LAB du séminaire St-​Curé-​d’Ars n° 95 – 1968–2018 : Décadence et renaissance

Abbé Patrick Troadec,
Directeur du séminaire

Le cin­quan­tième anni­ver­saire de mai 68 est l’occasion de por­ter un regard chré­tien sur les chan­ge­ments sur­ve­nus à ce moment-​là en France tant au point de vue social que religieux.

Chers amis et bienfaiteurs,

Nos enne­mis ont pris pour cible la famille, cel­lule de base de la socié­té, en com­men­çant par le père, celui-​ci incar­nant l’autorité. Voulant faire table rase du pas­sé, ils ont ins­crit sur les murs des villes des pro­pos abjects salis­sant la figure du père. Ils ont pré­ten­du qu’autrefois le père était dur, sans cœur et ont rem­pla­cé l’homme viril, convain­cu, ferme, déci­dé, par l’homme mou, man­quant de force, de déter­mi­na­tion, de volon­té. Les révo­lu­tion­naires se sont atta­qués aus­si à l’enfant en empê­chant sa venue au monde par l’établissement des lois per­mis­sives en faveur de la contra­cep­tion en 1967 et de l’avortement en 1975. Ils se sont atta­qués à la femme en l’incitant à quit­ter son foyer domes­tique pour tra­vailler à l’extérieur. Ils ont ain­si pu s’emparer de ses enfants pour qu’ils soient « for­més » par l’État-Providence.

Nos enne­mis ont vou­lu encore éva­cuer de la vie ter­restre la notion de sacri­fice, la croix, comme en témoignent les nou­veaux com­man­de­ments sous la forme de slo­gans tels que : « Interdit d’interdire », « jouir sans entraves », « pre­nez vos dési­rs pour des réa­li­tés », ou encore : « tout, tout de suite. »

Par sa tolé­rance uni­ver­selle, mai 68 a conduit au maté­ria­lisme hédo­niste et par son rejet de l’autorité au mythe de l’égalitarisme signant ain­si la mort de la civi­li­sa­tion occi­den­tale fon­dée sur les véri­tés natu­relles et évan­gé­liques pro­mues et défen­dues par l’Église et l’État. Résultat : il n’y a plus de héros ni de saints, mais des anti-​héros (vedettes de bandes des­si­nées, chan­teurs, sportifs…).

Le concile Vatican II

Sur le moment, les hommes d’Église n’ont pas réagi. En effet, lors du concile Vatican II qui venait de se ter­mi­ner trois ans plus tôt, la liber­té de l’homme a été exal­tée par la liber­té reli­gieuse. Les papes Jean XXIII et Paul VI ont refu­sé déli­bé­ré­ment que le Concile por­tât la moindre condam­na­tion comme celle du com­mu­nisme. Ils ont jeté l’anathème sur les pré­ten­dus pro­phètes de mal­heur et annon­cé une nou­velle Pentecôte. Cette vision uto­piste de l’homme et du monde a conduit les évêques de France à man­quer de luci­di­té sur les maux de leur époque et de force pour s’opposer aux lois telles que l’avortement.

Dans le même temps est appa­rue la nou­velle messe (1969) qui estompe l’aspect sacri­fi­ciel au pro­fit de l’aspect repas. Des prêtres ont sup­pri­mé du même coup l’obligation de l’assistance à la messe domi­ni­cale sous peine de péché grave et ont contri­bué, par là-​même, à vider les églises. En ces­sant de prê­cher sur les fins der­nières, ils ont ame­né l’homme à oublier qu’il n’est sur terre que de pas­sage et l’ont conduit à recher­cher le para­dis ici-​bas. En rem­pla­çant la confes­sion indi­vi­duelle par les abso­lu­tions col­lec­tives, ils ont concou­ru à bana­li­ser le péché et à faire perdre aux fidèles le sens du bien et du mal. En auto­ri­sant la messe du same­di soir, ils ont désa­cra­li­sé le dimanche.

Les résul­tats ne se sont pas fait attendre. La baisse de la pra­tique reli­gieuse a été ful­gu­rante. Dans son ouvrage Comment notre monde a ces­sé d’être chré­tien(Seuil, 2018), le socio­logue Guillaume Cuchet date l’effondrement du catho­li­cisme en France de la période 1963–1973. Le nombre de catho­liques pra­ti­quants est pas­sé de 20% à 2% de la popu­la­tion. Néanmoins, loin de se remettre en ques­tion, les prêtres d’alors ont pré­ten­du que s’il y avait une perte quan­ti­ta­tive de fidèles, elle était com­pen­sée par un gain qua­li­ta­tif. Pourtant, les son­dages ont révé­lé que les catho­liques pra­ti­quants avaient de moins en moins de cer­ti­tudes concer­nant la pré­sence réelle de Jésus dans l’hostie, l’existence de l’enfer, la vir­gi­ni­té per­pé­tuelle de la sainte Vierge… Nous avons donc assis­té au moment du concile Vatican II à un début de chute ver­ti­gi­neuse de la pra­tique reli­gieuse en France qui a conduit à l’effondrement de la foi et de la morale catho­liques et qui a ren­du pos­sible la Révolution de mai 68.

La réac­tion catholique

En même temps que s’amorçait cette déca­dence effrayante, il y eut dans notre pays une réac­tion salu­taire d’hommes d’Église qui sur­ent s’opposer à la Révolution avec le sou­tien de fidèles éclairés.

Mgr Lefebvre, le père Calmel, Dominicain, dom Gérard Calvet, Bénédictin, le père Augustin, Olivétain, le père Eugène, Capucin, l’abbé Lecareux, fon­da­teur de la com­mu­nau­té de la Transfiguration, et aus­si Mère Hélène Jamet et Mère Anne-​Marie Simoulin, Dominicaines, Mère Marie-​Gabriel, Spiritaine, sœur de Mgr Lefebvre, fon­da­trice avec lui des Sœurs de la Fraternité, Mère Marie-​Christiane, autre sœur de Mgr Lefebvre, Carmélite, Mère Thérèse-​Marie, sœur de l’abbé Coache, Franciscaine, et plu­sieurs autres, ont résis­té au moder­nisme et au libé­ra­lisme ambiant et ont fait le choix de res­ter fidèles à la messe de tou­jours et aux consti­tu­tions de leur congré­ga­tion. Ce choix éclai­ré leur a valu d’être com­bat­tus sévè­re­ment par les auto­ri­tés reli­gieuses. Ces âmes d’élite ont dû faire face à une oppo­si­tion farouche du cler­gé moder­niste qui a tout mis en œuvre pour détruire leurs com­mu­nau­tés. Le com­bat fut si rude que des prêtres, des reli­gieux, des reli­gieuses sont morts de chagrin.

Dans cette lutte, le rôle des laïcs a été déci­sif. Des fidèles se sont regrou­pés dans des locaux de for­tune amé­na­gés en cha­pelle et ont cher­ché des prêtres pour leur célé­brer le saint sacri­fice de la messe. Malgré l’incommodité des lieux de culte et les ana­thèmes lan­cés par le cler­gé offi­ciel, les fruits n’ont pas tar­dé à paraître au grand jour. Le sémi­naire d’Écône s’est rem­pli, d’autres sémi­naires se sont ouverts aux quatre coins du monde, et les cou­vents tra­di­tion­nels se sont déve­lop­pés. Les laïcs ont encore com­bat­tu la Révolution dans la revue Itinéraires diri­gée par Jean Madiran, la Cité catho­lique de Jean Ousset, l’association Credo de Michel de Saint-​Pierre, les Congrès de Lausanne, le Mouvement de la Jeunesse catho­lique de France

L’heure du bilan

En mai 68, les par­ti­sans de la Révolution nous pro­met­taient le para­dis sur terre, et les prêtres moder­nistes nous annon­çaient une nou­velle Pentecôte. Cinquante ans plus tard, le bilan est tout autre.

Force est de consta­ter que les révo­lu­tion­naires n’ont pas tenu leurs pro­messes. Le nombre de jeunes dro­gués, la quan­ti­té colos­sale d’anxiolytiques et d’antidépresseurs consom­més en France par 12% de la popu­la­tion, le sui­cide qui après avoir tou­ché les plus de 60 ans affecte désor­mais les moins de 25 ans, le nombre de psy­chiatres et de psy­cho­logues qui a été mul­ti­plié par 15 depuis les années 70 témoignent du mal-​être de nos contemporains.

Quant à la nou­velle Pentecôte annon­cée au moment du Concile, nous devons avouer qu’elle n’a pas eu lieu. Les églises ne sont fré­quen­tées en géné­ral que par des adultes bien sou­vent âgés. Parmi les jeunes, qui va encore à la messe dite de Paul VI en dehors des cha­ris­ma­tiques, du mou­ve­ment néo-​catéchuménal et des com­mu­nau­tés d’esprit un peu tra­di­tion­nel ? Les sémi­naires se sont vidés. Il n’y a même pas 100 ordi­na­tions par an aujourd’hui en France dans le cler­gé dio­cé­sain, pour 600 à 700 prêtres qui meurent chaque année.

Durant cette même période, nous voyons les fruits mer­veilleux des œuvres tra­di­tion­nelles qui ont visi­ble­ment été bénies de Dieu. À titre d’exemples, la Fraternité Saint-​Pie X compte aujourd’hui plus de 630 prêtres, 180 sémi­na­ristes, plus de 200 reli­gieuses, plus de 120 frères et 80 sœurs oblates. Les Dominicaines de Fanjeaux et de Saint-​Pré regroupent plus de 300 reli­gieuses. Ces chiffres dénotent une grande fer­veur, compte tenu du petit nombre de fidèles de la Tradition en France. S’il y avait en pro­por­tion autant de voca­tions chez ceux qui se disent catho­liques que dans la Tradition, les cou­vents seraient rem­plis et l’on ver­rait des prêtres à tous les coins de rue !

En dehors de ceux qui se sont don­nés au bon Dieu dans les années 70, beau­coup de jeunes de la Tradition ont fon­dé de beaux foyers catho­liques unis, durables et féconds. À Flavigny, les sémi­na­ristes sont issus de familles de six enfants en moyenne. On voit par là com­ment la Tradition est source de vie natu­relle et de vie sur­na­tu­relle tan­dis que la Révolution est mortifère.

Mgr Lefebvre a dit en sub­stance lors de son jubi­lé sacer­do­tal en 1979, Porte de Versailles : « J’ai vu en Afrique des vil­lages de païens deve­nir chré­tiens. Ce que j’ai vu là-​bas, il n’y a pas de rai­son qu’on ne le voie pas chez nous. » Le saint évêque attri­buait ces conver­sions au saint sacri­fice de la messe. C’est pour­quoi il ter­mi­nait son homé­lie en disant sous forme de tes­ta­ment : « Gardez la messe de tou­jours ! » Nous pou­vons, qua­rante ans après, véri­fier le bien-​fondé de ses paroles. Cela doit nous encou­ra­ger à res­ter fidèles à la foi de nos ancêtres.

Les atouts et les dangers

Que les jeunes gens et jeunes filles du milieu tra­di­tion­nel réflé­chissent aux motifs qui ont conduit leurs parents et leurs grands-​parents à faire le choix de gar­der la doc­trine tra­di­tion­nelle et la messe de toujours.

D’un côté, cela est plus facile pour eux que pour leurs parents et, de l’autre, plus difficile.

Il est plus facile de res­ter fidèle aujourd’hui à l’Église dans sa Tradition puisque l’on voit mieux à quel degré de déca­dence conduit la Révolution et à quelle impasse mène le moder­nisme. En consta­tant l’état de déchéance reli­gieuse et morale de nos contem­po­rains, cela ne donne pas envie de tom­ber dans les mêmes travers !

Il est plus facile de gar­der la foi dans son inté­gra­li­té dans la mesure où nous avons des lieux de culte en géné­ral bien amé­na­gés, de bons mou­ve­ments de jeu­nesse, de bons sémi­naires, des com­mu­nau­tés reli­gieuses fer­ventes, de bonnes écoles, des familles équi­li­brées qui montrent que la vie catho­lique est encore pos­sible aujourd’hui.

Il est aus­si plus facile de res­ter fidèle à la Tradition car les dévia­tions conci­liaires et les attaques per­pé­trées contre la messe catho­lique ont per­mis d’approfondir la nature du sacri­fice de l’autel. Dans les années 50, on voyait dans la messe sur­tout l’aspect de sacre­ment, mais l’aspect sacri­fi­ciel avait été quelque peu mis sous le bois­seau. La messe était per­çue comme le moyen de faire venir Jésus sur l’autel et de le rece­voir dans la sainte com­mu­nion, mais on avait un peu oublié qu’elle est le renou­vel­le­ment non san­glant du sacri­fice du Calvaire. Mgr Lefebvre a su nous rap­pe­ler que la messe est avant tout un sacri­fice, qu’elle remet sur nos autels l’unique sacri­fice rédemp­teur pour que Dieu nous fasse misé­ri­corde. En affir­mant que la messe est un sacri­fice pro­pi­tia­toire, l’ancien arche­vêque de Dakar nous a mon­tré la néces­si­té d’intégrer le sacri­fice dans notre propre vie. La vie chré­tienne est une vie de sacri­fice ; les vies sacer­do­tale, reli­gieuse, conju­gale sont des vies de sacri­fice. Certes, les vies chré­tienne, sacer­do­tale, conju­gale sont des vies d’amour, mais il n’y a pas ici-​bas d’amour vrai sans sacri­fice. Il est néces­saire de sacri­fier nos amours déré­glés pour aimer comme nous devons aimer.

Il est donc plus facile aujourd’hui qu’il y a cin­quante ans d’être fidèle à l’Église dans sa Tradition bimil­lé­naire pour les motifs qui viennent d’être évo­qués. Mais sous d’autres rap­ports, cela est aus­si plus dif­fi­cile, dans la mesure où il y a actuel­le­ment de nou­velles sources de ten­ta­tions : inter­net, le por­table, les modes… Il est donc néces­saire d’être extrê­me­ment vigi­lant pour ne pas se lais­ser cor­rompre par des outils qui rendent de grands ser­vices, mais aug­mentent aus­si consi­dé­ra­ble­ment les occa­sions de péché. Autrefois, pour ne pas se lais­ser cor­rompre par le monde, il suf­fi­sait de res­ter chez soi. Aujourd’hui, le monde est entré chez nous par ces nou­velles technologies.

Par ailleurs, il est aus­si plus dif­fi­cile aujourd’hui de res­ter fidèle à la Tradition en rai­son de l’attrait que peuvent sus­ci­ter des com­mu­nau­tés dites tra­di­tion­nelles, qui ont fait des com­pro­mis leur empê­chant la pro­cla­ma­tion claire de la véri­té et la dénon­cia­tion des erreurs de notre temps. Ainsi, de com­pro­mis en com­pro­mis, nous ris­quons nous-​mêmes de nous affa­dir et de perdre le sens du com­bat de la foi. Aussi importe-​t-​il de sai­sir la nature de l’esprit catholique.

L’esprit catho­lique

Le catho­lique fidèle unit dans sa vie pié­té et doc­trine. Il mani­feste une pié­té enra­ci­née dans la doc­trine, et sa doc­trine débouche sur la pié­té. La vraie pié­té per­met de dis­cer­ner la gran­deur de Dieu, sa majes­té, sa pure­té, sa bon­té pour nous, et nous conduit à vivre sous son regard, sous sa dépen­dance. La doc­trine authen­tique per­met de sai­sir qui est Dieu, qui nous sommes et quel che­min emprun­ter pour aller à lui. Elle nous amène à prendre conscience des fai­blesses lais­sées en nous par le péché ori­gi­nel et à admi­rer les dons de Dieu reçus au bap­tême, enri­chis par la prière, les sacre­ments et les actes ver­tueux. Elle nous com­mu­nique le sens de l’autorité et du véri­table amour détruits par les Révolutionnaires. Elle nous rend aller­giques à l’erreur et au mal. Dans notre pays déchris­tia­ni­sé et isla­mi­sé, puissions-​nous être des lumières pour éclai­rer les âmes de bonne volonté.

Quant à nous, prêtres du Séminaire Saint-​Curé d’Ars, nous nous effor­çons, chers Amis et Bienfaiteurs, d’y for­mer des jeunes gens aux convic­tions solides afin qu’ils vous trans­mettent bien­tôt les véri­tés de la foi dans leur inté­gra­li­té. Aussi soyez vive­ment remer­ciés pour votre sou­tien par vos prières et vos dons.

Abbé Patrick Troadec, Directeur

Le 31 mai 2018, en la Fête-Dieu

Chronique du séminaire Saint-​Curé-​d’Ars de Flavigny de février à avril 2018

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Renseignements pratiques

Messes à Flavigny :

- semaine : 7 H 15 (ou 6 H 50)
– dimanche : 7 H 20 – 10 H 15 (messe chan­tée), 17 H 00 (vêpres et salut).

Pension d’un séminariste

Nous vous remer­cions du sou­tien que vous pro­cu­rez aux séminaristes
et de l’aide appor­tée à l’Œuvre du Séminaire

- 22 € par jour, soit envi­ron 5 260 € par an

Pour aider le Séminaire :

- Les chèques sont à libel­ler à l’ordre de : Séminaire Saint-Curé‑d’Ars

- Pour aider régu­liè­re­ment le Séminaire, vous pou­vez uti­li­ser le vire­ment auto­ma­tique en faveur de notre compte au Crédit Mutuel de Venarey-​les-​Laumes (21) : 10278 02511 n° 00051861345 24.

Nous vous en remer­cions. Un reçu fis­cal vous sera adres­sé sauf men­tion contraire.

Adresse :

Séminaire International
Saint-Curé‑d’Ars
Maison Lacordaire
F 21150 FLAVIGNY-SUR-OZERAIN

03 80 96 20 74
03 80 96 25 32

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