Sauvée de la persécution antichrétienne, une famille irakienne témoigne – 19 janvier 2017


Les Chrétiens sont per­sé­cu­tés depuis 10 ans en Irak, et souffrent depuis 3 ans en Syrie,
sans que cela ait pro­vo­qué le moindre enga­ge­ment mili­taire d’un quel­conque pays occidental

« Quam pul­chrum ut, cum agmi­na cap­ti­vo­rum ab Ecclesia redi­mun­tur, dica­tur : Hos Christus rede­mit ! – Qu’il est beau, quand une foule de cap­tifs est déli­vrée par l’Eglise, de dire : c’est le Christ qui les a rache­tés ! » (St Ambroise, De offi­ciis, 2, ch 28, n°138.)

Nous vous livrons ici le témoi­gnage d’une famille chré­tienne d’Irak, que nous avons pu sau­ver de l’en­fer grâce à des asso­cia­tions et l’in­ves­tis­se­ment de fidèles.

Le prieu­ré (1) a mis en place un col­lec­tif parois­sial pour les prendre en charge entiè­re­ment (condi­tion sine qua non de l’ac­cep­ta­tion du dos­sier par le consu­lat), les inté­grer et leur appor­ter toute l’aide spi­ri­tuelle atten­due. Purement fac­tuel, ce témoi­gnage doit être répan­du pour com­prendre ce qui se passe quand un pays n’ar­rive plus à gérer l’in­fluence isla­mique.

C’est sur­tout notre prière qui monte, sup­pliante, vers le Ciel : Que Jésus-​Christ, « Prince de la Paix » soit remis comme chef et roi de tous les peuples. Que tous ces chré­tiens per­sé­cu­tés soient assis­tés et pro­té­gés. Que les catho­liques occi­den­taux soient des héros de cette cha­ri­té qui conver­tit les cœurs à notre Seigneur ! 

Septembre 2008 : terreur contre les chrétiens

« Dès le mois de sep­tembre, nous sommes mena­cés de mort car nous sommes chré­tiens : les dji­ha­distes ont glis­sé sous la porte de nos bureaux à l’Université de Mossoul (nous sommes tous deux pro­fes­seurs d’Université), une demande de ran­çon de 20.000 $. Pour ne pas entrer dans leur sys­tème, nous n’avons pas payé. Mais nous avons alors dû quit­ter notre ville de Mossoul pour arri­ver dans un des vil­lages chré­tiens, du nom de Telskuf, le 10 octobre 2008.

A cette époque, ont com­men­cé les per­sé­cu­tions des chré­tiens à Mossoul. Tués devant leur porte ! A Bagdad, le gou­ver­ne­ment était au cou­rant, ain­si qu’à Mossoul. Les gou­ver­ne­ments de ces deux villes ont pro­té­gé les chré­tiens durant deux mois en fai­sant sta­tion­ner des cars de mili­taires devant les mai­sons de chré­tiens à Mossoul.

De sep­tembre 2008 à 2014, Mossoul était le théâtre de la guerre ; tous les jours il y avait des bombes dji­ha­distes détrui­sant les mai­sons, les églises et fai­sant beau­coup de morts.

Juillet 2014 : le début de la fin

Alors que nous vivions dans la ville de Mossoul en Irak depuis des années, nous avons été les vic­times directes de l’avancée des dji­ha­distes, les com­bat­tants extré­mistes de ce qu’on appel­le­ra Daech. Ceux-​ci ont pris le contrôle de notre cité le 10 juin 2014.

Nous nous sommes enfuis de nou­veau pour arri­ver au vil­lage chré­tien du nom de Tell Keff. Nous sommes retour­nés à Mossoul le 15 juillet 2014 – comme beau­coup de familles chré­tiennes, car Daech ne fai­sait pas de mal aux familles avant le 18 juillet 2014.

Le 17 juillet 2014, vers 23 H 30, nous avons enten­du du bruit dans la rue de notre quar­tier. Nous habi­tions notre mai­son neuve (que nous avions fait construire), depuis seule­ment le 17 mai, et ce n’était que du bon­heur, car j’attendais aus­si un bébé. Nous avons écou­té depuis l’étage, en regar­dant dehors – toutes les fenêtres étaient ouvertes à cause de la cha­leur. Ce bruit venait de chez nos voi­sins ; nous avons vu une camion­nette d’où sont sor­tis huit hommes armés, en uni­forme. Leur visage était mas­qué ; ils por­taient la barbe longue et les che­veux longs. Ils avaient le même accent que nous : celui de Mossoul !

En Irak, il y a deux groupes : celui des « sun­ni » (sun­nites) et celui des « chi’a » (chiites). Nos voi­sins sont des chi’a du Sud, et Daech sont des sun­ni, tout comme la majo­ri­té des habi­tants de Mossoul. Ils venaient donc arrê­ter des chi’a. Mais notre voi­sine de gauche leur a dit : « pour­quoi voulez-​vous nous arrê­ter alors que nous sommes musul­mans ? Allez plu­tôt chez nos voi­sins, ils sont chré­tiens… »

Ils les ont donc lais­sés et sont venus à notre mai­son. Ils ont frap­pé, alors mon mari leur a ouvert la porte du garage en même temps qu’ils l’ont vio­lem­ment pous­sée, le ren­ver­sant à terre. A cet ins­tant j’étais dans la mai­son avec mon fils qui dor­mait. Mon mari m’a vite rejointe, mais Daech s’est intro­duit dans notre mai­son de tous côtés. Ils ont pris toutes nos sta­tues et objets reli­gieux, les ont vio­lem­ment bri­sés sous nos yeux, se moquant de notre foi, pen­dant que trois de ces per­sonnes nous mena­çaient de leurs armes. Tout ce bruit réveilla notre fils – 6 ans – qui s’est mis à hur­ler de ter­reur. Je suis donc allé vers lui, mais un des hommes m’a pous­sée et mon fils a cou­ru vers moi.
Les hommes se sont alors mis à tout cas­ser autour de nous… ils nous ont atta­chés à des chaises et nous giflaient. 

Ils nous ont deman­dé : « Où peut-​on trou­ver le grand prêtre chré­tien ? » mais nous n’avons pas dénon­cé ce reli­gieux, d’autant plus que nous n’avions pas son adresse. Sur ce ils nous ont pré­ve­nu que nous devions faire un choix :

- 1° soit nous conver­tir à l’islam ;
– 2° soit payer une lourde dji­zya men­suelle ;
– 3° soit la mort par le glaive.

Ils m’ont tor­tu­rée car ils vou­laient prendre mes bijoux et n’arrivaient pas à les déta­cher. Alors avec un cou­teau, ils m’ont fait des entailles sur le bras droit, ain­si que sur la poi­trine… m’ayant déta­chée de la chaise, ils m’ont tirée par les che­veux en me traî­nant au sol. Ne vou­lant pas les suivre dans le camion, je fai­sais tout pour résis­ter, mais ils me mena­cèrent de viol, tout en m’ordonnant de me conver­tir à l’islam… !

A ce moment-​là je leur ai dit que j’attendais un bébé, et leur ai sup­plié de me lais­ser aller. Mais ils m’ont frap­pée au visage, me giflaient, et me don­naient des coups de pied vio­lents dans le ventre. J’en eus alors de fortes dou­leurs et je com­men­çais à sai­gner. Dans le même temps, mon mari a été jeté vio­lem­ment hors de la mai­son, avec notre petit gar­çon ter­ro­ri­sé. Agacé par ses pleurs, un des hommes lui a don­né un grand coup de poing dans le nez, le fai­sant tom­ber à la ren­verse ; son crâne heur­ta le ciment et il ne s’arrêtait plus de hurler.

Nous étions alors hors de chez nous, dans la rue. Sous nos yeux, ils blo­quèrent la porte à l’aide d’une chaîne fer­mée par un cade­nas. Puis ils écrirent « chré­tiens » (ن) sur le mur. Me voyant sai­gner, ils par­tirent. Nous étions seuls dans la rue, dans le noir, le petit pleu­rait, je gémis­sais de dou­leur. Nous étions atter­rés… nous étions sous le choc !…

A ce moment-​là, l’autre voi­sine regar­dant dans la rue, est venue à notre aide. Elle a pris sa voi­ture et nous a ame­nés tous à l’hôpital. La femme méde­cin, en m’auscultant, m’annonça que notre bébé était mort !!!… En ce qui concerne mon mari, qui fut roué de coups de poings, ils vou­laient le contraindre à se conver­tir à l’islam, en exer­çant leur vio­lence sur moi. Ce fut pour lui une véri­table contrainte psy­cho­lo­gique… Il a pu contac­ter son frère en lui expli­quant la situa­tion, mais il a alors reçu le mes­sage sui­vant, venant de la mos­quée : « les chré­tiens, hors de Mossoul ! » En enten­dant ceci, le méde­cin, crai­gnant Daech, nous a dit de quit­ter l’hôpital immé­dia­te­ment, alors qu’elle venait juste de me faire une césa­rienne. Heureusement ce méde­cin m’avait aupa­ra­vant soi­gnée de mes bles­sures, et avant que je parte, m’a fait une injection.

Forcés de partir

Notre voi­sine nous a gar­dés dans sa voi­ture le reste de la nuit, et ce jusqu’à 11 H 00 du matin. Puis elle nous a pro­po­sé de nous ame­ner hors de Mossoul. Très vite la voi­ture fut arrê­tée au pre­mier poste de contrôle de l’Etat isla­mique. Me voyant cou­chée à l’arrière de la voi­ture, ils ont cru que je cachais quelque chose, mais mon mari leur a expli­qué mon état. Malgré cela, ils m’ont bru­ta­le­ment jetée sur le sol de la route en me disant : « marche ! ». « Vous chré­tiens, ne rêvez même pas de reve­nir à Mossoul ! Jamais ! Si vous reve­nez on vous tue­ra par le glaive. »

Ils nous ont alors pris nos der­nières affaires. Il ne nous res­tait sur la peau que le strict minimum…Nous avons donc mar­ché vers le nord. En nous arrê­tant très sou­vent, car j’étais mal en point et la cha­leur était acca­blante, 55°c ! Heureusement quelques bonnes per­sonnes nous ont secou­rus en nous pre­nant dans leur voi­ture jusqu’à Dohuk (dans le Kurdistan irakien).

Arrivés en cette ville, j’ai été immé­dia­te­ment hos­pi­ta­li­sée car j’avais une forte fièvre, une infec­tion s’étant développée…Nous avons alors réa­li­sé de manière plus aiguë l’état dra­ma­tique de notre situa­tion. Imaginez le nombre de chocs que nous venions de subir en quelques jours. Le choc phy­sique, moral, éco­no­mique et psy­cho­lo­gique. Nous n’avons plus rien. Plus de mai­son, plus de tra­vail, tous nos biens ont été confis­qués par l’Etat isla­mique, notre bébé a été tué vio­lem­ment, nous avons été bat­tus, tor­tu­rés devant notre fils, et nous n’avons plus d’avenir dans notre propre ville, notre patrie, si ce n’est la mort.

Nous avons alors pu loger dans une chambre d’étudiant pen­dant cinq mois. Puis nous avons habi­té avec trois autres familles catho­liques dans un appar­te­ment vide de 125 m². 

Une lueur d’espoir brisée

En jan­vier 2015, le minis­tère de l’Education à Bagdad a ordon­né au pré­sident de l’Université de Mossoul d’ouvrir des facul­tés de toutes branches pro­fes­sion­nelles. Le pré­sident m’a alors choi­sie comme vice-​doyenne de la facul­té des sciences infor­ma­tiques et mathé­ma­tiques de l’Université de Mossoul à Dohuk et Kirkuk. J’ai ain­si pu à nou­veau travailler.

Mais récem­ment, à cause de mes fonc­tions et du fait que nous sommes chré­tiens, nous avons été mena­cés de mort. Les bandes armées ont inclus mon nom sur la liste des per­sonnes recher­chées pour les assas­si­ner. Cette liste était affi­chée sur les murs uni­ver­si­taires ; ils ont juré de nous tuer où que nous soyons en Irak. Cet avis de recherche et cette condam­na­tion à mort publics furent un nou­veau choc psy­cho­lo­gique… nous redou­tons vrai­ment cette menace… car l’horreur des 17 et 18 juillet 2014 est tou­jours pré­sente à nos esprits.

Il fal­lait nous cacher ! Nous avons alors déci­dé, par pru­dence, d’arrêter de tra­vailler. Nous sommes res­tés cinq mois à attendre, reclus, dans cet appar­te­ment avec les trois autres familles, atten­dant et espé­rant un exil, désor­mais tant souhaité.

Nous avons tout perdu ! 

Tout per­du… Sauf Jésus ! »

Source : La Porte Latine du 19 jan­vier 2017

(1) Par mesure de sécu­ri­té nous tai­ronsles noms et les lieux français.