Entretien de Mgr Fellay donné pour « Apcom » le 31 juillet 2009

« On fait pression contre nous sur le Saint Siège »

Interview de Mgr Fellay : réa­li­sée à Menzingen (Zug, Suisse),
le 31 juillet par Apcom [Agence de presse ita­lienne par­te­naire d’Asocciated Press]

Dans cette inter­view : le début des dis­cus­sions avec le Vatican à l’automne pro­chain ; une forte cri­tique à l’égard des Juifs (« qu’ils nous laissent tran­quilles ») et l’impression que la com­mu­nau­té juive condi­tionne lour­de­ment le Saint-​Siège. Et aus­si : le Concile doit être « dépas­sé » ; l’espérance d’avoir bien­tôt une « pré­la­ture » ; les divi­sions qui existent à l’intérieur même de l’Église de Rome, et l’annonce que Monseigneur Richard Williamson ne sera pas exclu. Sans oublier une cri­tique contre l’Osservatore Romano qui ne doit pas s’oc­cu­per de thèmes comme Michael Jackson, Calvin ou Harry Potter » ; à côté de cela, une impres­sion très posi­tive du Pape Benoît XVI : « une per­sonne intègre et atten­tive au bien de l’Église ».
C’est une inter­view tous azi­muts que Monseigneur Fellay, Supérieur des Lefebvristes, accorde à Apcom, dans la mai­son géné­ra­lice de la Fraternité Saint-​Pie‑X à Menzingen, dans le can­ton de Zug (non loin de Zürich), l’un des 26 can­tons de la Suisse. On trouve à l’entrée du quar­tier géné­ral des Lefebvristes, tota­le­ment plon­gé dans la ver­dure de la cam­pagne suisse, entre les vaches et le son des cloches de l’église du pays, l’inscription « Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie‑X – Maison géné­rale ». Dans la pièce où reçoit Monseigneur Fellay, une pho­to de Marcel Lefebvre et une du Pape. « Bien sûr qu’il y a aus­si la pho­to du Pape, nous sommes aus­si catho­liques », s’exclame le Supérieur devant notre sur­prise de trou­ver ici une image du Souverain Pontife.

Question : Le Pape se trouve au Val d’Aoste pour pas­ser une période de repos. Vous vous trou­vez à deux pas de chez lui. Avez-​vous eu quelque contact, ou y a‑t-​il a eu une quel­conque liai­son entre son entou­rage et vous ?

Réponse : Non, abso­lu­ment pas. Il n’y a pas eu de contact. Pendant les vacances, nous devons lais­ser le Pape en paix. Les choses se pour­suivent avec le Vatican, avec les per­sonnes res­pon­sables des entre­tiens. Mais nous n’avons pas déran­gé le Pape. Ce sont ses vacances.

Q : Mgr Fellay, est-​il pré­vu que vous vous ren­diez à Rome pro­chai­ne­ment ? Le début des entre­tiens a‑t-​il été fixé ? Et avez-​vous déjà pen­sé à la com­po­si­tion de votre com­mis­sion ? Combien de personnes ?

R : Aucune date n’a encore été fixée pour le dia­logue, mais nous pou­vons pré­su­mer qu’il aura lieu en automne. Je vien­drai à Rome à ce moment, mais il n’y a encore rien de pré­cis. La Commission est déjà for­mée de 3–4 per­sonnes, mais nous ne pou­vons pas encore four­nir les noms, éga­le­ment pour évi­ter toute pression.

Q : Considérez-​vous qu’au Vatican il y a une sen­si­bi­li­té exces­sive vis-​à-​vis des attentes du monde juif, sur « l’affaire Williamson » ain­si que sur la prière du ven­dre­di saint ?

R : Oui, je le pense. Je suis moi-​même embar­ras­sé – sans par­ler de ce qui s’est pas­sé sur l’affaire de Mgr Williamson – lorsque je vois les juifs qui s’occupent des affaires de l’église catho­lique. Ce n’est pas leur reli­gion. Qu’ils nous laissent en paix. Ce sont des ques­tions qui concernent l’église catho­lique. Si nous vou­lons prier pour les juifs, nous prie­rons pour les juifs, de la manière que nous vou­lons. Je ne sais pas s’ils prient pour nous, mais je dirais que c’est leur problème.

Q : Donc, le Pape et le Vatican subissent des pres­sions du monde juif ?

R : Certainement. C’est un thème extrê­me­ment déli­cat, brû­lant, et je pense que nous devons sor­tir de ce cli­mat qui n’est pas bon. Il y a eu un mal­heu­reux concours d’événements qui n’aurait jamais dû arri­ver. Dans ce contexte, on peut com­prendre la colère des juifs, je la com­prends et je déplore ce qui s’est passé.

Question : Dans le motu pro­prio Unitatem eccle­siam le Pape consi­dère que « les ques­tions doc­tri­nales, évi­dem­ment, demeurent et jusqu’à ce qu’elles soient cla­ri­fiées, la Fraternité n’a pas de sta­tut cano­nique dans l’Église et ses ministres ne peuvent exer­cer de manière légi­time aucun minis­tère ». Qu’en pensez-vous ?

R : Je pense qu’il n’y a pas grand-​chose de chan­gé. Ce qui a chan­gé, c’est que cette nou­velle dis­po­si­tion concen­tre­ra nos rela­tions sur les ques­tions doc­tri­nales. Mais ce n’est pas un chan­ge­ment, c’est un pro­ces­sus en route, que nous avions déjà deman­dé en 2000 ; nous avan­çons. Ce qu’écrit le Pape est dans la ligne du dis­cours habi­tuel de Rome, depuis 76, ce n’est donc pas nou­veau. Nous avons une posi­tion claire que nous défen­dons depuis long­temps et que nous main­te­nons, même si nous sommes en oppo­si­tion avec cette loi, il y a des rai­sons sérieuses qui jus­ti­fient le fait d’exercer légi­ti­me­ment ce minis­tère. Ce sont les cir­cons­tances dans les­quelles se trouve l’Eglise que nous appe­lons « état de nécessité ».

Par exemple lorsqu’une grande catas­trophe frappe un pays, la struc­ture ordi­naire est mise hors d’usage, le sys­tème se retrouve en crise, et alors tous ceux qui le peuvent apportent leur aide. Et donc ce n’est pas notre volon­té per­son­nelle, mais le besoin des fidèles qui néces­site l’aide de tous ceux qui peuvent aider. Et cet état de néces­si­té est suf­fi­sam­ment géné­ra­li­sé dans l’Eglise – il y a cer­tai­ne­ment quelques excep­tions – pour pou­voir assu­rer, consciem­ment, l’exercice légi­time de l’apostolat.

Q : Quel sta­tut juri­dique souhaitez-​vous pour la Fraternité Saint-​Pie X ? Une pré­la­ture, une socié­té de vie apos­to­lique, autre chose ?

R : Cela dépen­dra évi­dem­ment de Rome, qui est l’autorité qui décide de cette struc­ture. Leur pers­pec­tive est la volon­té de res­pec­ter au maxi­mum la réa­li­té concrète que nous repré­sen­tons. Mon espoir est que nous serons suf­fi­sam­ment pro­té­gés dans l’exercice de l’apostolat pour pou­voir faire du bien, sans être empê­chés dans l’action par des rai­sons juri­diques. Le sou­hait est une pré­la­ture, même si je n’ai pas de pré­fé­rence. Sur le timing je ne peux pas m’exprimer, tout dépend de Rome.

Q : Pour Williamson, le Concile Vatican II est un gâteau empoi­son­né qui doit être jetée à la pou­belle, pour Tissier de Mallerais, le Concile doit être annu­lé, et pour Alfonso de Gallareta il n’y a pas grand chose à sau­ver du Concile ; y a‑t-​il une scis­sion au sein de la Fraternité Saint-​Pie X ? Comment pensez-​vous la résoudre ? Le Vatican sou­tient qu’à l’intérieur de la Fraternité, il y a des divisions.

R : Je me per­mets de dire que je ne vois pas non plus d’union au Vatican. Le pro­blème dans l’Eglise d’aujourd’hui ne vient pas de nous. Nous deve­nons un pro­blème seule­ment parce que nous disons qu’il y a un pro­blème. En outre, même si nous pou­vons avoir l’impression de décla­ra­tions oppo­sées ou même contra­dic­toires, il n’y a pas de frac­ture interne chez nous. Par exemple sur le Concile, nous pou­vons dire que presque tout est à reje­ter. Mais d’un autre côté, nous pou­vons dire qu’on peut essayer de sau­ver ce qui peut l’être. Mais nous ne pour­rons jamais dire tous la même chose. Le Concile est un mélange : il y a du bon et du mau­vais. Le Pape aus­si lorsqu’il sou­tient qu’il faut une her­mé­neu­tique de la conti­nui­té, qu’il ne faut pas une rup­ture, refuse le Concile inter­pré­té comme rupture.

Q : Mgr Williamson est-​il un problème ?

R : Il est un pro­blème tota­le­ment mar­gi­nal. Ce qu’il a dit n’a rien à voir avec la crise de l’Eglise, avec le pro­blème de fond que nous trai­tons 30 ans après le Concile, c’est une ques­tion his­to­rique. La ques­tion de savoir com­bien et com­ment les juifs sont morts n’est pas une ques­tion de foi, même pas une ques­tion reli­gieuse, c’est une ques­tion his­to­rique. Évidemment je suis convain­cu qu’il n’a pas trai­té ce thème comme il aurait dû et je prends mes dis­tances. Mais sur les posi­tions reli­gieuses de la Fraternité par rap­port au Concile je ne vois pas de pro­blèmes avec Mgr Williamson.

Q : Williamson dit que le Concile est un « gâteau empoi­son­né à jeter à la pou­belle ». Cela ne vous semble-​t-​il pas une phrase un peu forte ? Etes-​vous d’accord ?

R : C’est une phrase polé­mique, mais je ne la condamne pas. Beaucoup de décla­ra­tions aujourd’hui sont faites sur le mode polé­mique, c’est une pro­vo­ca­tion pour ten­ter de faire réflé­chir les gens. J’exprimerais le concept dif­fé­rem­ment, mais je ne sais pas si je ne suis pas d’accord. Si j’exprimais le concept autre­ment, je dirais que nous devons dépas­ser le Concile pour reve­nir à ce que l’Eglise a tou­jours ensei­gné et dont l’Eglise ne peut pas se sépa­rer et qu’à un moment don­né nous devrons dépas­ser le Concile qui s’est vou­lu pas­to­ral et non doc­tri­nal. Qui a vou­lu s’occuper de la situa­tion contin­gente de l’église. Mais les choses changent, et beau­coup de points du Concile sont déjà dépassées…

Q : L’évêque Williamson avait pro­mis de res­ter silen­cieux et il conti­nue de par­ler : sera-​t-​il sanc­tion­né ? S’il conti­nue à sou­te­nir qu’aucun com­pro­mis avec Rome sur le Concile n’est pos­sible, sera-​t-​il expulsé ?

R : Il n’est pas vrai que Mgr Williamson parle sou­vent. C’est très rare… une fois il a dit quelque chose… et ensuite nous ne lui avons pas deman­dé de se taire sur tout. Le domaine sur lequel nous lui avons deman­dé le silence était très limi­té. Il s’est agi de sa part d’une sor­tie momen­ta­née. Je la mini­mise au maxi­mum… c’est peu de chose… sur le moment, je ne vois aucune rai­son d’expulsion. Cela dépend de lui, de la situa­tions dans laquelle il s’est mis. Pour le moment, il y a un pro­ces­sus en cours, qui a sérieu­se­ment endom­ma­gé sa répu­ta­tion, je n’imagine à pré­sent rien de plus que la situa­tion dans laquelle il est déjà. Cela dépen­dra de ce qu’il dira. Il est déjà suf­fi­sam­ment puni, mis à l’écart, sans aucune charge.

Q : Et sur le Concile, accepterez-​vous un com­pro­mis avec Rome ?

R : Nous ne devons faire aucun com­pro­mis sur le Concile. Je n’ai nulle inten­tion de faire un com­pro­mis. La véri­té ne sup­porte pas le com­pro­mis. Nous ne vou­lons pas de com­pro­mis, nous deman­dons la clar­té sur le Concile.

Q : Les récentes ordi­na­tions de prêtres ont été vues comme une pro­vo­ca­tion : ne valait-​il pas mieux les évi­ter, en cet ins­tant délicat ?

R : Cela n’a pas été une pro­vo­ca­tion. Plusieurs évêques ont pro­fi­té de l’occasion pour crier à la pro­vo­ca­tion. Mais ni pour Rome ni pour nous cela n’a été une pro­vo­ca­tion. C’est comme enle­ver la res­pi­ra­tion à une per­sonne. Nous sommes une socié­té sacer­do­tale dont l’objectif est de for­mer des prêtres. Et donc empê­cher l’acte ultime de for­ma­tion qui est l’ordination est comme empê­cher à quelqu’un de res­pi­rer. D’autre part, il a été tou­jours pré­vu et nous avons tou­jours su qu’en révo­quant l’excommunication, on a créé une situa­tion nou­velle qui est meilleure que la pré­cé­dent mais pas par­faite. Il est donc nor­mal de pour­suivre nos acti­vi­tés, et donc aus­si les ordinations.

Q : L’Osservatore Romano a par­lé de Calvin, Michael Jackson, Harry Potter, Oscar Wilde. Qu’en pensez-vous ?

R : Je me pose la ques­tion : est-​ce vrai­ment le rôle de l’Osservatore Romano de s’occuper de ces choses ? C’est la pre­mière ques­tion. Et la seconde est : ce qu’ils disent sur ces gens, est-​ce vrai­ment la chose juste ? J’ai un regard plu­tôt cri­tique sur ces présentations.

Q : Pensez-​vous qu’avec ce Pape, on puisse fina­le­ment arri­ver à une conclu­sion, dans cette vieille ques­tion des lefebvristes ?

R : Je crois qu’il y a cer­tai­ne­ment un bon espoir… Il y a 40 ans que nous sommes dans cette situa­tion, et pas pour des ques­tions per­son­nelles, mais vrai­ment pour des choses sérieuses qui touchent la foi et l’avenir de l’Eglise. Nous voyons cer­tai­ne­ment chez le Pape une volon­té authen­tique d’aller au fond du pro­blème, et cela, nous l’accueillons avec une grande satis­fac­tion. Nous prions, et nous espé­rons qu’avec la grâce du Bon Dieu, nous arri­ve­rons à quelque chose de bon pour l’Eglise et pour nous..

Q : Que pensez-​vous de Benoît XVI ?

R : C’est une per­sonne intègre, qui prend très au sérieux la situa­tion et la vie de l’Eglise.

Fin de l’entretien.

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.