Entretien de l’abbé Loïc Duverger, supérieur du District d’Afrique, à Civitas

Monsieur l’abbé, l’institut Civitas a long­temps béné­fi­cié de vos conseils. Alors que vous venez de quit­ter vos fonc­tions de pre­mier assis­tant du dis­trict de France de la Fraternité Saint Pie X pour celle de res­pon­sable du dis­trict d’Afrique, Civitas vou­drait vous inter­ro­ger pour béné­fi­cier une der­nière fois de votre réflexion et de vos jugements.

Le constat que « tout va mal » n’est pas dif­fi­cile à faire. Se lamen­ter et cri­ti­quer est un exer­cice tout aus­si facile. Dans nos milieux, l’analyse pro­fonde sur la déca­dence de la socié­té et la recherche des causes qui ont mené à cet état ont été faites depuis long­temps, les ouvrages qui en traitent sont légions. Ils donnent des solu­tions idéales à la crise poli­tique et éco­no­mique que nous subissons.

Ces ouvrages sont néces­saires, il faut que tous ceux qui s’intéressent à la vie de la cité les lisent et les méditent.
Mais il faut ensuite pas­ser à l’action. Or, il faut l’avouer, depuis des décen­nies les catho­liques se sont reti­rés de la chose publique.

Pourquoi les catho­liques ne font-​ils plus entendre leur voix dans le com­bat politique ?

La racine de cet aban­don vient de deux causes principales.

La pre­mière est le libé­ra­lisme qui per­ver­tit les intel­li­gences et poussent les catho­liques qui s’engagent encore en poli­tique, à ne plus affir­mer la doc­trine sociale de l’Eglise sous le fal­la­cieux pré­texte que « cette voie catho­lique n’est plus pos­sible aujourd’hui », et dès lors à recher­cher le plus petit déno­mi­na­teur com­mun dans les alliances scel­lées avec des non-​catholiques. Petit à petit leur dis­cours et leurs actes n’ont plus rien de catholique.
La seconde cause vient d’une cer­taine forme d’idéalisme et de per­fec­tion­nisme. Ne rêve-​t-​on pas à des solu­tions tom­bées du ciel qui évi­te­raient aux hommes de com­battre ? On attend des res­tau­ra­tions qui refe­raient d’un coup de baguette magique la France chré­tienne. On parle, on dis­cute, on théo­rise, le temps passe et la France se déchris­tia­nise, aban­don­née à des hommes sans foi, ni loi.
Ces deux atti­tudes sont à la racine du silence de la voix catho­lique en poli­tique aujourd’hui. Elles ont démo­bi­li­sées les hommes de bonne volon­té, anni­hi­lées la volon­té de recon­quête catho­lique pour faire régner le Christ Roi.

Une solu­tion catho­lique est-​elle envi­sa­geable dans une socié­té désor­mais déchristianisée ?

La doc­trine sociale de l’Eglise est plus que jamais d’actualité. Elle est la seule issue pour nos socié­tés déchris­tia­ni­sées. Elle n’est pas une simple théo­rie qui ne peut être mise en pra­tique. Tous les papes jusqu’à Pie XII inclus l’ont prê­chée magni­fi­que­ment. Malheureusement trop sou­vent les catho­liques n’ont pas su, ou pas vou­lu, la mettre inté­gra­le­ment en pratique.

Si les pre­miers chré­tiens avaient négli­gé le règne social du Christ, la civi­li­sa­tion chré­tienne n’aurait jamais exis­tée. La situa­tion poli­tique à leur époque n’était pas pire que la nôtre.

Dire que le règne du Christ Roi n’est plus pos­sible parce que la socié­té est déchris­tia­ni­sée, c’est man­quer à la ver­tu d’espérance, cette atti­tude n’est pas digne d’un catho­lique. Le Bon Dieu veut tou­jours sau­ver les âmes et dans une socié­té chré­tienne les âmes se sauvent plus facilement.

La paix et la concorde civile ne peuvent exis­ter en dehors de Jésus-​Christ. S’il ne règne pas sur les cœurs les familles et les cités, le désordre s’installe vite et les socié­tés signent leur arrêt de mort.

La socié­té ne rede­vien­dra pas chré­tienne du jour au len­de­main. Il fau­dra des décen­nies de com­bat pour redon­ner à la France un gou­ver­ne­ment catholique.

Comment peut-​on affir­mer notre inten­tion de res­tau­rer le règne du Christ quand l’Eglise elle-​même se fait très dis­crète sur le sujet ?

Malheureusement l’Eglise depuis le Concile ne prêche plus le Règne du Christ-​Roi. Les évêques et les prêtres n’ont plus sou­te­nu cette poli­tique seule conforme à la doc­trine de l’Eglise, sou­vent ils se sont fait les alliés objec­tifs de la déchristianisation.

Mais cette tra­hi­son du com­bat catho­lique des clercs ne peut empê­cher un catho­lique de faire son devoir. Ce com­bat est peut-​être plus dif­fi­cile, mais pas impos­sible. D’ailleurs, si les catho­liques avaient été plus har­dis pour défendre les droits de Notre Seigneur n’auraient-ils pas ain­si évi­té beau­coup de tra­hi­sons de la part des clercs ? La doc­trine sociale de l’Eglise demeure vraie et réa­li­sable mal­gré les défaillances des hommes d’Eglise.

On reproche aux catho­liques d’avoir sou­vent man­qué de vision poli­tique. N’y a‑t-​il pas dans les milieux catho­liques, y com­pris dans la Tradition, une ten­dance à délais­ser le com­bat poli­tique pour se lan­cer dans les œuvres catholiques ?

La crise qui secoue l’Eglise depuis 50 ans a obli­gé les catho­liques à défendre leur Foi et à se don­ner les moyens de sur­vivre spi­ri­tuel­le­ment. Mais le com­bat ne peut s’arrêter à la consti­tu­tion de ces bas­tions de résis­tance que sont les prieu­rés, les cha­pelles, les écoles. Il faut main­te­nant reprendre l’initiative dans le com­bat poli­tique pour pro­té­ger ces bas­tions des attaques des enne­mis de la socié­té chré­tienne qui feront tout pour détruire ce qui reste de catho­lique. Si les catho­liques ne se donnent pas à ce com­bat, les prieu­rés, les cha­pelles et les écoles catho­liques si chè­re­ment bâtis seront empê­chées par des lois iniques, ren­dant même la vie de famille impossible.

Dans ce com­bat peut-​on mobi­li­ser les catho­liques conciliaires ?

Pourquoi pas ? Dans ce com­bat gigan­tesque toutes les bonnes volon­tés sont bien venues. Une seule condi­tion est néces­saire à ce com­bat c’est la volon­té farouche de ne vou­loir que le règne du Christ Roi dans la stricte confor­mi­té à la doc­trine catho­lique. Malheureusement force est de consta­ter que ces catho­liques infes­tés des erreurs modernes, n’ont pas tou­jours les convic­tions néces­saires pour ce com­bat qui n’admet pas de compromis.

Peut-​on aus­si mobi­li­ser les hommes de bonne volon­té qui ne sont pas bap­ti­sés, alors que notre enga­ge­ment est réso­lu­ment chrétien ?

Pourquoi pas ? Ce que nous disons à pro­pos des moder­nistes est vrai pour toutes les bonnes volon­tés. Ceux, déçus par les théo­ries poli­tiques athées qui mènent à des impasses ou à des catas­trophes, peuvent se joindre au com­bat des catho­liques. Ils gros­si­ront les troupes et com­bat­tront pour le Règne de Notre Seigneur. Ce sera peut-​être leur che­min de Damas.

Mais dans ces alliances avec des groupes ou des per­sonnes il faut res­ter pru­dent pour ne pas se lais­ser cor­rompre par une pen­sée erro­née ou contraint de par­ti­ci­per à des actions qui ne seraient catho­liques qu’en appa­rence. Pour faire court, la règle prin­ci­pale est de tou­jours gar­der l’initiative du com­bat, c’est aux non catho­liques de se sou­mettre à la doc­trine catho­lique et non l’inverse. De plus, la maî­trise des actions à mener doit res­ter dans des mains inté­gra­le­ment catho­liques. Ce n’est pas seule­ment la fina­li­té d’une action qui per­met d’y par­ti­ci­per, mais aus­si la bon­té des prin­cipes qui en sont à la racine et l’intention de ceux qui la mènent. Ainsi vou­loir com­battre l’avortement sans aucune réfé­rence sur­na­tu­relle est illu­soire et sté­rile. La Fraternité Saint Pie X a tou­jours refu­sé de s’associer aux grandes mani­fes­ta­tions contre l’avortement qui refu­saient de poser la Foi catho­lique comme prin­cipe de ces mani­fes­ta­tions, par contre elle s’associe aux rosaires pour la vie du doc­teur Dor.

Un impor­tant tra­vail reste à faire pour convaincre les catho­liques d’aujourd’hui de s’engager dans le com­bat poli­tique. Comment expliquez-​vous leur réti­cence, alors qu’ils sont por­teurs de la Vérité et qu’ils devraient avoir soif de la dif­fu­ser dans la société ?

Les deux causes de la dis­pa­ri­tion des catho­liques en poli­tique que nous expo­sions plus haut donnent une par­tie de l’explication de la réti­cence des catho­liques pour la poli­tique L’autre expli­ca­tion vient de la crainte de perdre son âme dans ce com­bat et de croire ne pas être capable de l’entreprendre, asso­ciées aux « je n’ai pas le temps » ou « ça ne sert à rien ».
Certes, tous ne sont pas faits pour par­ti­ci­per à la vie poli­tique, mais très nom­breux sont ceux qui le peuvent et qui n’osent pas. Dans une muni­ci­pa­li­té, avant de par­ti­ci­per à son gou­ver­ne­ment en deve­nant conseillé ou maire, il y a toute une action de proxi­mi­té auprès des habi­tants à réa­li­ser : action sociale à mener, aide aux per­sonnes néces­si­teuses, par­ti­ci­pa­tion aux acti­vi­tés de la com­mune pour apprendre à connaître ses voi­sins de quar­tier. Il faut s’intéresser et par­ti­ci­per à la vie de la com­mune, ne pas hési­ter à prendre de petites res­pon­sa­bi­li­tés et à y insuf­fler un esprit catho­lique. Cette véri­table action poli­tique per­met à un catho­lique de faire beau­coup de bien.

Civitas prône cette action muni­ci­pale à la por­tée des jeunes et des moins jeunes, bien enten­du plus facile à mener dans les petites communes.

Ce sont les catho­liques qui refe­ront la France catho­lique de demain et ils ne la refe­ront qu’en menant un com­bat poli­tique de proximité.

Confesser sa foi n’est-il pas un incon­vé­nient à l’efficacité immédiate ?

Comment la Foi pourrait-​elle être un obs­tacle à l’efficacité ? Ce sont de telles erreurs qui ont mené les catho­liques à leur perte. La défense de la Foi ne demande pas de faire de grandes décla­ma­tions en tout lieu et en tout temps. Il faut savoir défendre la foi avec intel­li­gence, force et cha­ri­té en temps utile. Dans l’action muni­ci­pale, agir en catho­lique est déjà une belle prédication.

N’a‑t-on pas trop ten­dance à recher­cher le nombre ?

Le nombre ne fait rien à l’affaire. Par exemple, il est inté­res­sant de noter que l’opposition est plus vio­lente contre les rosaires pour la vie du doc­teur Dor qui ne ras­semblent que quelques per­sonnes sou­vent âgées, (où sont les plus jeunes ?) que les grandes mani­fes­ta­tions de masse où la Foi n’est pas affirmée.

Mais il ne faut tom­ber dans l’excès inverse et craindre le nombre. Plus les catho­liques seront nom­breux à com­battre pour le Christ Roi, plus son règne s’étendra.

Quelles réflexions vous ins­pire l’engagement de Civitas ?

Le but que Civitas pour­suit est clair et bien défi­ni. Agir dans la Cité pour faire régner notre Seigneur Jésus-​Christ. Cette action se concré­tise dans la volon­té de for­mer les catho­liques pour qu’ils s’investissent dans la vie com­mu­nale. Les cercles d’étude sont néces­saires pour appor­ter la for­ma­tion et sou­te­nir par l’action ceux qui s’engagent dans la poli­tique communale.

L’Institut Civitas est seul à orien­ter son action poli­tique prin­ci­pa­le­ment vers la poli­tique com­mu­nale. Ce com­bat est essen­tiel pour le renou­veau de la France chré­tienne, il est à la por­tée des catho­liques et pro­duit des effets béné­fiques rapidement.

Cette for­ma­tion à la doc­trine de l’Eglise pour une action poli­tique catho­lique ne peut être effi­cace sans une solide for­ma­tion spi­ri­tuelle et une vie de prière pro­fonde. C’est à la messe dans la récep­tion des sacre­ments que les membres de Civitas pui­se­ront les lumières néces­saires aux bonnes déci­sions pour déjouer les pièges et la force sur­na­tu­relle pour ce com­bat difficile.

Plus que jamais la parole de Jeanne d’Arc doit réson­ner dans les cœurs : « L’homme com­bat et Dieu donne la victoire ».

FSSPX Assistant du District de France

M. l’ab­bé Loïc Duverger est actuel­le­ment l’Assistant du District de France de la FSSPX. Il a été aupa­ra­vant supé­rieur du District d’Afrique.