Lettre du cardinal Castrillon Hoyos à Mgr Fellay du 5 avril 2002

Cher Frère dans le Seigneur,

Depuis que nos contacts fra­ter­nels ont com­men­cés, pour trou­ver ensemble le che­min vers la pleine com­mu­nion, je crois que nous avons fait l’ex­pé­rience de la sol­li­ci­tude du Seigneur misé­ri­cor­dieux : vrai­ment Il ne nous a pas ména­gé Son aide et Son sou­tien, pour mettre ensemble toute la gran­deur de ce qui nous unit, et tâcher de dépas­ser ce qui nous divise encore.

J’ai lu en son temps avec atten­tion, dans la prière et non sans souf­france, votre lettre du 22 juin der­nier. J’ai éga­le­ment pris connais­sance de cer­tains docu­ments concer­nant nos conver­sa­tions, rédi­gés par les membres de la Fraternité Saint-​Pie‑X, publiés sur Internet et dis­tri­bués aux autres moyens de com­mu­ni­ca­tion. J’ai relu aus­si les lettres des Evêques de la Fraternité Saint Pie X, les inter­views accor­dées par votre Excellence et les lettres que vous m’a­vez envoyées.

Jusqu’à aujourd’­hui, de mon côté, je n’ai jamais accep­té d’ac­cor­der d’in­ter­views à ce sujet, pour main­te­nir la réserve sur les détails de nos dia­logues : ils ont tou­jours eu un carac­tère inter­lo­cu­toire et dis­cret, à cause même de la grande res­pon­sa­bi­li­té que je res­sens en conscience pour cette matière.

Il me semble main­te­nant oppor­tun, pour l’a­mour de la véri­té, de pré­ci­ser ici quelques aspects du dérou­le­ment de cette récon­ci­lia­tion, dans le but de lui impri­mer un nou­vel élan, dans la fran­chise, pour dépas­ser d’é­ven­tuelles sus­pi­cions, des mal­en­ten­dus qui com­pro­met­traient l’a­bou­tis­se­ment que, je n’en doute pas, Votre excel­lence désire aussi.

Le sujet que nous trai­tons aura, en effet, des consé­quences his­to­riques par­ti­cu­liè­re­ment impor­tantes, parce qu’il touche à l’u­ni­té, à la véri­té et à la sain­te­té de l’Eglise, et il faut donc le trai­ter avec la cha­ri­té mais aus­si avec l’ob­jec­ti­vi­té de la véri­té. Notre unique Juge est le Christ Seigneur.

Permettez-​moi de faire main­te­nant une brève syn­thèse his­to­rique de notre itinéraire :

Premiers contacts

1. Avant tout, je dois réité­rer une véri­té his­to­rique, à la base de tout. Ma pre­mière ini­tia­tive n’est pas due à quelque man­dat Pontifical, et elle n’est pas le fruit d’un accord ou d’un pro­jet de quel­qu’autre per­sonne du Siège Apostolique, à l’in­verse de ce qui a été écrit et répan­du, comme s’il s’a­gis­sait d’une stra­té­gie défi­nie. Comme j’ai déjà eu l’oc­ca­sion de le dire plu­sieurs fois, l’i­ni­tia­tive du dia­logue m’a été tout-​à-​fait personnelle.

Dans la deuxième semaine d’août 2000, en reve­nant de Colombie, j’ai appris par la presse qui nous était pro­po­sée dans l’a­vion, et seule­ment par elle, que la Fraternité Saint-​Pie‑X par­ti­ci­pe­rait au Jubilé. Motu pro­prio, et sans en par­ler avec qui­conque, j’ai déci­dé d’in­vi­ter les quatre Evêques de la Fraternité à un déjeu­ner pri­vé chez moi. La ren­contre avec des frères Evêques se vou­lait un geste d’a­mour fra­ter­nel, l’oc­ca­sion d’une connais­sance réci­proque. J’ai donc eu la joie de ren­con­trer Votre Excellence, ain­si que Messeigneurs Tissier et Williamson. Comme il vous en sou­vien­dra, nous n’a­vons trai­té d’au­cun sujet de fond, même si, natu­rel­le­ment, nous avons par­lé des rites litur­giques, et j’ai pu ain­si connaître quelques aspects de la vie actuelle de Votre Fraternité. J’ai mani­fes­té publi­que­ment la bonne impres­sion que m’ont faite les­dits Prélats.

J’ai ren­du compte par la suite au Saint-​Père de cette ren­contre, et j’ai reçu de sa part des mots d’en­cou­ra­ge­ment. J’ai expri­mé le désir de main­te­nir les contacts pour explo­rer les pos­si­bi­li­tés de cette uni­té tel­le­ment sou­hai­tée. Le Souverain Pontife m’a deman­dé de conti­nuer, et il a mani­fes­té sa claire volon­té d’ac­cueillir la Fraternité Saint-​Pie‑X, en favo­ri­sant les condi­tions néces­saire à cet accueil.

Quelque temps après j’ai lu, avec une intime satis­fac­tion, l’in­ter­view accor­dée par Votre Excellence à la revue 30 Jours. Le jour­na­liste met­tait ces mots sur vos lèvres : « Si le Saint-​Père m’ap­pelle je viens, ou mieux je cours »… J’ai eu l’oc­ca­sion de par­ler avec le Saint-​Père de cette inter­view, dans laquelle Votre Excellence expri­mait libre­ment et spon­ta­né­ment sa pen­sée : le Saint-​Père me signi­fia, une fois de plus, sa volon­té géné­reuse d’ac­cueillir Votre Fraternité.

Par consé­quent, j’ai pris contact avec les Cardinaux Angelo Sodano, Secrétaire d’Etat de Sa Sainteté, Joseph Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Jorge Medina Estévez, Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, ain­si qu’a­vec Son Excellence Mgr Juliàn Herranz, Président du Conseil Pontifical pour l’in­ter­pré­ta­tion des Textes Législatifs. Tous ont mani­fes­té leur satis­fac­tion en vue d’une solu­tion éven­tuelle des dif­fi­cul­tés. J’ai consul­té éga­le­ment les Cardinaux Paul Augustin Mayer et Alfons Marie Stickler, qui ont été du même avis.

C’est ain­si que nous avons étu­dié les pro­blèmes théo­lo­giques fon­da­men­taux, déjà pré­sents en 1988, quand se pré­pa­rait un accord avec Son Excellence Mgr Lefebvre. Il ne nous est pas sem­blé qu’ils y eût de nou­veaux pro­blèmes. Nous avons ensuite com­men­cé à étu­dier quelques formes juri­diques qui rendent pos­sible une réin­ser­tion ; celle-​ci appa­rais­sait à tous plus que sou­hai­table. Au cours de l’his­toire, la sol­li­ci­tude pour l’u­ni­té de l’Eglise a tou­jours été une constante du Siège de Pierre.

À tous il est appa­ru conve­nable que, si Votre Excellence en conve­nait, le sous­si­gné pou­vait pro­cé­der à un nou­veau dia­logue de carac­tère inter­lo­cu­toire. Il ne s’a­gis­sait pas de dis­cu­ter des pro­blèmes théo­lo­giques de fonds, mais d’a­pla­nir le che­min pour la réconciliation.

2. J’ai donc invi­té Votre Excellence par écrit ; vous avez aima­ble­ment accep­té l’in­vi­ta­tion et la ren­contre a eu lieu, le 29 décembre 2000.

Comme Votre Excellence le sait bien, nous avons alors étu­dié la pos­si­bi­li­té de la récon­ci­lia­tion et du retour à la pleine com­mu­nion, comme un fruit très concret et spé­cial de l’Année Jubilaire. Nous avons conclu chez moi par un déjeu­ner auquel pris part le Révérend Michel Simoulin, dans un cli­mat très fra­ter­nel et cordial.

Informé de cette nou­velle réunion, mal­gré la somme de tra­vail de ces der­niers jours du Grand Jubilé, le Saint-​Père vous a reçu avec l’Abbé Simoulin, le 30 décembre 2000, dans sa cha­pelle pri­vée. Après quelques minutes de prière silen­cieuse, le Saint-​Père a réci­té le Pater nos­ter, sui­vi par les per­sonnes pré­sentes, puis il les a saluées en leur sou­hai­tant un « Saint Noël », et il les a bénies en leur offrant quelques cha­pe­lets et en encou­ra­geant à conti­nuer le dia­logue entrepris.

Dans le même Palais Apostolique et en pré­sence d’un des Secrétaires per­son­nels du Saint-​Père, j’ai don­né lec­ture à Votre Excellence du Protocole du dia­logue du jour pré­cé­dent, qui serait remis au Souverain Pontife. Vous avez mani­fes­té votre accord en pré­ci­sant deux points :

1) la prière pour le Pape dans le Canon de la Messe n’é­tait pas votre mérite, mais c’é­tait une dis­po­si­tion pré­cé­dente de Mgr Lefebvre ;

2) la réserve sur le Concile Vatican II concerne spé­cia­le­ment la « liber­té reli­gieuse », en tant qu’on ne pour­rait pas limi­ter les droits du Christ sur l’ordre public. Le Secrétaire a pris note pour rap­por­ter au Saint-Père.

Pour plus de clar­té, je me per­mets de trans­crire ici ledit protocole :

Le 29 décembre, comme pré­vu, j’ai eu une ren­contre de carac­tère inter­lo­cu­toire avec S.E. Mgr Bernard Fellay, Supérieur Général de la Fraternité S. Pie X. La ren­contre a été carac­té­ri­sée par une vive cor­dia­li­té et par son esprit de foi.

1. Position de Son Excellence Mgr Fellay

1.1 Il mani­feste sa volon­té d’être plei­ne­ment catholique.

1.2 Il recon­naît Sa Sainteté Jean Paul II comme Successeur de Pierre et il veut se sou­mettre à Son auto­ri­té. Il a fait faire aux sémi­na­ristes la pro­messe de prier pour le Saint-​Père et de citer le nom de Sa Sainteté Jean Paul II dans le Canon du Messe.

1.1 Il mani­feste sa volon­té d’être plei­ne­ment catholique.

1.2 Il recon­naît Sa Sainteté Jean Paul II comme Successeur de Pierre et il veut se sou­mettre à Son auto­ri­té. Il a fait faire aux sémi­na­ristes la pro­messe de prier pour le Saint-​Père et de citer le nom de Sa Sainteté Jean Paul II dans le Canon du Messe.

1.3 Il accepte le Concile Vatican II tout en rap­pe­lant des dif­fi­cul­tés sur quelques points.

1.4 Principales difficultés :

- en reve­nant à la pleine com­mu­nion il n’en­tend pas renon­cer à la lutte contre le moder­nisme dans l’Eglise, la libé­ra­li­sa­tion, le démo­cra­ti­cisme et l’in­fluence de la franc-maçonnerie ;

- l’ex­pé­rience du pas­sé l’empêche d’être confiant, et lui fait craindre que la Fraternité soit mal­me­née et aban­don­née, en per­dant par consé­quent son cha­risme de défense de la Tradition ;

- il consi­dère que la Messe de Paul VI pré­sente des silences qui ouvrent la voie à la pro­tes­tan­ti­sa­tion (les célé­brants laïcs), et qui ne sou­lignent pas la dimen­sion sacri­fi­cielle de la Messe ;

- concer­nant le Sacrement de la Confirmation il consi­dère (mais ce serait à étu­dier) que l’huile d’o­live est une matière ad vali­di­ta­tem ; en cas de doute, envers quelques can­di­dats, ils pro­cèdent à une nou­velle admi­nis­tra­tion sub condi­tione ; il consi­dère en outre que cer­taines tra­duc­tions de la for­mule ne sont pas exactes théologiquement ;

- il croit que le Droit cano­nique ouvre le che­min à une concep­tion demo­cra­ti­ciste de la col­lé­gia­li­té (les Conférences Episcopales), qui pré­sen­te­rait la col­lé­gia­li­té au détri­ment de la pri­mau­té pétrinienne ;

- il consi­dère que le texte conci­liaire sur la liber­té reli­gieuse se prête à des inter­pré­ta­tions rela­ti­vistes et ten­dant au protestantisme ;

- il consi­dère qu’il y a qu’une forme d’œ­cu­mé­nisme qui fait perdre l’i­dée de l’u­nique Eglise, avec le dan­ger d’une men­ta­li­té pro­tes­tante (S.Ex. Mgr Kasper parle d’a­ban­don de l’œ­cu­mé­nisme « de retour », pour un œcu­mé­nisme « de che­min com­mun », qui oriente les chré­tiens vers l’u­ni­té réconciliée).

2. Ma position

2.1 Le Saint-​Père a les bras ouverts.

2.2 On assai­ni­rait la posi­tion des Evêques pour le pré­sent, et à l’a­ve­nir avec la pré­sen­ta­tion de ter­na, quand le cas se présentera.

2.3 La Fraternité serait une Société de Vie apos­to­lique avec rite spécial.

2.4 On suit le pro­to­cole signé par le Card. Ratzinger et S.E. Mgr Marcel Lefebvre.

2.5 Il y aura la Commission spé­ciale avec la par­ti­ci­pa­tion d’Evêques de la Fraternité, comme pré­vu dans le Protocole.

2.6 Naturellement, l’ex­com­mu­ni­ca­tion est levée, et on pro­cède aux sanc­tions néces­saires ad nor­mam iuris.

Quelques jours après une audience m’a été deman­dée, avec Votre Excellence, qui était accom­pa­gné de l’ex-​abbé béné­dic­tin, Dom Thomas Niggel (Weltenburg) et de Don Simoulin. Le dia­logue fut très intense, et se pro­lon­gea quelques heures. Avec beau­coup d’hon­nê­te­té, Votre Excellence a pré­sen­té quelques-​uns de ses points de vue concer­nant la Sainte Messe et les dif­fi­cul­tés à pré­voir dans ce pro­ces­sus. À ce moment-​là, il me sem­blait clair qu’on ne niait aucun dogme, ni l’au­to­ri­té Pontificale. On se trou­vait par contre face à des dif­fi­cul­tés d’in­ter­pré­ta­tion théo­lo­gique, d’é­va­lua­tion de la vie et de la crise de l’Eglise, d’é­clair­cis­se­ment ou d’in­ter­pré­ta­tion de cer­tains textes du Concile Vatican II.

J’ai consi­dé­ré que ces dia­logues de pré­ci­sion théo­lo­gique, cer­tai­ne­ment impor­tants et non exempts de dif­fi­cul­tés, pour­raient se déve­lop­per dans le sein même de l’Eglise, après avoir atteint la pleine com­mu­nion sub­stan­tielle laquelle, cepen­dant, n’ex­clut pas une saine cri­tique. Mes asses­seurs et les Cardinaux spé­cia­le­ment impli­qués dans l’af­faire par­ta­geaient mon avis sur ce point.

Après ces évé­ne­ments, en remar­quant Votre bonne volon­té et en me basant sur le fait que votre Fraternité ne répan­dait cer­tai­ne­ment aucune doc­trine héré­tique, et qu’elle n’en­tre­te­nait pas d’at­ti­tudes schis­ma­tiques, j’a­vais osé vous pro­po­ser, sans consul­ter per­sonne au préa­lable, d’é­ta­blir une date pos­sible pour la réin­ser­tion. J’ai pré­sen­té comme date pos­sible, la Solennité de Pâques 2001, et Votre excel­lence, bien que sur­pris, n’a pas exclu cette pos­si­bi­li­té, en mani­fes­tant de toute façon que, pro­ba­ble­ment, à l’in­té­rieur de la Fraternité Saint-​Pie‑X quelques pro­blèmes surgiraient.

Je suis donc mis en peine de cher­cher une for­mule qui don­nât à Votre Fraternité la pleine garan­tie de main­te­nir son cha­risme de ser­vice à la Tradition, d’as­su­rer le rite de la Messe de Saint Pie V et de conti­nuer plei­ne­ment son effort pour la sau­ve­garde de la saine doc­trine et la pré­ser­va­tion de la dis­ci­pline et de la morale catholique.

Je ne crois pas que l’on puisse inter­pré­ter cor­rec­te­ment – comme l’ont fait cer­tains des vôtres – cette atti­tude claire qui est la mienne et ma décla­ra­tion d’in­ten­tion, dans le sens d’une conver­sion de l’Eglise de Rome qui devrait main­te­nant recher­cher le depo­si­tum fidei au sein de la Fraternité Saint-​Pie‑X. On ne devrait pas non plus pou­voir conclure que ma recherche de dia­logue signi­fie recon­naître l’in­ca­pa­ci­té de l’Eglise uni­ver­selle à sor­tir d’une crise inté­rieure. En effet, ce que nous avons fait dans nos dia­logues, trans­crits dans les pro­to­coles, est très dif­fé­rent : nous avons par­lé de l’œuvre com­mune de frères pour pro­mou­voir la sain­te­té de l’Eglise, laquelle est sem­per refor­man­da dans la vie de ses membres.

Le Saint-​Père a reçu avec satis­fac­tion le compte-​rendu inté­gral de cette réunion, et a de nou­veau expri­mé sa dis­po­ni­bi­li­té à main­te­nir les bras ouverts pour la réconciliation.

À ce stade j’ai convo­qué une réunion plé­nière pre­mière de la Commission Ecclesia Dei, avec tous ses Membres ain­si qu’a­vec leurs Eminences les Cardinaux Felici, Mayer et Stickler. Je leur ai expli­qué la mise en route de ce che­min et l’é­tat actuel de la question.

Peu après le Saint-​Père a nom­mé, pour la pre­mière fois, Membres de la Commission les Cardinaux Ratzinger, Medina, Billé et S.E. Mgr Herranz. Il n’en est pas man­qué, par­mi les Vôtres, pour inter­pré­ter ce geste comme un mou­ve­ment des­ti­né à contrô­ler, domi­ner et absor­ber la Fraternité Saint-​Pie‑X.

3.Vous même, cher Mgr Fellay, après avoir enten­du quelques membres de la Fraternité et avoir réuni votre Conseil, vous m’a­vez envoyé le Secrétaire de la Fraternité Saint-​Pie‑X, Don Selegny, accom­pa­gné par Don Simoulin, avec la mis­sion de pré­sen­ter quelques ques­tions concer­nant les for­mules d’une éven­tuelle réin­ser­tion. Le Secrétaire, après avoir écou­té mes réponses arti­cu­lées à ses nom­breuses ques­tions, s’est expri­mé d’une manière extrê­me­ment dure à pro­pos du rite actuel de la Sainte Messe, que suivent les fidèles unis au Vicaire du Christ et à leurs Evêques, en affir­mant que ce rite était « mau­vais » ; il m’in­for­mait en outre avoir reçu de votre part un man­dat pour sus­pendre les dia­logues, si deux condi­tions préa­lables n’é­taient pas accor­dées : enle­ver l’ex­com­mu­ni­ca­tion et per­mettre à tous les prêtres catho­liques de célé­brer selon le rite dit de Saint Pie V.

e dois dire que je suis res­té affli­gé et per­plexe, parce que cette étape n’é­tait pas dans la ligne du cli­mat de foi, de fra­ter­ni­té cor­diale et de res­pect réci­proque qui, jus­qu’a­lors, avait sou­te­nu et ani­mé nos rapports.

Depuis le début, en par­tant de cette bonne dis­po­si­tion fon­da­men­tale, on entre­te­nait l’es­poir de pou­voir mettre fin à la situa­tion irré­gu­lière dans lequel Votre Fraternité se trouve ; c’é­tait aus­si parce que je ne rele­vais ni sen­teur d’hé­ré­sie, ni volon­té d’en­cou­rir un schisme for­mel de votre part, mais seule­ment le désir de contri­buer au bien de l’Eglise uni­ver­selle, consi­dé­rant que le cha­risme spé­ci­fique de la Fraternité Saint Pie X envers la Tradition, dans le contexte actuel, n’au­rait pu que pro­fi­ter au che­min de l’Eglise.

Il ne s’a­gis­sait abso­lu­ment pas d’un « piège », ten­du pour vous faire taire ou pour détruire votre mou­ve­ment, et on n’a jamais sui­vi de stra­té­gie basée sur des inten­tions cachées ou avec des buts inavoués, comme cer­tains d’entre vous l’ont par contre écrit.

Je peux dire que de la part du Saint-​Siège et de toutes les per­sonnes impli­quées dans cet épi­sode dif­fi­cile mais pro­met­teur pour l’u­ni­té de l’Eglise, la volon­té loyale de voir la Fraternité Saint-​Pie‑X récon­ci­liée avec le Siège de Pierre n’a jamais fait défaut, pour qu’a­vec son cha­risme par­ti­cu­lier de ser­vice à la Tradition, elle puisse contri­buer à l’œuvre mis­sion­naire de nou­velle évangélisation.

Aussi, bien que je ne doute pas de la dis­po­ni­bi­li­té de Votre Excellence à conti­nuer notre dia­logue vers le terme dési­ré, je suis sur­pris des décla­ra­tions que Vous et d’autres membres de la Fraternité Saint-​Pie‑X ont faites à ce sujet.

Il me semble en effet que vos décla­ra­tions, qui semblent mettre en doute la sin­cé­ri­té des inten­tions du Saint-​Siège, ne soient pas utiles pour faire pros­pé­rer nos efforts com­muns, qu’elles sus­citent un cli­mat moins favo­rable et qu’elles fassent dou­ter de la com­pré­hen­sion de cette impor­tante matière de la part de la Fraternité Saint-​Pie‑X.

Je me per­mets donc, à la suite de vos décla­ra­tions, d’é­nu­mé­rer quelques-​unes de ces atti­tudes et affir­ma­tions contra­dic­toires dans les­quelles Votre Fraternité semble s’être hasar­dée, qui sus­citent la per­plexi­té et sont en contra­dic­tion avec la Tradition de l’Eglise. Du reste, com­ment pourrais-​je ne pas affron­ter ces points dou­lou­reux, s’ils contiennent des ques­tions ou invitent au moins à des éclaircissements ?

Il me faut donc énu­mé­rer quelques-​uns des points dont nous avons eu connaissance :

À propos du jugement sur la situation

« Il est indé­niable que les dys­fonc­tion­ne­ments dans la Hiérarchie catho­lique., les lacunes, les silences, les induc­tions, les tolé­rances d’er­reurs et même des actes posi­tifs des­truc­teurs se ren­contrent jusque dans la Curie et mal­heu­reu­se­ment jusque chez le Vicaire du Christ. Ce sont des faits publics et consta­tables par le com­mun des mor­tels » (Lettre de Mgr Bernard Fellay au Card. Castrillón, Menzingen, le 21 jan­vier 2001)

Cette attaque fron­tale à la hié­rar­chie de l’Eglise catho­lique, Pape y com­pris, et le reproche d’a­voir aban­don­né la Tradition, consti­tue en pra­tique une pré­ten­tion dan­ge­reuse à juger jus­qu’à l’Autorité suprême. Dans le fil de l’en­sei­gne­ment du Concile Vatican I, Pastor Aeternus Dz 1830, nous croyons que per­sonne ne peut s’ar­ro­ger le droit de juger le Saint-​Siège : « cuius auc­to­ri­tate maior non est, iudi­cium a nemine fore retrac­tan­dum, neque cui­quam de eius licere iudi­care iudi­cio ».

Nicolas I le disait déjà au neu­vième siècle, dans la lettre Proposueramus, (MGH Epistolae 6, 465.474–475) : « Le juge ne sera jugé ni par l’empereur, ni par l’en­semble du cler­gé, ni par les princes, ni par le peuple… Le siège prin­ci­pal ne sera jugé par personne… »

On ne peut oublier éga­le­ment, dans la ligne de la vraie Tradition catho­lique, ces autres asser­tions du Concile Vatican I sur l’Eglise catho­lique. L’Eglise catho­lique, en effet, « a Domino nos­tro Iesu Christo, Salvatore huma­ni gene­ris ac Redemptore, claves regni acce­pit : qui ad hoc usque tem­pus et sem­per in suis suc­ces­so­ri­bus, epi­sco­pis sanc­tae Romanae Sedis, ab ipso fun­da­tae eiusque conse­cra­tae san­guine vivit et prae­si­det et iudi­cium exer­cet » (Pastor Aeternus DZ 1824) ; c’est ain­si que l’Eglise Romaine « cus­to­di­ta cum Romano Pontifice tam com­mu­nio­nis quam eius­dem fidei pro­fes­sio­nis uni­tate, Ecclesia Christi sit unus grex sub uno sum­mo pas­tore. Haec est catho­li­cae veri­ta­tis doc­tri­na, a qua deviare sal­va fide atque salute nemo potest. »(Pastor Aeternus DZ 1827). Toujours dans Pastor aeter­nus, on lit à pro­pos du Siège Apostolique : « quia in Sede Apostolica imma­cu­la­ta est sem­per catho­li­ca reser­va­ta reli­gio, et sanc­ta cele­bra­ta doc­tri­na. Ab huius ergo fide et doc­tri­na sepa­ra­ri minime cupientes (.) spe­ra­mus, ut in una com­mu­nione, quam Sedes Apostolica prae­di­cat, esse merea­mur, in qua est inte­gra et vera chris­tia­nae reli­gio­nis soli­di­tas. » (Pastor Aeternus DZ 1833).

La Fraternité Saint-​Pie‑X accuse, disant que la véri­té aurait été aban­don­née par l’Eglise qu’elle appelle, de façon péjo­ra­tive, « conci­liaire » : « L’Église conci­liaire est comme une ter­mi­tière qui se ronge de l’in­té­rieur. Depuis 30 ans et plus, ce sont les mêmes prin­cipes qui sont mis en appli­ca­tion, avec une cohé­rence imper­tur­bable, mal­gré leurs fruits catas­tro­phiques » – « Alors nous pré­fé­rons conser­ver notre liber­té d’a­gir pour toute l’Eglise, sans nous lais­ser mettre en iso­le­ment dans le zoo de la Tradition. Il faut secouer le monde catho­lique qui s’en­dort dans la léthar­gie post-​conciliaire. » (Entretien de Mons. Fellay dans la revue Pacte, été 2001)

De plus, dans une lettre que vous m’a­dres­siez, Votre Excellence écrivait :

« De notre côté, il me semble pou­voir affir­mer, en sui­vant les papes Pie XII et Paul VI, que l’Eglise se trouve dans une situa­tion lit­té­ra­le­ment apo­ca­lyp­tique » (Lettre de Mons. Fellay au Card. Castrillón, 22 juin 2001)

Je n’ar­rive pas à sai­sir à quelles paroles exactes de Pie XII se réfère Votre Excellence. Je n’ai pas de dif­fi­cul­té à recon­naître, avec le Pape Paul VI, que « la fumée de Satan » s’est intro­duite dans l’Eglise, même si le contexte de l’af­fir­ma­tion était limi­té. En réa­li­té il semble qu’à toute époque de l’his­toire de l’Eglise, par­fois plus par­fois moins, on puisse par­ler de situa­tion d’Apocalypse. Mais on ne devrait pas s’é­ton­ner du péché, puisque c’est la grâce qui est éton­nante. Malgré la déca­dence de la pra­tique de la foi qui touche jus­qu’au vieux conti­nent euro­péen, mal­gré la pré­sence ici et là de cer­tains abus dans la dis­ci­pline et dans la litur­gie, il est dis­pro­por­tion­né, faux et inac­cep­table d’af­fir­mer que l’Eglise et la Papauté ont per­du la foi.

Sainte Catherine de Sienne écri­vait à Barnabé Visconti Seigneur de Milan : « Il est fou celui qui se dresse ou qui agit contre ce Vicaire qui tient les clés du sang du Christ cru­ci­fié. Quand bien même il serait un démon incar­né, je ne dois pas lever la tête contre lui, mais tou­jours m’hu­mi­lier et deman­der le sang par misé­ri­corde. Et ne faites pas atten­tion à ce que le démon vous pro­po­se­ra et vous a déjà pro­po­sé sous cou­leur de ver­tu, c’est-​à-​dire de vou­loir faire jus­tice contre les mau­vais pas­teurs au sujet de leur défaut. Ne vous fiez pas au démon : n’es­sayez pas de faire jus­tice de ce qui ne vous regarde pas. Dieu ne veut pas que ni vous, ni per­sonne d’autre s’é­rige en jus­ti­cier de ses ministres. Il s’est réser­vé le juge­ment, et il l’a réser­vé à son Vicaire : et si le Vicaire ne fai­sait pas jus­tice, nous devons hum­ble­ment attendre la puni­tion et la cor­rec­tion de la part du Souverain Juge, Dieu éter­nel. » (Epistolaire vol. I, Lettre n. 28).

Pour reve­nir à cette situa­tion, je dois vous dire ma peine de consta­ter que vos publi­ca­tions, mal­gré le désir louable de mettre en garde contre cer­taines fautes et péchés, manquent de cette sen­si­bi­li­té qu’il faut pour faire goû­ter la grâce et les élé­ments posi­tifs, aus­si au milieu des défauts.

À propos des problèmes doctrinaux

« Ce sont pré­ci­sé­ment les nou­veau­tés de la nou­velle théo­lo­gie, condam­nées par l’Eglise sous Pie XII, qui font leur entrée à Vatican II. On vou­drait nous faire croire aujourd’­hui que ces nou­veau­tés seraient en déve­lop­pe­ment homo­gène avec le pas­sé ? Elles ont été condam­nées au moins dans leur prin­cipe. » (Lettre de Mgr Fellay au Card. Castrillón, 22 juin 2001)

Selon l’a­vis de la Fraternité Saint-​Pie‑X, l’Eglise catho­lique s’é­loi­gne­rait du depo­si­tum fidei.

« Nous ne sommes qu’un signe de la ter­rible tra­gé­die que tra­verse l’Eglise, peut-​être la plus ter­rible de toutes jus­qu’i­ci, où non seule­ment un dogme mais tous sont atta­qués. » (Lettre de Mgr. Fellay au Card. Castrillón, 22 juin 2001)

« Un magis­tère qui contre­dit l’en­sei­gne­ment du pas­sé, (par exemple l’œ­cu­mé­nisme actuel et Mortalium Animos), un magis­tère qui se contre­dit lui-​même, (voir la décla­ra­tion conjointe sur la jus­ti­fi­ca­tion et la note pré­cé­dente du car­di­nal Cassidy, ou la condam­na­tion et la louange du terme Eglises Soeurs), là est le pro­blème lan­ci­nant. Les mil­liers et mil­lions de fidèles catho­liques qui déchoient de la foi, se damnent à cause de ces défaillances de Rome, voi­là notre sou­ci. » (Lettre de Mgr. Fellay au Card. Castrillón, 22 juin 2001)

« Cette crise magis­té­rielle pose un pro­blème qua­si impos­sible à résoudre pra­ti­que­ment. Et le cau­che­mar s’é­tend de la Curie aux évêques rési­den­tiels ». (Lettre de Mgr. Fellay au Card. Castrillón, 22 juin 2001)

Votre Excellence déclare croire à l’in­dé­fec­ti­bi­li­té de l’Eglise, et on recon­naît volon­tiers vos mérites dans la lutte VIGOUREUSE contre quelques ten­dances sédé­va­can­tistes. Cependant, en ce qui concerne la cita­tion du Concile Vatican I, DZ 1836, sur le carac­tère, l’ob­jet et le but de l’in­failli­bi­li­té du Romain Pontife, il me semble néces­saire de citer inté­gra­le­ment ce que contient ce para­graphe et le suivant :

« Quorum qui­dem apos­to­li­cam doc­tri­nam omnes vene­ra­biles Patres amplexi et sanc­ti Doctores ortho­doxi vene­ra­ti atque secu­ti sunt ; ple­nis­sime scientes, hanc sanc­ti Petri Sedem ab omni sem­per errore illi­ba­tam per­ma­nere, secun­dum Domini Salvatoris nos­tri divi­nam pol­li­ci­ta­tio­nem dis­ci­pu­lo­rum suo­rum prin­ci­pi fac­tam : « Ego roga­vi pro te, ut non defi­ciat fides tua : et tu ali­quan­do conver­sus confir­ma fratres tuos » (Lc 22,32). »

L’assurance divine que mani­feste ce texte, selon laquelle le Siège de l’a­pôtre Pierre sera tou­jours exemp­té de toute espèce d’er­reur, ne per­met pas d’ac­cu­ser le Pontife actuel au nom d’un Concile anté­rieur, comme s’il y avait pas de conti­nui­té entre les Conciles et comme si la pro­messe du Seigneur ne valait plus à par­tir du Concile Vatican II. Le cha­risme indé­fec­tible de la véri­té et de la foi (cf. DZ 1837 : « Hoc igi­tur veri­ta­tis et fidei num­quam defi­cien­tis cha­ris­ma Petros eiusque in hac cathe­dra suc­ces­so­ri­bus divi­ni­tus col­la­tum est ») n’a pas été attri­bué à un moindre degré à la per­sonne de Jean-​Paul II, dont la foi est celle de l’Eglise de toujours.

Si Votre excel­lence consi­dère sérieu­se­ment cette décla­ra­tion à pro­pos de la fides num­quam defi­ciens du Pontife Romain, il me semble qu’il fau­drait faire preuve d’une plus grande cohé­rence théo­lo­gique pour réflé­chir sur le déve­lop­pe­ment orga­nique du Magistère de l’Eglise ces der­nières années.

Il est vrai que l’on constate des diver­gences d’o­pi­nions et de for­ma­tions théo­lo­giques par­mi les Prélats de l’Eglise ; cepen­dant, une simple phrase, même dite par le Souverain Pontife, n’est pas un acte de magis­tère ; nous savons tous que les décla­ra­tions revêtent divers degrés d’autorité.

Il est tou­jours pos­sible de cri­ti­quer ce genre de décla­ra­tions, comme aus­si une orien­ta­tion de gou­ver­ne­ment. La cri­tique, cepen­dant, demande une com­pré­hen­sion authen­tique de la pen­sée d’au­trui, et doit pré­sup­po­ser qu’il pos­sède aus­si la vraie foi catho­lique. Si on relève des inco­hé­rences, la cri­tique, faite avec humi­li­té et cha­ri­té, devient un ser­vice à rendre dans un grand res­pect et en esprit de sin­cère collaboration.

Origène, Contre Celse, 3,12–13 : « Les Ecritures, recon­nues par tous comme divines, furent com­prises de dif­fé­rentes manières et des sectes appa­rurent : elles prirent le nom d’hommes pleins d’ad­mi­ra­tion pour l’o­ri­gine de la doc­trine chré­tienne, mais arri­vés, pour divers motifs, à des diver­gences consi­dé­rables. Pourtant, il ne serait pas rai­son­nable de ne pas vou­loir entendre par­ler de méde­cine à cause de ses dif­fé­rentes écoles, comme il ne serait pas conve­nable de haïr la phi­lo­so­phie en pré­tex­tant les opi­nions dif­fé­rentes des phi­lo­sophes ; comme enfin on ne doit pas condam­ner les livres sacrés de Moïse et des pro­phètes à cause des diverses sectes appa­rues dans le judaïsme. Si tout cela est logique, pour­quoi ne devrions-​nous pas de la même manière jus­ti­fier la pré­sence de sectes par­mi les chré­tiens ? Ce que dit Saint Paul en la matière semble admi­rable : « Il faut qu’il y ait aus­si des héré­sies par­mi nous, pour mani­fes­ter par­mi nous ceux qui sont expé­ri­men­tés » (I Co 11,19). De même que dans la science médi­cale est « expé­ri­men­té » celui qui s’est exer­cé avec dif­fé­rentes méthodes et qui, après avoir sage­ment pesé les diverses écoles, a choi­si la plus excel­lente ; et de même qu’en phi­lo­so­phie, celui qui a fait de vrais pro­grès c’est celui qui a adhé­ré à la doc­trine la plus solide après s’être exer­cé à en connaître beau­coup d’autres ; je dirais ain­si qu’entre chré­tiens le plus sage est celui qui a étu­dié avec grand soin les dif­fé­rentes sectes du judaïsme et du chris­tia­nisme. Celui qui blâme notre foi à cause de la pré­sence de dif­fé­rentes sectes doit aus­si mépri­ser la doc­trine de Socrate, puisque son ensei­gne­ment sus­ci­ta diverses écoles qui certes concordent peu ; et il doit blâ­mer aus­si la doc­trine de Platon à cause d’Aristote, qui en aban­don­na l’en­sei­gne­ment pour divul­guer de nou­velles vérités. »

À propos de la permanence des « états de nécessité »

« Rome est très pres­sée d’a­bou­tir. Nous le sommes beau­coup moins, comme le disait Mgr Fellay récem­ment. Après Vatican II le train des réformes s’est mis en marche, petit à petit il a pris de la vitesse. Il s’é­lance a une vitesse de plus en plus folle vers l’anti-​christianisme total comme le disait si bien Mgr Lefebvre en 1987 ». (Abbé Benoît de Jorna, Supérieur du Séminaire Saint Pie X à Ecône, Interview de Giovanni Pelli, 15 mai 2001)

« Rome s’est pen­chée vers nous en disant : écou­tez, vous avez un pro­blème, il faut le régler. Vous êtes dehors, il faut que vous ren­triez, moyen­nant cer­taines condi­tions. À nous main­te­nant de répondre : non ce n’est pas ain­si. Si nous sommes dans la situa­tion dans laquelle nous sommes actuel­le­ment (qui est une situa­tion de mise à l’é­cart et de per­sé­cu­tion), nous n’en sommes pas la cause. La cause, elle est à Rome, c’est parce qu’à Rome il y a de graves défi­ciences que Mgr Lefebvre a dû prendre des posi­tions de retrait, des posi­tions qui per­mettent de conser­ver cer­tains bien de l’Eglise qu’on était en train de gal­vau­der. » (Interview de Mgr Fellay, Pacte, été 2001)

« Ce dilemme dans lequel on veut à nou­veau nous enfer­mer, nous le refu­sons. C “est très clair : nous ne sommes pas dehors, et nous ne nous lais­se­rons pas mettre en cage non plus ! » (Interview de Mgr Fellay, Pacte, été 2001)

Aucun héré­tique ni schis­ma­tique, au long de l’his­toire, n’a décla­ré s’être trom­pé. Ils ont tou­jours pen­sé que c’é­tait l’Eglise qui se trompait.

Dans des cir­cons­tances par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­ciles, pas seule­ment de per­sé­cu­tion, l’Eglise pré­voit l’é­ven­tua­li­té d”« états de néces­si­té ». Mais ces « états de néces­si­té » sont tou­jours sou­mis au cri­tère du juge­ment de l’au­to­ri­té Ecclésiastique Suprême, et des mesures qu’elle adopte en consé­quence ; ils ne peuvent pas être reven­di­qués contre ou en dehors de cette Autorité Suprême, de la part de forces, tout ortho­doxes qu’elles soient, mues par une volon­té de réforme et bien inten­tion­nées. Votre concep­tion et votre inter­pré­ta­tion de ces « états de néces­si­té » n’est pas conforme à la foi en l’in­dé­fec­ti­bi­li­té de l’Eglise, et de fait elle n’a jamais été par­ta­gée par l’é­pis­co­pat mon­dial avec le Pape à sa Tête.

Ce nous est une dou­leur que de vous voir enfer­més dans une telle posi­tion, qui contra­rie beau­coup le retour à la pleine com­mu­nion que l’on désire.

À propos des bases du dialogue

« Personnellement je ne crois pas à des dis­cus­sions qui ne por­te­raient pas sur le fond : sur Vatican II, sur la nou­velle messe, intrin­sè­que­ment mau­vaise comme nous l’a­vons tou­jours affir­mé dans la Tradition, sur le nou­veau code de droit cano­nique, qui fait entrer la nou­velle ecclé­sio­lo­gie de Vatican II dans la légis­la­tion de l’Église. » (Abbé Benoît de Jorna, Supérieur du Séminaire Saint Pie X à Ecône, Interview de Giovanni Pelli, 15 mai 2001)

« Après 20 ans de pon­ti­fi­cat, Jean-​Paul II n’a pas chan­gé. Il est tou­jours le pape d’Assise. L’idée qui le mène c’est le nou­vel œcu­mé­nisme issu de Vatican II. Je pense per­son­nel­le­ment qu’il veut nous inté­grer dans cette église plu­ra­liste. Intégration qui serait notre dés­in­té­gra­tion ». (Abbé Benoît de Jorna, Supérieur du Séminaire Saint Pie X à Ecône, Interview de Giovanni Pelli, 15 mai 2001)

« Nous sommes en ce moment au point mort, dans une sorte d’im­passe. Je pense que cette espèce de blo­cage résulte des bases sur les­quelles le dia­logue s’é­tait enga­gé ». (Interview de Mgr Fellay , Pacte, été 2001)

Pour se qua­li­fier de « catho­liques » on doit tou­jours, avant toute chose, cher­cher la pleine com­mu­nion avec Pierre. Face à d’é­ven­tuels doutes et pro­blèmes, il est tou­jours pos­sible de pré­sen­ter les cri­tiques que, en conscience et hum­ble­ment, on consi­dère être vrai­ment construc­tives. Malgré les dif­fi­cul­tés, cette pen­sée de Léon XIII doit nous éclairer :

« L’Eglise est unique en ver­tu de l’u­ni­ci­té de sa doc­trine comme en ver­tu de l’u­ni­té de son gou­ver­ne­ment, et elle est catho­lique ; et puisque Dieu a fait de la chaire de Saint Pierre son centre et son fon­de­ment, c’est à juste titre qu’on l’ap­pelle Romaine :« Là où est Pierre, là se trouve l’Eglise » (Saint Ambroise, In Psalmum 40, 30 : PL 14, 1082). Donc qui­conque veut se qua­li­fier du nom de catho­lique, doit répé­ter sin­cè­re­ment les paroles de Jérôme au pape Damase : « Moi, ne dési­rant suivre per­sonne d’autre que le Christ, je veux être en com­mu­nion avec ta béa­ti­tude, c’est-​à-​dire avec la chaire de Pierre : je sais que sur cette pierre l’Eglise a été fon­dée » (cf. Mt 16, 18) ; « celui qui ne recueille pas avec toi, dis­perse » (cf. Mt 12, 30) (Saint Jérôme, Epître 15 : PL 22, 355). » (cf. Léon XIII, lettre Testem bene­vo­len­tiae, 22.1.1899)

À propos du pouvoir du Pape sur la liturgie

Même si les membres de Votre Fraternité recon­naissent la légi­ti­mi­té du Pape actuel, Jean-​Paul II, et recon­naissent en Lui le vrai suc­ces­seur de Pierre et le légi­time Vicaire du Christ, le lan­gage employé sou­vent par cer­tains n’est pas très res­pec­tueux. De fait, il semble que ceux-​ci n’ac­ceptent pas les pré­ro­ga­tives du Pape concer­nant d’é­ven­tuelles modi­fi­ca­tions de la forme rituelle du Saint Sacrifice de la Messe.

« Nous refu­sons la nou­velle litur­gie car elle met en dan­ger notre foi catho­lique. » (Abbé Benoît de Jorna, Supérieur du Séminaire Saint Pie X à Ecône, Interview de Giovanni Pelli, 15 mai 2001)

Cette atti­tude est à com­pa­rer avec l’en­sei­gne­ment du Magistère antérieur :

Concile de Trente, Dz 1728 : « [Le saint Concile] déclare en outre : l’Eglise a tou­jours eu, dans la dis­pen­sa­tion des sacre­ments, leur sub­stance étant sauve, le pou­voir de déci­der ou de modi­fier ce qu’elle jugeait mieux conve­nir à l’u­ti­li­té spi­ri­tuelle de ceux qui les reçoivent ou au res­pect des sacre­ments eux-​mêmes, selon la varié­té des cir­cons­tances, des temps et des lieux ». Dans l’en­cy­clique Mediator Dei, le Pape Pie XII écrit :« Que tout se fasse donc en res­pec­tant l’u­ni­té due à la hié­rar­chie ecclé­sias­tique. Que per­sonne ne s’ar­roge l’ar­bi­traire de se créer des règles per­son­nelles et d’im­po­ser aux autres sa volon­té en la matière. Seul le sou­ve­rain Pontife comme suc­ces­seur de Saint Pierre, auquel le divin Rédempteur a confié le soin de tout le trou­peau (cf. Gv 21,15–17), et avec lui les évêques que « l’Esprit saint… a éta­bli… pour paître l’Eglise de Dieu » sous l’o­bé­dience du Siège apos­to­lique (Ac 20, 28), ont le droit et le devoir de gou­ver­ner le peuple chré­tien »

Manques de charité

« True, the Romans may always convert, but, again, given a track-​record such as the Vatican’s over the last 40 years, then the bur­den of proof lies with those who claim they have conver­ted, and not with those who assume, by the Romans” fruits, that they are still wolves and foxes and sharks ! » (Lettre aux bien­fai­teurs de Mgr Williamson du 1 février 2001)

« Et le récent mes­sage du car­di­nal Sodano aux pèle­rins de Paris à Chartres insiste deux fois en dix lignes sur l’o­béis­sance aux évêques, sur la néces­saire doci­li­té des catho­liques tra­di­tio­na­listes à l’é­gard de leurs per­sé­cu­teurs de 30 ans. Pour ceux qui s’i­ma­gi­naient que Rome ouvrait grand ses bras, c’est un camou­flet. Un de plus. » (Abbé G. de Tanoüarn, Pacte, été 2001, p. 11)

Je ne peux pas ne pas rele­ver avec souf­france que ces tons, concer­nant les inten­tions du Saint-​Siège, n’aident pas à la récon­ci­lia­tion, puis­qu’ils ne vont pas à l’en­contre du don supé­rieur de la cha­ri­té, tel que l’en­seigne Saint Irénée :

« Il juge­ra aus­si les créa­teurs de schismes, qui sont pri­vés d’a­mour de Dieu et qui cherchent leur inté­rêt propre, et non pas l’u­ni­té de l’Eglise ; pour une cause petite et quel­conque, ils fendent et divisent le grand et glo­rieux corps du Christ et, autant qu’il leur est don­né, ils le tuent ; ils parlent de paix et ils font la guerre, vrai­ment ils filtrent le mou­che­ron et ils avalent le cha­meau : aucune de leurs réformes n’est com­pa­rable à la ruine du schisme. Alors que la gnose véri­table tient en cela : la doc­trine des apôtres, tout l’en­sei­gne­ment ancien de l’Eglise dans le monde entier, le signe dis­tinc­tif du corps du Christ, garan­ti par la suc­ces­sion des évêques, et com­mu­ni­qué par les évêques à toute Eglise par­ti­cu­lière. Ce qui nous est par­ve­nu, c’est la conser­va­tion fidèle des Ecritures, leur expo­si­tion inté­grale, sans addi­tions ou déduc­tions ; leur lec­ture dépour­vue de dupe­rie, leur expli­ca­tion en tout conforme, cor­recte, har­mo­nieuse, dépour­vue de dan­ger ou de blas­phème ; fina­le­ment c’est le don sublime de l’a­mour, qui est plus pré­cieux que la gnose, plus pré­cieux que la pro­phé­tie, supé­rieur à tous les autres cha­rismes. » (Contre les héré­sies, 4,33.7–8).

Saint Thomas écrit ce qui suit sur la souf­france que cause le schisme, en com­men­tant un pas­sage de Saint Paul (1 Co 12, 22) : « Et, simi­li­ter in eccle­sia, imper­fec­tio­ri­bus sunt magis conso­la­tiones adhi­ben­dae, qui­bus per­fec­tiores non egent. Unde dici­tur Is. 11, 11 : in bra­chio suo congre­ga­bit agnos, et in sinu suo leva­bit, foe­tas ipse por­ta­bit, et, 1 Petr. III, 7 dici­tur : viri qua­si infir­mio­ri vas­cu­lo mulie­bri impar­tientes hono­rem. est notan­dum quod tri­pli­cem defec­tum cir­ca mem­bra nota­vit, sci­li­cet inho­nes­ta­tis, igno­bi­li­ta­tis et infir­mi­ta­tis. Quorum pri­mum in mem­bris eccle­siae per­ti­net ad culpam ; secun­dum ad condi­tio­nem ser­vi­lem ; ter­tium ad sta­tum imper­fec­tio­nis. secun­do ponit cau­sam fina­lem, dicens ut non sit schis­ma in cor­pore. Quod qui­dem seque­re­tur, si defec­tui mem­bro­rum non sub­ve­ni­re­tur. Hoc autem schis­ma quan­tum ad mem­bra cor­po­ris mys­ti­ci mani­feste vita­tur, dum pax eccle­siae cus­to­di­tur per hoc, quod sin­gu­lis ea quae sunt neces­sa­ria attri­buun­tur. Unde et supra dic­tum est cap. I, v. 10 : idip­sum dica­tis omnes, et non sint in vobis schis­ma­ta ».

Chère Excellence, la clar­té sin­cère sur la genèse et le par­cours de notre his­toire n’en­tend pas le moins du monde vous vexer ou vous mettre dans l’embarras. Je consi­dère la sin­cé­ri­té totale dans les rap­ports comme une condi­tion impres­crip­tible d’un vrai accord et du suc­cès de nos projets.

Excellence, je vous prie de me consi­dé­rer vrai­ment comme un frère qui vous aime et qui veut le bien de l’Eglise, sa claire uni­té, témoi­gnage de l’u­ni­té du Christ avec le Père et l’Esprit Saint, face au monde. Vous savez que je n’ai jamais vou­lu favo­ri­ser la divi­sion de la Fraternité Saint Pie X et de ses Evêques, même si aujourd’­hui je suis convain­cu qu’il y a en vos rangs des per­sonnes qui n’ont plus la vraie foi en l’au­then­tique Tradition de l’Eglise ; des per­sonnes qui, à moins d’une conver­sion pro­vo­quée par le Saint Esprit, revien­dront dif­fi­ci­le­ment à l’u­ni­té, il me semble.

Votre Excellence connaît les détails de cet évé­ne­ment que je consi­dère, et beau­coup d’autres avec moi, comme pro­vi­den­tiel : l’in­cor­po­ra­tion dans la pleine uni­té du groupe de Campos. Je n’hé­si­te­rais pas dire que, sur notre che­min, il y a un avant et un après : avant Noël 2001 et après Noël 2001.

A cette date, comme Vous le savez, le Saint-​Père Jean Paul II a signé la Lettre selon laquelle il accueillait dans la plé­ni­tude de la com­mu­nion catho­lique S.E.R. Mgr Licinio Rangel, ain­si que les prêtres membres de l’u­nion « Saint Jean Marie Vianney », avec tous leurs fidèles de Campos (Brésil).

J’ai eu la joie de rece­voir per­son­nel­le­ment la pro­fes­sion de foi et le ser­ment de fidé­li­té au Pontife Romain de cet Evêque, avec les prêtres de l’Union, dans une émou­vante célé­bra­tion publique qui se tint dans la Cathédrale dio­cé­saine de Campos, le 18 jan­vier der­nier, en pré­sence de dif­fé­rents Evêques et du Représentant Pontifical.

Je crois fer­me­ment que cet évé­ne­ment de Campos – qui a recou­su une bles­sure ouverte dans le Continent Latino-​Américain, qui a été célé­bré avec émo­tion par toutes les per­sonnes pré­sentes et per­çu comme un évé­ne­ment de grâce – est à juste titre un encou­ra­ge­ment pour conti­nuer nos efforts, dans le but d’ar­ri­ver à cette embras­sade cha­leu­reuse que Pierre désire pou­voir échan­ger avec vous, comme il l’a échan­gée avec l’u­nion « Saint Jean Marie Vianney. »

Cette embras­sade s’est concré­ti­sée avec la forme juri­dique la plus adap­tée, offerte de manière per­ma­nente, pour le déve­lop­pe­ment du cha­risme de cette Union, au sein de l’u­nique Eglise du Christ avec Pierre à sa Tête : je me réfère à l’ad­mi­nis­tra­tion Apostolique per­son­nelle de Campos, qui n’est pas une solu­tion tran­si­toire mais qui est don­née d’une manière stable (on ne peut aucu­ne­ment dou­ter de cette sta­bi­li­té et de cette volon­té). Je sais que beau­coup de per­sonnes, laïcs, prêtres et reli­gieux de la Fraternité Saint Pie X veulent trou­ver la paix de la conscience, dans la récon­ci­lia­tion pleine avec l’Eglise.

Déjà avant les évé­ne­ments de Campos je sou­hai­tais vous ren­con­trer, mais devant le fait de cette récon­ci­lia­tion et de la nou­velle Administration Apostolique per­son­nelle, cette ren­contre avec Votre Excellence me sem­ble­rait encore plus oppor­tune et sou­hai­table : elle pour­rait se tenir après les Fêtes Pascales, pour conti­nuer notre dia­logue, et pour cla­ri­fier aus­si, avec cha­ri­té et véri­té, dans un entre­tien fra­ter­nel, tout ce qui est mûri dans notre cœur à par­tir de Campos. Il ne ser­vi­rait pas à grand chose, il me semble, de conti­nuer un dia­logue à tra­vers des écrits directs ou indi­rects que nous nous échan­ge­rions pour faire la lumière sur des choses qui méritent par contre d’être trai­tées à un niveau per­son­nel et cor­dial, comme cela s’est déjà pro­duit entre nous.

On ne peut pas, en effet, ne pas voir com­bien pro­vi­den­tiel a été le retour dans la plé­ni­tude de la com­mu­nion avec le Siège de Pierre, pré­ci­sé­ment dans la Semaine consa­crée à l’u­ni­té des chré­tiens, de ces frères qui par­tagent avec Votre Fraternité les mêmes idéaux et qui désor­mais se réjouissent d’a­voir atteint ce que, en conscience, ils savaient ne plus pou­voir être retar­dé : la pleine com­mu­nion avec le Vicaire du Christ.

La souf­france et la prière de beau­coup de fidèles ont ren­du pos­sibles cette joie de recou­vrir la pleine com­mu­nion avec l’Eglise gui­dée par Pierre, pour l’u­nion « Saint Jean Marie Vianney » ; et je suis convain­cu que le Seigneur Jésus, qui a com­men­cé cette œuvre, la por­te­ra à son achèvement.

Ce qui m’a pous­sé depuis le com­men­ce­ment, et qui m’in­cite à vous écrire aujourd’­hui, c’est cette Charité du Christ qui m’en­gage à ne négli­ger aucune ten­ta­tive pour faire triom­pher l’u­ni­té, vraie marque de la Charité ! Aujourd’hui, plus encore qu’­hier, je souffre et porte le poids de vous savoir en situa­tion d’ex­com­mu­ni­ca­tion, alors que tous les fidèles de Campos ont désor­mais heu­reu­se­ment dépas­sé cette situa­tion, sous la conduite de leur Pasteur.

J’ai donc un grand désir de pou­voir vous ren­con­trer le plus tôt pos­sible ; je vous assure que j’ai écrit cette lettre avec l’es­prit et le cœur plon­gés dans les sen­ti­ments du pro­chain 2ème Dimanche de Pâques, le Dimanche de la Divine Miséricorde.

En vous sou­hai­tant toute grâce et béné­dic­tion du Ciel, je vous reste uni et dévoué dans les cœurs de Jésus et de Marie.

Du Vatican, le 5 avril 2002

Castrillon card. Hoyos