23 février

7e apparition – Les deux épisodes du 4e mystère joyeux

Le qua­trième mys­tère joyeux com­prend deux épi­sodes que l’on énonce dis­tinc­te­ment : la Purification de Marie et la Présentation de Jé­sus au Temple. Il fal­lait que ces deux épi­sodes fussent repré­sen­tés sépa­ré­ment à Lourdes, de ma­nière néan­moins à ne com­por­ter qu’une seule Apparition, puis­qu’ils sont médi­tés au cours du Rosaire sur la même dizaine d’Ave. Rien n’est dif­fi­cul­té pour la Sagesse divine. L’absence de vision du 22 février nous dira les leçons du mys­tère de la Purification, et l’Apparition du 23 évo­que­ra le mys­tère de la Présentation.

I
La Purification de Marie

L’obéissance à la loi et à l’au­to­ri­té légi­ti­me­ment consti­tuée, telle est, si l’on s’en tient au texte ins­piré, la leçon pri­mor­diale de la Purification de Marie. Elle aurait eu de bonnes rai­sons de ne point se rendre à Jérusalem, comme l’y obli­geait « la loi de Moïse ». L’alternative avait dû cer­tai­ne­ment se pré­sen­ter à son esprit : ou bien se dis­pen­ser d’une loi qui n’é­tait pas faite pour elle – purifie-​t-​on la neige du som­met des mon­tagnes ? – ou bien obéir à la loi, mais en offen­sant ain­si en quelque sorte les pré­ro­ga­tives que l’Ange de l’Annonciation avait saluées en elle.

Marie, avec son admi­rable rec­ti­tude de juge­ment, n’hé­site pas. Elle opte pour la « loi de Moïse », contre ses pri­vi­lèges, ayant en vue l’é­di­fi­ca­tion des Juifs, qui n’au­raient rien com­pris à son abs­ten­tion, et, bien plus encore, pour l’é­di­fi­ca­tion des chré­tiens, qu’elle engage ain­si à un par­fait res­pect de la loi de Dieu.

Et Bernadette fut sa par­faite imi­ta­trice le 22 février. Elle aus­si, selon l’ex­pres­sion de l’ab­bé Archelet, « opte pour le Décalogue contre la dévo­tion ». Ce jour-​là, en effet, elle reçoit l’ordre de ses parents « non seule­ment de ne pas retour­ner à Massabielle, mais d’al­ler à l’é­cole et de ne dévier ni à droite ni à gauche ». Cruelle alter­na­tive pour l’en­fant ! « Elle nous disait, raconte Basile Casterot : ça me fait bien de la peine. Il faut que je déso­béisse ou à vous ou à cette Dame ». Elle avait, sem­ble-​t-​il, une rai­son suf­fi­sante pour trans­gres­ser l’or­dre de ses parents. N’avait-​elle pas pro­mis d’al­ler à la Grotte durant quinze jours, et cette pro­messe ne l’avait-​elle pas faite à une Dame mys­té­rieuse dont l’au­to­ri­té trans­cen­dait celle de ses parents ? Que devait-​elle faire ? Si l’on se réfère au mys­tère de la Purification, elle devait se sou­mettre à la loi du Décalogue, qui veut qu’un enfant obéisse à ses parents. Et c’est ce qu’elle fit.

C’est plu­tôt ce qu’elle se pro­po­sait de faire, mais quand, l’après-​midi, se ren­dant à l’é­cole, elle fut par­ve­nue à quelques pas de la caserne de gen­dar­me­rie, elle est arrê­tée par une main mys­té­rieuse qui l’empêche d’a­van­cer et l’en­traîne vers la Grot­te. C’est en vain qu’elle résiste. Elle n’est pas res­ponsable. Dieu a besoin d’elle pour nous mettre sous les yeux, dans un sai­sis­sant relief, la leçon du qua­trième mys­tère joyeux.

Les gen­darmes, de leurs fenêtres, remarquent ses hési­ta­tions et ses pié­ti­ne­ments devant l’obs­tacle invi­sible. Dès qu’ils voient l’en­fant faire volte-​face, ils se hâtent de la suivre.

En che­min, Bernadette demande qu’on aille lui cher­cher le cierge de sa mar­raine, dont elle se ser­vait aux céré­mo­nies de la Chandeleur. Cette de­mande tra­hit son des­sein. Bientôt des enfants et des femmes la rejoignent. Et le « cor­tège » se rend à Massabielle. En avant, marche la voyante « cal­me, modeste et sereine », son cierge de Chandeleur à la main. Deux gen­darmes, repré­sen­tants de la Loi, tels deux aco­lytes, l’en­cadrent. Et la foule suit, com­po­sée d’une « cin­quan­taine de femmes, filles et pe­tits garçons ».

Et de ce petit cor­tège, le sym­bo­lisme se dégage gran­diose. Il évoque les pro­ces­sions qui se font le 2 février… Il évoque Marie, la mère par excel­lence, la femme qui a enfan­té la lumière du monde, s’en allant au Temple pour une Purification dont elle n’a pas besoin, sim­ple­ment par res­pect pour la loi. « La loi recon­nais­sante, écrit l’ab­bé Bonner lui-​même, qui semble avoit péné­tré la signi­fi­ca­tion sur­na­tu­relle de ces évé­ne­ments, lui forme un cor­tège d’hon­neur, tan­dis que les femmes mariées, dont c’est aujourd’­hui la fête, lui crient leur admi­ra­tion et sont fières de s’af­fir­mer, publi­que­ment, sui­vantes de Notre-​Dame de la Chandeleur, de la mère purifiée ».

Bernadette, arri­vée devant la niche, se met à ge­noux, allume son cierge et récite le cha­pe­let ; mais cette fois, la Dame ne vient pas. Après avoir prié long­temps, elle com­prit qu’il n’y aurait pas vision, et elle en parut très affli­gée. « Je ne sais pas, dit­-​elle, en quoi j’ai man­qué à cette Dame ».

Rassure-​toi, Bernadette. Tu n’as point failli. Tu es venue à la Grotte mal­gré la défense de tes parents, mais tu ne leur as pas pour­tant déso­béi puis­que « tu n’as pu faire aller tes jambes que vers la Grotte ». Une force mys­té­rieuse t’a fait dévier de ton che­min. Ta volon­té demeu­rait sou­mise à l’au­to­ri­té pater­nelle. Mais exté­rieu­re­ment et léga­le­ment, aux yeux des hommes, tu n’é­tais pas dans l’ordre. La Dame céleste, res­pon­sable pour­tant de cet appa­rent désordre, se gar­de­ra néan­moins de le cou­vrir de ses faveurs. Elle veut faire entendre aux hommes la leçon du mys­tère de la Purification.

Comme Marie, aimons pas­sion­né­ment la loi de Dieu, sans croire jamais que rien puisse nous en dispenser.

II
La Présentation de Jésus au Temple

Le mys­tère de la Présentation est, avant tout, le mys­tère de la voca­tion de Jésus. C’est aujourd’­hui qu’il se donne à son Père, sans réserve et sans re­tour. C’est aujourd’­hui qu’il pro­nonce les paroles qui résument tout le mys­tère de son Incarnation. « Vous n’a­vez vou­lu ni sacri­fice ni offrande, mais vous m’a­vez for­mé un corps. Alors j’ai dit : Voici, je viens pour faire, ô Dieu, votre volonté ».

Et c’est aujourd’­hui que Bernadette entend le même appel et qu’elle y répond pareille­ment. « Tandis que je priais, raconte-​t-​elle elle-​même, la Dame m’ap­pe­la, je répon­dis : me voici ! »

L’état d’o­béis­sance, de sou­mis­sion, de totale obla­tion de Jésus à son Père va être expri­mé par l’at­ti­tude d’ab­sorp­tion qui va carac­té­ri­ser plus spécia­lement aujourd’­hui l’ex­tase de Bernadette. Tout son être est comme sus­pen­du à sa chère vision. « On aurait dit, déclare Estrade, qu’elle crai­gnait de bais­ser les pau­pières, de peur de perdre de vue l’ob­jet ravis­sant de ses contem­pla­tions. C’était un de ces êtres pri­vi­lé­giés, à figure céleste, que l’a­pôtre des grandes visions nous repré­sente en extase devant­le Trône de Dieu… »

Divers inci­dents mar­quèrent, à Jérusalem, la Présentation de Jésus. On va les voir se renou­ve­ler dans la qua­trième Apparition joyeuse.

Un homme « juste et crai­gnant Dieu », du nom de Siméon, fut pous­sé par l’Esprit-​Saint à venir dans le Temple, à Jérusalem, à l’heure où les pa­rents de Jésus y arri­vaient eux-​mêmes. Dès qu’il aper­çut l’Enfant dans les bras de sa Mère, une se­crète intui­tion lui révé­la que c’é­tait là le Messie atten­du. Et c’est alors qu’il pro­non­ça l’é­mou­vant can­tique du Nunc dimit­tis.

Pareillement, l’Esprit-​Saint, en la per­sonne du Curé de Lourdes, pous­sa, le 23 février, M. Estrade, « homme juste et crai­gnant Dieu », à se rendre à Massabielle. Immédiatement il fut sous le charme. Son émoi fut iden­tique à celui de Siméon. Il publia son témoi­gnage. « Je ne pou­vais, a‑t-​il écrit, rete­nir mon émo­tion… La Dame avait eu beau se voi­ler, j’a­vais sen­ti sa pré­sence… O heure solen­nelle de ma vie ! »

Et c’est à l’oc­ca­sion du récit de cette Apparition qu’il entonne un can­tique dont la contex­ture et les sen­ti­ments sont ceux du Nunc Dimittis : « O Mère, mes che­veux ont blan­chi et je suis près de la tombe. Je n’ose arrê­ter mes regards sur mes ini­qui­tés et plus que jamais j’ai besoin de me réfu­gier sous le man­teau de vos misé­ri­cordes. Quand, à l’heure suprême, je paraî­trai devant votre auguste Fils, dai­gnez vous faire ma pro­tec­trice et vous sou­ve­nir que vous m’a­vez vu, aux jours de vos mani­fes­ta­tions, à genoux et croyant, sous la voûte sacrée de votre Grotte de Lourdes ».

Le vieillard Siméon ne se conten­ta pas de chan­ter son propre bon­heur, mais, se tour­nant vers la Mère de l’Enfant, il lui confia, concer­nant sa vo­cation, trois dou­lou­reux secrets : « Cet enfant est au monde pour la chute et le relè­ve­ment de beau­coup en Israël. – Il sera un signe de contra­di­tion. ‑Pour toi, ton âme sera trans­per­cée par un glaive à deux tranchants ».

Et c’est aujourd’­hui, pour conti­nuer le parallè­le, que trois secrets sont confiés à Bernadette. Des indis­crets ont cher­ché plus tard, par tous les moyens, à lui arra­cher les révé­la­tions de la Vierge. Peine per­due ! La fidèle enfant a empor­té avec elle ses secrets dans la tombe. Mais ceux qui ont vécu en son inti­mi­té s’ac­cordent à pen­ser qu’ils avaient trait à sa voca­tion et à son exis­tence, qui ne lui épar­gne­ra ni dou­leurs ni contra­dic­tions. Quoi qu’il en soit, le vieillard Siméon avait annon­cé à Marie qu” « un glaive à deux tran­chants trans­per­ce­rait son âme ». Or il est remar­quable que le ler mars, jour où se joue­ra à la Grotte le mys­tère du Crucifie­ment, un témoin lira sur le visage de Bernadette « une tris­tesse vive comme un glaive à deux tran­chants, pro­fonde comme un abîme ».

Le 23 février, les spec­ta­teurs des Apparitions no­teront seule­ment sur sa phy­sio­no­mie des sen­ti­ments « d’ad­mi­ra­tion, de joie, de crainte et de tris­tesse ». Ce sont bien là les émo­tions qui durent se faire jour dans l’âme de Marie, au jour de la Présentation :

L’admiration : Le Père et la Mère de l’Enfant étaient, dans l’ad­mi­ra­tion des choses qu’on disait de lui.

La joie et la tris­tesse : Cet Enfant a été éta­bli pour la chute et le relè­ve­ment d’un grand nombre ‚en Israël.

La crainte : Un glaive trans­per­ce­ra votre âme.

Signalons enfin que c’est encore aujourd’­hui que Bernadette trace sur elle, « par inter­valles, ces si­gnes de Croix si pieux et si nobles, comme on ne peut les faire qu’au Ciel », ces signes de Croix qui résument toute la Passion – cette Passion qui point déjà lugu­bre­ment au matin de la Présentation de Jésus au Temple…

Huitième appa­ri­tion