans les mains de ceux qui les professent.

FIDELITER – Après un an d’exer­cice est-​ce que pour ces évêques que vous avez choi­sis, tout s’est dérou­lé comme vous le dési­riez et selon les direc­tives que vous leur aviez don­nées dans cette lettre écrite presque un an par avance ?

Monseigneur – Jusqu’à pré­sent il me semble que les évé­ne­ments se déroulent bien. On s’ef­force de faire en sorte que l’on ne puisse pas nous repro­cher de leur affec­ter une juri­dic­tion ter­ri­to­riale, qu’il n’y ait pas un évêque attri­bué à tel ter­ri­toire. Bien sûr il paraît plus nor­mal que ce soit un évêque fran­çais qui aille chez les Français et un évêque ger­ma­no­phone qui aille chez les Allemands. Mais nous nous effor­çons de faire de temps en temps un échange pour ne pas don­ner prise à la cri­tique. Certes il est nor­mal qu’aux Etats-​Unis ce soit Mgr Williamson qui donne les confir­ma­tions. Mais, Mgr Fellay est allé confir­mer à Saint Mary’s. On ne peut donc pas dire que les Etats-​Unis sont le fief de Mgr Williamson. Mgr Fellay s’est aus­si ren­du en Afrique du Sud qui avait été visi­tée pré­cé­dem­ment par Mgr Williamson. Quant à Mgr Tissier de Mallerais, il s’est ren­du en Amérique du Sud et à Zaitzkofen en Allemagne. Nous nous effor­çons donc de bien main­te­nir ce prin­cipe qu’il n’y a pas d’af­fec­ta­tion ter­ri­to­riale. Ils sont là pour don­ner les ordi­na­tions et la confir­ma­tion, pour me rem­pla­cer et pour faire ce que j’ai fait pen­dant des années.

Pour le reste ce sont évi­dem­ment les supé­rieurs de dis­tricts qui, eux, sont affec­tés à un ter­ri­toire déter­mi­né, et qui dans la mesure où ils le peuvent, vont au secours des âmes qui les appellent. Parce que ces âmes ont le droit d’a­voir les sacre­ments et la véri­té, le droit d’être sau­vées. Alors nous allons à leur secours, et c’est l’ap­pel de ces âmes qui nous confère le droit pré­vu par la loi cano­nique de nous por­ter vers elles.

Je crois que l’on peut donc remer­cier le Bon Dieu que tout se soit bien pas­sé. Les échos que nous recueillons auprès des fidèles nous prouvent qu’ils sont satis­faits et que nos évêques sont bien accueillis.

Sans doute a‑t-​on souf­fert du départ de quelques prêtres et sémi­na­ristes. Mais c’est un peu comme le pèle­ri­nage de Chartres, on peut remer­cier le Bon Dieu d’a­voir per­mis que ceux qui ne sont pas com­plè­te­ment d’ac­cord avec nous, qui ne com­prennent pas notre com­bat, s’en aillent. Nous sommes ain­si plus forts et plus sûrs dans notre action. Sans quoi, nous serions tout le temps avec des gens qui nous cri­tiquent, qui ne sont pas d’ac­cord avec nous à l’in­té­rieur de nos propres œuvres, et cela entraî­ne­rait la divi­sion et le désordre.

Ainsi que le sou­li­gnait M. l’ab­bé Schmidberger dans le der­nier numé­ro de FIDELITER, nous avons eu de bonnes ren­trées dans nos sémi­naires, ain­si que chez les Sœurs de la Fraternité et chez les autres reli­gieuses. On ne sent donc pas un contre­coup dur, comme cer­tains l’au­gu­raient, qui nous fai­sait craindre une dimi­nu­tion considérable.

FIDELITER – Vous avez ren­con­tré récem­ment le car­di­nal Thiandoum à sa demande, cherchait-​il à ouvrir une voie de conciliation ?

Monseigneur – C’est vrai, il avait insis­té pour que j’aille le voir à Neuilly chez les Sœurs de Saint-​Thomas de Villeneuve, alors je m’y suis ren­du. Il est tou­jours très aimable, très affec­tueux, mais pour le moment il n’y a rien, ni de la part de Rome, ni de la part du car­di­nal Thiandoum, ni d’au­cun autre car­di­nal. Il n’y a aucune espèce d’ouverture.

Comme tou­jours je pense que les faits sont plus convain­cants que les paroles. Il y en a qui me disent : vous pour­riez bien faire une grande lettre au Pape. Mais cela fait vingt ans que nous fai­sons des lettres qui ne servent à rien ! Encore une fois, ce sont les faits qui parlent. Quand on ouvre un sémi­naire, que l’on crée des prieu­rés, que l’on ouvre des écoles, que les Sœurs essaiment et que les cou­vents se mul­ti­plient, cela consti­tue le seul moyen d’o­bli­ger Rome au dia­logue. Il ne s’a­git pas de ma pré­sence, mais bien des œuvres. Ils se rendent bien compte que ce n’est pas rien. Les évêques s’é­nervent un peu que l’on s’ins­talle ici ou là. Alors ils se plaignent à Rome et Rome sait.

Je ne crois donc pas qu’il soit oppor­tun de ten­ter quelque chose en direc­tion de Rome. Je pense qu’il faut attendre. Attendre mal­heu­reu­se­ment que la situa­tion s’ag­grave encore de leur côté. Mais jus­qu’à pré­sent ils ne veulent pas en convenir.

FIDELITER – Si Rome avait accep­té de vous don­ner seule­ment un évêque, le pro­to­cole d’ac­cord aurait pu débou­cher sur un accord et on peut s’é­ton­ner que cette conces­sion qui n’en­ga­geait pas à grand chose (un évêque sur près de trois mille dans le monde) vous ait été refusée.

Monseigneur – C’est extra­or­di­naire oui, et cela ne s’ex­plique que par la crainte de la Tradition. C’est incroyable mais ils ont peur d’un évêque tra­di­tion­nel qui tra­vaille contre les erreurs conci­liaires et cela ils ne peuvent pas le supporter.

FIDELITER – Que pensez-​vous de l’ins­truc­tion du car­di­nal Ratzinger ins­ti­tuant le ser­ment de fidé­li­té et qui com­porte une pro­fes­sion de foi ?

Monseigneur – II y a d’a­bord le Credo, qui ne pose pas de pro­blème. Il est res­té intact. Le pre­mier et le deuxième ali­néa ne sou­lèvent pas non plus de dif­fi­cul­tés. Ce sont des choses cou­rantes au point de vue théo­lo­gique. Mais le troi­sième est très mauvais.
C’est pra­ti­que­ment s’a­li­gner sur ce que les évêques du monde entier pensent aujourd’­hui. Dans le pré­am­bule il est d’ailleurs clai­re­ment indi­qué que cet ali­néa a été ajou­té en rai­son de l’es­prit du Concile. Il se réfère au Concile et au soi-​disant magis­tère d’au­jourd’­hui qui est celui des conci­liaires. Il aurait fal­lu ajou­ter : en tant que ce magis­tère est en pleine confor­mi­té avec la Tradition.

Telle qu’elle est cette for­mule est dan­ge­reuse. Cela démontre bien l’es­prit de ces gens avec les­quels il est impos­sible de s’en­tendre. C’est abso­lu­ment ridi­cule et faux – comme cer­tains l’ont fait – de pré­sen­ter ce ser­ment de fidé­li­té comme une résur­gence du ser­ment anti­mo­der­niste sup­pri­mé depuis le Concile. Tout le venin est dans le troi­sième ali­néa qui semble fait exprès pour obli­ger ceux qui sont ral­liés à signer cette pro­fes­sion de foi et d’af­fir­mer leur plein accord avec les évêques.

C’est comme si au temps de l’a­ria­nisme on avait dit, main­te­nant vous êtes en accord avec tout ce que pensent les évêques ariens.

Non je n’exa­gère pas, c’est clai­re­ment expri­mé dans l’in­tro­duc­tion. C’est de la four­be­rie. On peut se deman­der si l’on n’a pas vou­lu à Rome, cor­ri­ger ain­si le texte du pro­to­cole. Bien qu’il ne nous satis­fasse pas, il paraît encore trop en notre faveur en l’ar­ticle 3 de la décla­ra­tion doc­tri­nale, car il n’ex­prime pas assez la néces­si­té de nous sou­mettre au Concile.

Alors je pense qu’il se rat­trapent main­te­nant. Ils vont sans doute faire signer ces textes aux sémi­na­ristes de la Fraternité Saint-​Pierre avant leur ordi­na­tion et aux prêtres de cette Fraternité, qui vont alors se trou­ver dans l’o­bli­ga­tion de faire un acte offi­ciel de ral­lie­ment à l’Eglise conciliaire.

A la dif­fé­rence du pro­to­cole, par ces nou­veaux textes on se sou­met au Concile et à tous les évêques conci­liaires. C’est leur esprit et on ne les chan­ge­ra pas.

FIDELITER – Finalement vous n’a­vez aucun doute et vous ne regret­tez rien.

Monseigneur – Ah non pas du tout. Je crois que tout cela a été mené vrai­ment pro­vi­den­tiel­le­ment et presque miraculeusement.

Beaucoup me pres­saient : vous pre­nez de l’âge, si vous veniez à dis­pa­raître qu’est-​ce que nous devien­drions… J’aurais pu ordon­ner des évêques il y a trois ou quatre ans au moins. Cela aurait même été rai­son­nable. Mais, je crois que le Bon Dieu vou­lait que les choses mûrissent tout dou­ce­ment, pour bien mon­trer à Rome que nous avons fait tout ce que nous avons pu pour arri­ver à obte­nir cette auto­ri­sa­tion d’a­voir des évêques vrai­ment traditionnels.

Tout en signant le pro­to­cole, Rome a refu­sé de nous don­ner ces évêques. Et si nous avions pour­sui­vi, dans la pra­tique nous aurions eu toutes les peines du monde. Je pense bien qu’il fal­lait arri­ver à la déci­sion que j’ai prise, et nous en étions à la toute der­nière limite.

Notre bon Mgr de Castro Mayer est si fati­gué main­te­nant qu’il ne peut plus dire sa messe, et cela moins d’un an après les sacres.

Je crois vrai­ment que cela a été mira­cu­leux, sa venue, son voyage, son admi­rable pro­fes­sion de foi, l’ac­cep­ta­tion de faire avec moi la céré­mo­nie de consé­cra­tion de nos évêques. Tout cela a été mira­cu­leux. La presse n’a pas mesu­ré l’im­por­tance de sa pré­sence. Mais pour moi et pour les évêques qui ont été consa­crés, cela a été vrai­ment une grâce toute par­ti­cu­lière. Le fait qu’il y ait eu deux évêques qui les ont consa­crés est très important.

Quant à moi, je me sens bien, je n’ai pas d’in­fir­mi­té grave, mais quand même je res­sens la fatigue et je vais être obli­gé de renon­cer com­plè­te­ment aux céré­mo­nies que j’ac­cepte encore de faire parce que je n’en ai plus la force. Je serais main­te­nant inca­pable de faire tous ces voyages à tra­vers le monde comme je le fai­sais. Ils insistent pour que je retourne en Argentine, que j’aille aux Etats-​Unis voir le nou­veau sémi­naire de Winona. Mais il y a des limites et je ne peux plus. Je conserve seule­ment les choses qui ne sont pas fati­gantes : une béné­dic­tion de cha­pelle, une prise de voile chez les car­mé­lites, une pre­mière messe à laquelle j’as­sis­te­rai, enfin peu de choses par rap­port à mes acti­vi­tés anté­rieures. Je sens très bien que pour moi aus­si le 30 juin der­nier était la date limite. Je crois que le Bon Dieu vou­lait que ces choses se déroulent comme elles se sont pas­sées. Tous ceux qui ont assis­té à cette céré­mo­nie en gardent un sou­ve­nir extra­or­di­naire. Tout cela a été providentiel.

Ce que l’on peut espé­rer, c’est que les fidèles soient de plus en plus nom­breux, qu’ils ouvrent les yeux et finissent par voir où se trouve la véri­té et constatent que le salut est dans la Tradition et non dans l’Eglise conci­liaire qui est de plus en plus schismatique.

FIDELITER – Bien sûr vous savez que votre nom a dis­pa­ru de la der­nière édi­tion de l’Annuaire Pontifical.

Monseigneur – Je pense qu’il n’a pas dis­pa­ru de l’an­nuaire du Bon Dieu, du moins je l’es­père… et c’est le principal.

Propos recueillis par André CAGNON

Source : Fideliter n° 70 de juillet-​août 1989 /​La Porte Latine

  1. Les chré­tiens de la déchi­rure, Jean-​Marie Paupert. []