Entretien avec Mgr Bernard Fellay – Notre espérance après la bataille – Pacte n° 56 de juillet 2001

Entretien de Mgr Benard Fellay, Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X, avec M. l’ab­bé de Tanoüarn publié dans la revue Pacte n° 56 de juillet 2001. Mgr Fellay tire un pre­mier bilan des négo­cia­tions en cours depuis six mois avec le Saint Siège. C’est incon­tes­ta­ble­ment une leçon d’es­pé­rance qui s’en dégage. Après avoir décrit l’im­passe actuelle du dia­logue, le pré­lat s’en­gage clai­re­ment vers l’a­ve­nir en affir­mant que le rôle de la Fraternité Saint-​Pie X, c’est d’ac­cé­lé­rer « le mou­ve­ment induc­tif qui, à par­tir de pro­blèmes ponc­tuels, ramène des fidèles et des prêtres à la Tradition » Il y aborde le pro­blèle de la « pré­la­ture per­son­nelle » en disant pré­fé­rer une « admi­nis­tra­tion apos­to­lique » moins contraignante.

Monseigneur, quel est l’é­tat actuel des négo­cia­tions avec Rome ?

Nous sommes en ce moment au point mort, dans une sorte d’im­passe. Je pense que cette espèce de blo­cage résulte des bases sur les­quelles le dia­logue s’é­tait enga­gé. En tout cas il faut bien recon­naître que d’une cer­taine manière, l’é­chec actuel nous per­met de retrou­ver nos marques, nous enten­dons à nou­veau à Rome en ce moment le lan­gage auquel la Rome conci­liaire nous avait habi­tué, nous y retrou­vons les manières de pen­ser habi­tuelles, les limi­ta­tions habi­tuelles dans le dia­logue que l’on entre­prend avec nous. La situa­tion dans laquelle nous sommes, nous la connais­sons bien, nous recon­nais­sons le sem­pi­ter­nel dilemme que l’on nous impose : ou bien vous reve­nez dans le giron de l’Eglise et l’on vous met dans une cage, on vous musèle ; ou bien alors vous res­tez dehors. Ce dilemme dans lequel on veut à nou­veau nous enfer­mer, nous le refu­sons. C’est très clair : nous ne sommes pas dehors, et nous ne nous lais­se­rons pas mettre en cage non plus ! Constater qu’a­près six mois de négo­cia­tions, c’est à nou­veau la posi­tion romaine dure qui nous est oppo­sée, je dis que cela nous per­met de retrou­ver nos marques.

Vous êtes en train de nous dire, Monseigneur, que ces négo­cia­tions, c’é­tait beau­coup de bruit pour rien…

Non pas pour rien, au contraire. Indiscutablement quelque chose s’est pas­sé, qui modi­fie dura­ble­ment le cli­mat de nos échanges pour l’a­ve­nir. Nous sommes dans une période de repli, c’est vrai, parce que Rome ne veut pas dis­cu­ter avec nous sur le fond, mais en même temps il y a eu quelque chose de nou­veau. Tout d’a­bord, à l’au­tomne der­nier, Rome nous a abor­dés d’une manière tota­le­ment inha­bi­tuelle et nous a fait des pro­po­si­tions qu’il nous est encore dif­fi­cile aujourd’­hui d’es­ti­mer com­plè­te­ment et à leur juste valeur. De fait, juri­di­que­ment, de telles faci­li­tés ne s’é­taient jamais vues. Jamais nous n’au­rions ima­gi­né que Rome puisse nous faire une telle pro­po­si­tion. Vous avez sans doute enten­du par­ler de cette idée d’une admi­nis­tra­tion apos­to­lique. La Fraternité Saint-​Pie X aurait été inté­grée dans une admi­nis­tra­tion apos­to­lique. Qu’est-​ce que cela signi­fie ? L’administration apos­to­lique, ordi­nai­re­ment, c’est une struc­ture dio­cé­saine ou quasi-​diocésaine, en situa­tion de crise, sur un ter­ri­toire don­né. Eh bien ! pour nous ce ter­ri­toire, c’é­tait le monde entier. Autrement dit on nous a offert une struc­ture qui couvre le monde entier, une espèce de dio­cèse personnel…

Excusez-​moi de vous inter­rompre, Monseigneur, vous vou­lez par­ler d’une pré­la­ture personnelle…

Non pas du tout jus­te­ment. L’administration apos­to­lique, c’est mieux qu’une pré­la­ture per­son­nelle. Tout d’a­bord la pré­la­ture per­son­nelle n’est pas néces­sai­re­ment gou­ver­née par un évêque. L’administration apos­to­lique, qui est un quasi-​diocèse, l’est habi­tuel­le­ment. Ensuite et sur­tout, l’ac­tion d’une admi­nis­tra­tion apos­to­lique n’est pas limi­tée à ses membres. L’Opus Dei, qui est la pré­la­ture per­son­nelle exis­tant aujourd’­hui n’est pas sou­mise à l’é­vêque local pour tout ce qui concerne ses membres, mais elle ne peut envi­sa­ger aucune action externe sans l’ac­cord de l’é­vêque. Avec l’ad­mi­nis­tra­tion apos­to­lique, nous échap­pions à cette res­tric­tion. Nous aurions pu mener une action apos­to­lique auto­nome sans avoir d’au­to­ri­sa­tion à deman­der à l’é­vêque dio­cé­sain, puisque nous avions un véri­table dio­cèse, dont la par­ti­cu­la­ri­té est qu’il s’é­tend au monde entier. C’est très impor­tant qu’une telle pro­po­si­tion ait été faite, parce qu’a­près tout, cette solu­tion juri­dique est inédite, elle est « sui gene­ris ». Désormais elle a été for­mu­lée, elle peut repré­sen­ter pour nous, d’un point de vue juri­dique, une réfé­rence, un point de com­pa­rai­son. D’autant plus que c’est bien à la Fraternité Saint-​Pie X que cette pos­si­bi­li­té a été pro­po­sée, ce qui montre com­bien Rome prend au sérieux notre résis­tance. Ce n’est pas par glo­riole que je dis cela, croyez-​moi : sym­bo­li­que­ment (ce n’est pas d’a­bord une ques­tion de nombre) nous repré­sen­tons quelque chose d’im­por­tant pour Rome, et cela aus­si est nouveau.

Mgr, si cette pro­po­si­tion est si extra­or­di­naire – et effec­ti­ve­ment elle en a bien l’air – on a envie de vous deman­der : mais pour­quoi n’avez-​vous pas accep­té immé­dia­te­ment cet accord pra­tique, qui vous était offert sur un plateau ?

Vous avez rai­son, c’est une pro­po­si­tion extra­or­di­naire, et si Rome vou­lait une vraie réforme, c’est le che­min que nous venons de décrire qu’il fau­drait prendre. Mais il faut une volon­té véri­table de réforme. Pour lors, il est bien dif­fi­cile de savoir exac­te­ment où la signa­ture de tels accords pra­tiques nous aurait menés. Une chose est sûre : les élé­ments exté­rieurs connus n’é­taient pas favo­rables à un accord rapi­de­ment conclu, sans pré­cau­tion. Ces élé­ments connus, c’est d’a­bord la manière dont Rome a pro­cé­dé avec la Fraternité Saint-​Pierre, en impo­sant le prin­cipe de la célé­bra­tion de la nou­velle messe, contre les consti­tu­tions, contre le droit qu’elle avait elle-​même concé­dé il y a dix ans à cette socié­té reli­gieuse. Du reste, un cer­tain nombre de prêtres de la Fraternité Saint Pierre sont venus nous voir, en nous disant : n’ac­cep­tez pas cette solu­tion, ne signez rien, ce serait votre perte… En plus, nous avons eu très vite devant les yeux la réac­tion d’un cer­tain nombre d’é­vêques et de car­di­naux : furieux, ils étaient furieux, au point qu’ils ont mena­cé, pour cer­tains (je parle des évêques fran­çais) de déso­béis­sance. Ce n’est pas rien : la France, par car­di­nal inter­po­sé, a fait une menace ouverte à Rome d’en­trer dans la déso­béis­sance… Quelle aurait été la réac­tion de Rome ? II y aurait eu un com­bat for­mi­dable et nous ne pou­vions le mener que si Rome nous sou­te­nait clai­re­ment. C’est dans cet esprit que nous avons pro­po­sé deux préa­lables, que nous conce­vions comme deux marques indis­pen­sables du sou­tien de Rome. Il ne s’a­gis­sait pas à pro­pre­ment par­ler, comme on l’a écrit ici et là de condi­tions préa­lables : un catho­lique ne peut pas sou­mettre Rome à des condi­tions ! Non, il s’a­gis­sait sim­ple­ment d’ob­te­nir dans la bataille qui ne man­que­rait pas de se déchaî­ner, une marque claire d’adhé­sion de Rome à sa Tradition

Nous avons donc deman­dé ces deux marques, d’une part le retrait du décret d’ex­com­mu­ni­ca­tion, d’autre part, la per­mis­sion pour tous les prêtres de rite latin, sans dis­tinc­tion, de célé­brer la messe tra­di­tion­nelle… Je crois que ces deux mesures étaient de nature à pro­vo­quer un véri­table chan­ge­ment de cli­mat dans l’Eglise universelle.

Et vous avez cru un moment, mal­gré les motifs que vous aviez de res­ter cir­cons­pects, comme vous le rap­pe­liez à l’ins­tant, que ces deux préa­lables pour­raient être acceptés ?

D’abord nous n’é­tions pas pres­sés. C’est d’ailleurs la grande dif­fé­rence avec 1988 : en 1988, Mgr Lefebvre devait assu­rer rapi­de­ment l’a­ve­nir de son œuvre. Aujourd’hui cet ave­nir, ce n’est pas un point d’in­ter­ro­ga­tion, c’est notre pré­sent ; nous avons mon­tré, depuis plus de dix ans qu’il est assu­ré. Nous pou­vions donc étu­dier, prendre le temps d’é­tu­dier les pro­po­si­tions qui nous ont été faites. Un moment, c’est vrai, nous avons cru à un véri­table chan­ge­ment de la part de Rome. Il faut dire qu’un chan­ge­ment de lan­gage était per­cep­tible dans cha­cun de nos entre­tiens depuis le début. Le 13 mars par exemple, on nous décla­rait encore : « Le pape tient à cette solu­tion (la solu­tion juri­dique que nous venons d’é­vo­quer), il ne faut pas avoir peur. L’Eglise a besoin de vous et vous demande de l’ai­der dans son com­bat contre le libé­ra­lisme, le moder­nisme, la maçon­ne­rie ; il ne faut pas refu­ser de l’ai­der ». Oh ! C’est une for­mule orale ; nous nous sommes tou­jours deman­dé si les mots signi­fiaient la même chose pour le Vatican et pour nous. Je pense que non.

Vous par­liez à l’ins­tant des négo­cia­tions de Mgr Lefebvre avec Rome en 1988. Peut-​on com­pa­rer les deux séries de conversations 

Elles n’ont rien à voir. En 1988 Mgr Lefebvre, sen­tant sa fin pro­chaine, sou­hai­tait avant toute chose assu­rer la péren­ni­té de sa Fraternité. Rome sou­hai­tait évi­ter des sacres confé­rés sans son aval et dési­rait obte­nir de Mgr Lefebvre, au tra­vers d’une for­mule ambi­guë, une recon­nais­sance du Concile. La dis­cus­sion, hâtive, était donc en par­tie doc­tri­nale. Ce que nous venons de vivre est entiè­re­ment autre chose. On est venu nous cher­cher et le pro­blème doc­tri­nal a été ini­tia­le­ment éva­cué. Rome n’a pas vou­lu par­ler doctrine.

Pourriez-​vous nous rap­pe­ler briè­ve­ment quel est l’his­to­rique de ces négociations ?

Volontiers… L’origine de ces négo­cia­tions tout d’a­bord : l’i­ni­tia­tive vient de Rome. Je reçois une lettre du car­di­nal Castrillon Hoyos en date du 18 novembre, qui est une invi­ta­tion (suite à l’en­tre­tien publié dans 30 Jours) à le ren­con­trer pour pré­pa­rer une visite au Saint Père. Cette visite a lieu le 29 décembre… Le 30, c’est la ren­contre avec le pape, très brève par suite d’un manque de coor­di­na­tion : il n’y a pas eu d’en­tre­tien à pro­pre­ment parler…

L’Agence du Vatican, Zénit, a dit que vous aviez assis­té à la messe du pape…

Alors ça, c’est un bobard. J’ai vu le pape, oh ! quelque chose comme 5 minutes tout com­pris, et pen­dant un bon moment, nous sommes res­tés dans sa cha­pelle pri­vée, en silence. Puis le pape s’est levé. Il m’a sou­hai­té une bonne année, on l’a salué, il a deman­dé si on avait pu par­ler. Le car­di­nal Hoyos a répon­du que Oui. Le pape a dit : Je suis content. Il nous a don­né un cha­pe­let, nous a bénis et puis nous sommes partis…

Cet entre­tien n’a donc pas de consé­quences immédiates…

Non. Simplement le 13 jan­vier, je convoque un conseil géné­ral élar­gi, avec les assis­tants, les évêques et un prêtre du dio­cèse de Campos au Brésil, repré­sen­tant Mgr Rangel, l’ab­bé Rifan. Le 16 jan­vier, je confie ora­le­ment notre déci­sion au car­di­nal Hoyos : nous deman­dons deux préa­lables, le retrait du décret d’ex­com­mu­ni­ca­tion et la messe pour tous les prêtres de rite latin. Le 12 février, l’ab­bé Simoulin, qui est le supé­rieur de la Fraternité en Italie, est infor­mé que l’on ne pou­vait pas accor­der ce deuxième préa­lable tel quel, mais qu’il fal­lait faire confiance au Saint Père. Le 19 février, en réponse à cette réponse, j’ai délé­gué l’ab­bé Sélégny, co-​auteur du livre récent sur la Réforme litur­gique, pour dire sim­ple­ment que l’on se reti­rait vu que nous n’ob­te­nions pas ces deux préa­lables. En même temps, il offrit le livre, tout récem­ment publié, au car­di­nal Hoyos, pour inci­ter à trou­ver un autre ter­rain de dis­cus­sion, plus doc­tri­nal. On peut dire que depuis, les dis­cus­sions n’ont pas vrai­ment repris, cha­cun campe sur ses posi­tions…Le 13 mars, nou­vel entre­tien télé­pho­nique entre le car­di­nal et l’ab­bé Simoulin, au len­de­main d’une ple­na­ria de la Commission Ecclesia Dei, qui s’oc­cupe de la Fraternité Saint-​Pierre. Mon sen­ti­ment est que dès lors, les dés sont jetés. On annonce une ple­na­ria de la Curie (une réunion de l’en­semble des car­di­naux romains) uni­que­ment sur notre cas. Le car­di­nal Hoyos dit que l’on nous don­ne­ra tout en même temps, mais pas comme préa­lable : « Le pape par­le­ra de la messe, mais uni­que­ment au moment du (nou­veau) Motu pro­prio, pour ne faire écla­ter qu’une bombe à la fois » . Le 19 mars, je lui écris pour lui confir­mer la néces­si­té des préa­lables, comme marques non équi­voques de la bien­veillance de Rome, en sou­li­gnant qu’une solu­tion pure­ment pra­tique, sans trai­ter les dif­fé­rends doc­tri­naux, était impos­sible. Le Vendredi Saint, 13 avril, l’ab­bé Simoulin reçoit un coup de télé­phone pour lui confir­mer qu’il n’est pas pos­sible d’ac­cor­der le préa­lable sur la messe : « Il n’est pas pos­sible de désa­vouer l’œuvre du Concile et de Paul VI, en don­nant toute liber­té à la messe tra­di­tion­nelle ». « Les oppo­si­tions des car­di­naux sont trop fortes, le pape ne peut pas ne pas en tenir compte » . Certes les tra­di­tio­na­listes « peuvent faire des remarques théo­lo­giques sur des points par­ti­cu­liers », mais la cri­tique du Concile n’est pas per­mise.

Il y a tout de même un chan­ge­ment de dis­cours à par­tir de ce moment…

Il y a un chan­ge­ment de ton et je crois que la rai­son pro­fonde en est le refus des car­di­naux (jus­qu’à la déso­béis­sance publique s’il le faut, comme je vous l’ai dit). Au cours d’une visite de cour­toi­sie, le 2 mai, l’ab­bé Rifan et l’ab­bé Simoulin ont enten­du cette étrange parole, qui donne tout de même à réflé­chir sur l’é­tat de l’Eglise : « De la même manière que la Fraternité ne veut pas se divi­ser, ain­si le pape ne peut pas divi­ser ses car­di­naux »… Je crois vrai­ment que cette phrase nous fait tou­cher le fond du pro­blème : un bon accord ne dépend pas seule­ment de la bonne volon­té des uns et des autres. Les struc­tures de l’Eglise conci­liaire sont très lourdes et l’hos­ti­li­té farouche d’un cer­tain nombre de car­di­naux empêche Rome d’en­vi­sa­ger une vraie réforme de l’Eglise.

Aujourd’hui, en tout cas, l’es­poir s’éloigne…

Le car­di­nal Hoyos, tout en refu­sant les préa­lables, nous deman­dait la confiance : « le cas de la messe sera réglé simul­ta­né­ment avec celui de la Fraternité, il faut faire confiance ». Ce qui signi­fiait : pas de préa­lables, on vous don­ne­ra tout en même temps. Tout le pro­blème pour nous était de savoir si, sous les mots, on se retrou­vait ; à la lec­ture de la der­nière lettre du car­di­nal, datée du 7 mai et visée par tous les car­di­naux d’Ecclesia Dei, on ne s’y retrouve pas. Prenez par exemple, à pro­pos de la messe tra­di­tion­nelle, ce juge­ment du car­di­nal Hoyos, se jus­ti­fiant de ne pou­voir accor­der la per­mis­sion deman­dée pour tous les prêtres de rite latin : « En ce qui concerne la pre­mière condi­tion, un cer­tain nombre de car­di­naux, évêques et fidèles jugent qu’une telle per­mis­sion ne doit pas être concé­dée ». Cette réti­cence m’a sur­pris car nous n’a­vons pas par­lé à un cer­tain nombre de car­di­naux, d’é­vêques et de fidèles mais bien au car­di­nal Castrillon Hoyos lui-​même. Et voi­là la réponse qu’il nous donne main­te­nant. Au départ il disait : le Pape est d’ac­cord, il accor­de­ra tout. Et main­te­nant cela n’est plus pos­sible. Alors, on ne sait plus qui gou­verne l’Eglise.

Et puis, tou­jours dans la lettre du 7 mai der­nier, voi­là cette autre for­mule : « Cette per­mis­sion pour­rait créer une confu­sion dans l’es­prit de beau­coup de per­sonnes qui la com­pren­draient comme une dépré­cia­tion de la valeur de la sainte messe que célèbre l’Eglise aujourd’­hui ». Là, comme je vous le disais en com­men­çant, on retrouve ce qui est le dis­cours clas­sique du Vatican lors­qu’on aborde la ques­tion de la messe traditionnelle.

« Il n’est pas pos­sible de désa­vouer l’œuvre du Concile en don­nant toute liber­té à la messe tra­di­tion­nelle » (Cardinal Hoyos).

Prenez encore cet autre pas­sage, sur le Concile : « Nous ne pou­vons pas tom­ber dans l’er­reur qui consiste à en faire une lec­ture libre ou à recou­rir à des inter­pré­ta­tions non auto­ri­sées. Le lan­gage du concile se per­fec­tionne et se pré­cise en plu­sieurs points grâce en par­ti­cu­lier aux inter­ven­tions et aux ensei­gne­ments du pape Jean Paul II ». II n’y a donc qu’une manière auto­ri­sée de com­prendre le Concile, non pas à la lumière de la Tradition, mais à la lumière de l’en­sei­gne­ment du pape actuel. J’ai bien envie de répondre : « Eh bien si on suit ses inter­pré­ta­tions authen­tiques, on finit à Assise, au milieu du célèbre som­met inter-​religieux ou dans la forêt sacrée du Togo, à la syna­gogue ou à la mos­quée, que sais-​je ? Si c’est cela les pré­ci­sions qu’on attend… »

Il n’est pas jus­qu’au fameux reproche du « Motu pro­prio » de 1988 qui se trouve expri­mé dans cette lettre, d’une manière plus bénigne il est vrai, mais enfin, c’est écrit : « Je suis sûr, écrit le car­di­nal Hoyos, que sur ce point [donc sur le point de l’in­ter­pré­ta­tion du Concile], nous pour­rons arri­ver à un accord lorsque nous com­pren­drons les néces­si­tés les plus pro­fondes de l’Eglise [donc, on ne les com­prend pas] néces­si­tés qu’il faut com­prendre à par­tir d’une pers­pec­tive his­to­rique plus large ». Il cite saint Vincent de Lérins et l’i­dée du pro­grès de la Tradition. Autrement dit, selon Rome, nous n’a­vons pas un bon concept de la Tradition, nous en gar­dons une concep­tion figée et l’ac­cord ne se fera que lors­qu’on sera… déblo­qués, si vous me per­met­tez l’ex­pres­sion. Autrement dit le Concile, il faut bien le com­prendre et Rome le com­prend bien, tan­dis que nous, nous le com­pre­nons mal. Voilà ce que le car­di­nal nous écrit. Est-​ce parce qu’on lit des auteurs qui ne sont pas bons (qui sont péri­més dans l’Eglise conci­liaire) ? Est-​ce parce qu’on n’a pas com­pris qu’il y a une évo­lu­tion tout à fait légi­time dans la pen­sée ? En tout cas, dans cette der­nière lettre, notre cri­tique de Vatican II se trouve dis­qua­li­fiée d’avance.

Donc votre avis est que nous ne pou­vons évi­dem­ment pas faire de telles conces­sions doc­tri­nales en fait ?

Il faut com­men­cer par le com­men­ce­ment : pour­quoi sommes-​nous là où nous sommes ? Rome s’est pen­chée vers nous en disant : écou­tez, vous avez un pro­blème, il faut le régler. Vous êtes dehors, il faut que vous ren­triez, moyen­nant cer­taines condi­tions. A nous main­te­nant de répondre : non ce n’est pas ain­si. Si nous sommes dans la situa­tion dans laquelle nous sommes actuel­le­ment (qui est une situa­tion de mise à l’é­cart et de per­sé­cu­tion), nous n’en sommes pas la cause. La cause, elle est à Rome, c’est parce qu’à Rome il y a de graves défi­ciences que Mgr Lefebvre a dû prendre des posi­tions de retrait, des posi­tions qui per­mettent de conser­ver cer­tains biens de l’Eglise qu’on était en train de gal­vau­der. Rome ici se donne le beau rôle alors que c’est de Rome que devrait venir un « Mea culpa » pour cette ter­rible crise interne qui déchire l’Eglise. Rome a fait une injus­tice et met la faute sur nous. La solu­tion, évi­dem­ment, ce n’est pas chez nous qu’il faut la cher­cher, c’est à Rome. Il faut que Rome remette les choses en place, revienne à la Tradition, à sa Tradition. Alors, tout ira tout seul. Il n’y aura plus de pro­blème de la Fraternité. « Nous devons conser­ver notre liber­té d’a­gir pour toute l’Eglise »

Au fond vous deman­dez une repentance ?

C’est cela une repen­tance, mais la vraie alors… qui sup­pose une dia­logue théo­lo­gique. Voyez, je crois que dans les négo­cia­tions récentes, on a beau­coup tour­né en rond parce que le préa­lable (non expri­mé comme tel) que Rome nous a impo­sé, c’é­tait « pas de théo­lo­gie ». Un accord pra­tique, une solu­tion juri­dique tout de suite ; la théo­lo­gie, on ver­ra plus tard. Nous disons l’in­verse : la doc­trine gou­verne notre pra­tique et cela depuis le début. Et je suis per­sua­dé que c’est le moment de par­ler doc­trine aus­si à beau­coup de jeunes prêtres, à des fidèles qui prennent conscience de la gra­vi­té de la crise interne de l’Eglise. Il y a en par­ti­cu­lier un mou­ve­ment en faveur de la messe ancienne qu’il faut nour­rir, qu’il faut pous­ser. Il nous faut accueillir et for­mer tous ceux qui le demandent. Pour l’ins­tant cepen­dant, il faut favo­ri­ser le mou­ve­ment induc­tif qui ramène beau­coup de monde à la Tradition à par­tir de pro­blèmes concrets (messe, oecu­mé­nisme…). Sur la messe, beau­coup de gens sont prêts à nous entendre. Sur l’œcuménisme, il nous faut tra­vailler la ques­tion pour que les gens puissent rece­voir nos ana­lyses. Rome n’est pas prête à un débat sur le fond ? Rome ne veut pas dis­cu­ter avec nous ? Eh bien il nous faut lan­cer le débat pour qu’ils com­prennent qu’il n’est pas pos­sible de fer­mer les yeux et de faire comme si rien ne se pas­sait alors que le navire fait eau de toute part.

Monseigneur, vous nous par­lez de tous les fidèles qui doivent venir à la Tradition mais qu’en est-​il des tra­di­tio­na­listes eux-​mêmes ; de ceux qui sont déjà dans la mai­son ? Ont-​ils bien com­pris votre démarche ?

Je vous remer­cie de poser cette ques­tion, je dois vous dire que, ces der­niers mois, très sou­vent, avant d’a­voir pu par­ler, je me suis trou­vé devant une incom­pré­hen­sion de cer­tains fidèles qui ima­gi­naient que notre démarche était une démarche de com­pro­mis alors que cela n’a jamais été mon point de vue. Nous sommes en guerre par tous les moyens, avec toutes les armes, conven­tion­nelles ou non conven­tion­nelles. II ne s’a­git ni de conces­sions, ni de com­pro­mis­sion, ni même de tem­pé­ra­ment, nous ne négo­cions pas un ral­lie­ment, nous essayons à notre place de faire tout ce que nous pou­vons pour une vraie réforme de l’Eglise et en atten­dant, parce que cette réforme n’est pas de notre res­sort, nous vou­lons sau­ver tout ce qui peut être sau­vé en uti­li­sant tous les moyens que le Bon Dieu met à notre dis­po­si­tion. Dans cette pers­pec­tive, je pense que ces der­niers mois, nous avons mar­qué beau­coup de points. Il faut conti­nuer, c’est pour cela que je ne veux pas par­ler de rup­ture. Nous avons pu consta­ter au contraire qu’il y a une attente qui est mutuelle mais pas bran­chée sur la même lon­gueur d’onde.

Et l’a­ve­nir Monseigneur ?

Je vou­drais avoir recours à une com­pa­rai­son un peu auda­cieuse : l’Eglise conci­liaire est comme une ter­mi­tière qui se ronge de l’in­té­rieur. Depuis 30 ans et plus, ce sont les mêmes prin­cipes qui sont mis en appli­ca­tion, avec une cohé­rence imper­tur­bable, mal­gré leurs fruits catas­tro­phiques. Ces négo­cia­tions ont sus­ci­té, à l’in­té­rieur de l’Eglise conci­liaire elle-​même de grands espoirs, de la part de ceux, de plus en plus nom­breux, qui veulent désor­mais tour­ner la page de la Révolution conci­liaire. Dans ce contexte, les pro­po­si­tions qui nous ont été faites il y a six mois lais­saient croire que tout serait doré. En avan­çant un peu, nous avons vu qu’il s’a­gis­sait en fait d’une cage dorée, puisque nos cri­tiques n’é­taient pas admises et qu’on les tenait même pour illé­gi­times dans l’Eglise. Alors nous pré­fé­rons conser­ver notre liber­té d’a­gir pour toute l’Eglise, sans nous lais­ser mettre en iso­le­ment dans le zoo de la Tradition. II faut secouer le monde catho­lique qui s’en­dort dans la léthar­gie post-​conciliaire, relan­cer le débat mais sans ce préa­lable impo­sé d’un accord uni­que­ment pra­tique. C’est cer­tai­ne­ment un tra­vail long, on n’en voit pas immé­dia­te­ment les fruits, mais il faut tout mettre en œuvre pour chan­ger de cli­mat, d’am­biance, pour que la Tradition retrouve son droit à Rome, pour que Rome retrouve sa Tradition. »

Sources : Pacte n° 56 de juillet 2001/​La Porte Latine

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.