Boulogne : pèlerinage de Notre Dame du Grand Retour

Sermon de Monsieur l’abbé de Cacqueray, Supérieur du District de France

Mon désir le plus pro­fond, à l’oc­ca­sion de cette céré­mo­nie magni­fique en l’hon­neur de Notre-​Dame du Grand Retour, est que nos âmes extrê­me­ment atten­tives à la grâce mariale qui s’y trouve atta­chée, la reçoivent au plus intime d’eux-​mêmes et s’en retournent ce soir, non point super­fi­ciel­le­ment conso­lées de la vue d’une belle pro­ces­sion mais inté­rieu­re­ment retour­nées car je pense que c’est la mis­sion propre de Notre-​Dame du Grand Retour non pas seule­ment de remuer les cours mais de les retour­ner du tout au tout. Or je crois vrai­ment que tout conti­nue­ra à se déli­ter, à tom­ber en débris tant que nous n’au­rons pas com­men­cé par com­prendre cette condi­tion néces­saire à tout redres­se­ment espé­ré : il importe d’a­bord que s’o­père un retournement- j’en­tends par là une conver­sion inté­rieure nou­velle, radi­cale c’est-​à-​dire adap­tée pour résis­ter à un monde dont le radi­ca­lisme anti-​chrétien est deve­nu évident. Mes bien chers frères, je confie donc à la Vierge de Boulogne tous les cours qui sont ici pré­sents et qui me sont tous si chers, qu’Elle les ouvre, qu’Elle les remue, qu’Elle les retourne, qu’Elle en fasse des cours nou­veaux, tout pla­cés dans la proxi­mi­té, dans le rayon­ne­ment du cour de Marie, tout rem­plis d’une fer­veur mariale si sur­abon­dante qu’elle par­vienne encore aujourd’­hui à tou­cher d’autres âmes et à les rame­ner jus­qu’à l’a­do­ra­tion et l’a­mour de Notre-​Seigneur Jésus-Christ.

Comme je suis abso­lu­ment convain­cu que ce grand retour­ne­ment des cours auquel j’as­pire ne peut être qu’une ouvre mira­cu­leuse opé­rée par Notre-​Dame du Grand Retour, mes pauvres mots ne s’ef­for­ce­ront donc que de vous La pré­sen­ter pour que vos cours se trouvent dans un pre­mier temps comme stu­pé­faits de Sa puis­sance et de Sa bon­té. Et si vos âmes se sont ain­si lais­sé tou­cher par ce spec­tacle admi­rable et unique, elles com­pren­dront alors que notre sur­vie même et notre espé­rance ne se trouvent qu’en Elle et en consé­quence, que ne demeu­re­ront fidèles, que ne pour­ront plus être apôtres désor­mais que les âmes qui ayant accueilli Notre-​Dame du Grand Retour, se sont prê­tées à cette ouvre de retour­ne­ment qu’Elle est venue aujourd’­hui opé­rer en eux, à Boulogne et en France. Et ce sera là, la deuxième et der­nière par­tie de mon propos.

Mais tout d’a­bord, mes bien chers frères, comme je sou­haite que l’é­vo­ca­tion de Notre-​Dame de Boulogne puisse dila­ter et embra­ser vos âmes ! Vous dirai-​je, quant à moi, ce qui me bou­le­verse une nou­velle fois à la décou­verte de ce nou­veau sanc­tuaire marial ? C’est tout d’a­bord la bon­té de Notre-​Dame pour la France qu’Elle a vrai­ment aimée et conti­nue d’ai­mer comme son enfant de pré­di­lec­tion. Qui s’en­fonce len­te­ment dans nos vieilles cam­pagnes, qui prend le temps de se pen­cher sur les pierres de nos cal­vaires, de nos églises, de nos cime­tières, doit se rendre à l’é­vi­dence qu’il n’y a aucun lopin de notre terre que Notre-​Dame infa­ti­gable n’ait par­cou­ru. Elle a arpen­té tous nos che­mins et par­tout nous retrou­ve­rons, dans le der­nier des hameaux, les ves­tiges de sa pré­sence, les par­fums de ses ver­tus qui sont venus embau­mer jus­qu’aux moindres recoins de notre sol. Mais ce qui m’é­meut encore davan­tage, c’est que ces visites si nom­breuses ne sont jamais iden­tiques. Point de pas­sages pure­ment pro­to­co­laires et sté­réo­ty­pés. Avec une intel­li­gence qui jus­ti­fie­rait un livre tout consa­cré à son admi­ra­tion, Marie, à chaque grâce, a com­men­cé par faire le choix le plus judi­cieux des détails qui conviennent har­mo­nieu­se­ment aux âmes aux­quelles Elle veut s’a­dres­ser. Rien n’est lais­sé au hasard et à l’im­pro­vi­sa­tion car Elle est trop aimante pour ne pas Elle aus­si – comme Son Fils- tout bien faire.Merveilleuse com­pré­hen­sion des êtres qui l’a­mène si natu­rel­le­ment pour annon­cer à Bernadette la véri­té sublime de l’Immaculée Conception, à par­ler le patois de Massabielle !

Adaptation infi­ni­ment juste et tou­chante qui la fait deve­nir ici, sur ces côtes aus­tères de la mer du Nord, pour un peuple de marins confron­tés à toutes les rudesses de leur dur labeur, à deve­nir pour eux la plus belle et la plus récon­for­tante des nau­to­nières. La voi­ci désor­mais par­mi eux, au milieu d’eux, dans ce beau sanc­tuaire que leurs cours recon­nais­sants lui ont bâti. Et cette Vierge pour des géné­ra­tions et pour des siècles est deve­nue toute la Providence de ce peuple, Celle qui accueille tou­jours, Celle qui récon­forte, Celle qui délivre et qui apaise, Celle qui fait l’u­ni­té, Celle qui incarne l’Espérance. C’est tout un peuple choi­si par la Vierge qui en a été tel­le­ment tou­ché que ne ces­se­ra plus de mon­ter de ses lèvres un chant de recon­nais­sance et d’a­mour pour Celle qui n’a­vait pas cru perdre de son temps à les visiter.

Il y a sur ces côtes du Nord de notre pays des brumes fré­quentes qui assom­brissent la terre, qui rendent la mer plus redou­table encore et qui pour­raient bien aus­si assom­brir éga­le­ment les âmes. Mais lorsque l’air est en train d’être lavé, il y a d’un seul coup des lumi­no­si­tés incom­pa­rables, inéga­lées, qui donnent une colo­ra­tion si vive et si fraîche à toutes choses qu’elles suf­fisent déjà à faire oublier les brumes et à réjouir les cours. C’est à l’i­mi­ta­tion de cette lumière que Marie a opé­ré ici. Elle a sur­gi dans l’his­toire de ce peuple comme l’Etoile venue de la mer et son accos­tage sur ce rivage a convain­cu défi­ni­ti­ve­ment les hommes d’i­ci que la céleste nau­to­nière était venue jus­qu’à cha­cun d’eux, infaillible capi­taine, pour leur faire accom­plir le seul vrai voyage qui vaille, jus­qu’aux rivages de la belle éter­ni­té. Notre-​Dame de Boulogne fut la démons­tra­tion incar­née pour les Boulonnais que toutes les brumes, celles de la mer, celles de la terre, mais sur­tout celles qui enlacent et tour­mentent les cours sont vin­cibles par Marie.

Il me reste main­te­nant à vous dire pour­quoi cette Vierge de Boulogne, qui échap­pa par un miracle à l’i­co­no­clasme et à la déses­pé­rance des pro­tes­tants mais qui fut brû­lée entiè­re­ment, à deux doigts près, par la rage sata­nique de la Révolution qui vou­lait rendre les hommes orphe­lins pour leur impo­ser une marâtre, consti­tue bien notre seule espé­rance mais en même temps notre espé­rance invin­cible. A deux doigts près Elle était entiè­re­ment brû­lée. Mais jus­te­ment il res­tait ces deux doigts pieu­se­ment ramas­sés dans les cendres sacri­lèges et conser­vées dans un reli­quaire de la cathé­drale. Bien que nos âmes soient déchi­rées de la dis­pa­ri­tion inique de la Vierge unique, le seul sym­bole de ces deux doigts encore pré­sents, de cette dévo­tion per­pé­tuée jus­qu’à nous, suf­fit à nous inter­dire la ten­ta­tion du déses­poir. De la même manière, notre plus grand mal­heur, sur une mer déchaî­née, a été de voir, scan­da­li­sés que les hommes de l’é­qui­page de la barque de Pierre, au lieu d’é­co­per, s’é­ver­tuaient au contraire à accé­lé­rer le nau­frage et à coups redou­blés, comme des scé­lé­rats, éven­traient la coque de l’es­quif exté­nué. Et cepen­dant nous gar­dons encore aujourd’­hui des évêques catho­liques, des prêtres catho­liques et la Foi en l’Evangile demeure dans nos cours. A deux doigts près, la barque aurait dû som­brer dans les flots mais Elle n’a pas som­bré et nous croyons qu’Elle ne som­bre­ra pas grâce à la Mère de Celui qui dor­mait dans la barque jus­qu’à l’ins­tant où Il a déci­dé d’a­pai­ser la tempête.

Et j’en arrive main­te­nant à l’a­bou­tis­se­ment de mon pro­pos. Face au déchaî­ne­ment jamais éga­lé de la tem­pête, il doit y avoir chez les catho­liques, pour ne pas dis­pa­raître à leur tour, un com­por­te­ment d’âme et une réso­lu­tion appro­priés, pro­por­tion­nés. Que mes mots tel­le­ment insuf­fi­sants ne vous empêchent pas de com­prendre cette néces­si­té de sur­vie ! Les accom­mo­de­ments, les com­pro­mis­sions avec l’er­reur et le monde, ne peuvent jamais être le par­tage d’un cour chré­tien. Mais ce que nous consta­tons aujourd’­hui, c’est véri­ta­ble­ment que ces accom­mo­de­ments, que ces com­pro­mis­sions ravagent les âmes et ce qui demeure des bas­tions catho­liques. Nous avons vu encore jus­qu’à avant-​hier, se suc­cé­der ces ral­lie­ments qui n’ont ces­sé d’emporter avec eux des hommes deve­nus bien­tôt conci­liants au « Concile du Naufrage » puis réso­lu­ment conci­liaires. Nous les avons enten­dus pro­tes­ter les uns après les autres qu’ils ne se feraient pas empor­ter par la bour­rasque. Mais lequel en a réchap­pé et s’il en a réchap­pé, dans quel état se trouve-t-il ?

C’est pour­quoi je ne vois pas d’autre issue que dans ce grand retour de Notre-​Dame, comme au len­de­main d’une autre guerre. Elle s’y trouve prête, Elle ne demande qu’à com­men­cer son ouvre extra­or­di­nai­re­ment effi­cace au-​dedans de nous-​mêmes. Comme Sa pré­sence sur ce sol du Nord a suf­fi à vivi­fier tout un peuple, Elle est par­fai­te­ment apte à débu­ter dans nos âmes alan­guies et bles­sées, cette ouvre admi­rable qui consiste à retour­ner nos cours parce qu’ils sont tour­nés vers le monde et qu’Elle veut tout sim­ple­ment les en détour­ner pour les retour­ner vers Dieu. Elle sait bien que cette volte-​face est la condi­tion de la sur­vie. Elle veut déli­vrer les cours de toutes ces com­pli­ci­tés avec le monde qui les rendent si vul­né­rables, si prêts à s’ac­com­mo­der, à se rendre, à se ral­lier. Alors, mes bien chers frères, ces cours tout livrés à Marie, tout voués à sa cause, tout dévoués à son ser­vice pour­ront gran­dir et se for­ti­fier dans le seul élé­ment qui convienne à une âme dont la fidé­li­té se trouve ain­si garan­tie. Mais il s’a­git alors de beau­coup plus qu’une simple fidé­li­té. Il s’a­git de la recon­quête des âmes qui s’a­morce par là-​même, qui com­mence immé­dia­te­ment. De la réso­lu­tion des âmes à la dévo­tion mariale, de leur per­sé­vé­rance à y res­ter, de leur accep­ta­tion à toutes les puri­fi­ca­tions que réclame son inti­mi­té, de l’ha­bi­tude à la réci­ta­tion du Rosaire et de la conver­sa­tion quo­ti­dienne, conti­nue, de notre cour avec Marie, d’une véri­table conver­sion toute nou­velle à Marie, de tout cela dépendent et nos fidé­li­tés et la conver­sion des âmes et le dénoue­ment de la crise.

Boulogne-​sur-​mer, dimanche 10 sep­tembre 2006

Abbé Régis de Cacqueray †

Le repor­tage pho­tos du pèlerinage

Capucin de Morgon

Le Père Joseph fut ancien­ne­ment l’ab­bé Régis de Cacqueray-​Valménier, FSSPX. Il a été ordon­né dans la FSSPX en 1992 et a exer­cé la charge de Supérieur du District de France durant deux fois six années de 2002 à 2014. Il quitte son poste avec l’ac­cord de ses supé­rieurs le 15 août 2014 pour prendre le che­min du cloître au Couvent Saint François de Morgon.