Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême du 7 juillet 2007


« Mgr Claude Dagens » du 7 Juillet 2007 

I – LES RAISONS DE NOTRE PAPE BENOÎT XVI 

Nous com­pre­nons les rai­sons qui ont conduit notre pape Benoît XVI à publier ce Motu pro­prio qui élar­git les pos­si­bi­li­tés de célé­brer la messe selon le rite dit de saint Pie V, pré­sen­té comme une « forme extra­or­di­naire de l’unique rite romain ».

Le Pape, en tant que suc­ces­seur de l’apôtre Pierre et évêque de Rome, est char­gé d’une mis­sion pri­mor­diale au ser­vice de la com­mu­nion de l’Église catho­lique. Benoît XVI a une conscience extrê­me­ment vive des exi­gences actuelles de cette mis­sion. On ne peut pas ne pas com­prendre les inten­tions qui jus­ti­fient la publi­ca­tion de ce Motu pro­prio, accom­pa­gné d’une lettre per­son­nelle adres­sée aux évêques.

1. Il s’agit d’abord d’enrayer le pro­ces­sus de sépa­ra­tion et de rup­ture qu’a entraî­né depuis une tren­taine d’années la dis­si­dence de Monseigneur LEFEBVRE, avec les actes schis­ma­tiques qui ont jalon­né ce pro­ces­sus, et en par­ti­cu­lier l’ordination de quatre évêques le 30 juin 1988. Benoît XVI ne se résigne pas à cette rup­ture : il veut œuvrer comme pape à la récon­ci­lia­tion de tous au sein de l’Église catholique.

2. Il s’agit en même temps pour lui de pro­mou­voir une com­pré­hen­sion et une « récep­tion » authen­tiques du Concile Vatican II. Benoît XVI est fidèle à ses convic­tions de théo­lo­gien, déjà maintes fois affir­mées : on ne peut pas admettre une lec­ture de Vatican II qui serait faite selon une logique de dis­con­ti­nui­té et de dif­fé­rence, comme si Vatican II venait cor­ri­ger et même contre­dire le Concile de Trente et le Concile Vatican I. Il faut lire et com­prendre Vatican II selon la logique de la grande Tradition catho­lique, qui est une logique de conti­nui­té et de crois­sance organique.

3. La litur­gie catho­lique est une expres­sion majeure de la foi et de la Tradition de l’Église. Il faut tout faire pour que la mise en œuvre de cette litur­gie, et spé­cia­le­ment de la messe, s’accomplisse elle aus­si selon le même prin­cipe, non de dis­con­ti­nui­té, mais de déve­lop­pe­ment orga­nique. Benoît XVI plaide inlas­sa­ble­ment pour que la litur­gie n’apparaisse jamais comme une fabri­ca­tion humaine, mais comme cet ensemble lié à la Tradition vivante de l’Église et qui ouvre les hommes au mys­tère de Dieu et à sa révélation.

II – NOS RESPONSABILITÉS D’ÉVÊQUES DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE

Je com­prends ces inten­tions de notre pape Benoît XVI : ce désir de récon­ci­lia­tion avec les catho­liques « tra­di­tio­na­listes », ce sou­ci de favo­ri­ser une com­pré­hen­sion authen­tique du Concile Vatican II, cette volon­té de mettre la litur­gie au ser­vice de la foi com­mune au Dieu de Jésus Christ.

Mais l’intervention de Benoît XVI m’appelle à exer­cer mes res­pon­sa­bi­li­tés d’évêque, char­gé d’une Église par­ti­cu­lière et par­ta­geant aus­si, cum Petro et sub Petro, avec l’évêque de Rome et sous son auto­ri­té, le sou­ci de toutes les Églises. C’est à cause de cette catho­li­ci­té de mon minis­tère d’évêque que je n’hésite pas à poser des ques­tions qui me semblent légitimes.

Essentiellement celle-​ci : même si je com­prends le sou­ci de récon­ci­lia­tion qui ins­pire la démarche de Benoît XVI, je me demande si d’autres stra­té­gies ne sont pas à l’œuvre, qui, elles, feraient valoir d’abord des rap­ports de forces, conscients ou incons­cients, qui peuvent être d’ordre poli­tique ou d’ordre cultu­rel. Je ne pour­rais pas accep­ter que l’on se serve du nom de Dieu, de l’Église et de la litur­gie de l’Église pour ser­vir d’autres causes qui seraient fina­le­ment étran­gères à la véri­té de Dieu, de l’Église et de sa liturgie.

Un ami, dont la famille est liée à des groupes fidèles à Monseigneur LEFEBVRE, me disait l’autre jour : « Ils me semblent plus inté­res­sés par des pro­blèmes de rites que par l’Amour de Dieu ».

Soyons clairs : la ques­tion « Qui est Dieu pour nous ?» n’est pas une ques­tion secon­daire. On ne peut pas se ser­vir du nom très saint de Dieu pour des com­bats secon­daires, sur­tout si ce nom passe par le sacri­fice, la Passion et la Pâque de cet homme nom­mé Jésus, qui est son Fils.

On ne peut pas davan­tage réduire l’Église à une force poli­tique et sociale que l’on pour­rait mani­pu­ler comme un groupe de pres­sion. Car l’Église est d’abord l’Église du Christ, « l’unique Église du Christ », son Corps vivant, même s’il est bles­sé, et vivant de l’amour de Dieu livré au monde. Je crains que cer­tains dis­cours, sous pré­texte d’exalter l’unité de l’Église, ne fassent peu de cas de son carac­tère sacramentel.

Quant à la litur­gie elle-​même, et spé­cia­le­ment à la messe, à l’Eucharistie, on ne peut pas l’instrumentaliser, c’est-à-dire en faire un ins­tru­ment plus ou moins ajus­té à des choix humains, à des pré­fé­rences cultu­relles ou politiques.

Avec le pape Benoît XVI, je m’engage à tout faire pour ser­vir contre vents et marées, la véri­té de la foi catho­lique, celle de l’Église et de la litur­gie. Je prends cet enga­ge­ment au nom de mes res­pon­sa­bi­li­tés d’évêque, selon la grande Tradition de l’Église, et en par­ti­cu­lier selon ce que j’ai appris des ori­gines chré­tiennes, où j’ai aus­si mes racines spirituelles.

J’ai don­né l’an der­nier une pré­face à la grande lettre qu’a écrite vers 250 l’évêque saint Cyprien de Carthage sur L’unité de l’Église. Il s’agissait d’organiser la réin­té­gra­tion dans l’Église de ceux qui avaient « chu­té », en période de per­sé­cu­tions. Face à l’évêque de Rome, qui ne connais­sait pas direc­te­ment les ten­sions vécues dans les com­mu­nau­tés d’Afrique du Nord, Cyprien s’est mon­tré très exi­geant sur les condi­tions de l’unité.

C’est aus­si notre res­pon­sa­bi­li­té d’évêques d’être actuel­le­ment exi­geants sur les condi­tions d’une récon­ci­lia­tion véri­table avec les catho­liques que l’on appelle « inté­gristes » ou « tra­di­tio­na­listes ». Je n’aime pas les éti­quettes. Je crois à l’importance des dia­logues appro­fon­dis qui portent sur l’essentiel de la foi. Je ne vou­drais pas que tous les ajus­te­ments de rites nous masquent cet essen­tiel. Et je conti­nue­rai à tout faire pour que nous par­ve­nions à cet essen­tiel, avec la force de l’Esprit Saint.

J’ose ajou­ter que cet essen­tiel n’est pas seule­ment de l’ordre de la foi, mais de l’ordre de la cha­ri­té. Comme l’ont affir­mé les Pères de l’Église, et comme l’a écrit jadis Joseph RATZINGER, « l’amour quo­ti­dien, habi­tuel, des chré­tiens les uns pour les autres est une part essen­tielle de l’Eucharistie elle-​même et cette bon­té quo­ti­dienne est véri­ta­ble­ment litur­gie et ser­vice divin. » (J.RATZINGER, Le nou­veau peuple de Dieu, Paris, 1971, P.17)

Voilà ce qui est « catho­li­que­ment cor­rect » selon la grande Tradition de l’Église ! La messe est avant tout le « sacra­men­tum cari­ta­tis », le « sacre­ment de la cha­ri­té », comme Benoît XVI l’a aus­si rap­pe­lé récem­ment. Au-​delà de ce Motu Proprio, c’est le défi essen­tiel que nous avons à rele­ver et pour lequel nous sommes attendus !

+ Claude Dagens- évêque d’Angoulême