Entretien avec Michel Gaillard, facteur d’orgue et organiste

Michel Gaillard, fac­teur d’orgues et orga­niste, a assu­ré pen­dant deux ans la res­tau­ra­tion du grand orgue de l’église Saint-​Nicolas du Chardonnet. Il a accep­té de répondre à nos questions.

La Porte Latine : Depuis quand travaillez-​vous pour la mai­son Aubertin ? Qu’y faites-​vous précisément ?

Michel Gaillard : Je suis fac­teur d’orgues pour la mai­son Aubertin depuis trente ans. Monsieur Aubertin avait charge de for­mer un élève à ses secrets, ce fut moi. J’ai donc recons­truit les orgues de Forbach et de Thann, en Alsace. Dans notre mai­son, je suis char­gé de tous les sec­teurs de res­tau­ra­tion et de recons­truc­tion d’orgues. Nous avons beau­coup de chan­tiers en Alsace et en Moselle. Et nous venons de signer un contrat pour un orgue en Vendée. J’ai éga­le­ment tra­vaillé pour la com­mu­nau­té Saint-​Jean à Orléans, les « Petits Gris » dont toute la com­mu­nau­té est venue ici, à Paris, admi­rer l’orgue de Saint-Nicolas.

La Porte Latine : Mais vous êtes éga­le­ment organiste ?

Michel Gaillard : Oui, je suis orga­niste dans ma paroisse de Mulhouse depuis qua­rante ans. J’ai tou­jours joué gra­tui­te­ment. C’est un don qu’on met gra­tui­te­ment à dis­po­si­tion de l’Église catho­lique. Ma paroisse était très vivante. Elle fut fon­dée par les Franciscains et j’ai pu y voir les dégâts de Vatican II. Je fus pri­vé de l’enseignement du gré­go­rien. J’ai été éle­vé au bibe­ron de cette paroisse où il y avait une vie cultu­relle très forte (scou­tisme, béné­vo­lat, etc.). Tout cela fut détruit par des curés « athées » – entre guille­mets – puis des prêtres pro­gres­sistes qui, alors que j’étudiais Jean-​Sébastien Bach fai­saient tom­ber la paroisse vers ce qui fut la fosse sep­tique de la litur­gie. C’est dur, vous savez, d’entendre le prêtre vous dire : « Qu’est-ce que c’est que cette musique ? Nous allons jouer de la gui­tare et vous joue­rez de l’orgue pour cou­vrir le bruit de la quête » ! Je vous assure qu’il faut avoir la foi et du carac­tère pour res­ter… Privé de l’enseignement du gré­go­rien pen­dant des années, je l’ai redé­cou­vert avec la litur­gie tra­di­tion­nelle en venant tra­vailler ici, à Saint-​Nicolas du Chardonnet.

La Porte Latine : Votre pré­sence pen­dant un an vous a‑t-​elle marqué ?

Michel Gaillard : En enten­dant les offices, j’ai redé­cou­vert la valeur de la litur­gie, le res­pect du lieu saint, la notion de gran­deur. On loue Dieu selon l’idée qu’on se fait de Lui. Mon orgue que j’ai réa­li­sé là va dans le même sens que ce qu’on res­sent en entrant dans l’église. Les sons don­nés à l’orgue doivent sus­ci­ter l’engouement à l’oreille.

La Porte Latine : Avez-​vous immé­dia­te­ment accep­té de tra­vailler pour Saint-​Nicolas du Chardonnet ?

Michel Gaillard : Je fai­sais ici les révi­sions de l’orgue. Et un soir, à la fin de la messe des étu­diants, la cho­rale a enton­né le chant « Chez nous soyez reine ». J’ai alors ter­mi­né par une impro­vi­sa­tion sur ce thème. En voyant l’étonnement de l’abbé Beauvais, qui sem­blait éber­lué, j’ai eu l’idée de signer pour la res­tau­ra­tion entière.

La Porte Latine : Quelle dif­fé­rence y a‑t-​il à tra­vailler ici, à Saint-​Nicolas, plu­tôt qu’ailleurs ?

Michel Gaillard : Travailler dans une telle paroisse porte, que ce soit par la qua­li­té de la litur­gie, par celle du chœur de Saint-​Nicolas, de mon­sieur Lecornier. On touche au sacro-​saint, on se doit de se dépas­ser. En Alsace, chez moi, au bout d’une heure d’orgue, je suis érein­té. Il faut cepen­dant être à la hau­teur. Le dia­logue entre le chœur et la tri­bune, s’il est réus­si, engendre une osmose qui régé­nère la spi­ri­tua­li­té du croyant. Quand il quitte l’office divin, celui-​ci est trans­fi­gu­ré. C’est la magie de la foi et de la grâce.

La Porte Latine : A quels tra­vaux avez-​vous donc pro­cé­dé ici ?

Michel Gaillard : Les struc­tures ont été tota­le­ment modi­fiées. Un meilleur équi­libre a été appor­té entre le grand orgue et le petit. Nous avons fait plus de place pour la tuyau­te­rie afin qu’elle soit entiè­re­ment acces­sible. Nous avons tra­vaillé à une meilleure pro­pa­ga­tion sonore grâce à un rap­pro­che­ment de la voute. Tout cela a été fait soli Deo glo­ria !

La Porte Latine : Vous avez éga­le­ment créé de nou­veaux jeux…

Michel Gaillard : Des jeux neufs, hori­zon­taux, appor­tant une troi­sième dimen­sion à l’instrument, ont été créés. Ce sont des cha­mades. L’un s’appelle « Gaillarde », un autre « le Clairon de Bataille » car la Fraternité Saint-​Pie X est tou­jours obli­gée de se battre. C’est un clin d’œil face à la situa­tion. L’orgue a été recons­truit en grande par­tie mais la démarche a été patri­mo­niale car tout a été opti­mi­sé, rien n’a été détruit. C’est un vrai aggiornamento.

La Porte Latine : Tout cela a été le fruit d’un long travail ?

Michel Gaillard : En effet, il a occu­pé cinq per­sonnes pen­dant deux ans : une année de pré­pa­ra­tion dans notre ate­lier et une année sur le site. Nous avons dû trans­for­mer les combles en ate­lier. L’orgue a été entiè­re­ment démon­té sous le contrôle de l’abbé Beauvais. Mais tout ceci a fonc­tion­né grâce au béné­vo­lat. Nous avons été, par exemple, logés tous les cinq pen­dant un an par un fidèle (une éco­no­mie de 40.000 euros !). L’échafaudage nous a éga­le­ment été mis gra­tui­te­ment à dis­po­si­tion par un autre. Toute la feu­trine néces­saire à l’orgue a été don­née par un troi­sième. Et j’en passe. Il y a eu un grand élan de géné­ro­si­té alors que le mécé­nat, ces der­nières années, a pu être ébran­lé par des scan­dales comme celui de l’affaire Crozemarie.

La Porte Latine : Et pour tous ces tra­vaux, il vous faut un nombre impres­sion­nant de compétences ?

Michel Gaillard : Nous réunis­sons dans un tel pro­jet onze corps de métier. Menuiserie, ébé­nis­te­rie, char­pen­te­rie, mar­que­te­rie, sculp­ture, tout cela pour le bois, tan­nage du cuir, tra­vail des tuyau­te­ries d’étain, fer­ron­ne­rie, concep­tion en phy­sique pour le cal­cul du vent, concep­tion acous­tique, télé­pho­nique, pneu­ma­tique. Lorsqu’on dirige, il faut être capable de tout faire pour pou­voir asseoir son autorité.

La Porte Latine : Que jouerez-​vous au début de la béné­dic­tion de l’orgue ? A quoi penserez-vous ?

Michel Gaillard : C’est une bonne ques­tion. Je crois que je vais com­men­cer avec l’Esprit Saint et je ter­mi­ne­rai par le Salve Regina. A ce moment là, on se sent inves­ti d’une mis­sion très impor­tante pour essayer de com­mu­ni­quer, pour créer une émo­tion spi­ri­tuelle et musi­cale avec les notes. Mais on n’est jamais satis­fait. Le plus bel orgue, c’est tou­jours le suivant.

La Porte Latine : Quelles furent vos rela­tions avec le cler­gé de Saint-Nicolas ?

Michel Gaillard : Nous avons eu d’excellentes rela­tions avec son curé. Quand on lit le Chardonnet, on voit d’abord l’abbé Beauvais, avec son côté plus mili­taire, puis l’abbé Chautard et on découvre le phi­lo­sophe. Mais c’est la même foi. J’ai vu beau­coup d’églises et de paroisses. Mais ici, il n’y a pas de magouille, pas de passe-​droit, pas de détour­ne­ment d’argent. Mais ces com­mu­nau­tés reli­gieuses res­tent fra­giles car elles ne sont pas for­cé­ment prêtes à se défendre contre les loups de la socié­té civile. Heureusement l’habit les pro­tège. Elles ont aus­si des pro­tec­teurs célestes.

Propos recueillis à Saint-​Nicolas par JRC pour La Porte Latine, le 7 novembre 2009