1er octobre 1964

Sixième intervention de Mgr Lefebvre au concile sur la liberté religieuse

Vénérables Pères,

Cette décla­ra­tion sur la liber­té reli­gieuse doit être abré­gée, comme l’ont déjà dit plu­sieurs Pères, afin d’éviter les ques­tions contro­ver­sées et leurs consé­quences dangereuses.

1° Il faut défi­nir clai­re­ment la liber­té dans notre condi­tion humaine pécheresse.

La liber­té, en effet, se conçoit de façon diverse chez les saints, chez les hommes qui vivent sur la terre, chez les damnés.

La liber­té est une qua­li­té rela­tive et non abso­lue. Elle est bonne ou mau­vaise selon qu’elle tend au bien ou au mal.

2° Il faut bien dis­tin­guer, par­mi les actes divers de la conscience, les actes inté­rieurs de la reli­gion et les actes exté­rieurs, car ces actes exté­rieurs peuvent ou édi­fier ou scandaliser.

Et qui de nous peut oublier la parole de Notre-​Seigneur à pro­pos de ceux par qui le scan­dale arrive ? (Luc, XVII, 1.)

3° Quand il s’agit de liber­té à pro­pos d’actes exté­rieurs, il est ques­tion aus­si, néces­sai­re­ment, de l’autorité, dont la fonc­tion va jusqu’à aider les hommes à accom­plir le bien, à évi­ter le mal, c’est-à-dire à bien user de leur liber­té, selon le conseil de saint Paul aux Romains : « Veux tu n’avoir pas à craindre l’autorité ? Fais le bien. » (Rom., XIII, 3.)

La décla­ra­tion contre la contrainte, au N° 28, est ambi­guë et, sous cer­tains aspects, fausse. Qu’en est-​il, en effet, de l’autorité pater­nelle des pères de famille chré­tiens sur leurs enfants ? De l’autorité des maîtres dans les écoles chré­tiennes ? De l’autorité de l’Eglise sur les apos­tats, les héré­tiques, les schis­ma­tiques ? De l’autorité des chefs d’Etat catho­liques sur les reli­gions fausses, qui apportent avec elles l’immoralité, le ratio­na­lisme, etc. ?

Attention aux consé­quences très graves de cette décla­ra­tion sur le droit à suivre la voix de sa conscience et d’agir exté­rieu­re­ment selon cette voix.

Et en effet, une doc­trine reli­gieuse influence logi­que­ment toute la morale. Qui ne voit les innom­brables consé­quences en cet ordre de choses ? Et qui pour­ra déter­mi­ner le cri­tère du bien et du mal, quand on a délais­sé le cri­tère de mora­li­té selon la véri­té catho­lique révé­lée par le Christ ?

On ne peut affir­mer la liber­té de toutes les com­mu­nau­tés reli­gieuses dans la socié­té humaine, selon le N° 29, sans accor­der éga­le­ment la liber­té morale à ces com­mu­nau­tés : morale et reli­gion sont inti­me­ment liées, par exemple la poly­ga­mie et la reli­gion islamique.

Une autre consé­quence grave sera l’amenuisement du rôle capi­tal des mis­sions et du zèle à évan­gé­li­ser les païens et les non-​catholiques, puisque la voix de la conscience d’un cha­cun est consi­dé­rée, selon le rap­por­teur, comme une voca­tion per­son­nelle et providentielle.

Qui ne voit l’immense dom­mage cau­sé à l’apostolat de l’Eglise par cette affirmation ?

Cette décla­ra­tion s’appuie sur un cer­tain rela­ti­visme et un cer­tain idéa­lisme.

D’une part, elle consi­dère des situa­tions par­ti­cu­lières et chan­geantes de notre temps et cherche de nou­veaux prin­cipes direc­teurs de notre acti­vi­té, à l’instar des gens qui consi­dèrent uni­que­ment un cas par­ti­cu­lier, comme aux Etats-​Unis, par exemple. Or, ces cir­cons­tances peuvent chan­ger, et, en fait, elles changent.

D’autre part, comme cette décla­ra­tion n’est pas fon­dée sur les droits de la véri­té qui, seuls, peuvent four­nir une solu­tion vraie et stable en toute cir­cons­tance, on se trouve inévi­ta­ble­ment pla­cé devant les plus graves dif­fi­cul­tés. D’ailleurs, c’est bien à tort que les rédac­teurs dénient le sens de la véri­té aux chefs chré­tiens des nations. L’expérience prouve la faus­se­té totale d’un tel juge­ment : de quelque façon, tout le monde per­çoit la véri­té, aus­si bien ceux qui la contre­disent et per­sé­cutent les croyants, que les incroyants res­pec­tueux de la véri­té et de ses croyants.

En conclu­sion :

Si cette décla­ra­tion, dans sa teneur actuelle, vient à être solen­nel­le­ment accep­tée, la véné­ra­tion dont l’Eglise catho­lique a tou­jours joui après de tous les hommes et de toutes les nations, à cause de son amour de la véri­té, indé­fec­tible jusqu’au mar­tyre, subi­ra un grave dom­mage, et cela pour le mal­heur d’une mul­ti­tude d’âmes que la véri­té catho­lique n’attirera plus.

J’ai dit.

† Marcel Lefebvre

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.