La ligne de crête de la Fraternité

La ligne de crête que tiennent la Fraternité Saint ‑Pie X et les com­mu­nau­tés amies ne se situe pas pré­ci­sé­ment entre la posi­tion de ceux qui se sont ral­liés à la Rome nou­velle et celle des sédé­va­can­tistes, c’est-​à-​dire entre l’hé­ré­sie et l’hé­ré­sie, mais bien entre le schisme et l’hérésie.

C’est en effet tom­ber sous la condam­na­tion des papes que de gar­der le silence devant les erreurs qu’ils ont com­bat­tues (posi­tion des ral­liés dans le meilleur des cas). Par ailleurs, le caté­chisme nous enseigne que l’Eglise est une socié­té visible et qu’elle a pro­messe d’é­ter­ni­té. C’est donc se mettre en dan­ger de devoir le contre­dire que d’ad­mettre que l’Eglise puisse vivre depuis cin­quante ans sans chef visible (posi­tion des sédé­va­can­tistes). La dif­fé­rence entre ces deux posi­tions est que la pre­mière est déjà jugée (et condam­née), alors que la deuxième n’est à repous­ser qu’en rai­son des consé­quences qui semblent bien en décou­ler. Cette der­nière pour­rait donc être admise comme une simple opi­nion pri­vée devant le mys­tère de l’a­po­sta­sie de Rome. Elle est into­lé­rable quand elle s’é­rige en cer­ti­tude obses­sion­nelle au mépris de l’a­na­lyse beau­coup plus pro­bable qui voit dans les papes conci­liaires la mala­die du libé­ra­lisme, et donc de vrais papes au ser­vice de la Révolution.

Le ral­lié et le sédé­va­can­tiste sont donc tous les deux du côté de l’hé­ré­sie. Ils ont aus­si et sur­tout en com­mun de réduire la crise dans l’Eglise à une ques­tion d’au­to­ri­té comme si l’aune avec laquelle devrait être mesu­ré le catho­lique n’é­tait que l’o­béis­sance au pape et non pas d’a­bord sa sou­mis­sion à la Révélation par l’in­ter­mé­diaire du magis­tère pon­ti­fi­cal. Le père Calmel sou­li­gnait que l’Eglise n’é­tait pas le Corps Mystique du pape. Celui-​ci n’est qu’un moyen dont se sert le Bon Dieu pour confir­mer les âmes dans la foi, comme il se sert du prêtre pour don­ner le sacre­ment. Que le pape n’ait plus l’in­ten­tion de trans­mettre le dépôt révé­lé et il cesse par là même d’exer­cer un quel­conque magis­tère (de même qu’un prêtre ne peut confec­tion­ner un sacre­ment s’il n’a pas l’in­ten­tion de faire ce que fait l’Eglise par ce rite). La grande ques­tion n’est donc pas de savoir si François est pape pour pou­voir éven­tuel­le­ment lui obéir aveu­gle­ment, mais bien de res­ter fidèle au magis­tère de tou­jours sans l’ap­pui de celui qui est aujourd’­hui, autant que l’on puisse juger, le sou­ve­rain pon­tife (mais non pas sans le sou­tien d’un cler­gé de sup­pléance sus­ci­té par la Providence). C’est une ques­tion de véri­té et seule­ment en second lieu d’au­to­ri­té. Et non pas de n’im­porte quelle véri­té ! Il s’a­git de la parole de Dieu qui nous a été fidè­le­ment trans­mise par un magis­tère, certes pas­sé, mais tou­jours vivant. Au jour du juge­ment, les papes seront là pour nous deman­der ce que nous aurons fait de leurs enseignements.

Quel est donc ce schisme que nous pour­rions craindre comme nous fuyons l’hé­ré­sie avec tout ce qui pour­rait nous y conduire ? Ce serait de pas­ser de l’é­tat de résis­tance face aux abus d’au­to­ri­té dont nous souf­frons aujourd’­hui à celui d’une oppo­si­tion sys­té­ma­tique aux pas­teurs légi­times. Le pape sera tou­jours un homme avec ses fai­blesses. Nous devons aujourd’­hui nous pro­té­ger d’un « magis­tère infi­dèle » (Mgr Lefebvre in « L’Eglise infil­trée par le moder­nisme » p. 117). Les textes du concile Vatican II sont « dan­ge­reux », plu­sieurs d’entre eux sont « équi­voques, minés, pié­gés » (Mgr Lefebvre in « J’accuse le Concile » pp. 10 et 11). Mais quand le pape sera reve­nu aux ensei­gne­ments de ses pré­dé­ces­seurs, il fau­dra lui obéir comme il faut obéir à nos supé­rieurs actuels mal­gré d’é­ven­tuelles fai­blesses et erreurs de gou­ver­ne­ment. Tant que la foi et la loi de Dieu sont sauves, la déso­béis­sance est illégitime.

L’inquiétude de tom­ber un jour dans un schisme porte sur un futur qui semble bien loin­tain. Ce qui menace aujourd’­hui les âmes, ce sont les com­pro­mis­sions avec les erreurs du concile. Comme nous l’é­cri­vait Mgr Fellay le 16 jan­vier der­nier (dans une lettre à l’en­semble des membres de la Fraternité), les fai­blesses des ral­liés ain­si que les per­sé­cu­tions dont souffrent ceux qui vou­draient se rap­pro­cher de la Tradition « montrent bien l’im­pos­si­bi­li­té et le dan­ger sui­ci­daire pour ceux qui vou­draient arri­ver à un accord avec les auto­ri­tés actuelles ». C’est pour­quoi ce numé­ro de l’Hermine évo­que­ra les dan­gers du ral­lie­ment selon les points que notre supé­rieur géné­ral nous rap­pe­lait dans cette même lettre, à savoir :

« a) que les pre­miers groupes Ecclesia Dei sont nés par déci­sion de Rome en oppo­si­tion avec la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X et pour nous faire dis­pa­raître, si c’é­tait possible ;

b) qu’ils ont aban­don­né Mgr Lefebvre au milieu du com­bat et ain­si divi­sé le front uni de la Tradition ; que par­mi eux, il se trouve d’ar­dents défen­seurs des erreurs du concile Vatican II qu’ils ont autre­fois com­bat­tues, en par­ti­cu­lier la liber­té reli­gieuse, mais aus­si l’oe­cu­mé­nisme, Assise, etc.; que leur silence en ces matières doc­tri­nales est uni­ver­sel et délétère ;

c) que leur défense de la litur­gie tra­di­tion­nelle est enta­chée de leur par­ti­ci­pa­tion à la nou­velle messe (au moins à la messe Chrismale) et de leur silence sur la noci­vi­té du Novus ordo ;

d) qu’en­fin leur apos­to­lat reste très limi­té en rai­son des mesures dras­tiques qui leur sont impo­sées par les évêques locaux ;

e) qu’il existe cepen­dant par­mi eux beau­coup de bonnes volon­tés, de per­sonnes et même de groupes qui, pro­fi­tant de l’au­baine et arri­vant du Novus Ordo, par­tagent nos convic­tions et méritent d’être aidés et sou­te­nus dans leur rap­pro­che­ment avec la Tradition ».

Que le Bon Dieu nous garde fidèles et nous fasse la grâce de nous retrou­ver tous dans la bien­heu­reuse éter­ni­té dont la foi contient la sub­stance ! Je vous bénis.

Abbé Thierry Gaudray

Source : L’Hermine n° 42 de mars 2014

Note de la rédaction de La Porte Latine

Lire aus­si dans ce numé­ro :

- Quelle est donc la posi­tion offi­cielle de la Fraternité ?
- La messe tri­den­tine ? Oui , mais pas la même pré­di­ca­tion
- La messe tri­den­tine ? Oui , mais pas le même com­bat
- La messe tri­den­tine ? Oui , mais pas la même pas­to­rale
- Un bel exemple de petit caté­chisme « Ecclesia Dei »
- Le mal à com­battre ? Fraternité saint Pie X ou Fraternité saint Pierre ?
- Amour de la véri­té et véri­té de l’a­mour (Abbé Labouche)