Entretien de Mgr Fellay donné à Fideliter n° 194 de mars 2010


Les conversations romaines : quelques perspectives

Les deux pre­mières conver­sa­tions doc­tri­nales entre la Fraternité et les auto­ri­tés romaines ont eu lieu, au mois d’oc­tobre et de jan­vier der­niers. Le supé­rieur géné­ral de la Fraternité a bien vou­lu appor­ter son éclai­rage sur ces échanges. Les pages qui font suite à l’en­tre­tien pré­sentent les par­ti­ci­pants à ces conver­sa­tions. Elles ont été rédi­gées par Côme Prévigny et la rédac­tion de Fideliter.

Fideliter : Monseigneur, mer­ci d’accepter de répondre à nos ques­tions. Qu’est-ce qui fait la dif­fé­rence entre ces entre­tiens doc­tri­naux et les pré­cé­dents échanges ayant eu lieu du vivant de Mgr Lefebvre, par exemple à pro­pos des Dubia ?

Mgr Bernard Fellay : Auparavant, les échanges étaient plu­tôt infor­mels, sauf en quelques rares occa­sions, comme au début du pon­ti­fi­cat de Jean-​Paul II. Mgr Lefebvre, tout en pré­sen­tant les prin­ci­pales objec­tions aux nou­veau­tés – et en pro­tes­tant éner­gi­que­ment contre les scan­dales qui secouaient l’Église –, cher­chait alors un accord plu­tôt pra­tique : il pen­sait que Rome pour­rait lui lais­ser faire « l’expérience de la Tradition » en accor­dant à la Fraternité Saint-​Pie X une régu­la­ri­sa­tion cano­nique avant tout débat de fond. Après 1988 il a clai­re­ment indi­qué la marche à suivre : por­ter la dis­cus­sion sur le ter­rain doc­tri­nal, sur l’essence même de la crise qui fait tant de ravages. Aujourd’hui, le Saint-​Siège nous a accor­dé sans contre­par­tie ces fameux entre­tiens doc­tri­naux, de manière offi­cielle. Cela sera pour nous l’occasion de témoi­gner de la foi et de nous faire l’écho de deux mille ans de Tradition, sans nous pri­ver de reprendre cer­taines études, comme jus­te­ment les Dubia sur la liber­té reli­gieuse qui, à l’époque, n’avaient pas obte­nu de réponse satisfaisante.

Fideliter – Seule la Fraternité a obte­nu ces entre­tiens, sérieux et presque solen­nels. Aucune com­mu­nau­té Ecclesia Dei n’en a obte­nu. A votre avis, est-​ce le signe du bien-​fondé de notre atti­tude de résis­tance et de refus d’un com­pro­mis ou d’une recon­nais­sance cano­nique équi­voque, ou bien est-​ce le signe que les com­mu­nau­tés Ecclesia Dei n’ont fina­le­ment plus grand-​chose qui les dis­tingue de la ligne conciliaire ?

Mgr Bernard Fellay - C’est sans doute le signe des deux.

Fideliter – Pouvez-​vous nous don­ner une liste exacte des thèmes abor­dés, Monseigneur ?

Mgr Bernard Fellay - Vous les trou­vez dans le com­mu­ni­qué de presse qui a sui­vi la pre­mière ren­contre, le 26 octobre der­nier : « En par­ti­cu­lier seront exa­mi­nées les ques­tions concer­nant la notion de Tradition, le mis­sel de Paul VI, l’interprétation du concile Vatican II en conti­nui­té avec la Tradition doc­tri­nale catho­lique, les thèmes de l’unité de l’Église et des prin­cipes catho­liques de l’oecuménisme, du rap­port entre le chris­tia­nisme et les reli­gions non chré­tiennes et de la liber­té religieuse. »

Fideliter – La phi­lo­so­phie moderne et les nou­veaux concepts (témoi­gnage, dia­logue, ouver­ture, enga­ge­ment, expé­rience, etc.) seront-​ils à l’ordre du jour des discussions ?

Mgr Bernard Fellay - Tous ces sujets sont sous-​jacents à bien des pro­blèmes tou­chant la nou­velle ecclé­sio­lo­gie, et il paraît inévi­table qu’ils soient évo­qués à l’occasion de ces entre­tiens qui, je vous le rap­pelle, tournent autour du concile et de son aggior­na­men­to.

Fideliter – Est-​il pos­sible d’observer une dis­cré­tion totale autour de ces conver­sa­tions ? N’y a‑t-​il pas des bruits qui ont déjà filtré ?

Mgr Bernard Fellay - Pas à ma connais­sance, si ce n’est quelques aspects secon­daires tou­chant à l’organisation géné­rale de ces conversations.

Fideliter – Quelle est la rai­son pour laquelle le Vatican et la Fraternité tiennent à gar­der une si grande dis­cré­tion autour des conver­sa­tions doctrinales ?

Mgr Bernard Fellay - Il est très impor­tant que le cli­mat des dis­cus­sions soit pai­sible et serein. Nous vivons à l’heure de la média­ti­sa­tion et de la démo­cra­tie uni­ver­selle où cha­cun juge de tout et donne son opi­nion sur tout. Les ques­tions de théo­lo­gie et les enjeux sont tels qu’il est pré­fé­rable de lais­ser les choses se faire dans la dis­cré­tion. Le moment venu, si néces­saire, il sera tou­jours temps d’en rendre compte publiquement.

Fideliter – On dit sou­vent qu’entre Rome et la Fraternité, on ne se com­prend pas parce qu’on n’a pas le même lan­gage. Est-​ce vrai de nos actuels inter­lo­cu­teurs romains ? Comment faire pour avoir le même langage ?

Mgr Bernard Fellay - Il est encore trop tôt pour vous répondre. Nous avons en tout cas affaire à de brillants esprits avec les­quels nous devrions pou­voir échan­ger. La for­ma­tion phi­lo­so­phique tho­miste est bien évi­dem­ment la meilleure façon de procéder.

Fideliter – Les théo­lo­giens que Rome a choi­sis sont-​ils à votre avis repré­sen­ta­tifs du cou­rant géné­ral théo­lo­gique dans l’Église aujourd’hui ? Ou bien sont-​ils plus proches d’une ten­dance par­ti­cu­lière ? Leur ligne de pen­sée est-​elle proche de celle de Benoît XVI ?

Mgr Bernard Fellay - Nos inter­lo­cu­teurs me paraissent très fidèles aux posi­tions du pape. Ils se situent dans ce que l’on peut appe­ler la ligne conser­va­trice, celle des par­ti­sans d’une lec­ture la plus tra­di­tion­nelle pos­sible du concile. Ils veulent le bien de l’Église mais en même temps sau­ver le concile : c’est là toute la qua­dra­ture du cercle.

Fideliter – Les théo­lo­giens choi­sis par le Vatican sont-​ils tho­mistes ? Le sont-​ils à la manière traditionnelle ?

Mgr Bernard Fellay - Nous le ver­rons. Nous avons en tout cas affaire à un Dominicain, certes, grand connais­seur de saint Thomas d’Aquin, mais aus­si à un jésuite et à un membre de l’Opus Dei.

Fideliter – Dans les entre­tiens, quels seront les points de réfé­rence, en dehors de la Révélation, de l’Écriture et de la Tradition ? Le Magistère anté­rieur à Vatican II seule­ment ? Ou bien celui postérieur ?

Mgr Bernard Fellay - Le pro­blème concerne Vatican II. C’est donc à la lumière de la Tradition anté­rieure que nous exa­mi­ne­rons si le magis­tère post-​conciliaire est une rup­ture ou pas.

Fideliter – Certains craignent que nos théo­lo­giens, pris par l’atmosphère des bureaux du Vatican, baissent la garde dans leurs entre­tiens. Pouvez-​vous les rassurer ?

Mgr Bernard Fellay - Nous allons à Rome pour témoi­gner de la foi, et l’atmosphère des bureaux nous importe bien peu. Nos théo­lo­giens se réuni­ront tous les deux ou trois mois dans une grande salle du Palais du Saint-​Office, pas dans des bureaux…

Fideliter – Concernant la durée de ces entre­tiens, vu la dif­fi­cul­té de la plu­part des sujets, qui demandent au moins un ou deux ans cha­cun, cette durée pourra-​t-​elle être plus courte que cinq ou dix ans ?

Mgr Bernard Fellay - J’espère qu’il n’en sera pas ain­si… en tout cas, lorsqu’on aborde avec une per­sonne, quelle qu’elle soit, la ques­tion de la messe, de la liber­té reli­gieuse ou de l’oecuménisme, il ne faut nor­ma­le­ment pas tout ce temps pour la convaincre !

Fideliter – Ne craignez-​vous pas que, dans le cours de ces dis­cus­sions, Rome en vienne fina­le­ment à répondre à nos objec­tions (concer­nant la liber­té reli­gieuse ou la nou­velle messe) par l’argument d’autorité : Rome a déci­dé ain­si, or elle ne peut pas se trom­per, etc. ?

Mgr Bernard Fellay - On peut le craindre, bien sûr, mais dans ce cas, cela mon­tre­rait que Rome n’avait pas vrai­ment eu l’intention de dis­cu­ter. Or le débat sur Vatican II est incon­tour­nable. Le récent livre de Mgr Gherardini, théo­lo­gien romain recon­nu, le prouve assez. Vatican II peut être dis­cu­té ; il doit l’être.

Fideliter ‑Ne peut-​on pas craindre que ces entre­tiens débouchent sur des décla­ra­tions com­munes, dans les­quelles les par­ties s’entendent sur des points com­muns, mais sans régler les débats de fond, un peu comme pour la Déclaration com­mune avec les luthé­riens sur la justification ?

Mgr Bernard Fellay - Il n’est pas ques­tion de décla­ra­tions communes.

Fideliter – Supposons que l’un des théo­lo­giens, côté romain, soit ame­né à se ran­ger à telle ou telle thèse tra­di­tion­nelle, par exemple à juger la liber­té reli­gieuse comme non conforme à la Tradition, suite à ces entre­tiens. Que pourrait-​il se pas­ser ensuite ?

Mgr Bernard Fellay - Ce que la Providence vou­dra. Nous ver­rons bien alors ce qu’il convien­dra de faire. Nous n’y sommes pas encore.

Fideliter – Les fidèles ont prié le rosaire pour la recon­nais­sance de la messe tra­di­tion­nelle et pour la levée des excom­mu­ni­ca­tions ; à pré­sent ils prient pour la consé­cra­tion de la Russie par le pape. Avez-​vous le sen­ti­ment qu’ils prient éga­le­ment pour le bon abou­tis­se­ment des entre­tiens doctrinaux ?

Mgr Bernard Fellay - Cela vaut la peine de prier à cette inten­tion, comme l’ont fait les enfants de la Croisade eucha­ris­tique au mois de jan­vier. De notre témoi­gnage de foi peut décou­ler un grand bien pour l’Église… En fait, il me semble que les objets de ces croi­sades du Rosaire sont imbri­qués les uns dans les autres : il n’y aura pas de triomphe marial sans res­tau­ra­tion de l’Église et donc de la messe avec l’enseignement de la foi.

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.