Abus sexuels : démission collective des 34 évêques du Chili

Tous les évêques chi­liens ont remis, ven­dre­di 18 mai, leur démis­sion au pape

La Conférence épis­co­pale chi­lienne vient de com­mu­ni­quer que les 32 évêques pré­sents à Rome ont remis par écrit leur démis­sion entre les mains du Saint-​Père suite à un rap­port d’en­quête met­tant en évi­dence leur ges­tion désas­treuse d’une série d’a­bus dans l’Église chi­lienne pen­dant une longue période.

Dans une décla­ra­tion lue à la presse au terme des trois jours de ren­contres qu’ils ont eues au Vatican, les évêques chi­liens ont expli­qué avoir lon­gue­ment réflé­chi aux inter­pel­la­tions du pape lors de leur pre­mière ren­contre avec ce der­nier, mar­di matin.

On se sou­vient aus­si que lors de son voyage au Chili en jan­vier der­nier, qui fut une véri­table catas­trophe, le Pape François avait défen­du Mgr Juan Barros, évêque d’Osorno, soup­çon­né d’a­voir caché les actes pédo­philes du père Fernando Karadima. En effet, pen­dant plu­sieurs années, le pape a refu­sé d’en­tendre cer­taines anciennes vic­times de Fernando Karadima, qui accu­saient notam­ment l’é­vêque Juan Barros, l’un de ses proches, d’a­voir cou­vert les agis­se­ments de l’ec­clé­sias­tique. François avait même accu­sé de « calom­nie » ceux qui lui deman­daient de reve­nir sur la nomi­na­tion de Mgr Barros dans le dio­cèse d’Osorno. Il a ensuite affir­mé n’a­voir pas été infor­mé exac­te­ment par les vic­times, alors même qu’une lettre de l’une d’entre elles lui a été remise dès 2015. Le chef de l’Eglise catho­lique fai­sait d’a­bord confiance à ce que lui disaient les plus hauts res­pon­sables de l’Eglise chilienne.

Mais devant l’in­com­pré­hen­sion des fidèles et sous la pres­sion de la presse inter­na­tio­nale, il a convo­qué au Vatican, du 14 au 17 mai der­niers, tout l’é­pis­co­pat chi­lien pour affron­ter ce scan­dale qui frappe l’Église du Chili. Au terme de ses trois jours de ren­contres et de dis­cus­sions, ces der­niers ont tous remis leur démis­sion entre les mains du Souverain Pontife.

C’est donc main­te­nant au pape de déci­der s’il accepte ou non la démis­sion de chaque évêque chi­lien, de tous ou sim­ple­ment de cer­tains d’entre eux plus « impli­qués » dans cette sor­dide affaire. Dans un bref mes­sage aux évêques chi­liens dif­fu­sé jeu­di soir par le Saint-​Siège, le pape annon­çait des « chan­ge­ments (…) à court, moyen et long termes, néces­saires pour réta­blir la jus­tice et la com­mu­nion ecclé­siale » : les démis­sions qu’il choi­si­ra d’ac­cep­ter ne seront donc qu’une pre­mière étape dans un vaste pro­ces­sus de trans­for­ma­tion de l’Église chilienne.

Dans une note remise par François aux évêques chi­liens, mar­di , le pape décrit une véri­table faillite col­lec­tive de cette Eglise. . « Nous sommes tous impli­qués, moi le pre­mier », affirme François rap­pe­lant que de « graves pro­blèmes » concer­nant « beau­coup d’a­bu­seurs » avaient pour­tant été détec­tés lors de leur pas­sage « au sémi­naire ou au novi­ciat » et que des évêques ou des supé­rieurs d’ordre reli­gieux auraient en outre confié la direc­tion de sémi­naires et de novi­ciats à « des prêtres soup­çon­nés d’ho­mo­sexua­li­té active », en vio­la­tion des règles ecclé­sias­tiques qui, depuis le Concile Vatican II, sont relé­guées au rang de « vieille­ries péla­giennes »…

La Porte Latine – 20 mai 2018

I – La déclaration des 32 évêques chiliens – Rome, vendredi 18 mai 2018

« Après trois jours de ren­contres avec le Saint-​Père et de nom­breuses heures consa­crées à la médi­ta­tion et à la prière, confor­mé­ment à ses ins­truc­tions, nous, évêques du Chili, dési­rons com­mu­ni­quer ce qui suit :

Avant tout, nous remer­cions le Pape François pour son écoute pater­nelle et sa cor­rec­tion fra­ter­nelle. Mais nous vou­lons sur­tout deman­der par­don pour la dou­leur cau­sée aux vic­times, au pape, au Peuple de Dieu et à notre pays à cause des graves erreurs et des omis­sions que nous avons commises.

Nous remer­cions éga­le­ment Mgr Scicluna et le P. Jordi Bertomeu pour leur impli­ca­tion pas­to­rale et per­son­nelle ain­si que pour les efforts qu’ils ont déployé ces der­nières semaines pour cher­cher à gué­rir les bles­sures de la socié­té et de l’Église de notre pays.

Nous remer­cions les vic­times pour leur per­sé­vé­rance et leur cou­rage, mal­gré les immenses dif­fi­cul­tés per­son­nelles, spi­ri­tuelles, sociales et fami­liales ain­si que les attaques de la com­mu­nau­té ecclé­siale elle-​même aux­quelles elles ont dû faire face. À nou­veau, nous implo­rons leur par­don et leur aide pour conti­nuer à avan­cer sur le che­min de la gué­ri­son des bles­sures, parce qu’elles peuvent cicatriser.

Deuxièmement, nous vou­lons com­mu­ni­quer que tous nos évêques pré­sents à Rome, ont remis par écrit leur démis­sion entre les mains du Saint-​Père afin qu’il décide en toute liber­té pour cha­cun d’entre nous.

Nous nous met­tons en che­min, tout en sachant que ces jour­nées de dia­logue hon­nête ont consti­tué une étape impor­tante d’une pro­fond pro­ces­sus de chan­ge­ment sous la conduite du Pape François. En com­mu­nion avec lui, nous vou­lons réta­blir la jus­tice et contri­buer à la répa­ra­tion des dégâts cau­sés, afin de don­ner un nou­vel élan à la mis­sion pro­phé­tique de l’Église chi­lienne, dont le centre n’aurait jamais dû ces­ser d’être le Christ.

Nous sou­hai­tons que le visage du Christ res­plen­disse à nou­veau dans notre Église et nous nous enga­geons en ce sens. Avec humi­li­té et espé­rance, nous deman­dons à tous de nous aider à par­cou­rir ce chemin.

Suivant les recom­man­da­tions du Saint-​Père, nous implo­rons Dieu qu’en ces heures dif­fi­ciles mais pleines d’espérance, le Seigneur et Notre-​Dame du Mont-​Carmel pro­tègent l’Église.

Les évêques de la Conférence épis­co­pale du Chili, à Rome. »

II – Précisions de Mgr Fernando Ramos, évêque auxiliaire de Santiago, secrétaire général de la Conférence épiscopale du Chili

« Lundi der­nier, quand nous avons tenu la pre­mière confé­rence de presse, nous avons décla­ré que c’est avec honte et dou­leur que nous venions à ces ren­contres avec le Pape.

« Mardi s’est dérou­lée la pre­mière ren­contre. Le Pape nous a lu un docu­ment dans lequel il nous a fait part de ses conclu­sions et de ses réflexions concer­nant le rap­port de Mgr Scicluna après sa visite au Chili. Le texte du pape men­tionne clai­re­ment une série de faits abso­lu­ment répré­hen­sibles concer­nant des abus de pou­voir, de conscience et des abus sexuels inac­cep­tables qui ont eu lieu dans l’Église chi­lienne et qui l’ont menée à faire décli­ner la vigueur pro­phé­tique qui la caractérisait. »

« Au cours des trois réunions qui ont sui­vi, chaque évêque a pu expri­mer ses réac­tions, ses opi­nions et ses visions par rap­port à ce que le Pape avait exposé. »

« Dans ce contexte de dia­logue et de dis­cer­ne­ment, plu­sieurs sug­ges­tions ont été sug­gé­rées concer­nant les mesures à adop­ter pour affron­ter cette crise majeure, comme l’idée mûrie – afin d’être en totale concor­dance avec la volon­té du Saint-​Père – de consi­dé­rer qu’il était oppor­tun de faire preuve de notre dis­po­ni­bi­li­té la plus abso­lue à remettre nos charges pas­to­rales entre les mains du Pape. De cette façon, nous pou­vons accom­plir un geste col­lé­gial et soli­daire en assu­mant – non sans dou­leur – les graves faits qui ont eu lieu de sorte que le Saint-​Père puisse dis­po­ser libre­ment de cha­cun d’entre nous. »

« C’est ain­si que hier, nous avons fait part de cette dis­po­ni­bi­li­té par écrit, en remet­tant nos charges à la dis­po­si­tion du pape. Afin qu’il puisse déci­der, au cours des pro­chaines semaines, d’accepter ou de refu­ser ce que nous avons indiqué. »

III – Précisions de Mgr Juan Ignacio González, évêque de San Bernardo, membre du comité permanent de la Conférence épiscopale chilienne

« Nous dési­rons en outre pré­ci­ser, pour votre bonne com­pré­hen­sion, que remettre nos charges pas­to­rales à l’en­tière dis­po­si­tion du Pape signi­fie que jus­qu’à ce que le Saint-​Père ait pris une déci­sion, cha­cun des évêques membre de la Conférence épis­co­pale du Chili pour­sui­vra son tra­vail pas­to­ral et assu­me­ra plei­ne­ment ses fonctions. »

« Le Saint-​Père – s’il le jugeait oppor­tun – peut immé­dia­te­ment accep­ter la renon­cia­tion d’un évêque, il peut ne pas l’ac­cep­ter et donc le confir­mer dans sa charge ou il peut l’ac­cep­ter et ne la rendre effec­tive qu’au moment de la nomi­na­tion d’une nou­velle auto­ri­té diocésaine ».

Sources : La Croix /​Le Monde /​Sandro Magister /​La Porte Latine du 20 mai 2018