Entretien avec M. l’abbé Bouchacourt – « Beaucoup de prêtres souffrent », in Présent du 8 novembre 2014


L’abbé Bouchacourt n’est pas incon­nu des Parisiens,
puis­qu’il a été prieur à Sainte-​Germaine de 1996 à 1997, puis curé de l’é­glise Saint-​Nicolas du Chardonnet. Il fut ensuite envoyé, en 2003, en Amérique du Sud où il pas­sa onze ans, avant de reve­nir cet été pour rem­plir la charge de supé­rieur du dis­trict de France de la Fraternité Saint-​Pie X. Présent a vou­lu savoir ce qui consti­tuait pour le moment ses plus grandes préoccupations.

– M. l’ab­bé, à votre retour après onze ans à l’é­tran­ger, quelles sont les dif­fé­rences entre l’Amérique du Sud et la France qui vous ont sau­té aux yeux ?

– L’Amérique du Sud est encore un conti­nent fon­ciè­re­ment impré­gné de catho­li­cisme. Il n’y existe pas cette bar­rière impo­sée en France entre la vie sociale et la reli­gion. L’Eglise catho­lique y a encore une grande influence, même si celle-​ci décline : lorsque le pri­mat d’un des pays parle, ses paroles ont de l’é­cho. Mais même là-​bas les pays se laï­cisent, j’ai pu consta­ter cette évo­lu­tion, en onze années. 

– Qu’est-​ce qui vous a sur­pris le plus quand vous êtes reve­nu prendre votre poste ? 

– Indéniablement, la dis­pa­ri­tion impor­tante de la reli­gion catho­lique du pay­sage fran­çais. Quand un débat moral a lieu, on y invite par exemple un phi­lo­sophe comme Finkielkraut, jamais plus un prêtre catho­lique. Ensuite, la mon­tée de la reli­gion musul­mane : quand je suis par­ti, on ne voyait aucune femme voi­lée dans les rues. Aujourd’hui, elles sont très nom­breuses. Enfin, la mon­tée du laï­cisme, dans les paroles comme dans les pro­grammes de ceux qui nous gouvernent. 

– Avez-​vous un des­sein par­ti­cu­lier, un axe spécial ? 

– Oui, m’oc­cu­per le plus pos­sible des prêtres dont j’ai la charge, être dis­po­nible pour eux. Puis mon­ter bien haut l’é­ten­dard du Christ-​Roi : il faut que la Tradition soit davan­tage visible dans la socié­té. Mais je suis avant tout le curé des prêtres qui me sont confiés. 

– J’ai remar­qué le ton cha­leu­reux avec lequel vous vous adres­siez aux prêtres de France, dans le der­nier édi­to­rial de la Lettre à nos frères prêtres. 

– Saint Pie X était per­sua­dé qu’il ne pou­vait y avoir de res­tau­ra­tion sans le sacer­doce. Beaucoup de prêtres souffrent, notam­ment de soli­tude et de la crise que tra­verse l’Eglise. L’une des mis­sions de la Fraternité est d’ai­der les prêtres en dif­fi­cul­té, quels qu’ils soient. 

– Nous avons annon­cé dans Présent votre pèle­ri­nage inter­na­tio­nal à Lourdes, les 25, 26 et 27 octobre der­nier. Il s’a­gis­sait de la pre­mière mani­fes­ta­tion publique que vous patron­niez. Quelle impres­sion en gardez-vous ? 

– Un grand émer­veille­ment. Ce fut un grand moment de fer­veur et d’u­ni­té pour notre fra­ter­ni­té, qui doit par­fois tra­ver­ser des tem­pêtes dou­lou­reuses. Un grand nombre de fidèles réunis autour de nos trois évêques et de nos com­mu­nau­tés amies, et la grâce de Lourdes, bien sûr, quelle beau­té ! C’est en France que la Tradition est la plus armée, nous avons le devoir de mon­trer l’exemple. 

– Passons au Synode de la famille : la Fraternité n’est pas seule dans le camp de la cri­tique, même Jean-​Marie Guénois, dans Le Figaro, en dit du mal… 

– C’est effrayant ! Le Concile a ébran­lé la foi : désor­mais, la morale peut tom­ber. Le plus dra­ma­tique est que c’est le pape lui-​même qui est à l’i­ni­tia­tive de ce bou­le­ver­se­ment. Que va-​t-​il se pas­ser ? Attendons. Mais ce que retiennent la presse et le grand public, c’est qu’il va deve­nir nor­mal de don­ner la com­mu­nion aux divor­cés rema­riés et aux homo­sexuels

– Vous avez évo­qué le pape. Vous savez que la – saine ! – curio­si­té des fidèles est insa­tiable : il se dit que vous êtes au mieux tous les deux ? 

– (rires) Nous nous connais­sons. J’ai pris contact avec lui à Buenos Aires lorsque nous avons eu des sou­cis admi­nis­tra­tifs pour les visas des­ti­nés aux prêtres étran­gers. Il nous a aidés et m’a reçu plu­sieurs fois (à chaque fois, je lui offrais un livre de Mgr Lefebvre). Mais de son action là-​bas a résul­té un champ de ruines : un sémi­naire presque vide, un nombre d’or­di­na­tions his­to­ri­que­ment bas. La déchris­tia­ni­sa­tion de son dio­cèse a sui­vi son cours, il a pré­si­dé des célé­bra­tions comme nous avons pu en connaître dans les années 70–80.

– Son élec­tion ne vous a donc pas réjoui ? 

– Pas vrai­ment. On l’a vu appli­quer toutes les réformes dans son dio­cèse. Ordonné en décembre 1969, il est le pre­mier pape qui n’ait jamais célé­bré la messe tra­di­tion­nelle, même si bien sûr il y a assis­té. Il est « tom­bé » dans le Concile et cela ne lui pose aucun pro­blème. Avec nous, je recon­nais qu’il a été gen­til et com­plai­sant. C’est sa manière d’a­gir : il faut « che­mi­ner avec ceux qui ne sont pas en pleine com­mu­nion », car c’est ain­si qu’il nous voit. Cheminer vers où ? On n’en sait rien. Il ne m’a jamais dit que la Fraternité Saint-​Pie X était dans l’erreur.

– Mais on sait au moins qu’il la connaît. Dans quelles dis­po­si­tions le sentez-​vous vis-​à-​vis de la Fraternité ? Le pensez-​vous capable de régler au mieux sa situation ? 

– Je n’en sais rien.

– Vous ne dites pas non.

– Réellement, j’en doute vrai­ment. C’est un pas­teur avant tout, les pro­blèmes doc­tri­naux lui paraissent secon­daires. Et puis, il aime déconcerter.

– Avez-​vous une réac­tion au sujet du film Chemin de croix, qui « dénonce l’in­té­grisme catho­lique » de la Fraternité Saint-​Pie X ? 

– Une fois de plus, ce sont les catho­liques que l’on attaque. Une socié­té qui n’a plus la foi tourne en ridi­cule toute cer­ti­tude – celle bien sûr que l’on peut tour­ner en ridi­cule sans crainte de réactions. 

– Ces attaques ne sont-​elles pas décourageantes ? 

– Il me paraît pri­mor­dial que nous, catho­liques, nous nous gar­dions de la sinis­trose même si la crise que tra­verse l’Eglise paraît s’é­ter­ni­ser. Nous avons la grâce d’a­voir la foi, et nous avons Dieu avec nous comme nous l’a rap­pe­lé notre Supérieur Général Mgr Fellay à Lourdes. Bien sûr, le temps de Dieu n’est pas le nôtre, et cela nous déroute par­fois. Mais le Christ sera vain­queur, restons-​en per­sua­dés. Cette cer­ti­tude doit nour­rir notre espérance. 

Propos recueillis par Anne Le Pape

Source : du 8 novembre 2014

anne-​le-​pape@​present.​fr

FSSPX Second assistant général

Né en 1959 à Strasbourg, M. l’ab­bé Bouchacourt a exer­cé son minis­tère comme curé de Saint Nicolas du Chardonnet puis supé­rieur du District d’Amérique du Sud (où il a connu le car­di­nal Bergoglio, futur pape François) et supé­rieur du District de France. Il a enfin été nom­mé Second Assistant Général lors du cha­pitre élec­tif de 2018.